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Les Pyromanes, de Vincent Delareux
« Les pyromanes » est le deuxième livre de Vincent Delareux. Mais, il nous présente l’histoire de deux personnages évoqués dans le premier « Le cas Victor Sommer ». Soyez rassuré, on peut aisément les lire séparément !
Une chose est sûre, l’auteur est monté en puissance, tant dans le style, la construction de l’intrigue, que dans les liens établis entre les individus et la description de cette « micro société » représentée par une petite bourgade normande.
Dans ce village, un peu à l’ancienne, tout le monde se connaît, sait les travers de chacun, pourrait dénoncer des faits délictueux mais se tait. On est en 1952, le curé a encore une place primordiale, comme les anciens qu’on écoute …ou pas. La règle c’est de ne pas s’occuper des affaires des voisins, on peut les espionner, cancaner éventuellement sur leur dos mais en apparence, tout reste lisse. Thérèse Sommer est mariée à Serge, souvent absent à cause du boulot, il est sur l’eau mais n’en boit jamais…. Comme l’époux ne rentre pas tous les soirs au logis, elle en profite car « L’adultère était son credo et le vice sa vertu ». Fière de son corps, obnubilée par le sexe, elle reçoit chez elle dans le lit conjugal les habitants du coin… mais chut, on fait comme si, hein ? C’est une femme libre, qui vit sa vie, sans entraves, sans loi, sauf celle qu’elle décide. Elle n’a que peu de lien avec sa mère, installée pas loin, encore moins avec son conjoint qu’elle méprise et dont elle se moque.
Elle ne veut pas de contrainte, mais elle tombe enceinte et l’enfant reste là, malgré ses souhaits de s’en débarrasser. C’est une fille qui naît, alors que personne ne s’en doutait. Pas maternelle pour deux sous, elle va mener la vie dure à ce petit bout d’elle, la voyant comme une rivale, une ennemie qu’il faut humilier, mater. L’enfant n’est pas aimée, sauf par la grand-mère, qui fait ce qu’elle peut. Elle grandit sans affection, confrontée à des situations terribles. Elle érige une carapace, elle se protège lorsque c’est possible, et ne comprend pas les émotions, les sentiments. Elle est comme détachée d’elle-même jusqu’au jour où elle rencontrera l’amour. Sera-t-elle capable de tisser des liens « normaux » ? N’est-elle pas « handicapée », presque « détruite » par tout ce qu’elle a subi ?
L’auteur sait manier les mots avec un phrasé incomparable. Les titres de chapitre, à eux seuls, sont toute une histoire. Dans le récit, les phrases courtes au vocabulaire choisi et soigné, font mouche. Elles dévoilent l’horreur mais on reste scotché, presque attiré par tant de noirceur. Une infime lueur d’espoir ? On s’accroche, on espère…. Et on retombe, le cœur en vrac.
Vincent Delareux analyse finement la psychologie de ceux qu’il évoque, il montre combien le passé, l’enfance, l’interprétation d’un geste, d’un sourire, d’une idée, une révélation historique (quelle idée excellente de lier à son texte, Marguerite et Julien de Ravalet, combinant ainsi la petite et grande histoire !) peuvent influencer des personnes un peu crédules. Françoise n’a pas été « armée » pour affronter les autres, elle s’est « construite » seule ou presque. Les notions de bien ou de mal ne sont pas les bonnes. Non pas qu’elle ait « l’âme méchante » mais elle reproduit ce qu’elle a vécu et une fois le doigt dans l’engrenage, elle ne peut pas s’arrêter. On peut penser qu’elle a été « nourrie » à la violence et qu’elle en a besoin pour vivre… Va-t-elle s’en sortir ?
C’est une lecture bouleversante, présentée avec une touche d’ironie, c’est diaboliquement noir et … on en redemande…
Éditions : L’Archipel (24 Août 2023)
ISBN : 978-2809846683
466 pages
Quatrième de couverture
Dans un village reculé de Normandie, Thérèse Sommer attise les passions et dicte sa loi : à son mari qu’elle trompe, à sa mère qu’elle méprise, à ses amants qu’elle consume. Libre et indépendante, maîtresse de son petit monde, on ne lui connaît pas de rivale. Jusqu’à la naissance de sa fille.
23/08/2023 | Lien permanent
Criminel show, de Jérôme Sublon
The Show Must Go On …
Timothée a onze ans et ce qu’il aime, c’est courir. Il s’entraîne vers les falaises, pas loin d’Étretat. Il aspire à faire un morceau du mythique marathon de la baie St Michel. Il est appliqué, calcule son souffle, sa foulée, dose son effort. Quand il revient vers ses parents, ses yeux pétillent, il est heureux !
Un jour, après un entraînement, il ne rentre pas, il ne reviendra plus jamais. Il a été trouvé mort au bas des falaises. Sa mère le dit immédiatement, il n’a pas pu se suicider ! Les policiers, eux, s’interrogent mais très rapidement ils sont mis en face de la vérité : l’adolescent a été assassiné et son meurtrier a mis en scène son acte odieux. C’est l’horreur absolue. Comment peut-on oser jouer avec la vie des gens ? Et si ce n’était pas un acte isolé … Il faut donc arrêter le tueur au plus vite, l’empêcher de récidiver. C’est un esprit pervers qui n’est guidé que par le fait de faire parler de lui et de choquer… Un peu comme si à travers ses crimes, il se mettait en scène, même si on ne le voit pas.
Dans la seconde partie du livre, en parallèle de l’enquête qui continue, on assiste à une émission, en direct, « Criminel Show » où sont reçus, avec l’accord des autorités, des criminels. Ils viennent parler de leur parcours, de leur arrestation, de leur vie en prison. On découvre un premier homme, froid, sans empathie, capable de présenter sans aucune émotion son quotidien en cellule. L’animatrice met le paquet pour non seulement intéresser les téléspectateurs mais aussi pour leur offrir du grandiose, du démesuré. L’audience, toujours l’audience, peu importe ce qui se dit, l’essentiel ce sont les points d’audimat n’est-ce pas ? Le succès avant tout !
C’est la commissaire Aglaé Boulu qui mène les investigations. Elle veut résoudre l’affaire, arrêter cet homme qui s’en prend à des enfants innocents. Elle est concentrée, observatrice, elle met sa vie entre parenthèses alors qu’elle a pas mal de choses à gérer. Elle ne lâchera rien. C’est une femme droite, opiniâtre.
Dans ce roman, Jérôme Sublon nous rappelle plusieurs choses. La fascination de certains hommes pour des dérives qui les font vibrer, qu’ils assimilent à de l’art. Le poids et l’influence des médias, influence parfois néfaste quand elle manipule les esprits car on peut le dire, l’écrire, celui qui conduit les débats peut glisser des suggestions et ainsi modifier l’opinion de certains. On le sait, quelques-uns sont prêts à tout (et surtout à faire n’importe quoi) pour qu’on parle d’eux et quelque part, ça fait peur …Jusqu’où l’homme peut-il aller pour se retrouver sur le devant de la scène ? J’en ai des frissons … car je pense que ce qui est évoqué dans ce recueil est affolant et la folie des hommes a-t-elle une limite ?
L’écriture est vive, fluide avec de nombreux dialogues. Il n’y a pas de temps mort. On est pris dans cette course contre la montre et on veut savoir. Les personnages sont bien décrits : attachants, ambigus, détestables, il y a de tout !
Une lecture marquante !
Éditions : du Caïman (3 Octobre 2024)
ISBN : 978-2493739193
242 pages
Quatrième de couverture
Une série d'infanticides suscite effroi et colère. Et l’horreur atteint son comble lorsque des séries de photos relatant ces meurtres sont mises en ligne. Il est alors fait appel à la commissaire Aglaé Boulu, que l’on retrouve pour la sixième fois dans un roman de Jérôme Sublon. Parallèlement à cette histoire, une équipe de télévision a décidé de monter une nouvelle émission, « Criminel show », mettant en scène des criminels condamnés et incarcérés, afin de revenir sur leurs crimes, leur arrestation et leurs conditions de détention.
03/11/2024 | Lien permanent
Les auteurs du noir face à la différence.
Une chronique d'oncle Paul
Vous vous êtes sûrement tous un jour amusés à relever les petites divergences entre deux dessins, alors que vous attendez votre tour dans une salle d’attente, avec le fameux jeu dit des 7 erreurs. Il faut retrouver sept divergences, parfois minimes, entre deux dessins. Changements de couleur ou de forme, déplacement, ajout ou suppression. Sur Terre, c’est tout le contraire qui est proposé à l’observation d’un être humain. La différence prévaut, d’abord dans le sexe, masculin féminin, puis dans la couleur de peau, de cheveux, des yeux, dans l’aspect physique, mental, moral. Seuls échappent à la différence les sosies et les jumeaux, et encore pas tous. Ce son les premiers différents de la planète. Après il faut regarder autour de soi, et on se rend compte que certaines divergences « choquent » plus que d’autres, attirent plus l’œil que d’autres. Le regard de la majorité qui n’est plus différente sur la minorité qui arbore involontairement des divergences, des handicaps physiques ou mentaux. Un regard souvent teinté de gêne, de mépris, de honte, de curiosité malsaine, de condescendance, d’apitoiement, posé sur des handicapés qui eux-mêmes nous dévisagent avec des points d’interrogation. Nous aussi sommes différents d’eux, et ils ont droit de posséder un avis de défiance.
Dans ce recueil, quinze auteurs, tous différents les uns des autres par la sensibilité, le style narratif, les préoccupations, se sont investis suite à un défi lancé lors des Quais du Polar à Lyon en mars 2011. Une initiative prise au sérieux et organisée par Fabien Hérisson du site Livresque du Noir. Et à l’unanimité, il a été décidé que les droits d’auteurs iraient au bénéfice d’une association ou d’une œuvre humanitaire. Le choix s’est porté sur l’association dunkerquoise Ecoute ton Cœur, créée en 2008, dont le but est de sensibiliser le grand public à la question sur l’autisme, mais aussi et surtout de proposer aux enfants des activités sportives dispensées par des éducateurs spécialisés.
Les quinze auteurs qui ont relevé ce défi se nomment, par ordre alphabétique : Laurence Biberfeld, Valéry Le Bonnec, Thierry Brun, Paul Colize, Patrick de Friberg, Bob García, Sébastien Gendron, Maxime Gillio, Fabien Hérisson, Sophie Loubière, Gaëlle Perrin, Elena Piacentini, Hervé Sard, Nicolas Sker, Michel Vigneron. Certains noms ne vous sont pas inconnus, au contraire, vous avez pu lire et apprécier leurs ouvrages. D’autres, pour moi du moins, sont des inconnus, et le seul reproche que je puisse effectuer, c’est le manque de présentation, en quelques lignes, de ces participants.
Etant donné qu’il serait fastidieux, autant pour vous que pour moi, de vous résumer toutes ces nouvelles, je me contenterai donc de vous en proposer quelques-unes, représentatives des regards portés sur une frange de la société, qui méritent que l’on s’intéresse à elle sans pour autant que l’on ait l’impression de traîner dans une foire aux monstres comme cela se faisait dans le temps dans les fêtes foraines pour l’édification des badauds.
Alors voici, dans un mélange totalement improvisé, quelques histoires significatives des différents ostracismes qui polluent notre société.
Dans On a déconné ,de Sébastien Gendron, trois jeunes Roms enlèvent, à la faveur d’un hasard facétieux, le ministre de l’Intérieur. Il lit les pages saumon d’un quotidien national, près d’un kiosque à journaux. La place Beauvau est déserte, la tentation est trop grande pour ne pas y succomber. Rien n’avait été prémédité et pourtant voici ce représentant de la République qui porte de petites lunettes sans monture et une impeccable coupe de cheveux entrainé dans la camionnette des trois kidnappeurs. Ils ne lui reprochent rien, sauf qu’il a dans les yeux toute la haine que leur peuple lui inspire. Toute la haine qu’il a toujours inspirée tout au long de l’histoire. « Ce qu’il y a de terrible dans le regard de cet homme, c’est qu’il est ministre et qu’à travers lui, cette haine entre dans l’institution de votre pays ».
La ségrégation ethnique et raciale se trouve partout, comme le souligne Valéry Le Bonnec dans La petite mécanique de l’horreur. L’histoire qui s’inspire de faits réels, se déroule dans la province de Muramvya au Burundi. De jeunes albinos sont traqués puis sacrifiés selon des coutumes plus ou moins ancestrales par des chasseurs qui empocheront une prime leur permettant de manger, de s’acheter des habits, de réparer leur maison. Une histoire dont les phrases partent en lambeaux ou en tronçons.
Dans Asperger, mon amour, l’auteur, Maxime Gillio, se coule dans la peau de la narratrice, Pauline, onze ans, et raconte son histoire à la première personne. Selon sa mère, Pauline a de la chance car elle va entrer au collège, intégrer une classe dite ULIS. Et tout le monde n’a pas la chance de pouvoir en bénéficier. Mais Pauline, lorsqu’elle est contente, aime tirer les cheveux de ses petites camarades, de les serrer fort pour les embrasser, de leur toucher les oreilles, de dire des gros mots. Les copines sont flattées, elles rigolent, sauf lorsque Pauline est un peu trop violente dans ses démonstrations. Et cela dégénère souvent. Pauline va voir une pédopsychiatre, il y a des mots qu’elle ne comprend pas toujours, alors elle recherche leur signification dans le dictionnaire. Mais Pauline parfois en a marre d’être autiste, c’est trop nul.
Dans un autre registre Bob Garcia nous entraine, avec Sonic World, dans l’univers d’un petit garçon rançonné par d’autres enfants. Il en a peur, surtout de Jimmy qui a une voix de crécelle. Avec quelques copains, Jimmy et sa bande attendent Tom à la sortie de l’école et en profitent alors qu’il traverse un terrain vague pour le battre jusqu’à ce qu’il leur donne vingt euros. Tom prélève l’argent dans le porte-monnaie de sa mère, sans qu’elle s’en rende compte, crois-t-il, mais cela ne peut plus durer. Rentrer tous les soirs, griffé, les vêtements en lambeaux, le cartable et les affaires qu’il contient détériorés, cela n’aura qu’un temps. La rédemption passera peut-être par la musique.
La bête noire, d’Elena Piacentini, est un clin d’œil à la Bête et le Belle dans les montagnes corses. Un homme né laid, une jeune femme belle à croquer qui dès son enfance a été habituée à figurer dans les pages modes des magazines féminins, une rencontre, puis la mort. Evidemment les mauvaises langues se déchainent lors de la découverte d’un cadavre et seul un être qui ne ressemble pas à tout le monde, même s’il est essentiel dans le village, devient le premier suspect.
Patrick de Friberg joue sur une corde sensible, celle de la science. Une simple sortie de famille se déroule le 11 mars 2012, un an après le tsunami de Sendai sur les côtes japonaises. Guy Gagnon, un entrepreneur canadien qui ne pense qu’à son travail, a été obligé de se plier aux conseils de son psy qui lui a ordonné, presque, de prendre une journée de repos à la pêche en mer avec son fils et quelques marins. Il enrage mais il faut faire avec. S’il avait su qu’un autre tsunami se préparait sous une autre forme, il aurait sûrement différé sa balade en mer.
Le titre Être une femme de Nicolas Sker, résume presque à lui seul la teneur de cette nouvelle. Presque. Et il serait dommage de déflorer l’intrigue et lui en faire perdre toute sa saveur, même si la violence est au rendez-vous.
La voix des autres d’Hervé Sard est à découvrir elle aussi comme on enlève peu à peu les voiles qui sont posés définitivement sur les yeux. Disons que Gabrielle se meurt d’un cancer, elle n’en a plus que pour quelques jours, alors autant franchir rapidement la frontière. Elle organise son suicide elle-même.
De rire et de couleurs de Michel Vigneron se déroule dans un IME, Institut médico éducatif. Les parents de Sam ne pouvaient plus garder ce bébé âgé de douze ans qui ne peut être déplacé que dans un fauteuil roulant. Les soignantes et les éducatrices sont aux petits soins pour Sam. Elles changent régulièrement ses couches, elles le bichonnent, elles lui parlent gentiment, n’attendant aucune réponse de sa part. Mais dans l’IME court le bruit qu’un des patient est décédé bêtement, oubliant de respirer.
Enfin, dans Dignité perdue, Fabien Hérisson met en scène un chirurgien qui tout en écoutant une patiente qui jacasse, piaille, cancane et parle d’elle comme si elle était la plus intéressante personne au monde. Lui il revoit sa jeunesse, son amour du scalpel et la première fois qu’il a pratiqué une opération à plastique ouvert sur une poupée appartenant à sa sœur. Les coups que son père lui assénait à coups de ceinture ou son odorat développé lui permettant de renifler du sang à plusieurs mètres de distance. Fabien Hérisson ne se contente pas de relater ce qui va suivre entre ces deux personnages centraux mais aime à digresser sur de petits faits de société, comme la téléréalité par exemple.
Un recueil qui nous plonge dans l’enfer des victimes de nos regards, de nos pensées, de nos appréhensions, de la discrimination inconsciente parfois de notre part, du rejet de la société par effet de contamination, et qui se traduisent par des moqueries, des violences verbales ou physiques.
Paul (Les lectures de l'oncle Paul)
Les auteurs du noir face à la différence.
Editions Jigal.
208 pages.
16,50€.
29/02/2012 | Lien permanent
Le livre des illusion, de Paul Auster
Est-ce une coïncidence ? Ou bien Auster s’est-il inspiré de Djian ? Je pencherai plutôt pour la coïncidence. En tout cas, lorsque j’ai commencé à lire ce de Paul Auster, j’ai réalisé qu’il traitait du même thème que le roman de Philippe Djian Vers chez les blancs . Ou, en mettant les choses au mieux, que la toile de fond des deux livres présentait de réelles analogies. Le fait qu’ils soient les deux romanciers contemporains que je préfère m’a entraîné, au fur et à mesure que j’ai découvert ce rapport, à faire des allers-retours incessants entre les deux romans. J’avais été passionné par la lecture du roman de Djian, je l’ai été autant (et peut-être davantage encore) par la lecture du livre des illusions de Paul Auster.
Dans les deux romans, la vie d’un homme, le narrateur de l’histoire, est brisée à la suite d’un accident d’avion dans lequel meurent sa femme et ses enfants. Situation extrême, mais que chacun d’entre nous peut d’autant plus facilement imaginer Peut-on imaginer pire situation dans une vie ?
Dans les deux romans, les narrateurs sont : un romancier chez Djian ; un spécialiste du cinéma et traducteur de Chateaubriand pour Auster.
Dans les deux romans, ils sont confrontés à la création artistique, à ses douleurs, à ses rapports avec la souffrance, et surtout, au sens que la création donne leur vie.
A partir de ce point de départ commun, et comme il fallait s’y attendre, les deux œuvres vont diverger fortement par leur construction, leurs thèmes secondaires, leur écriture, chacune d’elles conservant pourtant une force indubitable qui fait paraître fade beaucoup de petits romans nombrilistes et intimistes dans l’air du temps.
David Zimmer n’attend plus rien de la vie. Sa femme Helen et ses deux garçons sont morts dans un accident d’avion. Il est devenu alcoolique et vit dans un brouillard cotonneux en s’apitoyant sur son sort et en rêvant son suicide. Un soir, il voit à la télé un extrait d’un vieux film d’Hector Mann. Et pour la première fois depuis l’accident, il rit.
« Cela peut sembler sans importance, mais c’était la première fois depuis juin que je riais de quoi que ce fût et en sentant ce spasme inattendu monter dans ma poitrine et se mettre à chahuter mes poumons, je compris que je n’avais pas encore touché le fond, qu’il restait en moi quelque chose qui souhaitait continuer à vivre ».
Il entreprend alors ce qui n’avait jamais été fait, une étude fouillée, exhaustive, de l’œuvre d’Hector Mann, cinéaste génial et méconnu du cinéma muet, disparu depuis 1929.
« J’ai écrit le livre en moins de neuf mois. Le manuscrit terminé comptait plus de trois cents pages dactylographiées, et chacune de ces pages avait représenté pour moi un combat ».
Le livre est publié. David Zimmer passe à autre chose, il commence un travail passionnant : la traduction des « mémoires d’outre-tombe » de Chateaubriand. Et puis, l’invraisemblable se produit. Hector Mann, que tout le monde croyait mort, vit toujours, caché en Californie. Il veut rencontrer David Zimmer. Alma Grund, une jeune femme, vient chercher David Zimmer pour le conduire à Hector. Et David se laisse finalement convaincre. Et peu à peu, la vie extraordinaire et méconnue d’Hector Mann va lui être révélée par Alma. La vie, mais aussi tout un pan immense de son œuvre cinématographique, quatorze films que jamais personne n’a vu et qu’il va être le seul à pouvoir visionner en partie. Tous ces films inédits d’Hector Mann seront en effet détruits lorsque David les aura visionnés.
A travers cette narration palpitante d’un bout à l’autre du livre, Paul Auster mène avec brio une réflexion sur la signification de l’art. Que représente l’œuvre d’art pour un artiste si celui-ci, de façon délibérée, refuse de la montrer à qui que ce soit ? Pourquoi Frieda, l’épouse d’Hector Mann, veut-elle absolument faire disparaître ces films alors qu’elle a tant œuvré avec Hector pour leur réalisation ?
« Petit à petit, c’était devenu un principe esthétique en soi. Alors même qu’elle continuait à travailler avec Hector, elle devait avoir eu le sentiment qu’il ne s’agissait plus de faire des films. Il s’agissait de fabriquer quelque chose afin de le détruire. C’était ça, l’œuvre, et tant que toute trace de l’œuvre n’aurait pas été détruite, l’œuvre n’existerait pas. Elle ne commencerait à exister qu’au moment de son anéantissement –et alors, tandis que la fumée s’élèverait dans le jour brûlant du Nouveau-Mexique, elle disparaîtrait. »
Mais le roman de Paul Auster est d’une grande richesse thématique.
Que représente une vie d’homme, nous dit Paul Auster, sans la création ? Et quelle peut être l’importance de cette vie, si la création reste cachée ? Pour que la vie d’Hector prenne tout son sens, il faut que ses films les plus importants, détruits par le feu, puissent enfin être vus de tous. Peut-être Alma a-t-elle réussi à préserver les films ?
« S’il en est ainsi, alors les films d’Hector ne sont pas perdus. Ils n’ont que disparu et, tôt ou tard, quelqu’un surviendra qui ouvrira par hasard la porte de la chambre où Alma les a cachés, et l’histoire reprendra du début.
Je vis dans cet espoir ».
A travers l’histoire extraordinaire de la vie d’Hector, racontée par Alma, à travers l’amour qui naît, avec difficultés, entre David et Alma les deux admirateurs de l’œuvre d’Hector, à travers l’oubli progressif de la douleur de David ainsi que l’importance que va prendre la traduction des « mémoires d’outre-tombe » dans sa vie, Paul Auster déploie son immense talent narratif avec une maestria époustouflante. Le livre des illusions est un roman qui fera date dans l’œuvre magistrale de Paul Auster.
J.T.
14/12/2010 | Lien permanent
Sur nos cadavres ils dansent le tango, de Maurice Gouiran (chronique 3)
Maurice Gouiran semble être un auteur engagé qui aime remuer là où d'autres souhaiteraient que les choses se tassent et s'oublient à jamais. Cet auteur marseillais, selon ce que j'ai pu découvrir, a traité pas mal de sujets sensibles et durs, tels que l'Italie de Mussolini, le nazisme, les jeunes français dans la SS, l'Espagne franquiste ou encore la mafia marseillaise.
Une enquête policière actuelle qui emmène le lecteur dans les arcanes de la guerre d'Algérie ou encore dans l'Argentine dictatoriale de Videla, c'est ce que nous propose Maurice Gouiran dans cette œuvre marquante et mémorable. La mémoire justement, c'est bien ce que l'auteur semble vouloir être; évoquer et rappeler des faits qui font taches dans l'Histoire, ceci d'une manière objective, impartiale et juste. Chose que nous n'avons pas l'habitude de voir; l'hypocrisie règne en maître parfois lorsqu'il s'agit de rappeler un passé dont certains ne risquent pas d'être fiers de leurs actes et préféreraient être oubliés.
Je connais les grandes lignes de la guerre d'Algérie ou le passé sanglant de l'Argentine, mais pas comme le décrit ici Maurice Gouiran. L'expression "appuyer là où ça fait mal", vous connaissez? Et bien là l'auteur appuie fort, très fort même, et plus ça fait mal, plus il appuie encore! Et oui, pour faire ressurgir les vérités cachées, il faut bien y mettre un peu de pression... L'auteur nous ramène le passé, nous fait revivre un bout de l'Histoire; pas la plus belle - loin de là - tout cela imbriqué dans un polar! Visiblement une marque de fabrique de Maurice Gouiran, comme je vous le disais au début de ma chronique. L'auteur lève le voile sur des pratiques dégueulasses qui ont été dissimulées à l'époque, cautionnées par des gouvernements adeptes de la pratique de l'autruche.
Le colonel Vincent de Moulerin, conseiller municipal de la droite républicaine et ancien militaire émérite et de nombreuse fois décoré, vient d'être abattu dans un parking d'un centre commercial marseillais. Ce vétéran de la guerre d'Indochine et d'Algérie, qui était également patron d'une entreprise de sécurité aux méthodes peu orthodoxes, a succombé après avoir reçu quatre balles en sortant de son véhicule. Emma Govgaline est chargée de cette enquête mais son boss, le commissaire Arnal, conseille à la jeune flic de boucler l'affaire rapidement. Pour lui, pas de doute, il s'agit d'un énième crime crapuleux perpétré par des membres du petit banditisme marseillais. Un vol de voiture qui a mal tourné, cela arrange bien ce commissaire relativement lâche lorsqu'il s'agit de prendre ses responsabilités, surtout avec l'assassinat d'un notable sur les bras! Moins cela fera de bruit, mieux ça ira pour lui...
Mais bon, pour Emma Govgaline, trois balles dans le thorax et une dans la nuque, pour un vol de voiture, cela ne passe pas trop. Cela ressemble clairement à un règlement de compteElle en fait part à son supérieur qui lui donne tout de même, à contrecœur, une semaine pour boucler l'affaire. La jeune flic au look androgyne et gothique, pugnace et accrocheuse, va s'intéresser de très près au passé de la victime; une intuition. Elle va notamment s'intéresser à la carrière militaire de cet homme, peut-être motivée et influencée par le suicide de son père qui était également un ancien combattant. Peut-être...
Lors de son enquête officieuse, elle va apprendre petit à petit, au gré des témoignages piqués à gauche et à droite, que le passé du colonel n'était pas aussi propre qu'il en avait l'air. Emma Govgaline va contacter Clovis Narigou, un ex-amant qui regorge d'informations et de contacts; bref un gars bien renseigné. Il va l'orienter vers Kader, puis Mario Crescensi, journaliste à la retraite qui est susceptible de la faire avancer dans son enquête.
L'ancien journaliste lui parle alors de la guerre d'Algérie - l'envers du décor - , lui apprend ce qu'il se passait réellement. Une guerre... Plutôt des massacres, à l'image de la tuerie des Centres Sociaux Educatifs à Alger le 15 mars 1962, des hommes innocents qui furent fusillés au château Douïeb, par un groupement, le commando Delta; un exemple parmi tant d'autres. Pour Emma, le statut du colonel Vincent de Moulerin prend gentiment la forme de criminel. Est-il impliqué d'une manière ou d'une autre dans ces massacres? Selon les renseignements, il aurait approché de très près l'OAS (organisation de l'armée secrète).
Les témoignages se succèdent et la flic en apprend de plus en plus, même auprès de la veuve qui semble devenir assez bavarde lorsqu'Emma s'attarde sur le passé de son mari. Ce dernier se comportait étrangement les jours avant sa mort. Une période de sa vie reste également relativement trouble et inexpliquée, soit de 1968 à 1980. Où était-il?
Parallèlement, nous suivons Kevin, le petit-fils du colonel Vincent de Moulerin. Cet ado passe ses jours et ses nuits enfermé dans sa chambre, à pianoter sur le clavier de son ordinateur. Sa vie prend un sens uniquement dans le virtuel, "Second Life" devient son monde, le vrai. Il ne voit aucun intérêt à vivre dans le "vrai" monde rempli d'intolérances, corruptions et de toute la bêtise humaine qui va avec.
"Face à ce désaveu, certains auraient choisi la lutte et la dénonciation, lui préféra la fuite. La fuite vers un autre monde... Alors, il s'était réfugié dans sa chambre, devant son ordinateur. Là, il se sentait bien. Il pouvait créer, jouer avec cette machine largement ouverte sur l'univers et dont la puissance l'étonnait chaque jour, surfer sur les réseaux qui l'emmenaient loin, très loin de sa famille petite bourgeoise et mesquine, de ces êtres qui vivaient dans l'aigreur, la nostalgie, la peur de l'autre, la vindicte, très loin de ses parents qui ne savaient parler que de fric."
Son tripe est également de développer des programmes et des techniques de morphing et ainsi les tester sur le net. Lorsqu'il tentera l'expérience avec une photo de son père prise dans un album de famille, cette image le renverra sur un personnage appartenant au passé, un homme qui ne semble pas avoir de rapport avec sa famille. Néanmoins, il tombera finalement de haut et atterrira sur quelque chose de gros et surprenant. Il va aussitôt enquêter sur cette nouvelle découverte qui va l'emmener dans l'Argentine dictatoriale des années 70, avec ses desaparecidos, ces quelques 30'000 personnes innocentes qui furent enlever et qui disparurent à jamais. Quel rapport avec son père ou son grand-père? Le jeune Kevin va très vite comprendre ce qu'il se passe, ou plutôt ce qu'il s'est passé. Un grand dilemme familial se présente devant lui et il va forcément devoir agir.
Les troublantes découvertes de Kevin et l'enquête d'Emma Govgaline vont prendre une direction identique, l'Argentine dans sa période la plus sombre de l'Histoire.
Par ce polar, Maurice Gouiran nous propulse dans l'Histoire, dans l'Argentine de Vidala, qui a été marquée par la torture, les pressions, les enlèvements, les viols, les vols de bébés ou encore des massacres collectifs commis en toute impunité. Des techniques de massacres et de pressions qui ont fait leurs preuves durant la guerre d'Algérie, des méthodes odieuses exportées ensuite en Argentine par des officiers français et enseignées aux milices du pays qui les ont rapidement assimilées et mise en place. La guerre antisubversive n'avait dès lors plus aucun secret pour eux. L'auteur nous renvoie dans le passé par de nombreux témoignages de personnages mais également en plaçant le narrateur de l'époque au présent ce qui permet de nous enfouir complètement et intensément dans cette ambiance malsaine et sanglante.
"Melian croupit cinq jours dans sa cellule du sous-sol. Martyrisé, le corps en sang, il entendit durant son séjour les hurlements des hommes et des femmes qui perçaient la sonorisation musicale intense destinée à étouffer les plaintes. Outre les gencives et les parties génitales, on appliquait l'électricité sur les seins des femmes qui subissaient également la cuchara (la petite cuiller) consistant à introduire une petite cuiller dans l'utérus afin de rendre les décharges encore plus sensibles. Le sumarino (la baignoire), la scie électrique, le chevalet, le chalumeau ou le viol complétaient l'attirail des bourreaux et étaient largement utilisés dans le sous-sol de l'ESMA. On découpait les paupières de certains prisonniers, d'autres étaient tout simplement écorchés vivants."
Maurice Gouiran nous réserve un dénouement assez classique, tout comme l'enquête sur le meurtre qui reste un peu en arrière plan. L'atout majeur de cette œuvre, c'est la qualité des développements historiques qui sont tout simplement épatants et d'un réalisme époustouflant. Suivre des matchs de la coupe du monde de football de 1978 en Argentine; percevoir cette ambiance euphorique générale qui se dégage des foyers de tout le pays alors que les tortures et les massacres font couler le sang à quelques pas du stade; un contraste qui est décrit par l'auteur d'une manière puissante et dérangeante. Jorge Rafael Videla n'est jamais très loin; la peur, la boucherie humaine et la mort non plus.
L'auteur ne nous épargne absolument rien et dénonce haut et fort ce que d'autres auraient peut-être préféré cacher à tout jamais. Mais voilà, l'Histoire n'est pas malléable, ce qu'il s'est passé ne changera pas et les splendides salopards qui ont traversé le temps en toute impunité ne risquent plus d'être inquiétés... Pas tous du moins. Le réservoir de la plume de Maurice Gouiran est rempli d'encre rouge, une plume qui fait couler beaucoup de sang d'innocents qui ont vécus une période marquée par la dictature et qui ont subi des actes abominables. La torture, la peur et la douleur s'inculquent; l'Argentine en a fait les frais.
Maurice Gouiran ne brosse pas un portrait très réjouissant de sa région et de son pays. D'une part, la ville de Marseille en prend pour son grade par la voix d'Emma Govgaline qui n'a pas une grande estime pour la cité phocéenne. Et d'autre part, l'auteur ne place pas la France sur un piédestal en dénonçant l'exportation et l'enseignement de la guerre subversive dans un pays déjà bien agité et ébranlé. C'est audacieux mais néanmoins franc et sincère! L'auteur a exécuté son rôle de mémoire jusqu'au bout et c'est tout à son honneur. De parler de toutes ces victimes et surtout en dénonçant leur tortionnaire - fictifs mais aussi bien réels dans cette œuvre - est une sorte de respect pour ces enfants, ces hommes et ces femmes qui méritent de la dignité. Voilà, ce pan scandaleux de l'Histoire se ferme pour moi; et pour vous? Bonne lecture.
Paco (passions romans)
Sur nos cadavres ils dansent le tango
Maurice Gouiran
Editions JIGAL
18 €
Présentation de l'éditeur
Vincent de Moulerin, notable marseillais et conseiller municipal, vient d’être abattu de quatre balles de 11.43 dans un parking souterrain du centre-ville. Emma, jeune lieutenant de police au look étrange se retrouve en charge de l’enquête sur ce meurtre apparemment crapuleux. Mais, suivant son instinct et les conseils de Clovis, elle décide de fouiner dans le passé de la victime… De Moulerin est en effet un ancien colonel des paras qui a fait le coup de feu en Indochine… Il y est devenu un expert reconnu de la guerre antisubversive, appliquée en Algérie et bientôt exportée et enseignée avec succès en Argentine. L’Argentine, où en 76 une clique de généraux prend le pouvoir, instaure la dictature et terrorise le peuple : enlèvements, disparitions et tortures sont alors le lot de tous les opposants réels ou supposés. Et puis il y a Kevin, le petit-fils de Vincent, un ado apparemment disjoncté, qui bien que vivant reclus dans sa chambre et passant sa vie dans Second Life est en train de comprendre beaucoup trop de choses… Mais quel rapport existe-t-il donc entre le Mondial argentin de 78, l’École de Mécanique de Buenos Aires, Videla et sa junte, les bruits de bottes dans la Médina d’Alger, la Patagonie, les « desaparecidos », Kevin et Vincent de Moulerin… ? Maurice GOUIRAN aime dénicher les épisodes oubliés ou méconnus de l’Histoire… et bien souvent les pires ! En portant un coup de projecteur sur ces heures sombres, il perpétue la Mémoire… d’une plume trempée dans le sang des victimes. Tragique et édifiant.
14/06/2012 | Lien permanent
Les Anges de New York, de R.J. Ellory (chronique 2)
Une chronique de Jacques.
Dans les forums Internet et les lieux consacrés aux polars, la sortie en France de ce nouveau livre de R.J. Ellory a été un évènement. Avec ses trois premiers romans traduits en français : Vendetta ; Seul le silence et Les Anonymes, celui-ci s’est taillé une réputation d’auteur talentueux, à l’écriture originale et aux intrigues sophistiquées s’inscrivant dans les problématiques de notre époque. Aussi, lorsque j’ai ouvert son livre, je savais que j’allais avoir quelques heures de pur plaisir de lecture, un sentiment qui n’est pas si fréquent !
Autant vous le dire d’emblée : je n’ai pas été déçu. L’auteur nous plonge dans l’univers glauque et parfois sanglant des flics new yorkais de l’époque contemporaine ainsi que ceux des années 1980 : les Anges de New York.
Le héros du roman, Franck Parrish, est un flic dont le père a été une légende chez ses collègues, avant d’être mystérieusement assassiné alors que Franck était encore enfant. Dès le prologue, qui est un véritable morceau d’anthologie du polar noir, Parrish tente de sauver de la mort un jeune couple, paumés et drogués. Tommy a tranché au rasoir l’artère fémorale de sa à copine Heather avant de menacer de se tuer, et ils se retrouvent tous les deux dans une baignoire gluante de sang. Franck est là, qui tente à la fois de stopper l’hémorragie de Heather et d’empêcher le suicide de Tommy. Quelques pages qui mettent d’emblée le lecteur dans le bain, d’une façon brutale, sans prendre de gants, en nous permettant au passage de comprendre les énormes tensions psychologiques accumulées par le héros au fil des années, des tensions liées autant à son travail qu’aux liens entretenus par Franck Parrish avec le souvenir de son père.
Les relations fils/père ainsi que celles de Franck Parrish avec ses propres enfants vont d’ailleurs être un des axes majeurs et particulièrement intéressant du livre. Mais qu’en est-il de l’intrigue ?
Il est difficile de bâtir une histoire policière ayant un scénario novateur et surprenant. Tellement de livres ont été écrits sur les thèmes de la folie meurtrière, des pulsions homicides liées à l’argent ou au pouvoir, des meurtres provoqués par l’amour, le sexe, la jalousie et le désir, que l’originalité d’un polar noir doit être cherchée ailleurs. Tout le talent d’Ellory consiste à bâtir son histoire sur des schémas si classiques qu’ils frôlent le cliché (quand ils ne s’y noient pas), et à s’appuyer sans complexe sur ses schémas pour créer des personnages inoubliables par leur force et leur véracité.
Car c’est vrai que l’on trouve dans Les Anges de New York quelques uns des clichés classiques des polars urbains contemporains. Jugez-en : des crimes touchant de très jeunes filles qui semblent avoir été commis par un même individu ; un flic paumé, alcoolique, à la dérive, mal dans sa peau, mais aussi bon enquêteur obsédé par son travail ; son jeune équipier (Radick) qu’on vient de lui coller après la mort en service de son précédent coéquipier et ami, Radick qu’il va découvrir peu à peu puis apprécier après moult difficultés d’apprivoisement réciproque ; des relations difficiles entre notre flic et sa fille Caitlin, jeune femme qui aimerait bien que son papa la laisse un peu respirer ; du côté vie privée de Parish, des relations encore plus difficiles avec son ex-femme qui semble lui vouer une haine franche et sincère ; des liens très distendues avec son fils ; aucune relation sociale ni même amoureuse, sinon avec Eve, une escort girl qu’il voit de loin en loin…
On se demande comment, sur cette base là, Ellory va s’y prendre pour ne pas nous lasser et nous persuader que nous n’avons pas déjà lu cette histoire mille fois !
Or il y parvient d’une façon magistrale. Grâce à son écriture foisonnante, il donne au personnage de Franck Parrish une épaisseur rarement atteinte. L’empathie avec lui est presque instantanée alors même que nous découvrons, au fil des pages, ses côtés sombres. Car ce personnage, hanté par le souvenir d’un père que chaque flic new yorkais considère comme un héros, ne veut surtout pas ressembler à cet homme, dont il a honte d’être le fils. Il sait – ou croit savoir, c’est un des objets du roman – que son père John, loin d’être le héros que tout le monde imagine, a été corrompu par la Mafia, allant jusqu’à tuer pour elle quand celle-ci le lui demandait. Ce secret, soigneusement caché jusqu’alors, a suscité chez lui des tensions psychologiques telles qu’elles risquent de mettre en cause la qualité de son travail de flic.
Les personnages secondaires sont également à la hauteur du héros, que ce soit celui de la fille de Parrish, étouffée par un père surprotecteur, de Radick, le jeune coéquipier qui voue à Parish une admiration filiale tout en ayant conscience de ses faiblesses, de Marie, la psy qui tente de l’aider à surmonter ses difficultés et qui est parfois au bord du découragement… tous sont crédibles, profondément humains et suscitent notre intérêt.
Autre point fort du livre : la réflexion sur le rôle de la police, son évolution dans la société américaine ainsi que les relations entre la police et la justice. Ces thèmes fréquemment abordés dans le roman noir américain sont ici décrits avec justesse et profondeur, sans concession.
Enfin, il y a comme point central du roman la ville de New York, admirablement décrite par Ellory, avec ses bas-fonds, ses problèmes de violence, sa corruption rampante, sa vitalité incroyable… On sent que cette ville le fascine et qu’il cherche à nous faire partager sa fascination et il y parvient de belle façon.
Dans ce livre dense, foisonnant, d’une grande richesse thématique, aux personnages superbes, R.J. Ellory nous livre toute la mesure de son talent. Il nous offre là un roman noir inoubliable que les amateurs du genre ne doivent manquer sous aucun prétexte !
A lire : la chronique de Catherine/Velda sur ce même roman
Les Anges de New York
Roger Jon Ellory,
Sonatine, traduit de l'anglais par Fabrice Pointeau,
en librairie en mars 2012
Présentation de l'éditeur
Frank Parish, inspecteur au NYPD, a des difficultés relationnelles. Avec sa femme, avec sa fille, avec sa hiérarchie. C est un homme perdu, qui n a jamais vraiment résolu ses problèmes avec son père, mort assassiné en 1992 après avoir été une figure légendaire des Anges de New York, ces flics d élite qui, dans les années quatre-vingt, ont nettoyé Manhattan de la pègre et des gangs.
Alors qu il vient de perdre son partenaire et qu il est l objet d une enquête des affaires internes, Frank s obstine, au prix de sa carrière et de son équilibre mental, à creuser une affaire apparemment banale, la mort d une adolescente. Persuadé que celle-ci a été la victime d un tueur en série qui sévit dans l ombre depuis longtemps, il essaie obstinément de trouver un lien entre plusieurs meurtres irrésolus. Mais, ayant perdu la confiance de tous, son entêtement ne fait qu ajouter à un passif déjà lourd.
Contraint de consulter une psychothérapeute, Frank va lui livrer l histoire de son père et des Anges de New York, une histoire bien différente de la légende communément admise. Mais il y a des secrets qui, pour le bien de tous, gagneraient à rester enterrés.
Après avoir évoqué la mafia dans Vendetta, la CIA dans Les Anonymes, R. J. Ellory s attaque à une nouvelle figure de la mythologie américaine, la police de New York. Avec ce récit d une rare profondeur, qui n est pas sans évoquer des films comme Serpico, La nuit nous appartient, ou encore Copland, Ellory nous offre à la fois un grand thriller au suspense omniprésent et le portrait déchirant d un homme en quête de justice et de rédemption.
22/02/2012 | Lien permanent | Commentaires (4)
L’affaire D. ou le crime du faux vagabond, de Dickens, Fruttero&Lucentini
Une chronique de Richard
En librairie, grâce à toute la force de mes biceps, je me saisis du livre pour en déguster la 4e de couverture (j’ai déjà été un fan de Dan Simmons ... il y a longtemps, jadis !!!) et je suis conquis par la présentation. Un libraire me voyant tenir bravement «la brique», me parle d’un roman publié il y a quelques années par Fruttero et Lucentini et qui serait en rapport avec cette histoire d’un roman inachevé !!!
Il n’en fallait pas plus à mon âme aventureuse de lecteur compulsif, pour fomenter un projet de lecture un peu particulier, en trois étapes:
Lire «L’affaire D. ou le crime du faux vagabond» de Fruttero et Lucentini;
Lire «Drood» de Dan Simmons;
Lire «La pierre de lune» de Wilkie Collin.
Et de vous en parler, au fur et à mesure de mes découvertes.
Voici donc la première étape de mon projet.
Lire «L’affaire D. ou le crime du faux vagabond» de Fruttero et Lucentini;
Tout d’abord, il faut dire que Charles Dickens est mort le 9 juin 1870, dans sa maison de campagne de Gadshill sans avoir eu le temps de terminer «Le mystère d’Edwin Drood». Depuis ce temps, cette oeuvre se construit une odeur mythique de défi à relever. De multiples auteurs se sont essayés à imaginer la fin de ce roman. Perspective intéressante mais souvent peu réussie.
L’histoire est complexe et Dickens a su parsemer le récit d’éléments qui ajoutent à la difficulté de deviner la conclusion que lui seul, avait en tête. Toute l’histoire tourne autour d’un seul événement, la disparition d’Edwyn Drood ... A-t-il été assassiné? A-t-il simplement quitté le pays? S’est-il suicidé? A-t-il fuit ? Voilà donc ce fameux mystère!
Et ce qui vient enrichir cette histoire, c’est que la plupart des personnages du roman possèdent un mobile, une raison pour souhaiter la disparition de ce jeune homme. L’enquête, menée inlassablement par son oncle (qui est lui-même le principal suspect ...), nous révèle certains indices, nous présente certains personnages qui auraient intérêt à ce que ce mystérieux Drood disparaisse de la circulation. Dernier élément qui alimente le mystère (et celui du crime), la mort de Dickens qui laisse des générations entières d’auteurs et de lecteurs, dans le doute et dans l’incertitude. Qu’est-ce que Charles Dickens avait en tête en écrivant ce roman, quelle fin avait-il imaginé ?
Les auteurs italiens (excellents et à découvrir ...) ont abordé le sujet de façon différente et ma foi, ils ont grandement réussi leur défi: voir les choses différemment et peut-être trouver des interprétations différentes en analysant les chapitres écrits par Dickens. Oui, mais comment faire ??
Et c’est là, l’idée originale, le concept génial qu’ils ont développé, l’étincelle qui a fait de ce livre un pur bonheur, un délice littéraire à savourer, une grande-messe polardienne à ne pas manquer ! Les auteurs ont convoqué les plus grands personnages romanesques de la littérature policière dans un congrès bien particulier, avec comme thématique «De l’importance de compléter». Rassemblés dans une salle, avec des moyens techniques actuels et futuristes, ces personnages réfléchiront après chaque chapitre aux subtilités des indices laissés par Dickens, feront appel à leurs compétences d’enquêteur pour dénouer l’intrigue et ses méandres. Évidemment, ils nous étalerons leur caractère, leurs grandes qualités, leurs «petits» défauts et souvent, leur mode opératoire de «serial enquêteur».
Absolument passionnant !!
Mais qui sont ces personnages assis dans cette salle à réfléchir, à s’épier, à discuter et quelques fois à se jalouser ... ?
Et bien, en voici la liste des personnages (en ayant peur d’en oublier ...) qui entourent le Dr Wilmot (directeur du Dickensian) et la belle lectrice Loredana :
•Auguste Dupin (personnage mélancolique d’Edgar Allan Poe) possible grand-père virtuel de Sherlock Holmes ;
•Porphyre Petrovitch, le magistrat de «Crime et châtiment» de Dostoievski;
•Sherlock Holmes et quelques interventions de son célèbre ami médecin;
•le Père Brown, prêtre détective dont on dit qu’il a inspiré Ellis Peters et son frère Cadfael;
•le mystérieux Crapaud : quel personnage ! ;
•l'intriguant Richard Cuff, personnage de Wilkie Collins;
•Hercule Poirot, le plus célèbre personnage de la grande Dame du roman policier;
•le Capitaine Hastings, le fidèle ami de Poirot;
•le commissaire Jules Maigret qui fume toujours sa pipe ...
•Phillipe Marlowe et Lew Archer, les mauvais garçons du groupe ...souvent déçus par l’absence de «réconfort alcoolisé » ! ;
•Nero Wolfe, le détective «en fauteuil» qui résout les meurtres à distance ...
Tout au long de ce que les auteurs appellent «L’enquête» nous assisterons à des analyses de chacun des chapitres écrits par Dickens, et cela, en alternance avec le véritable roman. Cette enquête, loin d’être triste, nous est présentée avec humour et simplicité. Se succèdent pour notre plus grand plaisir, des dialogues spectaculaires et parfois même, des symboliques assez délirantes (par exemple, les auteurs décrivent les échanges entre les participants en imitant la description d’une partie de foot !!!). On accompagne même le groupe dans ses visites touristiques de Rome (lieu de leur congrès).
Je ne suis pas certain que j’aurais apprécié la lecture de livre de Dickens sans cette incursion des enquêteurs ... Il est vrai que le ton du roman de Dickens est très particulier, que l’atmosphère glauque de certaines villes britanniques, la bonne société anglaise et le climat du roman sont des éléments qui nous sont connus mais dans lequel un lecteur contemporain peut avoir de la difficulté à s’y retrouver. Mais les interventions des réputés congressistes donnent un air de jeunesse au texte, leurs réflexions nous poussent à découvrir des indices parsemées dans le texte et nous aident à comprendre la complexité, et de l’écriture d’un roman policier, et de la résolution d’un crime. Je vous le redis, ce livre est passionnant, à bien des égards.
À tout amateur de romans policiers ou de polars, je vous le recommande grandement. Vous allez vous régaler. Aux amateurs de romans historiques, vous aurez un plaisir fou à faire des allers-retours dans le Londres du XlXe siècle, les personnages imaginés par les grands écrivains et la contemporanéité de cette enquête.
Voici quelques phrases de nos chers personnages:
Hercule Poirot: «Dans les enquêtes criminelles, comme nous le savons tous, ce sont presque toujours les mensonges, les réticences, les silences, plus que les franches admissions, qui nous mettent sur la bonne voie.»
Marlowe et Archer: «Nous pourrions t’en apprendre bien davantage, sugar baby ...»
«Il est vrai, dit Dupin, récupérant le ballon, pardon, la parole ...»
Le Crapaud: «But ! ... Nous avons gagné ! ...»
Le Père Brown: «Je leur apprendrai moi, comment on écrit un grand mystery ! Et je le ferai en me servant des mêmes ingrédients que cet écrivailleur, que ce piètre, misérable, soi-disant romancier !»
Et de Charles Dickens:
«Comment serait-il possible que tu aies raison puisque tu as toujours tort.»
« ... toutes les créatures arrivent au monde à l’état de bouton de fleur, j’y suis arrivé à l’état d’écorce sèche.»
« ... il ne me reste plus qu’à vous délivrer du désagrément de ma présence.»
« Si je n’exprime pas plus clairement ce que je veux dire, c’est sans doute que, n’ayant aucune facilité de conversation, je ne puis exprimer ce que je veux dire, ou bien c’est que, ne voulant rien dire, je ne veux pas dire ce que je ne réussis pas à exprimer. Mais je suis absolument convaincu qu’il ne s’agit pas de ce dernier cas.»
«Je vous déclare, répondit ce dernier, que mon logis me semblera embelli pour toujours si votre voix s’y fait entendre seulement une fois.»
Bonne lecture !
Richard,
Polar Noir et blanc : http://lecturederichard.over-blog.com/
L’affaire D. ou le crime du faux vagabond
Charles Dickens
Fruttero et Lucentini
Points Éditions du Seuil
1993
430 pages
26/10/2011 | Lien permanent
Entretien avec Nicolas Sker
Après la lecture et la critique de son livre le premier crâne, Bruno a souhaité avoir un entretien avec Nicolas Sker, qui a accepté pour Un Polar de se prêter au jeu des questions/réponses.
Bruno. Quel a été ton cheminement littéraire, celui qui t’a conduit un jour à prendre la plume pour écrire un roman ?
Nicolas Sker. L’envie de raconter des histoires. Je pense que c’est avec la musique, le point commun à tous les hommes depuis toujours et que ça le restera jusqu’à la fin. Pourquoi ? Parce que raconter une histoire, c’est créer de l’immortalité. Ca existe quelque part là en toi et ailleurs et ça n’a aucune limite temporelle, géographique et surtout émotionnelle.
Bruno. Cela a-t-il était difficile pour toi de te faire éditer à l’occasion de ce premier roman ?
Nicolas Sker. J’en ai écrit deux autres avant qui ont tous les deux été refusés. Cela fait donc 10 ans que j’écris. Pour le Premier Crâne, l’histoire a été pleine de rebondissements. Un premier petit éditeur l’a repéré. Il a aimé le concept de l’histoire. Mais à la fin du premier entretien, au cours duquel il a passé une heure à me dire tout ce qui n’allait pas, j’ai dû lui demander ce qui lui avait plu. Il m’a répondu qu’on en reparlerait quand j’aurais amélioré le manuscrit. On a travaillé pendant un an. C’était prêt à sortir….et puis il a déposé le bilan. Mais comme ce monsieur était un homme très bien, il m’a dit « Ton bouquin mérite un plus gros éditeur que moi, je vais t’aider ». Il m’a donné quelques conseils pour bien le présenter à de grandes maisons et Michel Lafon a dit oui.
Bruno. « Premier crâne » est donc ton premier roman ? Comment t’es venu l’idée de cette histoire ?
Nicolas Sker. Par une peur. On nous dit toujours que l’univers a commencé avec le Big Bang. Mais avant il y avait quoi ? Personne au monde ne sait répondre. Je ne supportais pas cet abysse d’inconnu. L’idée du premier crâne est donc née de cette obsession : et si un jour on trouvait la réponse à cette énigme sous nos pieds et non pas dans le ciel ?
Bruno. Comment vis t- on le jour J quand son 1er roman sort enfin chez les libraires ? Raconte-nous un peu cette journée si spéciale pour un jeune auteur ?
Nicolas Sker. En fait le meilleur moment, c’est quand un éditeur te dit oui. Pour le coup, ça ressemble au big bang. Tout l’univers que tu as crée pendant toutes ces années a le droit d’exister. C’est une satisfaction immense. Tu as envie de remercier tout le monde dans la rue. Mais le jour de la sortie, en fait, il ne se passe rien. Tu es chez toi et tu sais juste que le livre est en rayon. Evidemment tu vas te balader incognito et tu te demandes pourquoi les gens ne dont pas déjà la queue devant les magasins pour se l’arracher ;-). Pourquoi cette personne passe devant ton livre sans jeter dessus, se ruer à la caisse et rentrer chez elle pour lire en oubliant femme et enfants.
Bruno. De quelles influences littéraires te revendiques-tu ?
Nicolas Sker. « De la littérature des séries TV américaines. » pour le rythme, le mystère et les cliffanghers. Des biographies et essais scientifiques pour le fond.
Bruno. A la lecture de ton roman il semble que celui-ci soit resté très longtemps en gestation, qu’il ait bouillonné dans ton esprit et que lorsque tu as enfin pris la plume, c’est un flot de mots qui a jailli sur les pages dans un torrent d’idées furieuses. Est-ce cela qui donne cette impression de vitesse effrénée à ton livre ?
Nicolas Sker. Non, ça ne vient pas de là. La mise en place a été très longue aussi. Et rien ne s’est fait facilement. Le roman a été écrit, réécrit, démontés, remontés à plusieurs reprises. Non, le rythme vient d’une vraie volonté. Je déteste les livres ou les films qui te promettent une super histoire pleine de mystère et qui te baratinent avec les goûts culinaires du héros, sa relation avec son garagiste, son enfance malheureuse et son mal de vivre. Je veux que dans chaque page on parle de la promesse originelle du roman. Qu’à chaque page on soit tendu vers le mystère, la résolution d’énigme. Qu’à chaque page on prenne du plaisir et qu’on ne se dise pas : je dois me taper ce chapitre de blabla et après ça redeviendra bien.
Bruno. Pourtant tu dois avoir pas mal de lecteurs cardiaques ! Tu n’as pas peur d’en perdre en route avec un rythme pareil ?
Nicolas Sker. Comme pour les jeux vidéo, je songerai à mettre un avertissement pour les épileptiques la prochaine fois.
Bruno. Tu travailles dans le milieu télévisuel me semble t’il. En quoi ton activité professionnelle a pu influencer ou apporter quelque chose à ton écriture ?
Nicolas Sker. Dans mon métier, on passe son temps à ne chercher qu’une chose « tout faire pour éviter le zapping ». Je pense que mon écriture est imprégnée de cette volonté.
Bruno. Explique t’elle aussi par exemple le fait que tu ais privilégié davantage l’action à l’épaisseur psychologique de tes personnages ?
Nicolas Sker. Tu mets le doigt sur la plus grande difficulté du thriller selon moi. Faire exister des personnages quand l’intrigue est si forte. Dans ce genre de roman, les personnages sont dans une urgence et l’histoire a tendance à les écraser. Il est donc très difficile de prendre du temps pour leur donner une épaisseur psychologique totalement satisfaisante. La plupart des auteurs font le choix de la caricature. J’ai essayé de ne pas y céder. Pour l’anecdote, le livre faisait 300 pages de plus au départ, dont la plupart développait la complexité de Marcus, Evannah et surtout de Henri (qui avait un rôle bien plus ambiguë et déroutant). Mais le tempo n’était pas bon. Et puis sache que pour un premier roman (surtout thriller), un éditeur te demande généralement de ne pas dépasser les 300 pages pour ne pas effrayer les lecteurs. Je m’y prendrai autrement pour le prochain.
Bruno. Ton roman prend le monde comme terrain de jeu et flirte parfois avec le fantastique ! Un trait de caractère des jeunes auteurs de thriller français que de ne pas avoir froid aux yeux ?
Nicolas Sker. Ce n’est pas vraiment du fantastique. Plus de la fiction basée sur de la science. Je n’aime pas le fantastique gratuit parce que le lecteur ne peut jamais se dire « ça, ce n’est pas possible donc la solution doit être ailleurs ». Le fantastique en soi autorise trop de fantaisie et de facilité.
Bruno. Justement quel regard porte tu sur le thriller français ? Penses tu qu’il y ait une french touch en la matière, et si oui en quoi ?
Nicolas Sker. Je pense que le principal défaut des thrillers américains, c’est de nous coller des pages entières de scènes d’action. Il me semble que le thriller français prend plus en considération la finesse des personnages et la densité de l’intrigue.
Bruno. Immanquablement, à te lire, on ne peut s’empêcher e repenser à Dan Brown. Outre son succès en termes de vente, celui-ci avait aussi défrayé la chronique avec ses théories historiques fumeuses qu’il présentait comme fondées et qui ont fait long feux sous les fourches caudines des historiens. Ne crains tu pas de faire l’objet du même type de suspicion du fait de ce précédent ?
Nicolas Sker. Dan Brown devrait être remerciée par tous les auteurs de thriller. On aime ou pas, il a relancé le marché comme jamais. Ensuite, j’ai passé 2 ans à faire des recherches historiques et scientifiques avec l’obsession de tout vérifier pour que le lecteur puisse se dire « je lis et j’apprends vraiment un truc que j’ignorais ». La bibliographie à la fin du roman est la preuve de ce souci. Allez-y, je vous attends !
Bruno. A la fin de ton roman tu indiques d’ailleurs des sources bibliographiques importantes. Parmi ces sources se trouvent un ouvrage des frères Bogdanov. Bien connus dans l’univers télévisuel, ils le sont tout autant dans le milieu scientifique dans lequel ils sont passablement décriés pour leurs travaux jugés approximatifs. Là aussi, celui ne risque t’il pas de relativiser la qualité de ton travail de recherche ? N’y avait-il pas meilleur spécialiste pour parler du Bing Bang ?
Nicolas Sker. Je suis bien au courant des réserves qui entourent les écrits des frères Bogdanov mais leur livre n’a pas été une source scientifique. Il a été pour moi une source d’inspiration. Les Bogdanov ont ce talent d’oser dire « Et si ? ». Bref d’ouvrir la pensée scientifique à tous les possibles. Ils fonctionnent comme des excitants de la pensée créatrice.
Bruno. La fin de ton roman est surprenante ! Penses tu que l’homme est définitivement prisonnier de ses croyances ?
Nicolas Sker. Oui. Dans l’esprit de l’athéisme, André Comte-Sponville écrit que chez l’homme le désir de croyance est supérieur à celui de liberté. C’est parfait.
Bruno. As-tu déjà l’idée de ton prochain roman ? Peut être y travailles tu déjà dessus ? Tu peux nous en dire quelques mots ?
Nicolas Sker. Oui. J’y travaille en ce moment même. Pas encore.
Bruno. Quel est le dernier roman que tu aies lu ?
Nicolas Sker. Jeanne d’Arc, le Stratagème.
Bruno. Nicolas SKER, en un livre, un film, une musique ( ou album) ce serait?
Nicolas Sker. Le Nom de la Rose.
03/06/2011 | Lien permanent | Commentaires (2)
Le tailleur de pierres, de Camilla Läckberg
Une chronique de Liliba
Pas de bol pour ce pauvre pêcheur de Fjällbacka qui au lieu de ramener de bons poissons (ou des homards, je ne sais plus) découvre une petite fille noyée… Le mystère s’épaissit quand la police découvre que la pauvre enfant ne s’est pas noyée accidentellement, puisque c’est de l’eau savonneuse qu’on trouve dans ses poumons… (et jusqu’à présent, sauf en cas d’extrême pollution, la mer n’est pas savonneuse ! J’ai raté ma vocation d’inspecteur de police, croyez-moi !).
Dans ce nouvel opus de la série, j’ai beaucoup aimé tout ce qui concerne l’intrigue, les relations familiales, les noirceurs, hypocrisies et querelles, ainsi que les relations de voisinage, qui laissent pantois. Une fois de plus, la petite ville balnéaire calme cache des horreurs, et dont les origines remontent jusqu’aux années 20 (rappelez-vous que dans Le prédicateur, on remontait également le cours du passé).
Pendant que Hedström enquête sur cette affaire un peu sordide – celles mettant en cause des enfants le sont toutes – notre pauvre chérie Erica se débat avec son bébé nouveau-né. Pôvre Erica… Ok, un nouveau-né est fatigant, car ces petites choses ont le don de roupiller la journée et de hurler la nuit, et qui plus est de nous réveiller dès qu’on commence à peine à se rendormir. Ils sont minuscules, mais bouffent tout notre temps et nous sommes sans cesse à l’écoute de leurs fonctions vitales : manger, pleurer, déféquer, tout en essayant de les comprendre. Toutes celles et ceux qui ont eu des enfants l’ont vécu, on est crevé, mais en même temps on nage sur un petit nuage de bonheur, malgré les nuits écourtées, les cernes et la légère angoisse latente de ne pas bien faire quand c’est un premier. Erica, elle, est, comment dire : totalement empotée, désemparée, déprimée et a une attitude négative que je n’ai jamais rencontrée auprès de jeunes mères, même souffrant de baby blues. Elle se laisse complètement aller, ne tient plus sa maison, s’occupe du bébé comme si c’était une punition, ne s’est bien sûr pas remise à travailler, ne fait plus la vaisselle, ne nettoie plus sa maison, se laisse même aller physiquement en devenant grosse et molle et sale, bref, ce bébé semble être une catastrophe dans sa vie… Si l’allaitement se passe mal, qu’elle arrête bon sang de bois ! Et surtout qu’elle cesse de geindre tout le temps ! Si j’étais son mec, je lui flanquerais un bon coup de pied au derche pour la faire bouger un peu ! Elle est exaspérante… Mais où sont les Suédoises modernes, branchées et femmes actives que j’imaginais ???
Läckberg a cependant toujours autant de talent pour distiller le suspense dans ses intrigues, même si ce roman m’a semblé un peu plus long que les précédents et si j’avais en grande partie découvert la fin. J’ai cependant beaucoup aimé que l’intrigue soit reliée au roman précédent. Le style est fluide, pas très littéraire, mais agréable à lire et au final, eh bien, on se laisse prendre, ce qui est le but recherché !
Liliba : les lectures de Lili...
Le tailleur de pierres
Camilla Läckberg
Actes Sud (collection Actes Noirs)
474 pages ; 9,99 € (livre électronique)
23/02/2014 | Lien permanent
Le lieu du crime, de Elizabeth George
Une chronique de Paul.
Dans une grande demeure ancestrale écossaise, un manoir transformé en hôtel pour alléger les droits de succession, une troupe théâtrale londonienne se réunit afin de prendre connaissance de la nouvelle pièce qui doit être montée prochainement à Londres. Participent entre autres à cette séance de travail les deux plus grandes vedettes de la scène, un producteur puissant, un journaliste critique au Times, et bien évidemment Joy Sinclair, auteur dramatique reconnu et romancière.
La première soirée se termine dans la confusion, avec coups de gueule, claquements de portes, récriminations de part et d’autre. Le lendemain, la jeune soubrette découvre Joy baignant dans son sang. Une affaire qui sent le souffre et dont le CID local se débarrasse volontiers en faisant appel à New Scotland Yard. Ce sont Thomas Linley et Barbara Havers, un couple d’enquêteurs disparate, lui issu de l’aristocratie mais qui évite d’en faire étalage, elle prolétaire, entretenant une vindicte agressive envers les représentants de la noblesse même déchue, qui se retrouvent sur le terrain en compagnie de Saint-James, criminologue éminent.
Pour Linley cette enquête est un véritable coup bas car son amie Helen Clyde qui fut la fiancée de Saint-James, est impliquée dans cette affaire. Sa chambre jouxtait celle de la victime, et selon les premières constatations le meurtrier, homme ou femme, a été obligé de passer par cette pièce pour entrer dans celle de la victime. C’est également l’occasion pour les participants de ce huis clos de déballer leur rancœur, d’étaler leur jalousie, leur mesquinerie, de sortir les cadavres des placards, mais aussi de faire montre de leur talent de comédien. A un degré ou un autre, chacun recèle un secret honteux. Tous ces participants sont plus ou moins liés affectivement, sentimentalement, familialement et pourtant la haine couve.
Elizabeth George, qui est Américaine et a obtenu avec son premier roman Enquête dans le brouillard le Grand Prix de Littérature Policière en 1990, peut se targuer de faire la pige aux grandes romancières anglo-saxonnes. Sur une trame et une mise en scène dignes des meilleurs Agatha Christie, elle fait évoluer des personnages en mettant l’accent sur leur caractère, leur comportement, avec maîtrise et perversité. Les relations ambigües qui gèrent les rapports conflictuels entre les divers suspects, ou entre les enquêteurs, l’obstination de Linley à porter ses soupçons envers l’amant d’Helen, ses désillusions, entretiennent une atmosphère de tension peu propice à la conduite d’une enquête dans la sérénité et l’objectivité.
A lire également : Enquête dans le brouillard; Le cortège de la mort.
Paul (Les lectures de l'oncle Paul)
Le lieu du crime.
Elizabeth GEORGE
Editions Pocket Noir.
Avril 2010. 6,70€.
29/10/2012 | Lien permanent