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Rechercher : tempête blanche

L'invisible, de Robert Pobi (chronique 2)

invisible.jpgUne chronique d'oncle Paul.

Près de trente ans que Jake Cole n’était pas revenu sur les lieux de son enfance. Il était parti à dix-sept ans du domicile familial, devenant alcoolique, drogué, un petit voyou, se retrouvant à purger des peines de prison. Puis s’amendant, il est devenu enquêteur indépendant, travaillant pour le FBI. Il possède une particularité : il revoit, il reconstitue en pensée des scènes de crimes et peut s’immiscer dans l’esprit de psychopathes.

S’il revient chez son père, c’est parce que celui-ci est atteint d’Alzheimer. Dans un subit accès de démence, il s’est gravement brûlé et a passé par une fenêtre. Depuis il est soigné dans un hôpital. Jacob Coleridge est un peintre reconnu qui a fréquenté Andy Warhol et Picasso, mais son style est assez particulier comme le démontrent les fresques répétitives sur les murs et les plafonds. Des représentations noires, sanguinolentes, de silhouettes sans visage. En visitant la maison Jake Cole découvre déposés un peu partout des centaines de cutters, disposés comme prêts à être saisis quelque soit l’endroit où il se trouve. Des bouteilles de whisky jonchent le sol. Dans le réfrigérateur il découvre des clés, des livres de poche et même du gazon.

Des milliers de tableaux qui sont empilés dans le garage, ne représentent à première vue rien, des couleurs sombres. Il rend visite à son père, mais celui-ci ne le reconnait pas. Ou ne veut pas le reconnaitre. Dans un accès de fureur, le peintre dessine sur les murs de sa chambre une silhouette, à l’aide de ses moignons, un personnage rouge et noir.

Jake retrouve l’un de ses anciens camarades de jeu, Spencer. Un meurtre vient d’être commis, et comme Jake est non loin des lieux, il a été désigné pour apporter son aide. Le shérif Hauser aussi est sur place. Toutes personnes qu’il a fréquentées jeune. L’horreur les attend. Deux corps sont découverts, une femme et son fils, entièrement écorchés. Et il faut avoir les nerfs solides pour accepter ce tableau. Mais leur identité ne peut être établie. Ils étaient venus en touristes, avaient loué la maison, c’est tout ce que les enquêteurs apprennent.

La police scientifique est dépêchée sur place le lendemain, mais dans la nuit, Jake a eu des flashes, des fulgurances, reconstituant des éléments, se souvenant d’indices qui avaient échappé lors des premiers relevés. Ce qui a pour conséquence de perturber son régime cardiaque, car il possède un pacemaker afin de réguler son rythme cardiaque, et son cœur a tendance à s’emballer lors d’événements tragiques et stressants. Et lorsque cela arrive, il a des pertes de connaissance.

Kay et Jeremy, la jeune compagne de Jake et leur fils de trois ans, le rejoignent pour le week-end. Kay est violoncelliste mais elle a connu le même parcours que Jake dans l’enfer de la drogue. Et ils possèdent en commun d’autres particularités. Si sur son corps figurent quelques tatouages, celui de Jake en est entièrement recouvert jusqu’en haut du cou et des métacarpes. Un tatouage peu banal : un texte extrait de La divine comédie de Dante.

La mère de Jake est décédée alors qu’il n’avait que douze ans, un événement qui a déclenché le début de la rupture avec son père. Partie chercher quelques bricoles en voiture, le père étant une fois de plus trop saoul pour conduire, elle a été retrouvée morte peu après.

D’autres meurtres sont perpétrés, et les cadavres sont retrouvés écorchés, comme les deux premières victimes. Jake est persuadé que son père est au milieu de ces drames. Son père ou lui ?

Mais les éléments météorologiques s’immiscent dans cette tragédie, se mettant au diapason. Dylan, un ouragan en provenance du Cap-Vert, est annoncé. Hauser est chargé d’inviter, d’obliger même les habitants de la presqu’île à déménager, à s’éloigner de la tempête dont l’œil se dirige inexorablement vers cette langue de terre. Un déchaînement furieux de vent, de pluie, qui contrarie les déplacements des policiers surchargés.

L’intrigue de ce bon roman, qui parfois use de clichés (mais n’est-ce pas le lot des thrillers ?) et joue avec les nerfs du lecteur, est située à Montauk à l’extrême pointe de Long Island. Si l’auteur ne s’appesantit pas trop sur les descriptions de paysage, toutefois il s’attarde sur quelques digressions sans intérêt, notamment les relations charnelles entre Kay et Jake qui relèvent du sadomasochisme. Ceci n’apporte rien de plus à la psychologie perturbée des protagonistes. Mais je retiens des images fortes : le garage dans lequel est stationnée une Mercédès décapotable de 1966, une petite fille autiste, une croisière en yacht près des Bermudes, la confrontation entre David Finch, le galeriste de Jacob Coleridge et véritable requin, et Jake, ou encore le portrait signé Chuck Close dont les yeux ont été découpés. L’impression d’angoisse va crescendo.

Et lorsque le livre est refermé, après un épilogue flamboyant et frustrant, on s’aperçoit que Robert Pobi nous a entraînés dans une ronde infernale. Des images pixellisées qui se détachent, ne possèdent pas forcément de lien entre elles, des taches de couleur sombre qui oblitèrent d’autres points plus lumineux, puis tout à coup le flou se dissipe lorsque tout se met en place et offre un tableau en trompe l’œil, un peu à la manière de Raphaël, Michel-Ange, Botticelli ou Cornelis Norbertus Gysbrechts mais revisité par Jérôme Bosch. Tout était sous nos yeux, suffisait de réaliser l’assemblage, et en même temps on se dit que Robert Pobi nous a emmené en bateau.

Un bon premier roman, avec une intrigue maîtrisée, et de nombreuses références à l’art pictural, ce qui est normal puisque Pobi a longtemps travaillé dans la sphère des antiquaires. Maintenant il doit démontrer qu’il ne s’inscrira pas dans la liste des auteurs n’ayant qu’un seul roman à leur actif.

La citation :

- Vous êtes un ancien alcoolique.

- Juste un ivrogne entre deux cuites.

Paul (Les lectures de l'oncle Paul)

La chronique de Christine sur ce roman

 

L’invisible
Robert Pobi
Sonatine (mai 2012)
425 pages
21,30 €

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14/06/2012 | Lien permanent

L'île des chasseurs d'oiseaux, de Peter May

ile_des_chasseurs_d_oiseaux.jpgUne chronique de Thierry.

Retenez bien ce proverbe gaélique : «Trois choses qui arrivent sans qu'on demande, la peur, l'amour et la jalousie
Vous aimez la brume, la pluie, le froid, le vent, la mer déchaînée ? Oui ? Alors c’est parti...ça va vous rafraîchir votre été en proie aux longs ennuis.
Bienvenue en enfer...euh non pardon, bienvenue en Ecosse !
Lewis, la plus grande île de l'archipel des Hébrides extérieures, en Écosse est de tradition presbytérienne. Encore aujourd'hui les habitants de cette île du bout du monde observent le sabbat chrétien, parlent la langue gaélique. Ils vivent de l'exploitation de la tourbe, de la pêche, du tourisme, de la fabrication du tweed et d'un peu d'agriculture.
C’est vrai, j’y suis allé...
Depuis la nuit des temps, ils ont une coutume unique au monde, réservée uniquement à quelques initiés mâles, natifs de l'île: la chasse aux fous de Bassan. Pendant deux semaines, ces hommes et quelques jeunes garçons, sont emmenés à bord d'un chalutier sur An Sgeir, qu'il neige, qu'il
vente ou qu'il tempête !
Une sorte d'épreuve...du feu ! An Sgeir est un rocher émergeant de la mer, à cent kilomètres de Lewis, où nichent et se reproduisent des milliers d'oiseaux. Chaque année, deux mille oisillons sont tués, préparés sur place et ramenés sur l'île Lewis.
«De magnifiques oiseaux blancs, avec des ailes aux extrémités bleu-nuit, des têtes jaunes, et une envergure de près de deux mètres. Des fous de Bassan. Des milliers, emplissant le ciel, virant dans la lumière, glissant sur les turbulences des courants d’air. Il s’agissait de l’une des plus importantes colonies de fous de Bassan existant encore dans le monde."

En 1954 le Wild Birds Protection Act accepte une dispense spécifique qui autorise la poursuite de ce massacre annuel.
Amis des animaux et militants de la SPA, vous allez grincer des dents !

Mais non, n’ayez pas peur, ne fuyez pas, vous n’avez pas dans les mains un soporifique traité de sociologie, pas plus qu’un hautain essai d’histoire des civilisations ou un pédagogique récit de notre cher et regretté Théodore Monod...ouf !

Avant d'être une tradition ce fut une ressource vitale pour se nourrir. Tout ce qui est fait, vu ou dit sur ce rocher doit demeurer secret. Un passage obligé pour devenir un homme de l'île. Un homme de Lewis.

"Lorsque j'étais enfant, je parlais comme un enfant, je pensais comme un enfant, je raisonnais comme un enfant; lorsque je suis devenu un homme, j'ai laissé là ce qui était de l'enfant." écrivait Paul aux Corinthiens.

Voilà, nous y sommes, le décor est planté. Il pleut toujours et un vent glacial souffle sans arrêt. Dans ce superbe roman, les descriptions des paysages sont magnifiques ! L'auteur sait imposer (avec notre consentement) une atmosphère : là-bas, j'ai eu faim, j’ai eu froid, j’ai eu peur, j'ai ri et j’ai pleuré. J'ai
senti et j’ai touché...
Un livre sensé pour cinq sens.
Les Boileau-Narcejac, habiles écrivains de romans policiers avaient l'habitude de dire qu'un bon polar doit être «une machine à lire». Celui là on ne le lâche pas...la machine à lire est parfaitement huilée. Le lecteur se fait embarquer, se laisse entraîner dans les intimes engrenages de l’histoire. Impossible d’y échapper !

Mais est-ce vraiment un polar ? N'est-ce pas aussi un livre d'anthropologie ? Un livre d'Histoire ? Un livre de géographie ? Pourtant je vous avais prévenu que...
Tout simplement le livre d'une histoire. Une histoire sur l'enfance. Une histoire sur le passage à l'âge adulte comme un passage à l'acte.
L'inspecteur Fin Macleod, natif de cette maudite île qu'il a quitté il y a maintenant plus de dix-huit ans revient (malgré lui) sur les lieux de son enfance pour élucider un meurtre particulièrement sordide.
«Il reconnaissait maintenant les vieux hangars qui bordaient la piste de l’aéroport et aperçut au loin le terminus du ferry, flambant neuf. Fin fut saisi par l’émotion. Cela faisait si longtemps. Il ne s’était pas préparé aux flots de souvenirs qui soudain le submergèrent

Ce retour tant redouté va provoquer le réveil des fantômes de son enfance. Il va retrouver Artair Macinnes le fils du professeur qui lui donnait des cours particuliers, Donald Murray le fils du pasteur, Calum Macdonald le souffre-douleur d' Ange, Ange le persécuteur des cours de récréation, Marsaili son premier amour de banc d'école, sa tante «adoptive» (malgré elle), celle qui a fait Woodstock et...bien d'autres cauchemars en souffrance.
Retenez bien ces noms, vous n'êtes pas prêt de les oublier !
Sur l’île de Lewis tout le monde se connaît. Ou plutôt tout le monde croit se connaître.
«Soudain, sa conscience était inondée de souvenirs, comme les scènes d'un cauchemar qui reviennent au réveil. Il sentait la bile monter en lui, tandis que les images défilaient sur sa rétine, comme un vieux film de famille
Ce retour va faire remonter à la surface des amours déçues, des jalousies, des secrets de familles, des carcans religieux longtemps, trop longtemps consentis, des vengeances ensommeillées, noyées par le mauvais temps et la culture ancestrale du secret.
Peter May excelle pour pénétrer au plus profond d’un personnage comme l’inspecteur Fin, pour faire dialoguer des enfants, pour nous égarer dans des mots à tiroirs, pour nous plonger dans des paysages violents et inquiétants.
L’histoire d’amour entre Marsaili et Fin est superbe...à pleurer !
J’insiste, j'ai adoré ce livre. Vraiment. J'ai eu beaucoup de mal à quitter cette île sauvage du nord de l'Ecosse.
A lire d'urgence et sans modération ! Pour trouver la vérité, perdu dans le brouillard et les fausses pistes, j'ai dévoré les quatre cent pages en deux nuits !
Le lendemain même j’ai voulu correspondre avec l’auteur.
Nous avons échangé quelques mails. Sympathique ce Peter May.
J'ai déjà envie de le relire, tiens.
"La vérité ne quitterait jamais le rocher. Elle resterait là, parmi les amas de rochers et les oiseaux, chuchotée par le vent. Elle mourrait dans les cœurs et les esprits des hommes qui étaient là ce fameux jour lorsque viendrait leur tour..."

A lire aussi, si vous voulez, la suite «L’homme de Lewis». Je l’ai lu. Toujours avec l’inspecteur Fin. Un ton au-dessous, à mon humble avis mais tout de même efficace aussi.
Un troisième et dernier opus est attendu. Je l’attends...

Thierry Cousteix

L'île des chasseurs d'oiseaux
Peter May
Actes Sud (Babel Noir)
424 pages; 9,70 €

Biographie de l'auteur.

Né le 20 décembre 1951 à Glasgow, Peter May est un écrivain écossais, aujourd’hui installé dans le Lot, dans le sud-ouest de la France.
Journaliste et scénariste pour la télévision écossaise, il décide de se consacrer à l’écriture de romans.
Il est l’auteur d’une série policière de six livres qui se passe en Chine durant la cruelle révolution culturelle avec Li Yan, inspecteur en chef de la police de Pékin et Margaret Campbell, médecin légiste.
PS : alors il disait quoi le proverbe gaélique ?
Allez, pour les inattentifs, je répète : «
Trois choses qui arrivent sans qu'on demande, la peur, l'amour et la jalousie.»

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Le silence des cris, de Stéphanie de Menecquem

Le-silence-des-cris.jpgUne chronique de Richard

 

Est-ce que Facebook pourrait devenir le nouvel hôtel de Rambouillet, célèbre salon littéraire de XVIIe siècle ?

J’adore commencer une chronique avec une idée qui m’est venue lors de ma lecture, une idée qui parfois surprend le lecteur ... et même le scribouilleur qui la met sur papier. Mais aujourd’hui, cet incipit insidieux m’est venu à la réception de ce petit roman qui a traversé l’Atlantique pour arriver timidement dans ma boîte aux lettres. Une rencontre, dans cet immense salon littéraire qu’est maintenant Facebook, une rencontre amicale entre une auteur et un lecteur, un échange littéraire, assis confortablement dans le salon de nos ordinateurs respectifs.

J’ai donc rencontré Stéphanie de Mecquenem sur Facebook. De fil en aiguille, en commençant par un commentaire, puis un «J’aime», suivi d’un «Partage» ... le dialogue s’est amorcé. Alors, on apprend que l’autre est auteure et que son roman est d’un genre qu’on pourrait aimer. Échanges d’impressions de lecture, puis échanges de suggestions de lecture, jusqu’au moment où la magie s’installe, où la phrase fatidique est dite: «J’aimerais bien lire ton livre !»

Et quelques jours plus tard, le facteur dépose ce petit morceau de vie d’une auteure qui, entretemps est devenue une amie !! Et voilà ce qui explique ce que vous lirez dans les prochaines lignes ... Une chronique sans aucune forme d’objectivité, teintée de mon amitié pour l’auteure et truffée de bons commentaires ... pleinement mérités.

«Le silence des Cris» est un très bon roman policier. Il vous procurera un bon moment de lecture et vous en ressortirez avec un bon souvenir de ce Grand Nord Québécois mais surtout, avec un bagage de connaissances impressionnant sur le vie, les coutumes et l’histoire de ce peuple qui possède près de 300 mots pour décrire la neige.

L’histoire est basée sur un fait réel. Des jeunes filles disparaissent mystérieusement dans ce pays du froid et de la neige. Sans laisser de trace et dans l’indifférence la plus totale ! Puis un corps est découvert; étrangement mutilé. Comme si l’assassin avait voulu y inscrire un message.

La nouvelle coroner en chef, Maryse Tremblay, décide de confier l’affaire à un duo un peu spécial: Tiphaine Dumont, une jeune avocate tout récemment nommée coroner et son complice un peu singulier, genre de docteur Watson de l’épigraphe, érudit et un peu bourgeois, Sir James Jeffrey.

Alors, commence une enquête marquée par les paysages inhospitaliers du Grand Nord québécois, par les us et coutumes des peuples qui l’habitent et par la confrontation entre leur spiritualité et le monde moderne. Cette quête de la vérité transportera nos deux enquêteurs dans des milieux étonnants, à la découverte d’un meurtrier mais aussi d’un art de vivre adapté à ce territoire hostile. Créatrice de spiritualité et de légendes, cette terre accueille dans sa froidure, le corps de ces jeunes filles portant un message indéchiffrable.

Stéphanie de Mecquenem nous présente cette deuxième enquête de ce duo hétéroclite dans un paysage complètement à l’opposé de son premier roman qui se déroulait au Mexique («Mauvais sang» dans la même collection). Habilement, sans casser le rythme du récit, l’auteure nous trace le portrait de cette civilisation, tout en développant son intrigue et la résolution de ces crimes affreux. Certains pourraient se lasser de ce lot d’informations en bas de page, de ce contenu informatif qui alimente le récit, moi, j’ai trouvé ce voyage très intéressant sans être didactique.

L’histoire est bien construite sans être un thriller haletant. On s’y glisse comme dans une chaloupe voguant sur un lac tranquille ... puis on se rend compte, au fil des événements, que nous sommes emportés sur une motoneige pétaradant bruyamment et se déplaçant dans le froid d’une tempête de neige de février.

Le style de l’auteure est franc, direct, sans fioritures inutiles mais avec assez de chaleur pour que l’on s’y sente bien. Et ô surprise ! Comme Stéphanie a vécu quelques années au Québec, elle a su faire usage de la «parlure québécoise» avec toutes les nuances et tout le savoir faire de l’écrivaine. Trop souvent, les auteurs français dénaturent la langue québécoise en la caricaturant, en mettant en exergue ses défauts ... juste pour faire «local». Stéphanie a réussi à éviter ce piège !

De plus, l’auteure possède un sens de l’humour qui rend ses personnages attachants, leur donnant une humanité toute simple. Cette amitié, cette complicité qui s’expriment souvent par le rire et le sourire, donnent une saveur plus digeste à l’horreur ambiante. De plus, sans avertissement, dans un clin d’oeil plein de tendresse, l’écrivaine peut faire apparaitre un personnage réel, une «anthropologue judiciaire bien connue» ... Le lecteur sourit ! On apprécie cette apparition comme une petite douceur dans le monde froid d’une morgue municipale !!

Et cette apparition vient enrichir une galerie de personnages fort bien décrite par l’auteure. La vitrine où défilent les suspects, nous en met plein la vue: un amateur de vaudou, un père violent, un prêtre au comportement étrange avec les jeunes filles, un trappeur victime du syndrome d’alcoolisme foetal, un ancien flic, les travailleurs de la Baie James et le Windigo, le célèbre personnage légendaire du Nord du Québec

Tous ces ingrédients font que «Le silence des Cris» est un très bon roman qui vous procurera un excellent moment de lecture, tout en enrichissant votre connaissance de cette nation autochtone. Ne cherchez pas le thriller haletant, le tourne-pages frénétique ! Laissez-vous porter par une ambiance, un climat, une atmosphère qui colore et qui influence cette enquête policière.

Et surtout, vous aurez beaucoup de plaisir à suive ce duo d’enquêteurs. Tiphaine et Sir James pourront sûrement vous ravir et vous transporter vers d’autres aventures ... mystiques ! Stéphanie de Mecquenem a créé avec ses deux personnages, une multitude de possibilités d’enquêtes et d’aventures, une source de plaisir de lecture et l’occasion pour ses lecteurs de découvrir des lieux où parfois, le mal côtoie le bien, les légendes et la spiritualité.

Quelques extraits ... juste pour le plaisir !!!

" L’atterrissage se fit en douceur et les co-passagers se firent un devoir d’applaudir le pilote comme s’il venait là d’accomplir un exploit.»

- Ils sont contents car d‘ordinaire l’avion s’écrase, murmura Sir Jeffrey à l’oreille de Tiphaine."

" Georges Wilson n’avait pas le teint de quelqu’un qui se nourrissait de légumes à la vapeur."

" Vous savez il ne s’en prend qu’à des jeunes filles, alors désolée de vous casser vos illusions mais vous ne correspondez pas vraiment au profil ..."


Bonne lecture !

Richard, Polar Noir et blanc

Comme ce roman n'est pas disponible au Québec et pourrait même être difficile à trouver en France, voici le lien vers la maison d'édition où vous pourrez commander votre exemplaire: cliquez sur Édilivre

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09/05/2012 | Lien permanent

L'écho des morts, de Johan Theorin (chronique 2)

echo_des_morts.jpgUne chronique de Liliba

Sur l'île d'Öland, au sud de Stockholm, l’hiver approche à grands pas. Le vent mugit, les vagues se fracassent sur la grève, le froid se fait mordant, la glace et la neige apparaissent au détour de la nuit. C’est presque le bout du monde, un coin perdu au bord de la mer Baltique, un paysage sauvage et rude, qu’il faut découvrir pour aimer, qui se gagne. Un paysage troublant où le passé semble vivre sa vie propre, où les morts reviennent les soirs de tempête, murmurent au plus profond du sommeil des vivants, un monde envoutant et inquiétant où l’homme est faible face aux éléments. Seuls les deux phares deneurent droits dans la tourmente, immuables colosses de pierre, témoins muets du passé éclairant la nuit.

La nouvelle maison de la famille Westin a justement une vue directe sur les phares, et on dit même qu’elle aurait été construite avec les pierres d’une ancienne chapelle et le bois d’un bateau naufragé, dont tous les marins auraient péri un soir de tourmente. On dit même qu’elle est hantée, ou bien qu’elle porte malheur à ses habitants, et d’ailleurs il semble que la vieille bâtisse s’anime la nuit, des bruits suspects résonnent, des ombres inquiétantes semblent avoir pris possession de la grange attenante, les portes s’ouvrent d’elles-mêmes ; c’est une maison-mémorial où les noms des morts sont gravés dans le bois… Cela n’a pourtant pas empêchés le jeune couple de quitter leur belle villa de la banlieue de Stockholm pour venir s’installer sur ce coin perdu sur la lande avec leurs deux enfants. Joachim et Katrine sont heureux de se mettre à retaper cette vieille maison, et de pouvoir vivre enfin en harmonie avec eux-mêmes et avec la nature, loin du stress de la capitale.

Mais le malheur rode sur ces contrées et on retrouve le corps de Katrine, tombée à l’eau entre les deux phares et noyée. Joachim ne peut se résoudre à la perte de sa femme et s’enfonce dans un déni dangereux, autant pour sa santé mentale que pour celle de ses enfants, à qui il raconte que leur maman est partie, sans pouvoir dire cependant quand elle reviendra. Il ne comprend pas que son épouse puisse être tombée à l’eau, et c’est d’ailleurs l’avis de la jeune policière chargée de l’enquête, qui vient d’arriver sur l’ile.

Ne vous y trompez pas, même si l’histoire nous narre le chemin que va parcourir Joachim pour enfin arriver à accepter la mort de sa femme, c’est l'île d'Öland le personnage principal de ce roman. Les hommes qui l’habitent n’y sont que tolérés par la nature, qui elle, régit tout. Elle en a vu passer, des hommes, et des morts aussi ! Et les vieilles maisons de l’ile abritent parfois dans leurs murs épais les soupirs de ceux qui ne sont plus, mais qui veulent encore parler aux vivants, demander pardon, expliquer, ou bien se venger…

Johan Theorin excelle à décrire ces paysages, cette tourmente que l’on attend et que l’on redoute, le vent et la glace, la neige et les tourbières. L’atmosphère est alourdie par la pluie glaciale, et l’on se prend à frissonner en cours de lecture… Je n’aimerais pas vivre dans ces contrées, même si le paysage doit y être magnifique… Mais l’auteur nous offre également une intrigue serrée, et tous les ingrédients d’un bon polar. Suspense, retournements de situation, suspicion, indices disséminés que le lecteur ne reconnait qu’après coup… Un lecteur avide de vérité qui tourne les pages à la vitesse du vent déchainé de la tourmente, qui veut savoir pourquoi Katrine s’est noyée, qui veut comprendre autant que le veut Joachim.

Nous retrouvons dans ce roman le vieux Gerlof rencontré dans l'heure trouble, toujours heureux de se replonger dans son passé et celui de l’ile, dans les histoires des temps anciens qu’il raconte cette fois-ci à sa petite nièce Tilda, la jeune flic qui vient de prendre son poste sur l’ile. Gerlof est la mémoire de l’ile, et a assez de connaissances de ce monde du bout du monde pour analyser mieux que quiconque les situations et comprendre le cœur des hommes. Même vieilli et malade, du fond de sa maison de retraite, il entend et sait les choses, et c’est grâce à lui que se dénouera une bonne partie de l’intrigue. Il est le symbole du passé et lui seul sait analyser les indices qui pourtant se dressent sous le nez de ceux qui cherchent, mais ne savent pas voir. Il saura relier le passé au présent et comprendre le lien entre les vols commis par des malfrats du coin dans les maisons vides des estivants et cette mort incompréhensible. Il est la mémoire de l’ile, mais une mémoire vivante, autant tournée vers le passé que vers le présent.

Ce roman passionnant, qui emporte le lecteur dans cet univers trouble et angoissant, est un vrai régal de lecture, que je ne peux que vous conseiller.

Liliba : les lectures de Lili...

L’écho des morts.
Johan THEORIN
Traduit du suédois par Rémi Cassaigne. Le Livre de Poche.
552 pages. 7,60€. (Réédition des Editions Albin Michel - 2010).

Présentation de l'éditeur

Joakim et sa femme Katrine ont décidé de quitter Stockholm pour s'installer dans une vieille ferme sur l'île d Öland. Katrine et les enfants s'y installent alors que Joakim achève l'année scolaire au collège où il enseigne.

Après la noyade accidentelle de Katrine, Joakim sombre dans une profonde dépression. En faisant des travaux dans la maison, il tombe sur des inscriptions mystérieuses. Il apprend alors que dans le passé, les habitants de la ferme ont souvent été victimes d'accidents mortels. Les inquiétantes légendes d'Öland refont surface et Joakim se prend à imaginer qu'à l'instar d'autres esprits, Katrine pourrait revenir. Le suspense s'épaissit. D'étranges cambriolages en série surviennent sur l'île. La jeune policière Tilda Davidsson qui mène l'enquête a bien du mal à dénouer tous ces fils qui s'entrecroisent.

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Léviathan, la chute, de Lionel Davoust (chronique 1)

 leviathan.jpgUne chronique de Paco


"... La mer a des façons uniques de vous attirer à elle et de vous pousser à faire n'importe quoi. Elle est comme une femme pour qui l'on perd la tête sans s'en rendre compte. Mais tu sais mieux que quiconque combien elle est dangereuse..."  Page 256

Je débute ma chronique avec ce passage du roman et ne me demandez pas pourquoi; je ne sais pas. Peut-être parce que cela parle de la mer... Et nous la retrouvons présente d'une manière intensive dans ce livre; océan glacial, froid, fascinant et imperturbable. Ses dangers, sa beauté, sa puissance. L'antarctique... L'auteur sait en parler et je crois qu'il aime la mer comme personne. Bien entendu, je me trompe peut-être... Mais je soupçonne tout de même une légère fascination, cela n'engage que moi.

Lionel Davoust, que je découvre, m'a totalement charmé avec cette histoire en partie réelle et quelque peu surnaturelle. Mais attention, juste ce qu'il faut. Moi-même n'étant pas un féru, un passionné de science-fiction, j'ai totalement sombré dans les abîmes de cette aventure. L'auteur a réussi le pari de jongler entre ces deux aspects en tenant d'une main de fer le lecteur en haleine. Un peu d'ésotérisme, venant de la plume de Lionel Davoust, c'est divin. Je reviendrai sur cet aspect-là. 

Tenir le lecteur en haleine... Sur ce point, c'est remarquable. Après une présentation réussite des personnages, auxquels nous sommes rapidement stupéfaits par leur épaisseur et leur densité, l'auteur nous agrippe, nous harponne violemment et nous relâchera qu'une fois le point final passé. Le lecteur fini essoufflé, haletant, épuisé et tout de même un peu dubitatif.


Et c'est normal, c'est le début d'une trilogie. Lionel Davoust a d'ailleurs bien ancré son histoire; le lecteur attendra la suite impatiemment. Petite parenthèse à ce sujet, l'auteur m'a informé que vous alliez déjà découvrir la suite ce printemps, à savoir "LEVIATHAN, LA NUIT", et la conclusion de la trilogie sortira en 2013 et s'intitulera "LEVIATHAN, LE POUVOIR".
Je l'ai dit, une bonne partie de l'histoire se déroule en antarctique. Je dois admettre que l'auteur, avec ses descriptions de ce tableau hostile mais merveilleux, nous dépeint une ambiance et une atmosphère profondes où nous ne pouvons que nous immerger. L'auteur nous plonge justement en pleine tempête avec des mots explosifs, des phrases houleuses et nous fait tanguer dans tous les sens avec une écriture habile, riche et détaillée.

Le lecteur part pour un voyage lointain – pas que géographiquement parlant - durant lequel il pourra se demander, à juste titre, s'il va y revenir. Nous accompagnons des personnages - je le dis encore une fois - profonds, des protagonistes attachants mais aussi diaboliques; Lionel Davoust a su leur donner vie avec une main - pardon - une plume de maître.


Concernant l'histoire - enfin! - je vais vous la présenter, sans trop vous en dévoiler. Et oui! Il y a de la matière... Michaël Petersen, personnage sympathique et peut-être un peu naïf, est un brillant scientifique, spécialiste en biologie marine. Après avoir fait ses adieux à ses proches, à Los Angeles, il part pour une expédition de trois mois sur le 5ème continent, l'antarctique. Il laisse sa famille, dont son fils de 7 ans, avec une certaine amertume, mais une chance pareille n'arrivera pas une seconde fois.

Cependant Michaël doit également faire face à ses démons qui le hantent depuis qu'il est petit garçon. A l'âge de 7 ans, il a vu ses parents mourir devant ses yeux lors d'un naufrage, et cette image est ancrée en lui à tout jamais. La mer, ça l'angoisse, ça le repousse et les cauchemars n'en finissent plus. Mais il décide de partir quand-même, peut-être pour affronter sa peur, peut-être pour autre chose; il ne le regrettera pas. Durant son expédition australe, quelques manifestations déconcertantes et déroutantes s'offriront à ses yeux, telle une baleine attirée par cet homme... Un Léviathan? Michaël Petersen semble bien à l'aise sur cet univers marin finalement. Etrange...

Parallèlement, nous faisons connaissance avec Masha, femme guerrière, un peu en perdition, qui fait partie de la Main Gauche, une puissante organisation qui vise la recherche des buts personnels et, ultimement, de devenir son propre maître, sa propre volonté créatrice. Ses membres, surentraînés, dirigés par le Comité, ont des capacités particulières, notamment le pouvoir de ressentir les choses, de manipuler les gens, de pratiquer la suggestion d'une manière quasi parfaite et d'acquérir une force physique et mentale très... acceptable. Ils sont en opposition totale avec la Main Droite, qui postule l'obéissance à un ordre supérieur, d'ordre divin généralement, et que c'est la finalité de l'être humain. (Merci à l'auteur pour m'avoir donné ces précisions). 

Masha est chargée de veiller au bon fonctionnement d'une machination que Michaël Petersen risquerait de mettre en péril, sans le savoir, durant son expédition. Mais pourquoi là-bas? Masha a reçu l'ordre de faire en sorte que le chercheur n'atteigne jamais l'antarctique. Cependant, elle aura quelques réticences à accomplir sa mission et voudra savoir plus que tout quel est le secret qui entour ce scientifique. Et là, j'avoue, l'auteur nous a réservé une surprise de taille concernant ces deux personnages. Je n'en dirai pas plus, c'est énorme. Lionel, j'ai été bluffé!

Je n'ai pas grand chose à dire concernant l'aspect négatif. Juste peut-être le fait qu'il faut vraiment se familiariser avec le côté surnaturel de l'histoire. Mais de fil en aiguille, tout s'explique, tout se rejoint et c'est très bien amené. Le lecteur connaîtra une tension constante, tel un fourmillement, un son aigu dans la tête qui ne le quittera plus jusqu'au dénouement - presque - final. Méfiez-vous des eaux qui dorment. Bonne lecture.  

Paco, http://passion-romans.over-blog.com

Nous avons publié sur "un polar collectif" une autre chronique sur ce roman. Celle-ci est de Christophe.

"Léviathan, la chute", de Lionel Davoust

Editions Don Quichotte, 2011


Un mot sur l'auteur

Né en 1978, Lionel Davoust est à l’image de ses protagonistes : il aime suivre les chemins que l’on déclare impraticables.


Ingénieur en halieutique de formation, occupant tour à tour des fonctions éditoriales et de traduction, il se consacre à la littérature depuis dix ans.


Son site: Lionel Davoust

 

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18/10/2011 | Lien permanent

Cinq secondes, de Jacques Savoie

cinqsecondes.jpg

                       Une chronique de Richard


Tout d’abord, j’aimerais vous parler de l’auteur qui est déjà tout un personnage en lui-même. Diplômé en sciences politiques et en lettres modernes, il délaisse sa thèse de doctorat pour fonder un groupe de musique traditionnelle folklorique du nom de «Beausoleil Broussard». Après quelques années de tournée, il troque «la cuiller» pour le stylo et se lance dans l’écriture. Depuis ce temps, il connaît de multiples succès comme scénariste de télévision et de cinéma et également comme auteur pour la jeunesse.

Mais ici, dans mon propos, j’aimerais vous parler de l’auteur qui vient de remporter le Prix de Saint-Pacôme, récompensant le meilleur roman policier de l’année 2010 pour son livre «Cinq secondes». En ce qui me concerne, je connaissais Jacques Savoie pour le magnifique film «Les portes tournantes» et les séries télévisées «Joseph-Armand Bombardier», «Les Orphelins de Duplesssis», «Ces enfants d’ailleurs» et «La famille Lavigueur». Aussi, j’avais entendu son nom comme auteur pour la jeunesse. mais comme auteur de romans pour adulte, je n’avais lu aucun de ses romans.

L’attribution du Prix de Saint-Pacôme ayant aiguisé ma curiosité, j’ai profité de cette occasion pour découvrir ce ... romancier ! Et ce roman !

Je vous le dis tout de suite, j’ai adoré ce roman et je vous le recommande d’emblée; sa lecture vous comblera que vous soyez amateur de romans policiers ou non, Québécois ou Européens. «Cinq secondes» est un roman magnifique, un classique du genre avec une touche d’originalité singulière !

Dès le premier chapitre, l’auteur nous présente la brigade policière responsable des enquêtes sur les homicides. Jérôme Marceau vient d’être nommé, par intérim, enquêteur principal. Victime de la thalidomide, mulâtre et homme très discret, cette promotion semble mal acceptée par les autres membres de la section des homicides. Tout un  chacun, irrespectueusement, le surnomme «Aileron», surlignant ainsi ce «petit défaut de fabrication», un petit bras flasque qui attire les regards.

Cette surprenante nomination est provoquée par le départ en vacances de la patronne du service, Lynda Léveillé, une femme dans un corps d’homme. Crainte et respectée, elle laisse Jérôme et son équipe avec une enquête qui semble bien facile.

Une jeune femme tue quatre personnes lors de son procès, procès presque inutile car les avocats se sont entendus pour régler la majorité des accusations hors cours. Cependant, de façon complètement incompréhensible, l’accusée vole l’arme de l’agent de sécurité, tire sur le juge, son avocat et deux témoins, puis retourne le pistolet vers elle, met le canon dans sa bouche, se brûle les lèvres, hésite et finalement, tire un coup qui la plonge directement dans un coma profond. Dès ce moment, elle vit une expérience de «mort imminente» de «Cinq secondes» où elle revivra sa vie et surtout,  les étapes importantes qui l’ont amenée à poser ce geste qui apparaît si insensé, incompréhensible et excessif.

L’enquête pourrait être facile mais Jérôme Marceau doute. Qu’est-ce qui a pu pousser cette superbe femme à poser un tel geste? Et à contre courant, au détriment d’un appareil judiciaire qui voudrait bien étouffer l’affaire, il se mettra à la recherche de cette vérité que personne ne veut voir.

Alors, le lecteur se verra emporter par un tourbillon en deux temps, un aller-retour entre l’enquête de l’inspecteur Marceau et la découverte progressive de ce qui s’est passé réellement dans les dernières années de la vie de l’accusée.

Je vous le dis d’avance, «Cinq secondes» est ce genre de roman que l’on ne peut plus quitter; dès les premières pages, l’auteur nous accroche par cette histoire bien racontée, une construction romanesque créative et par la qualité du traitement des personnages. L’idée de raconter l’histoire de Brigitte Leclerc par le biais d’une expérience de mort imminente est originale et extrêmement bien exploitée. On y croit ! Et cette histoire nous enveloppe et nous accroche jusqu’à la fin, jusqu’au moment où enfin, nous connaîtrons le dénouement.

L’enquêteur Jérôme Marceau est un personnage fort intéressant. Malgré son handicap, malgré son manque de crédibilité et à cause de ses méthodes très peu orthodoxes basées sur l’intuition, il attire la sympathie du lecteur et on espère sa réussite. Les quelques moments où nous le voyons avec sa mère, rongée par la culpabilité,  tracent un portrait troublant des thématiques de ce récit: le  pardon, la trahison et la vengeance.

L’auteur nous présente aussi un autre personnage important, personnage qui influence de façon majeure le déroulement de l’enquête: la ville de Montréal, sa vie souterraine et le climat nordique. Je ne peux m’empêcher de faire un rapprochement entre «Cinq secondes» et le roman pour la jeunesse «Toute la beauté du monde» où le personnage du capitaine Souterre, gardien des canalisations d’une usine de filtration, consacre sa vie à la symbolique de «magnifiques fleuves éphémères». Bref, on se régale de ces incursions furtives dans les méandres du sous-sol montréalais et on peste avec les personnages, sur les aléas des tempêtes de neige et de verglas qui hantent habituellement nos hivers québécois.

Jacques Savoie a écrit un excellent roman policier que je vous conseille grandement. Il représente dignement l’image de qualité de notre littérature policière et vous verrez rapidement pourquoi ce roman a été choisi par la Société de Saint-Pacôme ( http://www.st-pacome.ca/polar/f_quoi.html ) comme meilleur roman de littérature policière québécois, pour l’année 2010.

Et permettez-moi un petit excès d’orgueil chauvin ... Jacques Savoie, André Marois, Martin Michaud, Andrée A. Michaud, André Jacques, François Barcelo, Patrick Senécal, Chrystine Brouillet et Mario Bolduc, tous finalistes ou gagnants des Prix de Saint-Pacôme depuis quelques années, tous ils méritent grandement que nous les lisions, que nous encouragions l’excellente qualité du polar et du roman policier québécois. La lecture de ces romanciers est un pur plaisir et on serait perdant de ne pas les encourager.

En terminant, j’aimerais remercier les organisateurs du Prix de Saint-Pacôme. Nous avons tellement peu d’occasions de souligner l’excellence de nos auteurs et de notre culture québécoise, que l’on doit les féliciter de nous donner, à chaque année, l’occasion de venir à la rencontre de nos auteurs et auteures. Merci à vous !

Et il me reste une petite question pour l’auteur: reverrons-nous Jérôme Marceau, son équipe et Sonia Ruff, la charmante greffière ? En ce qui me concerne, une suite serait sûrement bienvenue.



Au plaisir de la lecture.

 Cinq secondes
Jacques Savoie
Libre Expression
2010
311 pages

Richard, Polar Noir et blanc : http://lecturederichard.over-blog.com/

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02/04/2011 | Lien permanent

Le jaguar sur les toits, de François Arango

lejaguarsurlestoits.jpgUne chronique de Jacques

François Arango publie son premier roman aux éditions Métailié, une maison connue du grand public pour avoir publié le best-seller de Luis Sepúlveda, le vieux qui lisait des romans d’amour, et qui a créé une collection de romans noirs comptant une quinzaine de titres dans laquelle on trouve aussi bien Serge Quadruppani que Zelda Popkin ou le portugais João Aguia.

Le jaguar sur les toits mise délibérément sur l’exotisme et le dépaysement, puisqu’il nous fait  voyager dans le Mexique contemporain  tout en nous plongeant dans la grande tradition des Indiens aztèques et de leurs terrifiantes coutumes.

Les deux personnages principaux, le journaliste français Alexandre Gardel et l’anthropologue mexicaine à la beauté ravageuse Catarina Marin, sont confrontés à un meurtre d’une rare cruauté faisant appel aux meilleures et plus émoustillantes traditions des sacrifices des anciens aztèques. D’autres meurtres identiques vont suivre peu de temps après. Le but du jeu est clair : nos deux héros, aidés par une partie (celle qui n’est pas corrompue) de la police mexicaine, vont tenter d’élucider les raisons profondes de ces crimes en voyageant dans différentes parties du pays, depuis Mexico jusqu’à San Cristobal et le Chiapas, en résolvant au passage des mystères dont l’obscurité aurait effrayé Sherlock Holmes en personne.

Je me garderai de vous livrer la clé de l’énigme finale. Tout ce que je peux vous dire c’est qu’elle tourne autour de l’industrie pharmaceutique et des propriétés d’une certaine plante connue des Indiens depuis une époque fort reculée. L’essentiel du roman ne se situe pas là en effet, mais plutôt dans la façon dont François Arango va jusqu’au bout de son récit, de ses personnages et du suspense indispensable à ce type d’histoire.

Premier point : sans être bouleversante, l’écriture est habile et même plaisante. « L’œillade qu’elle lui décocha l’atteignit comme une gifle. Sèche et glaciale. Pourtant, ses yeux gris tempête étaient plus troublants que jamais. Gardel se dit que les yeux les plus beaux, chez une femme, étaient ceux de la tristesse ou de la colère, ce qui lui apparaissait comme un énorme gâchis.

Elle lui tendit la main sans un sourire. Une main longue et fine, où un chapelet de bagues en or faisait écho à la laque de ses ongles : rayon féminité, Catarina Marin avait passé la surmultipliée ».

De la même façon, l’intrigue est bien construite, amenée avec doigté et, comme souvent dans les thrillers bien faits, le suspense va croissant lorsqu’on approche de la fin du récit. Enfin, la documentation de François Arango sur les indiens Aztèques et le Mexique est fouillée, précise, intégrée avec habileté à l’histoire sans que le lecteur ait l’impression d’un placage artificiel et hâtif.

Avec toutes ces qualités, il est dommage que l’auteur se soit montré par moments si bavard, sans véritable nécessité narrative. Le suspense qu’il a cherché à créer aurait été amplifié si, à chaque page, des descriptions ou considérations inutilement longues ne venaient casser le rythme du roman : « à cette heure, une foule dense coulait dans les artères de Mexico, comme une hémorragie entraînant des millions de particules humaines. Il erra un long moment et dériva, sans trop savoir comment, jusqu’à l’avenue du 20 novembre. Là, une gargote proposait des jus de fruits à l’angle de San Jeronimo, comme un saint-bernard avec son tonneau. Son immense costume d’arlequin chatoyait sur un pan entier de mur, une explosion de taches multicolores et, en se rapprochant, autant de noms juteux inscrits à la craie : naranja, toronja, limoni… etc. ».

Non seulement ces longueurs jouent contre le suspense, mais elles agissent aussi sur les personnages et leur caractère, décrits à trop grands traits, sur leurs rapports qui auraient gagné à être plus approfondis. Ainsi, l’histoire d’amour qui mûrit entre Alexandre Gardel et Catarina Marin reste évoquée de façon superficielle au fil des pages, alors qu’elle aurait pu nous révéler une part de la vie intime de ces deux personnages qui les aurait rendus plus attachants, plus « vrais ».

Mais cette critique est presque secondaire si on considère le résultat final. François Arango nous livre là un premier roman bien construit, à la lecture plaisante, qui maintient le suspense, et dont l’histoire tient la route. Le journaliste Alexandre Gardel, a tout ce qu’il faut pour devenir un héros récurrent populaire si l’auteur le décide et s’il parvient à lui donner un peu plus de densité dans les romans qui vont suivre.

Un nouvel auteur à découvrir, donc. N’hésitez pas !

Jacques

Présentation de l'éditeur

Le cœur de l'homme d'affaires enlevé a été restitue a sa famille. Il a été arraché de sa poitrine selon la tradition des sacrifices aztèques, il est posé sur un socle portant le dessin d'une feuille mystérieuse. Des messages arrivent qui utilisent le calendrier aztèque et les vers d'un roi-poète pour annoncer les meurtres à venir. Des hommes politiques sont enlevés et sacrifiés. Le suspect boiteux porte le nom d'un botaniste mort depuis des siècles, les autorités du pays font preuve d'une mauvaise volonté manifeste... La police ne mettant pas toute l'énergie nécessaire à la résolution de ces énigmes, les recherches sont menées par un trio d'enquêteurs. Dans un gigantesque jeu de piste à travers la ville de Mexico et ses sites archéologiques, ils vont croiser un hippie spécialiste des plantes médicinales de la forêt lacandone, un vieil Américain qui dit avoir connu Zapata, et des Indiens qui ne vieillissent pas. Ce magnifique thriller qui plonge dans les racines de la culture mexicaine nous révèle les secrets de la mort programmée des cellules, parle de la nécessité de protéger les savoirs et les patrimoines botaniques indiens et nous fait vivre des aventures ébouriffantes sous la conduite d'un nouvel auteur, au style solide et brillant, fin connaisseur et amoureux du Mexique.

Le jaguar sur les toits
François Arango

Editeur : Editions Métailié (10 février 2011)

Collection : Noir
Prix : 19 €

 

 

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28/04/2011 | Lien permanent

La rivière perdue, de Michel Koryta

lariviereperdue.jpgUne chronique de Richard

 

Michael Koryta est un auteur au talent exceptionnel, reconnu par ses pairs comme la relève américaine du roman noir. J’avais lu «Et que justice soit faite» et je fus accroché du début à la fin de cet extraordinaire roman. Quand j’ai vu que Calmann-Lévy faisait de «La rivière perdue» le premier roman de sa collection «Robert Pépin présente», je trépignais d’impatience et j’avais hâte de lire le dernier roman de ce jeune auteur de 28 ans.

Et bien j’ai été déçu ! Malheureusement, les 300 premières pages de ce roman ont été très difficile à lire. Est-ce l’utilisation du fantastique qui m’a surpris ? La lenteur évidente du développement de l’intrigue ? Le manque d’action ? Une intrigue mal ficelée ? Je ne sais pas mais ce qui est certain, c’est que je n’y ai pas cru ... !

Allons donc voir l’histoire !

Éric Shaw est un vidéaste qui a déjà connu une relative notoriété comme cinéaste. Après quelques échecs, il gagne maintenant sa vie en faisant des montages vidéo pour des enterrements, des mariages et des baptêmes. À la suite d’une projection particulièrement réussie, lors d’un enterrement, Alyssa Bradford l’engage pour faire une vidéo sur la vie de son beau-père mourant. Éric doit se rendre dans une petite ville de l’Indiana pour amorcer des recherches car le petit village de French Lick est le village natal de Campbell Bradford, le sujet de sa future production.

Étrangement, sa cliente lui remet une bouteille d’eau minérale, vieille de 80 ans, que le vieux Bradford a gardé jalousement toute sa vie. Armé de sa caméra et de cette étrange bouteille, Éric Shaw part à la recherche des origines de ce vieil homme qui a fait fortune dans de multiples entreprises.

Alors, commence cette longue recherche marquée par des découvertes assez étranges, des apparitions, des hallucinations, des personnages fantomatiques et une certaine forme d’addiction ...à l’eau. On découvre avec notre cinéaste, un village assez particulier et des habitants à l’avenant: un jeune noir faisant un doctorat sur cette «ville perdue», un raté et son ami, deux «losers» qui cherchent à faire fortune grâce à de petits larcins et une vieille dame, passionnée de météorologie qui attend depuis des dizaines d’années la tempête, l’orage, la tornade qui pourra la rendre utile aux yeux des autres. Et surtout, ces étranges et intrigantes bouteilles qui contiennent «l’eau de Pluton, le médicament de l’Amérique».

On ne peut pas blâmer l’auteur pour l’imagination, pour la créativité, pour la qualité de ses personnages; tous ces ingrédients sont présents. Cependant, en ce qui me concerne, la mayonnaise n’a pas pris. J’avoue qu’à plusieurs reprises, j’ai été tenté de laisser tomber ma lecture. mais le souvenir du talent de cet auteur m’a incité à lui donner de multiples chances.

Et tout à coup, vers la page 289, au chapitre 43, apparaît le véritable Michael Koryta avec sa fougue et sa façon extraordinaire de ficeler et déficeler une intrigue. Tout se met en place, l’action court à 200 à l’heure, l’action s’intensifie, on devient étourdi par la vitesse où tout se déroule. Et on entre, enfin, dans le roman, on commence réellement à y croire. Des 300 premières pages lentes et un peu arides, on bascule dans un roman haletant, un tourne-page hallucinant, où les rebondissements nous arrivent comme des coups de poing et où tout s’explique finalement ... sauf l’inexplicable.

Que j’ai aimé cette dernière partie du roman !!!

Mais la question se pose: est-ce que ça vaut la peine de subir les quelques 300 premières pages avec difficulté pour en arriver à ce plaisir de retrouver l’auteur qui nous plaît ?

Je ne saurais répondre. Mais j’attendrai quand même le prochain roman de ce jeune romancier et surtout, le retour de son personnage, Lincoln Perry que j’aime bien. Michael Koryta est tellement jeune qu’il lui reste encore des dizaines de romans à nous offrir dans son style et son imaginaire percutant.

J’avais peut-être des attentes trop grandes, j’espérais peut-être trop de ce dernier récit, mais Michael Koryta reste pour moi un auteur à suivre, un auteur à lire. Et un auteur de talent capable d’écrire ce genre de phrases:

«Jusqu’au vent qui paraissait hésiter et conférait comme de la gêne à la façon dont dansaient et tournaient les feuilles.»

« ... sa voix, tel un soupir de 100 kilos.»

« C’était une espèce d’influence en arrière-plan qu’on avait, celle qu’on se construit avec couilles et coup-de-poing américain, la seule qui ait jamais respectée.»
« On ne sait jamais ce qui se cache derrière le vent.»

Bonne lecture !

Richard, Polar Noir et blanc : http://lecturederichard.over-blog.com/

La rivière perdue

Michael Koryta

Calmann-Lévy
2011
428 pages


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27/04/2011 | Lien permanent

Incident à Twenty-Mile, de Trevanian

incident_a_twentymiles.jpgUne chronique de Richard

«Incident à Twenty-Mile» est le premier roman à la sauce western que je lis depuis fort longtemps. Et quel plaisir j’ai eu à lire ce polar, ce thriller des sables qui m’a rappelé certains souvenirs de mon enfance: Roy Roger, Gene Autry, «Have gun, will travel» et «The rifleman». Et aussi, un peu plus tard, mais dans un genre bien différent, les westerns spaghetti de Sergio Leone.

«Incident à Twenty-Mile» contient tous les ingrédients de ces séries des années 60 qui ont laissé un petit goût de sable dans la bouche des jeunes téléspectateurs: l’étranger qui veut être gentil avec tout le monde mais qui cache un passé trouble, le méchant très méchant avec ses deux compères plus ou moins intelligents, le bar avec son propriétaire véreux et ses filles de joie, le magasin général et sa belle vendeuse, le barbier qui offre l’unique bain chaud de la semaine ... et le curé ... pas toujours catholique.

Mettez tout cela entre les mains du génial Trevanian et vous aurez un roman haletant, un récit qui se développe comme un cadeau de Noël qu’on aurait emballé de plusieurs couches de papier, une montée de tension bien dosée, des personnages caricaturaux mais tellement crédibles dans leur contexte. Et voilà, un grand roman d’un grand auteur !

Twenty-Mile est une petite ville qui ne vit que pour une nuit par semaine, quand la horde de mineurs descend le samedi pour y passer la nuit. Twenty-Mile, vous dites ? Ah oui, c’est son nom. On lui a donné ce nom car cette petite bourgade était situé à 20 milles de quelque chose ... Pas très édifiant !!!

«Il ne se passe absolument rien à Twenty-Mile. Et là, je te parle des jours où y se passe quelque chose»

Une journée, arrive de nulle part, un jeune homme ... trainant son maigre sac et un vieux fusil qui semble inutilisable. Il est gentil, un brin  manipulateur, quelque peu menteur, mais il semble inoffensif. Il fait le tour de tous les habitants pour offrir ses services en échange de quelques sous et d’un peu de nourriture.

Faisons un petit détour à la prison d’État de Laramie où nous rencontrons le prisonnier le plus dangereux, Lieder, grand lecteur devant l’Éternel et qui s’investit d’une Mission divine en lisant tout ce qui lui tombe sous la main (forcée un peu quand même !). Puis, un jour, ce dangereux prisonnier réussit, grâce à un subterfuge ignoble, à s’évader de la prison avec ses deux acolytes, Mon-petit-Bobby et Minus.

Et c’est à ce moment que commence cette descente aux enfers aux allures d’un long voyage à dos d’âne. D’un côté, un jeune homme bien qui cherche à s’intégrer dans une communauté particulière et un dangereux criminel qui, de crimes en crimes, s’approche de cette ville, pour la terroriser, la faire souffrir et en prendre le contrôle, au nom d’une mission ... qu’il qualifie de divine !

Ce roman de Trevanian, marqué par la manipulation et la violence, prend des airs de huis clos, où chacun des habitants est confronté à ses propres peurs, ses propres démons. Sont-ils tous des pleutres, des lâches enrobés dans leur couardise, prêts à tout pour sauver leur peau contre l’envahisseur ? N’ont-ils aucune conscience de la force qu’ils pourraient développer en se liguant, en se solidarisant ? Y a-t-il quelqu’un dans ce bled qui aura la force de caractère et de se lever debout devant la menace ?

Trevanian nous trace un portrait saisissant de l’âme humaine. Le comportement des habitants de la ville choque parfois le lecteur impatient, qui voudrait, tout de suite, prendre les armes, dans le confort de son salon. Mais il gâcherait tout son plaisir en précipitant une fin attendue, dans une pétarade démesurée et jouissive; l’auteur connait l’âme humaine et surtout, sait comment donner du plaisir à son lecteur.

Le style de Trevanian est direct, concis et efficace. Les descriptions vont au coeur des choses, des paysages et de l’esprit humain. Sans détours, ni trop de fioritures, il transporte le lecteur au plus profond de l’humain, avec une langue riche et précise. La beauté de la phrase est dans l’action, celle du texte, dans un récit qui emprisonne doucement celui qui le lit. Et en plus, l’auteur réussit le tour de force d’adapter le langage de chaque protagoniste, de donner à chacun sa propre couleur, son propre rythme et son imaginaire particulier. Je vous l’avoue, j’adorais lire les longues répliques du méchant Lieder, qui, du haut de ses connaissances bibliques et livresques, jouait impunément avec une gamme d’émotions souvent contradictoires et tentait de convaincre ceux qui allaient vivre ou mourir, du bienfait des gestes qu’il poserait.

Et voici quelques extraits ... pour savourer le style de Trevanian:

«Pendant ce temps-là, moi, j’ai été plus affairé qu’un unijambiste en plein concours de bottage de cul !»

Voici une description sur la construction de l’Amérique par l’immigration: «Quand vous arriviez, vous vous faisiez exploiter par ceux qui étaient arrivés avant vous. Puis, si vous étiez malin et travailleur - et chanceux, fait pas oublier chanceux ! - vous pouviez devenir des exploiteurs à votre tour. C’était la Grande Promesse de l’Amérique !»

«La manie blasphématoire de Lieder d’inventer des citations des Écritures et de les attribuer à «Paul aux Mohicans», ou «Paul aux Floridiens» ...»

Je vous souhaite une très bonne lecture et vous recommande ce roman ... pour le plaisir de découvrir un roman intelligent, bien écrit. Et de découvrir une parodie de western, pas si loin de la vérité.

Et en prime, vu que vous avez été gentils ... je vous mets le lien vers la chronique de mon amie Morgane sur ce même livre :

http://carnetsnoirs.wordpress.com/2011/12/06/reglement-de...
 

Et pour ceux qui ne connaissent pas le phénomène Trevanian, voici un endroit qui vous en apprendra un peu plus sur cet écrivain bien spécial:

http://fr.wikipedia.org/wiki/Trevanian

Richard,
Polar Noir et blanc :
http://lecturederichard.over-blog.com/


Présentation de l'éditeur
En 1898, au coeur des montagnes du Wyoming, la petite bourgade de Twenty-Mile n'est plus que l'ombre d'elle-même. Elle vient à s'animer lorsque débarque un jeune étranger désireux de plaire à tout le monde, avec pour seul bagage un vieux fusil et un lourd secret. Au même moment, un dangereux détenu s'échappe de la prison territoriale de Laramie en compagnie de deux tueurs dégénérés. Il commence à tracer un sillon de violence à travers l'Etat avant de décider de s'emparer de la petite ville pour y attendre le prochain convoi venu de la mine d'argent. L'isolement de Twenty-Mile, encore renforcé par une terrible tempête, va coûter cher à ses habitants. Avec Incident à Twenty-Mile, resté inédit en français, Trevanian propose une nouvelle lecture du western qui dynamite les conventions du genre. L'auteur de Shibumi et de La Sanction nous offre une oeuvre tout à la fois brillante et nostalgique.
  

 

  

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18/12/2011 | Lien permanent

Shutter Island, de Dennis Lehanne

shutter_island.jpgUne chronique de Liliba.

 Ce roman est étrange ! À peine l’a-t-on terminé qu’on a envie de tout reprendre depuis le début, pour ne pas rater les détails, les indices, pour voir l'histoire sous un jour nouveau ! Et pourtant j’avais vu le film à sa sortie au cinéma et donc je savais à peu près de quoi il retournait. À peu près seulement, car si j’avais adoré Shutter Island en film (malgré l’acteur principal que je n’apprécie pas du tout, mais qui pour une fois était vraiment bien dans son rôle), j’avoue ne pas avoir compris grand-chose et être ressortie avec une impression depas fini, et un énorme mal à l’aise.

Mal à l’aise ressenti également en lisant le roman, alors que là aussi, j’ai énormément aimé ! Contradictoire ? Non, je m’explique, et ceux et celles qui l’ont déjà lu comprendront sans peine. Posons donc le décor. Une île. Inhospitalière à souhait, sauvage et quasi inhabitée. Mais pas totalement, car elle abrite une vieille citadelle et un phare encore plus vieux. Et aussi un hôpital psychiatrique réservé à des hommes et des femmes qui ont tous commis des meurtres atroces et qui sont particulièrement dangereux, qu’on maintient sous les verrous avec force surveillance, de vrais malades mentaux (ou personnes ayant été cataloguées comme malades mentales…).

Le Marshall Teddy Daniels débarque un jour de septembre 1954 sur cette île, appelé à la suite de l’évasion d’une pensionnaire, Rachel Solando, jeune femme internée depuis plusieurs années et vivant dans le déni total alors qu’elle a assassiné ses trois enfants. Il semble qu’elle se soit littéralement volatilisée, ou bien qu’elle ait bénéficié de complices au sein même du personnel médical ou parmi les surveillants. Teddy a l’impression qu’on ne lui dit pas tout, et avec l’aide de son nouveau coéquipier Chuck Aule, il va tenter de percer les mystères de cette ile malsaine et de déjouer la surveillance des médecins et des gardes qui semblent toujours croiser son chemin. Comment Rachel a-t-elle pu sortir d'une cellule fermée à clé de l'extérieur ? On a retrouvé un indice dans sa chambre (sa cellule, plutôt), une feuille de papier sur laquelle est inscrit un code fait de chiffres et de lettres. Le Marshall a travaillé dans les transmissions pendant la guerre et se fait fort de découvrir le secret de ce code.

Est-ce l’atmosphère de l’ile, la tornade terrible qui s’y abat et ravage tout sur son passage, cette évasion étrange ou le fait qu’on retrouve finalement la femme aussi soudainement qu’elle avait disparu, toujours est-il que Teddy se sent mal, oppressé, angoissé et que de terribles migraines l’assaillent, le laissant épuisé et quasi comateux et l’entrainant dans des cauchemars terribles qui l’anéantissent et le perturbent au plus haut point, car ils lui remémorent sa défunte femme, pourtant décédée depuis plusieurs années, mais qu’il ne peut oublier, et à qui il pense à chaque instant de sa vie. Et le lecteur aussi ressent cette angoisse latente, cette menace qui rode sur l’ile, ou autour du phare. D’ailleurs, que se passe-t-il vraiment, dans ce phare ? Pourquoi est-il si bien gardé ? Est-il possible qu’on y réalise des essais cliniques, des expériences sur les patients ? Car cet hôpital est considéré comme expérimental et adopte des pratiques parallèles pour tenter de soigner ses patients, ou tout du moins de réduire leur mal-être, leur folie.

Du fait de la tempête, il est impossible de quitter l’île, mais de plus en plus, Teddy sent le danger se rapprocher, il a l’impression d’être manipulé, une petite marionnette téléguidée par les médecins, les infirmiers, car tous semblent complices dans cette histoire. Lui aurait-on injecté un quelconque médicament ? À moins qu’il ne se soit caché dans les cachets qu’on lui a donnés contre ses migraines ? Ou dans les cigarettes du coin, qui ont vraiment un drôle de goût ? Jamais cet homme n’a eu aussi peur de sa vie, alors qu’il a pourtant affronté la guerre, une guerre terrible où il a tué, beaucoup tué, et où il a découvert l’horreur des camps nazis. Comme si cette île maudite le rapprochait de ses fantômes personnels, de ses failles, de ses peurs… Il sent qu’il lui faut quitter l’île, vite, par n’importe quel moyen.

Et c’est là que le lecteur se retrouvera abasourdi par le talent de l’auteur, qui l’a vraiment « trimballé », emmené où il voulait du début à la fin. Teddy n’est pas le seul dans cette histoire à se faire manipuler, mais nous, nous en sommes au final ravis, même si notre angoisse est montée de plusieurs crans pendant notre lecture ! Quel talent !

C’était mon premier Lehane, mais je compte bien continuer à lire cet auteur.

Liliba : les lectures de Lili...

Shutter Island
Dennis Lehane
Editions Rivages
Collection Rivages noir
392 pages; 8,14 €

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