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26/04/2011

Entretien avec Maurice Gouiran sur "Franco est mort jeudi"

 Nous avons publié le 21 avril une chronique sur le roman de Maurice Gouiran Franco est mort jeudi. Voici un entretien - portant sur son roman et sur son travail d'écrivain- que Maurice Gouiran a bien voulu nous accorder. Qu'il en soit remercié.

 

Un Polar  Maurice Gouiran, pour les lecteurs qui ne vous connaissent pas, pourriez-vous vous présenter et nous parler – entre autre chose - de votre parcours d’écrivain ?

Maurice Gouiran  Mon parcours d’écrivain a démarré assez tard. Sans doute à cause de mon cursus scolaire qui m’a « enfermé » dans une filière et des métiers scientifiques (je possède un doctorat en mathématique), mais je suis aujourd’hui persuadé que cette formation constitue un atout pour mon écriture. J’ai donc débuté ma carrière de raconteur d’histoires assez tard, à plus de 50 ans, sans doute parce que j’avais alors emmagasiné suffisamment d’expériences et de rencontres pour nourrir mes romans.

Un Polar  Franco est mort jeudi se passe à notre époque, mais en arrière-plan il y a la guerre d’Espagne et le drame des républicains espagnols réfugiés en France dans des conditions dramatiques, un drame vécu dans le roman par Elisa et sa mère. Clovis Narigou, le narrateur, qui souhaite lui-même écrire un roman sur cette période, dit à la page 116 : « La relation de la Retirada d’Elisa et de sa mère m’avait suggéré un angle d’attaque pour ce roman, qui mûrissait lentement dans mon esprit depuis des années». Y a-t-il eu pour vous, comme pour Clovis, un élément déclencheur –témoignage familial ou amical, écrit ou oral- qui vous a poussé à vous lancer dans ce roman ? Etait-ce un roman que vous portiez en vous depuis des années ?

M.G. Bien entendu ! Lorsqu’on écrit sur un drame comme cette guerre civile qui a déchiré dans la haine les quartiers, les familles, les amis, et qui a été au centre de très beaux romans, il faut pouvoir avancer un élément nouveau, un «angle d’attaque » selon les termes de Clovis.

Cette guerre civile m’a profondément marqué pour plusieurs raisons. D’abord, les récits des survivants, des réfugiés espagnols que j’ai côtoyés, ont émaillé ma jeunesse. Ensuite, la relation artistique de ce conflit (Guernica de Picasso, Viva la muerte d’Arrabal, etc.) a souvent été violente et épique. Enfin, les renoncements de démocraties, les dissensions dans le camps des Républicains, les drames personnels, les familles broyées et la chape de plomb qu’a scellé un régime franquiste qui pointe toujours le bout de son nez dans une Espagne modernisée, sont des ingrédients forts d’une histoire exemplaire du XXème siècle.

Pour moi, le fameux «angle d’attaque » a été double. Il y a eu d’abord la découverte des charniers depuis 2000 et leur reconnaissance par Zapatero. Il y a eu ensuite les témoignages que j’ai pu lire sur Karaganda, ce goulag du Kazakhstan où Staline a enfermé les Républicains espagnols qui se trouvaient en Union Soviétique. J’avais donc ces deux informations à apporter à mes lecteurs en arrière plan de mon intrigue et de mes personnages qui sont constamment à la recherche de leurs racines, donc de leur identité.

Un Polar  La documentation que vous avez réunie sur cette période est importante, la bibliographie de la fin du roman en témoigne. Comment avez-vous procédé ? Vous êtes-vous contenté des récits ou témoignages publiés (Orwell, Broué, London et bien d’autres) ou bien avez vous complété ces témoignages par des discussions avec des survivants de cette époque ? Avez-vous consulté des fonds d’archives espagnols, comme le fait le personnage de Paola à Avila ?

M.G. Le travail documentaire est, pour moi, important et essentiel. L’écrivain ne possède pas la légitimité de l’historien, donc il se doit d’être infaillible, et les faits et gestes de ce qu’il avance doivent être avérés (ce qui ne signifie pas qu’il doive rester insipide, incolore et inodore, en dehors de la mêlée, sans jamais prendre parti). En outre, la fiction doit toujours s’inscrire dans le cours de l’Histoire sans jamais le déformer.

Il existe plusieurs sources documentaires pour un auteur : des publications, des études, des bases de données, des témoignages... Toute sont importantes. Donc j’ai beaucoup lu, des écrits publiés à la fois par des républicains mais aussi des franquistes, des études (le fonds de la BDIC à Paris sur le sujet est important, il m’a révélé Karaganda). J’ai consulté des bases de données, celle d’Avila n’était pas accessible par le net, mais d’autres le sont. J’avais également beaucoup écouté les réfugiés républicains de la première génération, des anars, des communistes, des anciens du POUM, toute une génération en voie de disparition. Les récits des témoins sont d’une importance fondamentale, ce sont eux qui vont donner de la chair au récit. Bien entendu, leurs propos sont parfois partisans, déformés par le temps, magnifiés par les années, leurs visions sont ponctuelles, parcellaires, mais leurs mots et leurs émotions sont irremplaçables.

Un Polar  La fin du roman nous montre les liens étroits qui unissent certains nostalgiques du franquisme et la mafia russe. Pure fiction ou réalité ?

M.G. Réalité. Mais il n’y a pas que les nostalgiques du franquisme qui sont liés à la mafia russe ! Il est bien évident que, dans mon roman, les noms et les lieux concernant cette relation ont été modifiés, mais cette information n’est pas une exclusivité, je n’ai utilisé, ici aussi, que des faits largement diffusés.

Un Polar  Le roman se déroule à différentes époques : 1938, 1975, notre époque. Les narrations alternent d’un personnage à un autre, d’une époque à une autre d’un chapitre à l’autre, ce qui rend le récit plus nerveux et permet au lecteur de confronter des points de vue parfois opposés sur une même situation. Avez-vous beaucoup travaillé cette construction, ou bien s’est-elle imposée à vous tout naturellement ?

M.G.  C’est un type de construction que j’ai utilisé dès mon premier roman. Lorsque je me suis décidé à écrire, je me suis coupé de toutes les lectures afin de ne pas être influencé et de m’inventer un style. C’est ce type de découpage qui s’est alors imposé à moi, de manière naturelle. Cette façon d’écrire n’est pas neutre. Lors de mes interventions dans les lycées, je me suis rendu compte qu’elle pouvait indisposer des lecteurs qui ont besoin d’un récit linéaire (ou qui sont habitués à ce type de récit). Il existe donc, pour certains, un « ticket d’entrée » pour la lecture de mes polars.

Un Polar  Dans votre roman, les vieux républicains espagnols réfugiés en France depuis des décennies, qui ont été accueillis en France avec une incroyable hostilité de la part des autorités et parfois d’une partie de la population, ont du mal à raconter à leurs enfants la terrible arenitis qu’ils ont vécue à Argelès, cette « psychose née du sable, des vents, des barbelés et de l’absence de moindre espérance » pour reprendre vos mots. Est-ce quelque chose que vous avez constaté autour de vous ?

M.G. Beaucoup de mes romans évoquent l’immigration, ce qui est quand même assez logique dans une ville qui a connu une douzaine de flux migratoires majeurs en 120 ans. L’accueil a toujours été le même : hostile. Les Italiens au XIXème siècle, les Arméniens en 1924, les Espagnols en 1939, les Pieds-Noirs en 1962 ou les magrébins à partir des années 70 en ont fait l’expérience.

Lorsque l’immigration n’est pas une immigration économique (i.e. lorsqu’on ne quitte pas son pays parce qu’on y crève de faim pour essayer de vivre ailleurs) mais une immigration politique (on quitte son pays pour échapper aux massacres), comme ce fut le cas pour les Arméniens ou les Espagnols républicains, le problème de l’intégration se double d’une certaine difficulté à raconter à ses enfants ce qu’on a vécu. Il y a sans doute plusieurs raisons à cela, des connotations morbides, sexuelles, mais également le goût amer d’une défaite, les relents d’un échec qui risquent de dévaluer les parents aux yeux de leurs enfants.

Un Polar  Quel sera le thème de votre prochain roman. Est-il en cours d’écriture ? Ou terminé ?

M.G.  Mon prochain roman est terminé depuis quatre jours. C’est donc un scoop ! Il s’intitulera « Sur nos cadavres, ils dansent le tango ». Il traitera de l’Argentine des généraux et de l’aide considérable apportée par les militaires français à ce régime finalement assez peu connu. Tout le monde connait Pinochet et le Chili sans savoir que Videla et sa junte ont tué dix fois plus que Pinochet, mais d’une manière beaucoup plus discrète et selon des principes importées par les militaires français. Il est d’ailleurs curieux de constater le parcours de ces militaires français, dont certains étaient issus de la Résistance, qui ont entrevu les nouvelles formes de conflit en Indochine, théorisé les principes d’une guerre antisubversive qu’ils ont appliqués en Algérie (lors de la bataille d’Alger de 1957 notamment), avant de les exporter dans d’autres pays, et en Argentine en particulier.

Un Polar  Que pensez-vous de la situation du « genre polar », en France, aujourd’hui ?

M.G. Je crois que le vocable « polar » recouvre en fait de multiples pratiques littéraires qui n’ont finalement rien à voir entre elles. Pour moi, le polar s’inscrit fortement dans la réalité sociale et j’ai parfois l’impression que, compte tenu de l’insipidité d’une presse liée à de grands groupes économiques, le polar constitue l’un des derniers espaces de liberté. Je n’ai ni la prétention, ni la légitimité pour juger cette production littéraire, mais je peux témoigner de ma satisfaction de noter qu’une certaine fraternité unit les auteurs de polars et de noir.

 

Vous pouvez lire une chronique d'Ishtar sur le roman Franco est mort jeudi, à cette adresse.

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