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26/04/2015

Retour à Watersbridge, de James Scott

scott1.jpgUne chronique de Bruno (BMR).

 Pour celles et ceux qui aiment les westerns.

Western glacé.


Ça démarre pratiquement comme une scène de guerre : plusieurs assaillants armés de fusils viennent de décimer une famille entière (ou presque). 
Retour à Watersbridge nous propulse en 1897, en plein hiver glacé, non loin du lac Erié, dans une ferme isolée de tout et de tous.

« [...] Personne n’habitait suffisamment près pour les connaître – un isolement qu’ils avaient voulu, qui était pour eux une nécessité. Mais Elspeth avait des ennemis, et ses péchés la liaient irrémédiablement à ceux qu’elle avait lésés. »

Pourquoi cette violence ? Crime gratuit, meurtre crapuleux, vengeance ?
Les deux seuls survivants de cette mystérieuse famille semblent cacher bien des secrets.
Le fils, Caleb, vivait à l'écart dans la grange.
Quant à la mère, Elspeth, elle a fuit ses parents, a épousé un indien et semble avoir élevé des enfants qui n'étaient pas vraiment les siens.
Le père n'a pas survécu au massacre mais l'indien n'est pas moins mystérieux qui défendait un peu trop farouchement  sa ferme et sa famille isolées.

« [...] À neuf ans, quand il avait décidé d’explorer seul leur territoire pour la première fois, il avait découvert un endroit magique, silencieux, de l’autre côté de la colline : quatre petits tertres dans une clairière bordée d’érables jaspés au tronc rayé et noueux, qui poussaient sur les rochers comme pour les clouer au sol. Les arbres paraissaient taillés, l’herbe bien entretenue, et Caleb s’était senti à l’abri dans cet endroit, parfaitement en sécurité. Deux jours après avoir vu l’homme mourir dans le champ, il avait voulu se réfugier dans ce havre de tranquillité pour essayer de calmer le martèlement dans sa poitrine, et de chasser les cauchemars qui le hantaient depuis qu’il avait recouvré le sommeil. Mais la paix du lieu avait été bouleversée par l’ajout d’un cinquième tertre, sur lequel des brins d’herbe se mêlaient à la terre fraîchement retournée. »

Pendant les quelques jours qui suivent le massacre, les deux survivants pansent leurs plaies, vident leur chagrin et brûlent leurs proches sur un bûcher funéraire. Quelques bribes du passé épaississent encore les mystères.
Ce jeune homme et cette femme (mais est-elle seulement sa mère ?) partent sur les chemins enneigés à la recherche des assassins. 

« [...] On doit chercher les tueurs. [...] Il remplit ensuite ses poches de cartouches.
– C’est lui qui les a envoyés. Elspeth crut qu’il faisait allusion à Dieu.
– Attends, dit-elle en l’attrapant par le poignet. Qui ? Qui les a envoyés ? »
Ils forment une drôle de famille, un étrange tandem, taiseux et avares de mots, ils se consument dans les tourments, les péchés et les démons qui couvent sourdement en eux.

« [...] Ils se dévisagèrent longuement, dans l’expectative l’un et l’autre. Aucun d’eux ne prit la parole, mais chacun avait conscience de tout ce qui avait changé pour l’enfant qui avait vécu dans la grange, et pour la femme qui gravissait la colline plusieurs fois par an, passait des mois à ronger son frein au sein de sa famille, puis repartait. »

Même si l'étiquette 'polar' semble inappropriée (marketing ?), ce roman de James Scott a évidemment droit à une place de choix sur l'étagère du nature-writing.
Mais ici le mot 'nature' fait froid dans le dos car c'est elle qui dicte les pages : une nature âpre, primaire, brutale, violente, qui façonne les hommes et les âmes. La force d'évocation peu commune de l'écriture de James Scott va imprimer en nous des images très fortes.
Le jeune homme et cette femme qui n'est peut-être pas sa mère vont donc revenir sur les traces des tueurs et de leur passé.

« [...] Pourquoi revenir à Watersbridge après toutes ces années ? »

Une petite ville des Etats-Unis, à la charnière des siècles, un monde sauvage et brutal où la loi semble égarée quelque part entre celle du plus fort et celle de Dieu.
Je ne sais pas si l'on peut prendre sans trop de recul toute cette littérature qui réinterprète sans doute le passé, maisscott2.jpg à l'éclairage de nos lectures, il apparait clairement que ce pays s'est construit avec une bible dans une main et un colt dans l'autre. Comment s'étonner qu'aujourd'hui encore, plus de cent ans après (ou seulement cent après ?), l'intégrisme religieux et la passion des armes en façonnent toujours la douloureuse actualité ?

« [...] – Tu dois cependant me donner une assurance : tu ne nous veux aucun mal, hein ? – Je veux de mal à personne, répondit Caleb. Au moment où il levait les mains, comme pour en apporter la preuve, il se rendit compte que ce n’était pas la vérité. – Pas à vous, en tout cas. »

Que vont devenir nos deux mystérieux oiseaux égarés en 1897 à Watersbridge, l'un aveuglé de vengeance, l'autre assoiffée de rédemption ?

« [...] Il sentait un nouveau creux dans sa poitrine, probablement à l’endroit où son cœur se trouvait jadis. »

Après une première partie fort réussie (toute en sécheresse oppressante et glacée), on regrette quelques longueurs, notamment lors de l'arrivée en ville, un travestissement de la mère en homme un peu incongru (mais qui prendra quelque sens plus tard), quelques digressions un peu longuettes, quelques personnages et péripéties superflus. Mais peu à peu les fils se renouent, le passé rattrape nos deux oiseaux et chacun rencontrera son destin.

Bruno ( BRM) : les coups de Coeur de MAM et BMR

 

 

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