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Rechercher : tempête blanche

Entretien avec Guillaume Lefebvre

Cassiopée, après avoir chroniqué le roman de Guillaume Lefebvre les inconnus du Saint François  interroge l’auteur. Des questions et des réponses originales,  parfois poétiques… à lire donc ! 

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Cassiopée. Si je vous dis : «Je déteste la mer, l’océan, ça sent mauvais, il y a du vent, le sable crisse sous les dents, il s’infiltre partout, il gratte, cette immensité m’angoisse…. », continuez-vous de lire mes questions ou essayez-vous de me persuader que «le milieu maritime mérite d’être connu » ?

 Guillaume Lefebvre. Chère Cassiopée, je comprends votre animosité envers la mer. Jadis, vous étiez jalouse de la beauté des Néréides, et Poséidon vous a puni. Maintenant, vous êtes une constellation bien connue des marins, car vous les guidez dans la nuit. Alors, vous pouvez pester autant que vous le voulez, ça ne changera rien. Vous faites partie du monde de la mer.

 Cassiopée. A contrario, si je vous dis que la montagne m’étouffe mais que l’océan est un lieu où je me ressource, où la solitude ne me fait pas peur, où je respire par tous les pores de la peau, où je m’enivre d’air, d’embruns, de bruits (mouettes, cornes de brume etc…), de silence …où je suis heureuse, me dites-vous « moi aussi » ?

 Guillaume Lefebvre. Votre nom est tellement joli que chaque marin vous porte en son cœur. Comme eux, vous avez le goût de l’aventure. Quoi de plus mystérieux que de quitter un port dans la brume du petit jour, pour s’enfuir vers la ligne d’horizon ? Au fur et à mesure que vous l’approcherez, elle vous entourera pour effacer les repères. Le jour, Zeus vous accompagnera, mais la nuit, vous devrez faire confiance aux autres déesses. Prenez garde que les nymphes de la mer ne vous reconnaissent pas, elles pourraient alors devenir furieuses et frapper votre embarcation de mille gifles. Mais n’ayez crainte, les marins ont appris à naviguer. Ils sont avares de mots, mais pas d’entraide. En silence, ils attendront qu’elles se calment, car il n’y a rien d’autres à faire. Malheur à celui qui ose les provoquer.  

Et un jour, alors que vous réchaufferez vos mains autour d’une tasse de café, vous entendrez le cri d’un goéland. Puis, entre ciel et mer, vous verrez apparaître vos falaises. Les premiers parfums terrestres viendront flatter vos narines. Aussitôt, vous inspirerez la joie intense de retrouver vos êtres chers.

 Cassiopée. Votre éditeur m’a signalé que vous étiez souvent en mer. Est-ce elle qui est venue à vous ou vous qui êtes venu à elle ? Que vous apporte-t-elle ? Iriez-vous jusqu’à dire qu’elle est « présence », presque humanisée ?

 Guillaume Lefebvre. Je suis né à moins de 100 mètres de la mer. Je suis allé à elle dès que j’ai su marcher. J’étais fasciné par sa rapidité à changer de caractère. Elle pouvait être généreuse à marée basse lorsque je remplissais mon panier de crevettes frétillantes. Mais le lendemain, elle devenait furieuse et les vagues déferlantes me faisaient penser à des gueules affamées de vies humaines. J’aimais ces tempêtes, car chez moi, blottis sous mes couvertures de laine, je m’endormais en écoutant le vent siffler et les volets claquer. Parfois dans sa rage, la mer perçait la digue et envahissait le village. Les femmes criaient, les hommes sortaient installer des protections, et moi je regardais par l’entrebâillure des volets en rêvant qu’elle venait me chercher.

 Cassiopée. « Les inconnus du St François » est votre premier roman policier. Il se déroule dans le milieu maritime que vous connaissez bien. Etait-ce plus facile pour vous de situer votre action dans ce contexte ?

 Guillaume Lefebvre. Ce milieu maritime fait partie de ma vie, j’aurais été incapable d’écrire un roman qui raconte la vie de traders parisiens. J’écris avant tout pour me plonger dans un autre monde. J’ai besoin de sentir mes personnages. Le parfum de la mystérieuse Anna m’envoûte, la volubile Lucie m’amuse et me rassure quelque part.

 Cassiopée. Ce roman a-t-il été écrit rapidement ou est-ce un travail de longue haleine ? L’écriture est-elle pour vous un « bonus » (c'est-à-dire pour le plaisir) à côté de votre métier d’officier de marine ou une nécessité vitale (comme exutoire) ?

 Guillaume Lefebvre. La réalisation d’un roman est un travail énorme pour moi. Je dois partir à la recherche de renseignements, rencontrer des personnes, les observer dans leurs activités professionnelles et les assaillir de questions. Je remplis des centaines de pages, puis je laisse divaguer mon esprit créatif pour composer la structure du roman.

J’y consacre entre 2 et 4 heures par jour ou nuit durant environ 18 mois. C’est une véritable addiction de retrouver mes personnages. Parfois, ce n’est pas facile, car je dois consacrer du temps aux personnes que j’aime, ils sont prioritaires. De ce fait, j’écris beaucoup plus quand je suis en mer.

 Cassiopée. Comment et par qui a été choisie la couverture de votre livre ?

 Guillaume Lefebvre. Mon éditeur a choisi la couverture et le titre du livre.

 Cassiopée. Armand Verrotier, votre personnage principal, écoute de la musique. Est-ce qu’il vous ressemble ? La musique vous tient-elle compagnie ?

 Guillaume Lefebvre. J’ai toujours adoré la musique classique. J’admire ces compositeurs et interprètes qui arrivent à nous transporter dans un monde imaginaire le temps d’une symphonie. La liberté est totale et varie selon l’humeur du moment. Ecoutez le Requiem de Mozart un jour de pluie, ou Lucrezia un jour où vous êtes amoureuse, vous verrez, l’émotion est doublée. Mon meilleur souvenir de réveillon de l’an est d’être allé écouter un concert devant la cathédrale d’Amiens avec ma famille, il faisait froid et on y jouait le Canon de Pachebel. Toute ma vie je m’en rappellerai.

 Cassiopée. J’ai beaucoup apprécié votre écriture, posée, profonde, juste. Elle m’a paru à la fois « masculine » (par le fait qu’il n’y avait pas de « remplissage ») mais aussi emplie de sensibilité, de profondeur, de ressentis, d’émotions contenues. Est-ce que cette façon d’écrire vous représente ?

 Guillaume Lefebvre. Vous me touchez beaucoup en me disant ça. Ma pudeur m’empêche de répondre à votre question. Avant d’écrire des romans, je laissais des poèmes au gré du vent sur un site de poésie sur internet. C’était bien, car anonyme. Quelques lecteurs m’avaient dit que j’avais une sensibilité, ça m’avait perturbé à l’époque et j’avais arrêté. Maintenant, je sais qu’on peut avoir une carapace dure et être sensible à l’intérieur.

 Cassiopée.  Avez-vous un autre livre en chantier, acceptez-vous d’en dire quelques mots ?
Quand écrivez-vous ? A quel rythme ? Sur papier, ordinateur ou autre ?

 Guillaume Lefebvre. J’ai terminé un autre roman en septembre 2010. Un pêcheur remonte un cadavre dans ses filets posés près d’une épave. Mais il ne ramène qu’un morceau de tissu, bien maigre preuve aux yeux des autres. Armand Verrotier est le seul à le croire. Son enquête va le mener à s’interroger sur le pouvoir de certains hommes sur d’autres. Parallèlement, il va tomber amoureux de deux femmes presque en même temps et entrera dans une dualité d’amour et de passion.

Dans mon troisième,  je m’interroge sur le vrai coupable d’un crime. Est-ce celui qui tient l’arme ou faut-il remonter plus loin ???? Armand Verrotier s’efface presque au profit d’une assistante sociale trop réservée.

 Cassiopée. Avez-vous d’autres choses à partager avec vos lecteurs sur le monde des romans policiers ou sur d’autres sujets ?

 Guillaume Lefebvre. Certains lecteurs, parfois inconnus, m’envoient des commentaires à propos de mon livre, ça me touche toujours. Je pense que c’est la plus belle récompense qu’un auteur puisse recevoir.

 

 

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L'arbre au poison, d'Erin Kelly

larbreaupoison.gifUne chronique de Paco

"L'arbre au poison" est un roman psychologique qu'Erin Kelly 
nous livre en tenant une plume bien acérée, lente et sadique. Je dis lente car l'auteur nous laisse durant plus de 300 pages dans un état de tension permanente, bien maîtrisée, juste ce qu'il faut pour nous faire envie de tourner les pages pour savoir ce qui s'y cache derrière. 

 Je dis sadique car l'auteur nous fait languir cruellement durant tout ce temps, en ne nous dévoilant presque rien, en nous jetant juste quelques indices qui nous permettent d'imaginer qu'il s’est passé un évènement tragique. Mais nous ne savons jamais quoi !  Dans l'art de nous tenir en haleine, Erin Kelly excelle. 

 Bien acérée, car elle ne laisse aucun répit à nos nerfs qui se tordent à force de vouloir savoir ce que nous réserve la suite. Trois qualificatifs qui résument assez bien cette œuvre. 

Lorsque je dis lent, cela peut également être pris dans un sens négatif. C'est vrai qu'à certains moments, j'aurais voulu que l'intrigue s'accélère, avec la crainte de m'ennuyer. Mais Erin Kelly, contrairement au lecteur, connaît la fin de son roman et sait d'avance à quelle sauce nous allons être mangés! Du coup, tout se justifie et ce rythme devient légitime. Le calme avant la tempête dit-on parfois? 

 Et finalement, je crois qu'il est impossible de s'ennuyer avec des personnages d'une aussi grande qualité. L'auteur en a fait certainement une priorité, pas possible autrement. Des personnages d'une profondeur extrême, durs à cerner pour certains, intrigants et touchants, voir écœurants pour d'autres. 

 Pour continuer dans des notes positives, j'ai apprécié le fait qu'Erin Kelly utilise le présent et le passé pour nous faire avancer dans ce roman. Des retours en arrière qui plongent intensément le lecteur dans cette histoire machiavélique, auprès de personnages que nous pouvons suivre et accompagner. Jusqu'à un dénouement où passé et présent se rejoignent dans une explosion fulgurante. J'irais même jusqu'à dire double explosion.

 La narratrice de cette histoire, Karen Clarke, vit à Londres avec sa petite fille Alice dans un petit appartement. Son mari, Rex, vient juste de sortir de prison après dix ans. Une famille qui se recompose, une famille qui va enfin pouvoir commencer à vivre heureux. Mais ce n'est pas tout à fait ça... Un passé douloureux stagne dans les esprits.

Retour en arrière de dix ans. Karen Clarke est une fille studieuse, brillante, un peu naïve et insouciante qui vit à Londres en collocation avec trois amies. Sa vie va basculer le jour où elle va croiser sur son chemin Biba, jeune fille excentrique et marginale qui vit dans une ambiance "bohème" dans une vieille demeure délabrée, en compagnie de son frère Rex. Deux jeunes orphelins livrés à eux-mêmes. Karen va vouer une fascination sans précédant pour sa nouvelle amie Biba et va gentiment abandonner sa vie tranquille et bien réglée. Le passage va se faire progressivement, puis intensément, jusqu'à ce qu'elle se rende compte qu'un retour en arrière n'est plus possible. En a-t-elle d'ailleurs envie?  

 Malgré elle, elle va se laisser prendre au jeu - un jeu dangereux - où se mêlent drogues, alcool, fêtes de disjonctés, un univers malsain, nocif et totalement imprévisible. Karen va tomber amoureuse de Rex et poursuivre son engouement pour Biba, personnage énigmatique, ouvert d'esprit et original, personnage que le lecteur va aimer et détester à la fois. Une fille spontanée, impulsive et imprudente que Karen Clarke n’arrivera plus à lâcher.    

Ce qu’elle ignore encore, c'est qu'elle va tomber sur une histoire de famille compliquée, dans laquelle elle sera impliquée, malgré elle. Sa nouvelle vie idyllique va rapidement tourner au cauchemar. 

 Erin Kelly tiens le lecteur en haleine sur plus de 300 pages. Nous nous posons pas mal de questions, obligatoirement, étant donné que l'auteur, avec un égoïsme bien maîtrisé, ne nous laisse que très peu d'indices. Pourquoi son mari est-il allé en prison? La narratrice nous parle d'homicides, de secrets lourds à porter et d'une insécurité permanente. Mais le lecteur n'en saura pas plus avant de tourner les dernières pages. Jusqu’où peut-on aller pour protéger un frère ou une sœur ?

Erin Kelly, par cette histoire, relève la problématique des adolescents livrés à eux-mêmes, inconscients, croyant par la force des choses qu'ils pourront vivre au jour le jour, à l'aveugle, sans se préoccuper de l’avenir. Un avenir qui finit tôt ou tard par frapper en plein visage. L'auteur met également un accent sur certaines responsabilités qui devraient être gérées avec la plus grande attention. Certains protagonistes en seront conscients, d'autres, comme Biba, peut-être par manque de repères, vont les laisser de côté et ne rien assumer. 

Je relève également la qualité de l'ambiance; l'auteur nous promène dans la capitale en nous décrivant cette ville avec précision et adresse, en nous emmenant un peu partout, rues, ruelles, métro, jardins et j'en passe. Appréciable. Une belle visite guidée conduite par Erin Kelly! 

Petit bémol à la page 316. Karen Clarke s'est réfugiée à Berne, en Suisse, pour faire le point. En tant que suisse, je ne peux pas m'empêcher de relever le passage suivant:

 "Disposant de trois jours pour m'installer dans le studio que Sylvia avait loué pour moi, je déambulai dans les rues, levant les yeux vers ces câbles qui se déployaient et s'évitaient aussi aisément et élégamment dans l'air que cohabitaient dans la ville les langues française, italienne, allemande et romande."

 Je signale à l'auteur, ou alors au traducteur, qu'il y a quatre langues en Suisse, soit le français, l'allemand, l'italien et - très peu utilisé - le romanche. Quant au romand, ce n'est pas une langue. La Romandie représente la région de la Suisse où les habitants parlent le français. 

 Sinon, je vous souhaite une bonne lecture.

 

Paco, http://passion-romans.over-blog.com 

 

Présentation de l'éditeur

Au cours de l’été étouffant de 1997, Karen, étudiante brillante et studieuse, rencontre Biba, fascinante orpheline qui mène une existence bohème dans un hôtel particulier délabré de Highgate, en compagnie de Rex, son frère énigmatique. Aussitôt, elle se laisse entraîner dans leur univers. Toutefois, des événements terribles se préparent, dont l’issue va se révéler fatale…
 
A la fin de cet été là, il y aura deux morts.

Traduit de l’anglais par Catherine Ludet

Sur l'auteur
Pendant plus de dix ans, Erin Kelly a travaillé comme journaliste indépendante pour des journaux et magazines tels que Daily Mail, Psychologies, le Guardian et Cosmopolitan, entre autres titres. Elle vit avec sa famille au nord de Londres.

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06/10/2011 | Lien permanent

Entretien avec Nicolas Lebel

sans_pitie.jpegAprès avoir chroniqué son dernier roman Sans Pitié ni remords, Cassiopée a souhaité avoir un entretien avec Nicolas Lebel.

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Cassiopée. Vous êtes linguiste, traducteur et enseignant d’anglais, vous avez encore le temps d’écrire des romans, comment faites-vous ?

 Nicolas Lebel. J’écris principalement sur du temps volé ! Peu d’auteurs en France aujourd’hui peuvent vivre de leurs écrits. La plupart ont un emploi à plein temps. Je ne suis pas une exception. Il faut donc lutter pour créer cet espace-temps d’écriture : c’est le plus difficile.

 C. Ecrire… pourquoi, pour quoi, pour qui ? Avez-vous toujours écrit ? Est-ce une façon d’être, d’exister ?     

N.L. J’ai d’abord écrit par amour, pour écrire des lettres, puis des cahiers entiers à un amour de jeunesse ! J’y passais des heures, à écrire sur tout et n’importe quoi, à essayer de lui/m’expliquer ce que je ressentais pour elle… Puis j’ai commencé à écrire de la fiction, des poèmes, des nouvelles, des scénarii de jeux de rôle dont je suis amateur… Quelques piges pour la presse. J’ai traduit un peu également.… La première fiction que j’ai finalisée est une épopée lyrique d’ heroic fantasy en alexandrins (Les Frères du Serment)qui a causé la faillite d’un éditeur et dont j’ai vendu à ce jour, chez un autre éditeur, une cinquantaine d’exemplaires. Un vrai désastre financier ! Mais 4200 alexandrins ! 3 ans de travail ! Un vrai bonheur !

Je pense qu’il existe une sorte de pulsion de l’écriture, une envie, un besoin de dire, de raconter. Est-ce cathartique, thérapeutique ? Je ne sais pas… J’ai écrit quatre bouquins, j’écris le cinquième et je n’ai pas l’impression d’aller mieux !

 C. Qui vous a donné le goût de la lecture ?

 N.L. Le livre n’était pas un objet usuel à la maison. J’ai pourtant toujours lu, rarement ce que l’école voulait que je lise, mais j’ai toujours pris plaisir à lire. Ce n’est que tardivement que j’ai compris ce que j’avais lu, gamin. J’ai été obligé de lire le Rouge et le Noir, Madame Bovary et Eugénie Grandet trop tôt, à m’en dégoûter de leurs auteurs que je n’ai redécouverts que plus tard, le temps venu. Mais c’est grâce à l’école que j’ai lu Maupassant, Baudelaire, Poe, Rimbaud, Racine, Beckett, Borges…

 Écrire m’a amené à regarder de plus près comment les autres s’y prenaient. Ce ne sont donc pas des écrivains qui m’ont donné envie d’écrire ; en revanche, la maîtrise de certains m’a laissé sans voix : Je citerais volontiers pêle-mêle Maupassant, Poe, Shakespeare, Eco, H. Miller, Borges, Faulkner… Le polar est venu par la suite. Je connaissais mes classiques ! Mais j’ai vraiment redécouvert un genre avec Daenninckx, Pouy, Jonquet, puis Dantec, Lehane, Mankel…

C. Votre écriture est vive, vos scènes visuelles (la scène du cimetière de votre dernier livre, j’y étais ;-), est-ce que vous « jouez » les scènes avant de les écrire ?

N.L. J’ai la chance de voir très clairement la scène que j’imagine. Tout, ensuite, est une question de point de vue : où poser la caméra ? Est-elle externe ? Est-ce le regard d’un personnage ? Pourquoi l’un plutôt que l’autre ?

Cette scène du cimetière par exemple, dans Sans Pitié ni remords, rassemble des amis devant un cercueil. De l’autre côté, le prêtre officie et le croque-mort patiente. Une présentation en rotation aurait affadi la scène. Par ailleurs, le prêtre dans sa litanie parle de l’âme du défunt qui observe les vivants réunis ici-bas. Il n’en fallait guère plus pour décider de voir la scène d’en haut : le chapitre commence donc par « vus du ciel ».

Ce travail est très cinématographique. Il permet une aide à la mise en images : une aide à l’imagination.

 C. L’ humour est constamment présent entre les lignes, est-ce pour le plaisir de sourire, pour dédramatiser le côté « polar noir » ou parce que le rire fait partie de votre vie ? (je vous ai trouvé très souriant lors de notre rencontre)

 N.L. « L’humour est la politesse du désespoir » Je suis un Desprogien pratiquant. Je ne pourrais pas écrire un roman totalement noir, sans espoir, asphyxiant. J’ai besoin comme tout le monde du phare dans la tempête, de la lueur dans la nuit. Certaines scènes entre Mehrlicht et son copain mourant d’un cancer à l’hôpital sont clairement burlesques. D’autres passages sont très tristes. Je travaille à cet équilibre dans chacun de mes romans. Je tiens à ce que le lecteur en ressorte avec le sourire, pas avec le dégoût de l’humain, son voisin…

 Et puis si je ne m’amuse pas dans l’écriture, à quoi bon ? Et le lecteur s’amusera-t-il dans sa lecture ?

 C. Certains de vos lecteurs disent que votre écriture se bonifie avec le temps. Etes-vous d’accord avec ce constat ? Pensez-vous que plus on écrit, plus notre style s’affirme, plus c’est « facile » ?

 N.L. Je les remercie du compliment ! Écrire, c’est beaucoup de travail, puis de re-travail. On finit par connaitre ses faiblesses et on veille à y remédier. Je réécris, j’étoffe, je supprime, je corrige… Je ne crois pas que l’écriture devienne « facile », à un moment. J’aimerais le croire ! Mais c’est principalement du travail et rien ne coule de source.

Quant au style, j’espère écrire d’une manière propre, reconnaissable, mais ce n’est pas un but en soi.

 C. Comment vous est venue l’idée du personnage de Mehrlicht ? Comment avez-vous construit sa personnalité, son caractère, son physique ? Va-t-il devenir un personnage récurrent ?

 N.L. Le capitaine Mehrlicht est un flic qui agrège des éléments notoires des archétypes du flic : l’imperméable de Columbo, l’âge de Maigret, la clope de Bourrel, l’argot de Vidocq… Ce sont précisément ces éléments qui font de Mehrlicht un personnage différent, parce qu’il est d’un autre temps, en décalage et en souffrance. C’est un petit homme rongé par la Gitane et par le deuil, à la peau jaune, à la voix éraillée, un homme fragile et cynique, vieillissant et obsolescent, raide et réac. Mehrlicht, c’est aussi un amateur de bouquins, un érudit vieille-école qui n’approche ni télé ni ordinateur et qui distribue les vannes comme autant de gifles, jusqu’à en devenir pénible... Mehrlicht n’est pas un lonesome cowboy. Il dirige un groupe d’enquêteurs : le lieutenant Dossantos, personnage physique et légaliste jusqu’à l’absurde, et le lieutenant Latour, une rousse flamboyante qui tempère les excès des deux autres. Dès le premier opus, L’Heure des fous, les lecteurs ont apprécié ces personnages tant individuellement qu’ensemble. C’est une alchimie qui fonctionne. Alors Mehrlicht attaque sa quatrième enquête !

 C. Il me semble que lorsque vous écrivez, vous aimez à jouer avec les mots. Est-ce une façon d’établir une complicité avec le lecteur ? Ou est-ce que les mots sont magiques et vivent leur propre vie ???

 N.L. J’ai une passion profonde pour la langue, pour son fonctionnement, pour sa vie, sa magie. Il n’est donc pas étonnant que l’on retrouve nombre de jeux de langue dans mes bouquins. Dans Sans pitié ni remords, on trouve des acrostiches, des alexandrins. Il y a même un sonnet ! La Langue Verte, l’argot, est mise à l’honneur dès le premier opus, L’Heure des fous

Raconter une histoire, c’est bien, mais pourquoi écrire si l’on n’a pas l’envie de pétrir la langue, de la façonner, de la tirer jusques en ses limites ? C’est la partie la plus jouissive du travail d’écriture !

 C. Aimez-vous rencontrer vos lecteurs ? Arrivent-ils à vous surprendre ?

 N.L. Avec plaisir ! Je suis d’abord souvent surpris que des gens aient envie de me voir, et flatté qu’ils parcourent des kilomètres pour me rencontrer.

Et puis on écrit pour être lu ! Le lecteur reste la cible de ce travail d’écriture ; son retour est donc essentiel. Certains sont très tatillons et vérifient tout, alors il faut être carré dans la documentation ! D’autres ont des questions très pointues sur des points de littérature ou d’histoire abordés dans mes romans. D’autres encore viennent partager un ressenti, une émotion, un désaccord. J’ai eu des plaintes à la mort de Jacques, certains lecteurs ne me pardonnant pas d’avoir « tué » ce personnage et venant en salons me le dire en face !

 Avec les années, j’ai sympathisé avec certains. C’est chouette de se retrouver de salon en salon ou sur Facebook ! ou au troquet du coin !

 

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14/02/2016 | Lien permanent

Un roman américain, de Stephen Carter

un_roman_americain.jpgUne chronique de Christophe.

Les ambitions de l'Obscure Nation.

J'aurais pu choisir comme titre de ce billet une phrase de John Milton : "mieux vaut régner dans l'Enfer que servir dans le Ciel". Présente dans le livre, elle est sans doute un excellent résumé du roman dont nous allons parler. Mais, j'ai été frappé par l'expression "Obscure Nation", utilisée par l'auteur pour qualifier, non pas la communauté afro-américaine dans son ensemble, mais cette élite noire, qui s'est constituée alors même que la ségrégation était encore la norme aux Etats-Unis. Stephen Carter, l'auteur en question, voit son troisième roman sortir en France, une troisième saga consacrée à ces élites noires qui, dans leur quête d'indépendance et de pouvoir, commettent bien souvent les mêmes erreurs et acquièrent les mêmes défauts que les élites blanches... Car, une nouvelle fois, dans "un roman américain" (en grand format chez Robert Laffont), Stephen Carter sait se montrer critique, tant sur l'Amérique dans son ensemble que sur ces élites noires, en particulier.

Eddie Wesley n'a qu'une ambition dans la vie, devenir un romancier célèbre. Au point de devenir plus un observateur qu'un acteur de la société qui l'entoure. Pourtant, en ce milieu des années 1950, c'est une Amérique en pleine métamorphose qui se présente à lui : le pays, depuis la fin de la guerre, est devenue une superpuissance qui connaît une prospérité sans précédent. La guerre froide se met en place, avec, comme étendard, tout un système de valeurs à promouvoir. Et puis, le carcan de la ségrégation raciale, toujours en vigueur dans le pays, commence à céder, dans la foulée de l'arrêt de la Cour Suprême "Brown v. Board of Education", rendu en 1954.

Mais, Eddie Wesley a d'autres idées en tête. Et en particulier, Aurelia, jeune femme originaire de Cleveland devenue une des demoiselles en vue du Harlem qui chante et qui pétille. Mais, à la grande déception du jeune homme, Aurelia, malgré leur tendre complicité, va choisir d'épouser un autre homme, un des partis les plus en vue de l'Obscure Nation, Kevin Garland.

C'est le soir de leurs fiançailles, dans l'une des plus importantes propriétés d'Harlem, que la vie d'Eddie, et de beaucoup d'autres à sa suite, va basculer : alors qu'il a quitté une soirée où il a montré plus d'aigreur et de rancune que ne le permet la bienséance, il trébuche sur un corps inanimés. Malgré l'obscurité, il en est certain, c'est bien un cadavre qui a causé sa chute... Un homme blanc, qui tient une croix de Saint-Pierre en or dans la main, avec une énigmatique inscription gravée dessus.

L'homme, Phil Castle, est un avocat en vue et prospère. Que signifie ce meurtre ? Et cette croix ? Eddie, qui a signalé anonymement sa macabre découverte, mais ne s'est pas éternisé sur place, n'a pas vraiment le temps de réfléchir à ces évènements : quelques moi après ces évènements, la petite soeur d'Eddie, Junie, étudiante brillante à Harvard et promise à un brillant avenir, disparaît soudainement...

Eddie n'aura alors plus qu'un seul objectif : la retrouver. Une quête presque désespérée dans laquelle il va emmener, impliquer plutôt, Aurelia, au risque de mettre en péril son statut de femme mariée à un homme influent.

 Car c'est bien de cela qu'il est question : d'influences, d'ambitions, de volonté de pouvoir. Derrière la mort de Phil Castle et la disparition de Junie, ce sont de sombres (obscures ?) rivalités politiques qui sourdent... Entre la radicalisation des mouvements pour les droits civiques, l'avènement de mouvements contestataires, la paranoïa anti-communiste, l'alternance entre administrations républicaines et démocrates, aux objectifs pas toujours aussi évidents, les présidences contestées de Johnson puis Nixon, le début de la guerre du Viet Nam, etc., ces 20 années qui servent de cadre à ce roman sont riches en la matière.

Mais, au-delà du simple contexte historique, et même si on y croise Hoover, les Kennedy et surtout Nixon, au-delà de l'intrigue qui entremêle différents complots possibles, il y a un homme aux prises avec ses sentiments, son amour pour sa soeur et pour celle qu'il considère comme la femme de sa vie, que tous les évènements ont rendu impossibles...

Comment évoquer la partie complot du roman, qui est quand même au coeur du livre, sans trop en dire ? Au tout début de ce roman américain (titre qui dénote tout de même un certain manque d'inspiration, je trouve) , on assiste à l'arrivée d'un avocat, qui s'avérera par la suite être Phil Castle, à une réunion secrète d'un "Grand Conseil". Puis, sans rien avoir vu de cette réunion, on le voit ressortir abasourdi, en colère, rageant contre ce à quoi il a assisté et l'on comprend que les décisions annoncées lors de cette réunion l'effrayent autant qu'elles le hérissent.

Tout repose donc sur la composition et les objectifs de cette mystérieuse société secrète. Voilà ce que Eddie et Aurelia, chacun de leur côté, puis ensemble, vont essayer de découvrir. Mais il faudra du temps, échapper aux chausse-trappes, trahisons, alliances secrètes, retrouver aussi bien la trace d'un document laissé derrière lui par Castle que celle de June, désormais traquée après avoir dirigé un mouvement radical et violent en faveur des droits civiques.

Mais, vous le savez, j'aime bien ne pas juste vous raconter un roman, ni donner un simple avis, mais regarder entre les lignes, m'intéresser aux thématiques, aux contextes... Et là, c'est encore le cas, car "un roman américain" compte près de 600 pages étalées sur 20 ans, il n'est donc pas évident de s'en tenir juste au récit. En revanche, on peut plus largement évoquer ici les personnages, l'arrière-plan historique et quelques réflexions sur ma perception de ce roman, qui tient plus du roman noir que du thriller ou du "page-turner" qu'on nous présente.

Eddie est un personnage très intéressant. Observateur de son temps plus qu'acteur, je le disais plus haut, il a un sens aigu des évolutions de la société de son pays. Il les anticipe, les explique tant dans ses livres que ces articles de presse. Mais, lui qui, finalement, est le moins engagé de tous les personnages, est perçu différemment par l'Amérique qui croit voir dans ses positions successives, un lent mais sensible glissement de la gauche vers la droite de l'échiquier politique.

D'abord considéré comme porte-parole d'un certain progressisme, il finit par apparaître comme un conservateur de plus en plus endurci. Lui qui travailla à la Maison-Blanche sous Kennedy va finir par être considéré comme un proche de Nixon, en qui il a vu "l'Américain-type" (c'est-à-dire pour qui "gagner la partie compte plus que l'honneur, l'intégrité et toutes les valeurs" que son pasteur de père a transmises à Eddie).

 En cela, Eddie lui, est l'afro-américain-type : historiquement, la communauté, lorsqu'elle a pu avoir une audience politique, a penché côté démocrate dans sa majorité. Mais, lorsqu'elle son influence s'est étendue, le vote noir s'est beaucoup plus également réparti, tandis que la frange contestataire se diluait, se divisait, s'affrontait, perdait de vue ses objectifs premiers (analyse très intéressante que fait Eddie dans le roman). Eddie, en cela, a suivi le déplacement de sa communauté.

Mais, tout en voulant toujours rester extérieur à ces questions qui ne l'intéressent pas, il s'est retrouvé au cœur de la machine politique américaine pendant ces 20 années, de Eisenhower à la démission de Nixon, en passant par les mandats démocrates, et pourtant si différents, de Kennedy et Johnson. Une machine que sa détermination à retrouver sa sœur va faire trembler, entraînant des réactions en chaîne de la part des différents camps (aux contours bien flous jusqu'au terme du livre).

Et, au final, c'est sans doute sa volonté à se tenir à l'écart de ces affaires peu reluisantes, qui lui sauvera la vie. Parce que ses nombreux ennemis auront compris que sa vocation est tout sauf celle d'un révolutionnaire ayant l'ambition de renverser les forces en place.

Aurelia, l'autre personnage central, elle aussi est remarquable. Elle est femme, d'abord. Or, en ces périodes où le mot émancipation prend son sens, tant pour les afro-américains que pour les femmes, elle en est une digne représentante. Le choix de son mariage relève sans doute d'une volonté première d'asseoir une position sociale, d'entrer vraiment dans cette Obscure Nation. Mais ensuite, c'est son intégrité qui frappe.

Les doutes qu'elle nourrit sur son époux la motive à se lancer dans une enquête parallèle à celle d'Eddie pour comprendre qui est vraiment Kevin Garland. Devenue veuve, mère de jeunes enfants, elle va prendre son indépendance, repoussant tous les prétendants, y compris Eddie, faisant fi de toutes les rumeurs mal intentionnées qui la viseront. A l'image de l'élite "harlémite" qui va se dissoudre au fur et à mesure de ces années dans la société américaine, Aurelia va peu à peu abandonner le décorum qui fut le sien pour revenir à une vie aisée mais aux aspirations plus simples, presque terre à terre.

Elle aussi a cette soif de comprendre les évènements douloureux qui se succèdent dans sa vie. Elle en a besoin aussi pour comprendre dans quel camp son rôle d'épouse dévouée la place. Les mystères et les messes-basses qu'elle surprend de temps en temps, la conforte dans cette curiosité alors qu'elle n'arrive pas à comprendre si son implication lui vaut d'être menacée ou protégée...

En rejetant elle aussi les codes sociaux inculqués par sa fréquentation de "l'Obscure Nation", elle s'écarte de l'engagement traditionnel de sa classe pour choisir une autre voie : celle de l'enseignement, dans une université racialement mixte. Protégeant sa famille plutôt que de privilégier comme d'autres autour d'elle ses intérêts politiques ou sa position sociale, elle détonne par cette absence d'ambition (mais, peut-on lui en vouloir, quand on voit ceux qui ont de l'ambition à sa place pour elle et sa progéniture ?).

Son expérience fait d'elle une femme libre. Sans son veuvage précoce, sans doute aurait-elle été une épouse et mère modèle aux côtés de son époux, digne successeur des "Tsarines" qui régnaient sur Harlem pendant la précédente génération. Mais, "libérée", d'une certaine manière, par la mort de son époux, elle a repoussé le carcan social de la soumission féminine.

 Eddie comme Aurelia sont devenus, en 20 ans, des Américains, et plus seulement des noirs Américains. Leur évolution personnelle, sociale, politique au long du roman est remarquable et symptomatique. Tout comme l'est l'évolution des Etats-Unis que nous décrit Stephen Carter. Celle d'un pays vainqueur, surpuissant, sur de lui, qui va, par des choix contestables, se compliquer la vie, connaître une crise de confiance, et particulièrement envers ses élites.

Au début du roman, "l'Obscure Nation" est marginale, classe supérieure d'une caste encore et toujours intouchable et exclue. Mais, 20 ans après, les élites noires ont su gagner leur place dans toutes les catégories sociales du pays, ont su prendre une part du gâteau, ont su tutoyer le pouvoir.

La force du regard de Carter, à la fois sur son pays et sur sa communauté d'origine, c'est de savoir se montrer critique. Le déclin de son pays est très bien montré, amorcé avec Johnson, poursuivi avec Nixon (dont le portrait essaye de balayer quelques idées reçues) et pas franchement enrayé ensuite, même si, sans rien dévoiler, le pire est sans doute évité. Quant à "l'Obscure Nation", si elle s'est imposé, c'est aussi au prix de compromissions en totale contradiction avec les valeurs affichées par le pays et auxquelles il était normal d'aspirer de temps de la ségrégation.

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Christophe
(http://appuyezsurlatouchelecture.blogspot.com/)

Un roman américain
Stephen Carter
Editeur :
 Robert Laffont (12 janvier 2012)
Broché: 598 pages

22 €

 

Présentation de l'éditeur

Eté 1952, Martha's Vineyard. Vingt hommes se réunissent dans le plus grand secret. Politiciens, avocats, hommes d'affaires, universitaires, Blancs et Noirs, ils sont l'élite de l'Amérique. Ce soir-là, ils signent un pacte diabolique destiné à manipuler le président des Etats-Unis pour les décennies à venir... Deux ans plus tard, au cœur de Sugar Hill, par une nuit glaciale de février, à la sortie d'une réception huppée, le jeune écrivain noir Eddie Wesley tombe sur un cadavre. Lequel cadavre agrippe entre ses mains une étrange croix inversée. Qui a tué ce riche avocat blanc croisé quelques heures plus tôt à la fête ? Que signifie cette croix ? Alors que la curiosité d'Eddie commence à déranger, sa petite sœur, Junie, promise à un brillant avenir à la Cour suprême, s'évanouit brusquement dans la nature. Quel est le lien entre cette disparition, le meurtre de l'avocat et le complot visant à contrôler le président des Etats-Unis ? Sur cette intrigue de thriller se déploie un roman qui mêle avec maestria grande histoire d'amour, saga familiale et souffle de l'Histoire (JFK, Joseph Kennedy Sr, Nixon, Hoover... en sont des personnages à part entière). A travers la quête de son héros, Stephen Carter brosse le portrait saisissant de l'Amérique des sixties : la fin de l'âge d'or de Harlem, l'ascension d'une littérature afro-américaine respectée par l'intelligentsia blanche, Kennedy, Martin Luther King et les avancées du Mouvement pour les droits civiques, l'émergence des groupes radicaux violents, la guerre du Vietnam, le scandale du Watergate...

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28/02/2012 | Lien permanent

Deuxième entretien avec Maurice Gouiran

maurice gouiran,entretien,cassiopéeDans la foulée de sa chronique sur Le printemps des corbeaux, Cassiopée a  souhaité poser quelques questions à l’auteur.

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 Cassiopée.  Pourquoi avez-vous "abandonné" Clovis dans votre dernier roman?

 Maurice Gouiran. C'est l'éternel problème du héros récurent... Le héros récurent impose à son créateur énormément de contraintes et limite ainsi ses possibilités d'expression. Nombreux sont les auteurs qui ont voulu se débarrasser de cet encombrant personnage (on peut citer quelques-uns des plus célèbres de ces infanticides, comme Conan Doyle avec Sherlock Holmes, Agatha Christie avec Hercule Poirot ou Jean-Claude Izzo avec  Fabio Montale).  En ce qui me concerne, j'aime trop Clovis pour l'éliminer définitivement, mais j'ai besoin, de temps à autre, de prendre un peu de liberté. Comment aurais-je pu travailler le personnage de Louka dans « Le printemps des corbeaux » si j'avais eu Clovis dans les pattes ?

Il faut également gérer un problème d'époque. Clovis est apparu en 2003 dans mon 5eme titre, « Les martiens de Marseille ». C'est un quinquagénaire fringant qui revient dans 17 des 21 romans suivants qui se déroulent aujourd’hui. Il n'a pas sa place dans « Sous les pavés, la rage » ( qui se passe en 1968), « Train bleu, train noir » (1993), « « Appelez-moi Dillinger » qui est un recueil de nouvelles et « Le printemps des corbeaux » (1981). Notez également que je lui ai donné le beau rôle  dans « L'été finira » qui se déroule en 1973. Il n'a alors qu'une vingtaine d'années et ses réactions annoncent ses actions à venir.

Il sera peut-être absent du prochain roman, mais il reviendra. Promis, juré.
Souvenez-vous de la chanson de Leny Escudero :

Il y a longtemps de ça

Et longtemps de nuits blanches

Qu’il est parti de là

Chercher d’autres dimanches

Mais le givre est venu

Se coller à sa branche

Et parce que sa vie flanche

Clovis est revenu

Clovis revient toujours !
Si vous ne la connaissez pas, allez donc l’écouter sur youtube

 C. Vos livres sont reliés à des faits du passé plus ou moins connus, que vous intégrez à vos histoires. Pourquoi ce fonctionnement? Comment choisissez vous ce que vous décidez de mettre en avant? Comment vous documentez vous sur la période choisie et comment articulez vous votre intrigue autour de la réalité que vous voulez présenter? Comment en êtes-vous venu à mélanger passé et présent? Est-ce que vous gardez cette façon de faire comme une "marque de fabrique"?

 M.G. Hou là là... ça fait beaucoup de questions ! Je vais tâcher d'y répondre dans l'ordre.

C'est ma passion de l'histoire qui m'a conduit à ce type de construction. Durant mes études (scientifiques, j'ai un doctorat de mathématique) j'ai sans doute été frustré de ne pas pouvoir explorer l'histoire contemporaine, je me rattrape aujourd'hui. En fait, je cherche surtout à mettre des coups de projecteur sur des faits peu ou mal connus qui ont une incidence sur notre vie actuelle. Je voudrais aussi faire comprendre que le manichéisme n'existe pas en histoire, que rien n'est tout noir ou tout blanc.

En ce qui concerne le choix des thèmes, il né d'une étincelle. Un article de presse, un témoignage, une image, une rencontre... et c'est parti. Ensuite rien ne dit qu'on en tirera un roman de 300 pages...

Lorsque l'idée est là, il convient de se documenter soigneusement car mes romans font souvent référence à une histoire récente. Mes études en mathématique et mes travaux de recherche scientifique sont alors autant d'atout pour moi . J'ai les réflexes du chercheur. Un écrivain n'a pas la légitimité d'un historien, il doit donc être irréprochable sur les faits historiques qu'il dévoile (et ce d'autant plus qu'il s'agit souvent d'événements tabou ou dissimulés, en contradiction avec l'histoire officielle). Donc, la doc est importante, elle débute souvent sur le web (mais oui, il existe des sites sérieux, universitaires par exemple) , se poursuit par la consultation des archives et se termine par les témoignages de personnes qui ont vécu cela. Ce dernier point est fondamental. Je disais que l'écrivain n'a pas la légitimité de l'historien, mais il possède un atout essentiel : il peut mettre de la chair et de la vie  là où l'historien se contente de chiffres. Par exemple, dans « Train bleu, train noir », je raconte l'histoire de ces 1600  Marseillais qu'on entasse un dimanche matin dans des wagons de la gare d'Arenc. Marseille, Compiègne, Drancy, Sobibor (camp d'extermination). Pour l’historien, cela fait 1600 morts, une paille dans une guerre qui a tué plusieurs dizaines de millions d'hommes, de femmes et d 'enfants. Ais si vous racontez le voyage d'une demi-douzaine de Marseillais, qui vous ressemblent qui me ressemblent, leur angoisse, leur peur, leur espoir toujours déçu, vos pages prennent une toute autre importance.

Ensuite vient la fabrication du « cocktail » entre l'Histoire (avec un grand H) et l'histoire, entre les faits avérés et la fiction. Je n'ai pas de règles, c'est instinctif, je prends seulement garde que l'Histoire n'étouffe pas l'histoire. C'est à l'intrigue de mener la danse !

Mes romans se déroulent généralement sur deux époques (passé et présent) et dans plusieurs lieux. Je ne sais pas si c'est ma marque de fabrique, mais c'est ma façon d'écrire. Elle provient sans doute du fait que je me suis interdit toute lecture lorsque j'ai décidé d'écrire ma première histoire, j'ai dû donc trouver un style et ce découpage m'est apparu naturellement. Je trouve qu'il renforce la dynamique du roman.

 C. Lorsque vous écrivez, avez-vous le souhait de faire passer un message?

 M.G. Absolument pas. J'écris sur ce qui me révolte ou me titille. J'apporte une information au lecteur sous une forme ludique, ensuite il en fera ce qu'il voudra. Mon seul engagement est le combat contre la haine, la vanité et la stupidité. Je ne brandis aucun drapeau et ne roule pour personne. Je suis un auteur libre qui écrit ce qu'il veut comme il veut (un grand merci au passage à mon éditeur qui me permet cela!) et qui est évidemment heureux des retours des lecteurs. Quoi qu'en disent les auteurs qui jouent les blasés, les encouragements sont précieux parce que l'écriture d'un roman impose un travail volumineux, parfois ingrat et toujours solitaire.

 C. Avez vous toujours une "idée" d'avance pour un prochain roman?

 M.G. Ma crainte n'est pas celle de la page blanche mais celle de l'idée blanche. J'ai affirmé dans la question 2) qu'un polar naissait d'une étincelle. Jusqu'à présent, cela a toujours marché mais je me dis qu'un jour peut-être, il n'y aura plus d’étincelle et donc plus de roman.

Généralement, lorsqu'un de mes romans paraît, il y a en toujours un autre en préparation. C'est le cas aujourd'hui, mon prochain est quasiment terminé, il repose dans ma cave depuis quelques mois et je dois le reprendre avec une vision nouvelle. Il traitera d'un thème que peu de gens connaissent et qui n'est pas marseillais.

 C. Si vous pouviez boire un pastis avec un écrivain mort ou contemporain, qui inviteriez vous et pourquoi?

 M.G. Oh, il en a beaucoup... Et en plus cela dépend des jours. J'aurais pu vous citer Norman Mailer, Boris Vian et beaucoup d'autres... Mais s'il ne faut donner qu'un nom, je choisirai aujourd'hui George Orwell car je le trouve toujours d'une brûlante actualité. Et j'abandonnerai peut-être le pastis (ou plutôt la mauresque) pour le Jura. C'est un single malt qui est produit sur l'île d’Écosse de même nom sur laquelle Orwell s'est retiré.

 C. Est-ce que l'éditeur vous associe au choix des couvertures? Avez vous vos titres dès le début ou une fois le livre écrit?

 M.G. Il faut savoir que la couverture et la 4eme sont le domaine exclusif de l'éditeur. Mon éditeur me demande toujours un projet pour la 4eme et il m'est arrivé de lui proposer des idées de couvertures pour « Franco est mort jeudi » ou « Sur nos cadavres, ils dansent la tango ».

En ce qui concerne les titres, c'est moi qui les propose à l'éditeur. Parfois, le titre est évident. Ainsi, « Le printemps des corbeaux » existait avant l'écriture du bouquin. Parfois, il n’apparaît qu'après la relecture avec l'éditeur. Ce fut le cas pour « Maudits soient les artistes ». Le seul titre qui ne soit pas de moi (mais que j'ai validé) est « Les martiens de Marseille » (le titre que j'avais proposé était « Le sang noir des étoiles »).

 C. Si vous deviez "sauver" un mot, lequel choisiriez- vous et pourquoi?

 M.G. Sans hésitation fraternité. Dans notre belle devise, la liberté peut se conquérir, l'égalité se décréter mais la fraternité est quelque chose que nous devons porter en nous et cultiver. En ces temps de xénophobie, de peur de l'autre, voire de haine du voisin, c'est ce qui manque le plus.

 C.  Lisez vous des romans policiers? De qui?

 M.G. Vous avez compris, depuis la question 2) que ma lecture prioritaire est la documentation (archives, autobiographies, témoignages...)

Bien entendu, je lis aussi des polars (plutôt que des romans policiers si je me fie à la définition attribuée à JP Manchette : « le roman policier voit le mal dans l'homme, le polar voit le mal dans la société »). Je lis un peu tous les auteurs et en particulier ceux que je croise dans les salons et dont le discours me séduit. Je ne citerai pas de noms de crainte d'en oublier...

 Le premier entretien  avec Maurice Gouiran a été publié en avril 2014, à l'occasion de la sortie de son livre Franco est mort jeudi.

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08/11/2016 | Lien permanent

L'insigne du boiteux, de Thierry Berlanda

insigne_du_boiteux.jpgUne chronique de Liliba.

Un dangereux serial killer sévit en région parisienne. Il entre sans effraction chez des familles sans histoire, tue le père d’un coup de pistolet, et exécute la mère de manière abominable sous les yeux du jeune fils, préalablement attaché en hauteur pour profiter du spectacle…

Jeanne Lumet, professeur d’Histoire à la Sorbonne, est appelée sur les lieux des seconds meurtres par le commandant de police Falier, qui se fait seconder dans son enquête par le professeur Bareuil, un ancien prof de la jeune femme, qu’elle n’a pas vu depuis des années, mais dont elle garde un souvenir très précis, et très mauvais. Il a essayé en effet d’abuser d’elle et elle l’a repoussé violemment. Ce qu’elle découvre, c’est qu’il est maintenant en fauteuil roulant…

Bref, ses connaissances sont requises pour dénouer le fil de cette affaire, car le criminel a laissé sur les lieux du crime un objet particulier, une sorte de bijou très probablement ancien, qu’elle pourrait expertiser pour leur donner l’ombre d’une piste.

Mais Jeanne va vite se sentir menacée et il semble que le tueur veuille s’en prendre à elle, qui a un fils du même âge que les victimes… Elle reçoit une lettre et un appel d’un mystérieux informateur qui dit pouvoir l’aider, mais n’est-ce pas un piège ? 

L’intrigue est assez bien menée et relativement crédible, mais je n’ai pourtant pas accroché plus que ça à ce roman. Le style est assez lapidaire, rapide, au présent et colle avec l’action, mais un peu « brut » pour moi. C’est surtout dans le caractère et la psychologie des personnages qu’à mon sens le roman manque de profondeur. Jeanne a des phobies, mais on ne sait pas d’où elles viennent, on aimerait également en savoir plus sur son ancien professeur maintenant handicapé, de même que sur son couple. La police semble vraiment stupide, menée par le bout du nez par celui qui se fait appeler Le Prince et courant en tous sens. Les flics utilisent un langage argotique qui montre parfaitement leur niveau intellectuel et je m’autorise à penser que dans ce cas-là, nous ne sommes pas si loin de la réalité… Quant à la pauvre Jeanne, elle ressemble assez à une marionnette manipulée de part et d’autre, et pas à la chercheuse ou prof brillante qu’on aimerait rencontrer. De plus, j’aurais aimé que la fin soit un peu plus développée…

Mais L’insigne du Boiteux reste cependant un polar agréable, si le cœur vous en dit.

 Liliba : les lectures de Lili...

L’insigne du boiteux
Thierry Berlanda
Editeur : La Bourdonnaye (26 février 2014)

266 pages ; 15,99 €

 

Présentation de l’éditeur.

Un assassin, qui se fait appeler le Prince, exécute des mères de famille sous les yeux horrifiés de leurs jeunes fils âgés de 7 ans. Opérant à l’arme blanche avec une rare sauvagerie, le meurtrier taille ses victimes en lanières. Telle est la punition qu’il inflige. Mais qui punit-il ? Et de quoi ? Pour répondre à ces deux questions fondamentales, le commandant Falier s’adjoint les services du professeur Bareuil, spécialiste des crimes rituels, « retraité » de la Sorbonne, et de Jeanne Lumet, qui fut sa plus brillante élève. Or la jeune femme est mère d’un petit garçon de 7 ans. Détail qui n’échappera sans doute pas au Prince…

Dès les premières pages, l’auteur nous plonge dans une descente vertigineuse au fin fond de la folie meurtrière. Certaines figures cauchemardesques prennent vie dans notre réel. Le Prince est de celles-là. Gageons que cette créature qui se nourrit de nos peurs hantera longtemps nos mémoires.

Thierry Berlanda est écrivain, philosophe, auteur-compositeur et conférencier. Ses romans explorent des genres très différents. L’Insigne du Boiteux est le premier qui paraît aux éditions La Bourdonnaye.

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02/05/2014 | Lien permanent

Le Duel, d’Arnaldur Indridason

duel2.jpg

Une chronique de Jacques

Le dernier Indridason : jeu d’Échecs, intrigue policière et géopolitique pour le match Spassky-Fischer de 1972 !

 Le Duel, c’est celui qui opposa les deux joueurs d’échecs Boris Spassky et Bobby Fischer en 1972 à Reykjavik. L’écrivain islandais a choisi de placer sa nouvelle intrigue policière dans le contexte, mythique pour tous les joueurs d’échecs de la planète, de ce match fabuleux qui vit se défaire – pour un temps assez bref – la suprématie mondiale de l’URSS sur le monde des échecs au détriment des États-Unis. Le contexte de guerre froide et l’affrontement sans concession entre les deux blocs donnaient à ce championnat du monde une importance politique indéniable. Victoire du « Monde libre » pour les médias occidentaux si Fischer l’emportait, supériorité confirmée du système soviétique sur le capitalisme pour les Russes si Spassky conservait son titre : dans les deux cas l’obtention du titre serait affichée par le camp vainqueur comme une victoire politique de son système sur le système adverse. Même si chacun savait que cette utilisation maximale des symboles pour démontrer la prédominance d’un camp sur l’autre n’était que pure propagande, le jeu d’Échecs servait d’alibi pour masquer des considérations géopolitiques qui le dépassaient largement. Pendant quelques semaines, l’Islande devint le lieu où se focalisèrent les médias du monde entier : on n’a sans doute jamais autant parlé de ce petit pays qu’en cette année 1972.

Comment, dans ce contexte, Indridason s’y prend-il pour mêler une intrigue policière avec ce match au sommet ? Le plus simple aurait été que celui-ci serve simplement de toile de fond à une enquête en cours. Plus ambitieux, le créateur du personnage d’Erlandur Sveinsson a décidé de  lier de façon plus intime ce « duel » et une enquête sur l’assassinat à l’arme blanche d’un jeune homme de dix-sept ans dans un cinéma de Reykjavik.

C’est Marion Briem et son collègue Albert qui en sont chargés, et ils vont être pendant les premiers jours dans le brouillard le plus épais. Pourquoi ce jeune homme banal, passionné de cinéma, dont la seule originalité était d’enregistrer sur des cassettes audios les bandes sonores des films qu’il allait voir, a-t-il été l’objet de cette agression meurtrière ? Pourquoi son magnétophone et la serviette dans laquelle il mettait ses enregistrements ont-ils disparu ? C’est cet élément qui va les mettre sur la solution de l’énigme. Indridason nous a concocté une intrigue qui mêle étroitement histoires personnelles, diplomatie, géopolitique et championnat du monde d’Échecs. Nos deux enquêteurs tentent de dénouer les fils pas à pas, et peu à peu le brouillard dans lequel le lecteur est plongé s’éclaircit miraculeusement.

Dans le même temps, en alternance de chapitres avec cette partie policière, nous découvrons le passé de Marion, son enfance marquée par la tuberculose qui restait à cette époque un fléau redoutable, mais aussi par un secret de famille qui pèse encore sur sa vie d’adulte, longtemps après. Marion qui, envoyée au sanatorium de Kolding pour y être soignée, rencontre Katrin, une enfant de son âge bien plus atteinte qu'elle par le mal, avec qui elle va entamer une longue relation d’amitié amoureuse.

L’épaisseur des principaux personnages est ce qui fait la richesse de ce livre. Marion et Katrin nous entrainent dans les difficultés de leur maladie et nous font vivre les répercussions que celle-ci va avoir sur leur vie d’adulte, même guéris. D’autres personnages sont fortement campés, comme celui de Vidar, communiste islandais qui travaille à la compagnie d’électricité de Reykjavik et qui semble étroitement lié à l’affaire... mais de quelle façon ? Nous ne le saurons que dans les dernières pages du livre.

L’affaire résolue, Marion voit apparaître au commissariat un jeune homme inconnu, au visage triste : « de taille moyenne, râblé sans être enveloppé, il avait une épaisse tignasse qui tirait sur le roux. Son visage respirait l’intelligence, sa bouche était volontaire, mais ses yeux étaient marqués de profonds cernes qui lui parurent assez étranges chez un jeune homme aussi jeune ». Il vient d’être nommé à la circulation. Il se nomme Erlandur Sveinsson. La boucle est-elle bouclée ?

Jacques (lectures et chroniques)

 

Le duel
Arnaldur Indridason
Editions Métailié, bibliothèque nordique (Noir)
Traduit de l’islandais par Éric Boury
320 pages ; 19,50 €

 

 

 

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25/02/2014 | Lien permanent

Miss Lily-Ann, de Lucienne Cluytens

miss-lily-ann.jpgUne chronique de Cassiopée 

 

C’est avec un rythme enlevé, sans longue description ni fioriture inutile que Lucienne Cluytens nous emmène pour suivre l’histoire d’une usine et celle de la « famille » (au sens propre et figuré) qui « l’anime. »

 Liliane ou Miss Lily-Ann ne possède que cinq pour cent des parts de l’entreprise et pourtant celle-ci est toute sa vie. Elle se donne à fond pour son développement, ne manque pas d’idées, de projets et réussit quelques petites magouilles financières qui apportent suffisamment de confort. Elle s’est tournée vers les japonais pour trouver des solutions à la crise …. Mais tout ceci n’est pas très net … Malgré tout, elle peut compter sur le soutien sans faille d’une secrétaire (comme en souhaitent toutes les femmes de patron un peu trop charmeur), discrète, efficace, neutre, âgée et plutôt insipide dans son look…

Cette dernière va tous les vendredis, faire un compte-rendu des affaires de la semaine à la vieille tante Blanche qui a, bien entendu, son mot à dire dans l’organisation de la fabrique textile. Sauf que Florence joue les agents doubles et ne dit que ce qu’elle veut (en accord avec la patronne) à cette femme qui ne se doute de rien… Voilà qu’avec un regain d’énergie surprenant pour son âge, cette « tantine » se décide à monter un dossier « en béton » contre Liliane.

Elle n’aura pas le temps d’achever sa tâche puisque sa « bonne » la retrouve morte, assassinée, un matin.

Présenté comme cela, on arrête Miss Lily-Ann, hop on la met en prison et le livre est terminé…

 Ce serait trop facile… L’auteur va nous emmener sur des chemins de traverse, distiller au compte-gouttes des indices, nous proposant, au passage, de mener l’enquête en parallèle avec deux policiers qui ne s’entendent pas vraiment, chacun partant sur ses propres idées et n’écoutant pas souvent l’autre.

 Des dialogues enlevés, des rebondissements, pas de digressions superflues, une ambiance  de province, bien décrite, où tout se sait « mais moi ce que j’en dis… », où chacun observe les gestes de l’autre, les disséquant et les décortiquant, un microcosme familial complexe et riche en découvertes, tout cela est porté par une écriture vive et rapide. On ne s’ennuie pas une seconde en lisant ce roman et moi qui avait précédemment, trouvé le style de Lucienne Cluytens, trop « lisse », je reconnais qu’elle a bonifié le fond autant que la forme. Je me demande si elle n’a pas pris plus de plaisir à écrire cette histoire…

 Toujours est-il que les rouages de l’intrigue sont « emboîtés » de main de maître, que le lecteur peut prendre le temps de chercher lui aussi, un peu à la manière de l’homme à la casquette, le cher Sherlock Holmes, c'est-à-dire lentement, pas à pas, mais sûrement et surtout en observant et en écoutant tout ce qui passe à portée des yeux et des oreilles.

 Si vous tenez et ne lisez pas la fin avant d’y arriver, vous pourrez tester votre capacité à analyser les différents éléments disséminés de ci, de là et voir si votre logique est aussi bonne que celle des enquêteurs.

 Bonne lecture et surtout bonne enquête au pays de Miss Lily-Ann !!!

 

 Titre : Miss Lily-Ann
Auteur : Lucienne Cluytens
Éditeur : Nouvelles éditions Krakoen (1 octobre 2013)
Collection : Polar
Nombre de pages : 285
ISBN : 978-2367940335

 

Quatrième de couverture

 

Miss Lily-Ann, entreprise textile nordiste, intéresse les Japonais, mais les actionnaires ne veulent pas en entendre parler. Plutôt mourir que de céder à l'envahisseur asiatique ! Justement, la police trouve qu'on meurt beaucoup dans les environs. A profitent les crimes ? Aux investisseurs japonais ou à la directrice de l'entreprise ? Dynamique, charismatique et ambitieuse, Liliane Barré est le suspect idéal. A moins qu'elle ne devienne une cible à son tour.


 

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30/10/2013 | Lien permanent

Opération Champagne, de Jean-Paul Fosset

operation_champagne.jpgUne chronique d'oncle Paul  

Une jeune fille, appelons-la Hermine, de bonne naissance, s’enfuit de chez son père, une cassette à la main et s’engouffre dans un café, le Valentino, à Troyes. Elle rejoint un inconnu, appelons-le X ou encore Geiger, en provenance de Paris, et qui apparemment n’effectue pas ses déplacements sans but. Ce pourrait être un pan de la vérité, de ce qui s’est réellement déroulé, du moins selon les déclarations de quelques témoins. Peut-être ceci ne s’est pas passé tout à fait de cette façon, mais dans le doute gardons cette version pour confirmée à défaut d’être authentique et certifiée. Cette jeune femme est habillée d’une robe rouge. X, ou Geiger, est connu des services de police comme un personnage évoluant pour le compte d’un service de l’état sans que son appartenance à telle ou telle administration plus ou moins secrète soit avérée. Tout ce que l’on sait, c’est que X, appelons-le définitivement Geiger, se déplace en Jaguar et qu’il est vêtu d’un costume de marque, sous lequel est dissimulé une arme à feu extra-plate. Une supposition du commissaire d’Artagnac, lequel se trompe rarement, ou peu souvent.

Le commissaire d’Artagnac, et ses hommes, sont chargés de résoudre l’énigme de la disparition d’Hermine, à moins qu’il s’agisse d’un enlèvement. Pourtant les forces de l’ordre ont d’autres chats à fouetter, ayant été réquisitionnées pour une toute autre mission. Le président a gagné précipitamment la résidence du fort de Brégançon, oubliant d’avertir le principal intéressé dans ce départ précipité, son premier ministre.

Donc Hermine, qui a suivi volontairement ou non Geiger, possède un petit coffre qu’elle garde précieusement par devers elle. Et Geiger est intrigué par le contenu de cette cassette. Ou, au contraire, il sait pertinemment ce qui se dissimule à l’intérieur et dans ce cas le voyage entrepris en compagnie d’Hermine équivaudrait à un impératif. Et cette robe rouge portée par Hermine est tout aussi énigmatique, se rétrécissant, collant à la peau en certaines circonstances, et constitue un véritable mystère pour d’Artagnac et les différents protagonistes auxquels il a recours. La robe ne serait pas rouge mais blanche ou écrue, ou si elle est rouge elle ne serait pas teintée naturellement.

D’Artagnac rencontre des conservateurs d’archives, des responsables de bibliothèque, des érudits et emmagasine livres et archives qu’il dépouille avec voracité, fébrilité et impatience dans son bureau. Même ses adjoints sont attelés à cette tâche.

Cette cassette en argent finement ciselé est apparue pour la première fois, pour ce que les écrits en révèlent, en l’an 407, en possession d’un chef Vandale qui dressé sur son cheval s’oppose à Nicaise l’évêque de Reims. Lors de cette confrontation le Vandale décolle la tête de Nicaise, mais celui-ci n’en perd pas la tête pour autant, métaphoriquement parlant, et continue à avancer et parler comme si de rien n’était. En d’autres circonstances historiques elle resurgit lors d’événements importants et sanglants. Une cassette liée à des troubles situés à Bar-sur-Seine, Troyes ou Chalons. Principalement les guerres de religion entre catholiques et réformés ou huguenots, mais aussi en d’autres circonstances, liées à des crimes de sang et des massacres.

Cette intrigue en forme de trompe-l’œil même habilement récit historique, ésotérisme et fantastique. Le lecteur est un spectateur assistant à une mise en scène qui relèverait de la magie : des personnages face à un miroir dans lequel se reflèteraient leurs images avec l’impression de ne plus pouvoir distinguer de quel côté de la glace se situent les vrais de leur représentation.

Un roman insolite, baroque, déstructuré, hypnotique et magnétique. Entre histoire d’hier et d’aujourd’hui, le lien est ténu, comme sur le fil du rasoir, ou d’un couteau.

Les lectures de l'oncle Paul

Jean-Paul FOSSET
 Opération Champagne.
Collection Polars en Nord n°96. E
ditions Ravet-Anceau.
192 pages. 9€.

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23/12/2011 | Lien permanent

Balancé dans les cordes, de Jérémie Guez (chronique 2)

balancedanslescordes.jpgUne chronique de Thierry.

KO !
KO au septième round !
Le lecteur, bras ballants, livre ouvert à la dernière page entre les mains, bouche bée, sonné, groggy.
Ce deuxième roman, noir, très très noir, de Jérémie Guez frappe fort, très fort.
Après le superbe «Paris la nuit» et ses nuits blanches, ce jeune auteur récidive et gagne haut la main le combat du deuxième roman.
Merci aux Editions La Tengo, «petite» maison d’édition qui a tout d’une grande !
La Tengo, fondée en 2008 par Frédéric Houdaille, c’est que du bonheur de lectures, toutes catégories confondues : l’indispensable série Polar’and’Rock des Mona Cabriole (ha, Mona, je t’aime), deux revues quasiment mythiques, voire légendaires, «Charles» et «Schnock», et des romans déjà prometteurs.
Et ce «Balancé dans les cordes» tient ses promesses.
Il a d’ailleurs été retenu pour la sélection Automne du Prix SNCF du Polar et le réalisateur Yann Gozlan («Captifs», «Echo») prépare une adaptation cinématographique du livre.
Phrases courtes percutantes, personnages chauds bouillants et dialogues à vif.
Tony (sur)vit dans une cité d’Aubervilliers, le 93.
Il boxe chez Patrick son entraîneur. Il va bientôt passer pro.
Il bosse dans le garage de son oncle.
«Pas beaucoup de travail au garage...Je glande toute la journée, je range, je nettoie. Fermeture à 18 heures, je file à la salle comme tous les soirs.»
Sa mère fait le tapin et fume des joints.
«Ma mère dit que je ressemble à mon père. Elle est tombée enceinte de lui à 17 ans. Et puis il s’est barré..
Fils d’un gitan inconnu...de passage.
Sa mère se fait tabasser par des dealers.
Tony veut se venger et va mettre un pied dans le milieu où tous les coups sont permis.
Miguel le caïd d’un bar à tapins.
Jean l’émouvant...heureux les simples d’esprit !
Assad, Abdir les hommes de main.
Bachir l’invisible.
Patrick qui tente d’oublier les coups de la vie.
Clara la belle bourgeoise inaccessible.
Moussad l’ami des coups durs.
Les émeutes de banlieues, le bordel et les bagnoles qui crament.
L’histoire monte en puissance, gagne aux points (poings) jusqu’au final...terrible, imparable !
Allez Jérémie, ne jette surtout pas l’éponge, on attend le suivant avec impatience...jamais deux sans trois !
«A ce moment-là je me dis que ma vie de merde me va comme un gant, même si je sais que ça ne va pas durer

Thierry Cousteix

Sur ce roman : la chronique de Catherine/Velda

Balancé dans les cordes,
Jérémie Guez,
La Tengo éditions
190 pages ; 17 €

Présentation de l'éditeur

Tony est un jeune boxeur; garçon sans histoires, il consacre sa vie au sport, prépare son premier combat pro et se tient à l'écart des trafics qui rythment la vie de sa cité. Mais il doit composer avec une mère à problèmes, qui se laisse entretenir par des voyous. Tout dérape lorsque l'un d'entre eux la bat et l'envoie à l'hôpital. Tony décide de faire appel à Miguel, le caïd de la ville, pour étancher sa soif de vengeance. Mais dans ce milieu, rien n'est jamais gratuit. La faveur demandée à un prix, celui du sang. Tony, qui doit payer sa dette, entame alors une longue descente aux enfers... Balancé dans les cordes est le second roman de Jérémie Guez, l'auteur de Paris la nuit.

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09/10/2012 | Lien permanent

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