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Les temps sauvages, de Ian Manook

temps_sauvages.png Une chronique de Jacques.

Les temps sauvages... dans ce deuxième volet de la trilogie en cours d’écriture de Ian Manook, l’auteur adresse un clin d’œil à Joseph Kessel, dont l’un des derniers romans, publié en 1975 chez Gallimard, porte le même titre. Mais alors que l’histoire de Kessel se passe en 1918 en Sibérie, l’intrigue très contemporaine imaginée par Ian Manook vagabonde entre la Mongolie, la Russie... et la France, plus précisément la ville du Havre.

Si Oulan Bator et les steppes mongoles ont à nouveau, pour notre plus grand plaisir, une place centrale dans le récit, nous découvrons également la ville de Krasnokamensk, où se trouve la plus grande mine d’uranium de Russie et où l’oligarque Mikhaïl Khodorkovski, condamné pour vol et fraude fiscale, a été détenu dans la célèbre colonie pénitentiaire G 14/10, réputée pour être la plus dure et la plus isolée du pays.

Les principaux personnages du premier roman sont toujours là, fidèles au poste, et en premier lieu le désormais célèbre flic d’Oulan Bator, Yeruldelgger, marqué par son éducation dans le mystérieux et légendaire Septième Monastère ainsi que par des drames dans sa vie personnelle, que nous découvrons peu à peu. Bien que cette vie tourmentée l’ait rendu dur et violent, il reste malgré tout généreux, imprévisible, toujours attaché aux traditions de son pays... Mais Yeruldelgger ne sera pas le seul enquêteur central du livre, puisque Ian Manook introduit un nouveau personnage, le flic français Zarzavadjian qui qui va, à partir de la ville du Havre, tirer un des fils de l’intrigue, ce qui va l’amener à croiser Yeruldelgger en Mongolie.

Au centre de cette intrigue dans laquelle la corruption au plus haut niveau des états est centrale et qui s’appuie sur un fond de trafics en tout genre (y compris d’enfants), nous allons retrouver le richissime, inquiétant et corrompu Erdenblat. L’ennemi juré et beau-père de Yeruldelgger, dont l’obsession est de tuer son gendre de ses propres mains, va monter une machination contre lui pour parvenir à ses fins. Machination dont un des versants comporte une accusation de meurtre contre Yeruldelgger, l’autre versant étant lié à la disparition de Gantulga, le jeune protégé du policier

C’est Oyun, la jeune collègue de Yerulgelgger qui ouvre la danse avec une étrange scène de crime sous le blizzard de la steppe mongole (le dzüüd) : le cadavre gelé d’un yack grogneur surmonte celui tout aussi gelé d’un cheval, qui surmonte lui-même celui de son cavalier. Un début aussi fantastiquement délirant que celui d’un roman de Fred Vargas et qui impose au lecteur d’échafauder les hypothèses les plus baroques pour trouver une explication crédible. Comme dans les romans de Vargas, nous finirons par avoir une explication rationnelle à ce mystère, mais ce point de départ nous permet d’emblée de mieux appréhender le mode de fonctionnement de Ian Manook quant à l’écriture : débrider son imagination, en partant du principe que la réalité est parfois aussi folle que nos pires délires, tout en parsemant son histoire d’un luxe de détails précis, d’anecdotes vraies, de descriptions fouillées de personnages et de lieux qui nous permettent d’y croire.

L’enquête que mène Oyun va-t-elle être l’un des éléments des multiples fils que Yeruldelgger va tirer pour sauver sa peau et retrouver Gantulga ? Ce qui est sûr, c’est qu’Oyun va se retrouver elle-même en grand danger, même si elle vit une histoire d’amour brûlante qui va peut-être se révéler pour elle plus dangereuse que prévu.

Pour construire son intrigue, l’auteur joue avec habileté sur plusieurs tableaux en construisant un polar, qui est aussi un roman de suspense, d’action et d’aventure qui ne néglige pas la dimension psychologique des personnages. Qui trop embrasse, mal étreint, dit le dicton : on pourrait craindre que le pari ne soit difficile à tenir, et que l’auteur ne coure le risque de lasser le lecteur par une trop grande superficialité liée au choix même de l’exercice qu’il s’est imposé. En réalité, il n’en est rien. Car pour donner de la chair à son histoire, Ian Manook a compris qu’il devait avant tout créer des personnages puissants, originaux, dont les contradictions comme la force ont leur source dans leur biographie habilement distillée, et cela même pour de nombreux personnages secondaires. C’est le cas pour Gourian, le séduisant militaire qu’Oyun a rencontré sur la scène de crime, dont elle va être amoureuse et qui va se révéler très différent de ce qu’il semblait être. Mais aussi pour Zarzavadjian, le flic français ou pour l’étrange flic russe Akounine, personnage secondaire qui va aider Yeruldelgger quand son enquête.  

L’autre élément fort qui fait l’originalité du livre, c’est le contraste entre les traditions millénaires des nomades des grandes steppes mongoles, et la modernité rutilante qui commence à apparaitre dans certains coins de la ville encore crasseuse d’Oulan Bator. Le murissant Yeruldelgger aime la steppe et sa culture ancestrale, pendant que la jeune Oyun préfère la ville... question de génération ou de culture ? Le lecteur appréciera.

Avec ses chapitres courts, qui ne dépassent pas quatre pages, et son écriture scénaristique qui semble avoir puisé son inspiration dans les meilleures séries télévisées américaines, ce deuxième opus de Ian Manook est aussi vif, enlevé et dense que le premier.

Une belle réussite, d’un remarquable nouvel auteur français !

 Jacques, lectures et chroniques

Les temps sauvages
Ian Manook
Éditions Albin-Michel (28 janvier 2015)
528 pages

 

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19/03/2015 | Lien permanent

Yeruldelgger, de Ian Manook

9782226251947g[1].jpgUne chronique de Jacques.

Le polar, phénomène quasi mondial, permet mieux que d’autres genres littéraires d’appréhender les cultures, les sensibilités et les problèmes sociaux et politiques des différents pays du monde, tout en nous offrant un dépaysement et un exotisme qui sont une valeur ajoutée incontestable au plaisir que peut procurer un bon roman. Entre Johan Theorin et Janis Otsiemi, entre la Suède et le Gabon, l’amateur de polars vit avec bonheur un grand écart intellectuel et littéraire qui le fait naviguer imaginairement entre le Gabon et la Suède, tout comme il peut voyager entre l’Écosse et la Chine en passant de Ian Rankin à He Jiahong. Et quand la qualité de l’écriture est au rendez-vous, cette incroyable diversité n’est que du bonheur pour le lecteur.

Avec son Yeruldegger, dont la qualité de l’écriture est indiscutable, Ian Manook nous entraine lui aussi dans un univers mal connu de la majorité des lecteurs français : la Mongolie. Entre Oulan-Bator et les steppes sauvages et lointaines, il semble si bien connaître la géographie, la culture, les mœurs, les traditions ancestrales et même les problèmes politiques de ce pays que l’on pourrait croire que le roman a été écrit par un véritable Mongol. C’est le premier tour de force de l’auteur (qui est français)... mais pas le seul, comme nous allons le voir.

Yeruldelgger est le nom du héros, un flic d’Oulan-Bator envoyé loin de la capitale pour démarrer une enquête qui semble, au départ, d’une importance secondaire : une main d’enfant a été découverte dans un coin perdu de la steppe par des nomades. Cette enquête il va la mener en parallèle avec une autre, sanglante : l’assassinat de trois Chinois et de deux prostituées dans la banlieue de la capitale. Les deux enquêtes semblent sans lien apparent, mais est-ce vraiment le cas ?

Yeruldegger est un personnage hors du commun. Pleinement inscrit dans la modernité, il est confronté à travers son métier aux aspects les plus troubles et les plus violents de la vie de son pays qui, après l’éclatement de l’URSS, subit maintenant d’autres influences, en particulier chinoises et coréennes. Il manifeste aussi la volonté de conserver les traditions mongoles millénaires, sans doute liées à l’éducation qu’il a reçue dans un monastère bouddhiste. Il est aussi un homme brisé par la folie dans laquelle sa femme a sombré après l’assassinat de leur fille quelques années plus tôt, et reste hanté par la culpabilité de n’avoir pu la protéger.

Les différents personnages, y compris secondaires, sont aussi forts qu’originaux, aussi riches que complexes. Yeruldegger en tout premier, naturellement. Mais aussi son amie Oyun, la policière qui va mener l’enquête avec lui. Ou encore son beau-père, le richissime et puissant Erdenbat, redoutable manipulateur qui corrompt les flics comme les hommes politiques pour parvenir à ses fins. Ou bien sa fille ainée Saraa, qui le provoque constamment et le déteste, car elle estime qu’il est responsable de la mort de sa sœur, Kushi. Ou enfin Solongo, la jeune femme médecin légiste qui est amoureuse de lui et auprès de qui il va tenter de retrouver une vie affective.

Mais les personnages ne sont pas la seule qualité de ce roman, loin de là ! L’intrigue policière va se révéler être d’une redoutable complexité, en lien avec la géopolitique (relations entre la Mongolie et la Chine ou la Corée), mettant en évidence des intérêts économiques puissants à travers la découverte de certaines terres rares qui permettent d’extraire des Lanthanides (praséodymes, néodymes...) de plus en plus utilisés dans certains composants électroniques. Ceux-ci constituent un atout majeur pour les pays producteurs, peu nombreux dans le monde, et sont source d’une richesse potentielle énorme... et donc de convoitises diverses.

Un autre aspect du roman qui rend sa lecture passionnante, c’est la représentation, à travers certains des personnages du roman, de la culture traditionnelle mongole. Nous voyons comment celle-ci cohabite avec la modernité d’une façon parfois baroque. Ainsi, Yeruldegger arrivant en pleine steppe chez les nomades qui ont découvert le corps enterré de la petite fille s’entend-il expliquer qu’ils ont remis le corps en place en attendant l’arrivée de la police pour ne pas « bouleverser la scène de crime », comme ils l’ont vu faire dans la série télé américaine les experts de Miami qu’ils regardent régulièrement dans leur yourte.

Enfin, l’écriture de Ian Manook a une force et une précision, une intensité, qui lui permet d’être à l’aise dans les scènes d’action comme dans les descriptions de la steppe et des quartiers mal famés d’Oulan-Bator, ou dans les scènes plus intimistes que sont les moments d’introspection de Yeruldegger. Une écriture qui n’est pas non plus dépourvue d’un lyrisme qui sonne juste, dans des passages où celui-ci est le bienvenu :

« Yeruldelgger eut soudain le sentiment étrange que le vieil homme n’était plus avec eux. Il était juste là, comme la steppe, comme les collines à l’horizon, les rochers épars et le vent qui les érodait depuis des millions d’années. Le petit vieux n’était plus un homme, c’était un roc. Plein. Dense. Solide. Chacun s’était arrêté et demeurait immobile dans l’attente de quelque chose, mais lui ne bougeait pas. Le temps semblait suspendu. Puis une brise les frôla, se glissa entre eux, chahuta les herbes bleues, et s’enfuit soudain dans un galop joyeux sur la steppe. Yeruldegger reçut comme un coup au cœur toute cette liberté de la plaine sauvage aux herbes irisées où couraient des chevaux fous. Quand il sentit la main du petit vieux sur sa manche, ce fut comme s’il tombait d’un rêve ».

Avec Yeruldegger, les éditions Albin-Michel nous permettent de découvrir un très grand auteur, qui nous livre là un premier roman d’une exceptionnelle qualité. Le livre se termine sur un point d’interrogation, ce qui nous permet d’attendre (avec impatience !) le deuxième volet de cette série éponyme que nous promet l’éditeur. 

Je ne prends pas trop de risque en vous disant que nous allons entendre parler de Ian Manook dans les mois et les années à venir !

Jacques, lectures et chroniques

 

Yeruldelgger
Ian Manook
Éditions Albin-Michel (octobre 2013)
400  pages ; 22 €

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19/12/2013 | Lien permanent

La mort nomade, de Ian Manook

la_mort_nomadeUne chronique de Cassiopée.

Et au milieu vit le désert…..

 Il s’appelle Yeruldelgger et il a choisi de se retirer de la police, certains diront qu’il était un peu trop violent, d’autres qu’il avait mauvais caractère et n’en faisait qu’à sa tête…. Installé dans une yourte en plein désert de Gobi, il vit de peu et de rien, bien dans sa nouvelle vie, à la recherche d’une certaine forme de paix, loin des hommes et des femmes ….

« C’est un sage... sur ses conseils… je me suis retiré loin de tout à la recherche de ce que les chrétiens appellent la rédemption et que lui définit comme un retour à l’harmonie. »

Mais voilà que la gente féminine vient à sa rencontre de diverses façons…. Et pas n’importe quelles femmes ! Chacune de celles qu’il va croiser aura le caractère bien trempé, une force insoupçonnée. Elles feront toutes preuve de beaucoup de détermination dans ce qu’elles veulent obtenir de lui. La première veut qu’il l’aide à retrouver sa fille étudiante qui a  disparu. Il ne veut pas être dérangé notre homme, il  veut qu’on le laisse tranquille et pourtant…il prend la route.

 Il ne perd pas de vue qu’il souhaite se rendre à un « naadam », sorte de festival-rencontre traditionnel en Mongolie, autour du tir à l’arc. Alors sur le chemin, s’il peut aider pourquoi pas, mais  son but et il le rappelle régulièrement, c’est le naadam.

 C’est dans l’ambiance feutrée du désert que se déroule l’essentiel de l’intrigue et le lieu est presque un personnage à part entière tant on le sent présent. Pour un peu, on sentirait le sable crisser sous nos semelles. Le décor est là, l’atmosphère des grands espaces où tout est silence ou résonnance également. On sent les yeux de ceux qui veulent voir sans être vus, de ceux qui espionnent, traquent….

 Dans ce roman, l’auteur nous rappelle que la corruption, les trahisons, le non respect de la nature indiffèrent souvent les hommes et les femmes qui visent le pouvoir, prêts à tout écraser sur leur passage pour obtenir ce qu’ils veulent. C’est l’argent et la puissance qui dominent tout, même au milieu du désert !

J’ai bien aimé les pointes d’humour, parfois dans le texte, parfois dans les titres des chapitres, cela apporte un autre regard sur l’écriture de l’auteur, on sent qu’il a plusieurs « registres » à nous offrir. J’ai également apprécié les explications de la page 131 sur « la mort nomade » : oublier le mort là où il est pour ne vivre qu’avec son esprit qui accompagne les vivants. J’ai souri lors de l’explication du mât dressé près de la yourte qui indique que les habitants sont …. bien occupés….

 Au début, les dialogues où les personnages s’interpellent à la mode mongole « Petite sœur, grand-mère etc… » m’ont un peu dérangée, parce que cette façon de parler alourdissait les phrases à mon goût et de ce fait le rythme ralentissait puis je me suis habituée car je pénétrais de plus en plus dans l’espace décrit, je m’y installais et les mœurs du lieu me devenaient familières….

 L’écriture est lente, un tantinet poétique portant à travers ses personnages, un message fort de respect de l’environnement, de l’autre, de la vie tout simplement …. même lorsque la mort rode…..et que certains détruisent tout sur leur passage….

 

La mort nomade
Auteur : Ian Manook
Éditions : Albin Michel (Octobre 2016)
ISBN : 9782226325846
432 pages

 Quatrième de couverture

 Usé par des années de lutte stérile contre le crime, l’incorruptible commissaire Yeruldelgger a quitté la police d’Oulan-Bator. Plantant sa yourte dans les immensités du désert de Gobi, il a décidé de renouer avec les traditions de ses ancêtres. Mais sa retraite sera de courte durée. Deux étranges cavalières vont le plonger bien malgré lui dans une aventure sanglante qui les dépasse tous. Eventrée par les pelleteuses des multinationales, spoliée par les affairistes, ruinée par la corruption, la Mongolie des nomades et des chamanes semble avoir vendu son âme au diable !

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02/11/2016 | Lien permanent

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