24/04/2011
Arrêtez -moi là, de Iain levison
Une chronique d'Eric
Iain Levison s’est toujours préoccupé du sort des plus petits, des sans- grades de la société, de ces êtres que la vie malmène et trimbale de petits boulots précaires en existence de bohème malheureuse (l’un de ses premiers livres s’intitule d’ailleurs « tribulations d’un précaire »).
Cette fois ci, il nous embarque dans le taxi de Jeff Sutton, quadragénaire bedonnant et débonnaire dont la vie sans relief va brutalement virer au tragique à la suite d’une rencontre malheureuse et d’une machination machiavélique. Accusé de l'enlèvement, de l’agression et du meurtre supposé d’une fillette de douze ans (il s'est trouvé au mauvais endroit, au mauvais moment), Jeff est arrêté, puis emprisonné dans le couloir de la mort. L’humour savoureux du romancier transparaît dans ce passage où il fait dire à son personnage :
« Je suis dans le couloir de la mort parce que c’est l’endroit le plus sûr où me mettre …On a donc trouvé un moyen de me protéger en me donnant ma cellule personnelle dans le couloir de la mort. Je médite sur l’ironie d’une mesure qui consiste à me placer pour ma sécurité parmi des hommes dont la mort est programmée » (page 59).
Les jours s’écoulent monotones, constitués des ressassements des questions sans réponses ,de l’enfermement qui ronge et de la douleur physique qui de temps à autre vient se substituer au malaise moral. Curieusement notre héros malgré lui trouvera un certain réconfort auprès d’un serial killer plein d’esprit qui lui révélera le mécanisme impitoyable du système judiciaire made in U.S.A .Au moment de la sentence, il songe à ce que ce dernier lui a appris des rouages secrets du pouvoir fédéral :
« Robert m’en avait montré et dit suffisamment sur sa vision du monde pour que je sache que ça arriverait. Ils n’ont jamais vraiment cherché à arrêter le véritable coupable(…);ça aurait été super d’arrêter le vrai coupable ,mais ça n’était pas une nécessité. Quand une fillette de 12 ans est enlevée à sa riche famille, vous ne pouvez pas ne pas exhiber quelqu’un.
Ils m’ont exhibé moi. » (page 163)
On ne peut pas ne pas songer au « Procès » de Kafka et à l’étrange hostilité des témoins convoqués à la barre pour condamner Meursault dans « L’étranger » d’Albert Camus. Tout le talent de l’écrivain est de rendre tangible la frustration et le sentiment d’impuissance d’un homme qui se résigne à être « ce coupable » que d’autres ont voulu qu’il soit. Progressivement, le lecteur s’aperçoit que Jeff Sutton a été dépossédé de son sentiment de liberté et que le retour à la « vraie vie » ne se fera jamais. Si l’homme n’est jamais totalement innocent, il n’est pas difficile d’en faire un éternel coupable d’une faute à expier.
Présentation de l'éditeur
Charger un passager à l'aéroport, quoi de plus juteux pour un chauffeur de taxi ? Une bonne course vous assure une soirée tranquille. Ce soir-là, pourtant, c'est le début des emmerdes... Tout d'abord la cliente n'a pas assez d'argent sur elle et, pour être réglé, il vous faut entrer dans sa maison pourvue d'amples fenêtres (ne touchez jamais aux fenêtres des gens !). Plus tard, deux jeunes femmes passablement éméchées font du stop. Seulement, une fois dépannées, l'une d'elles déverse sur la banquette son trop-plein d'alcool. La corvée de nettoyage s'avère nécessaire (ne nettoyez jamais votre taxi à la vapeur après avoir touché les fenêtres d'une inconnue !). Après tous ces faux pas, comment s'étonner que deux policiers se pointent en vous demandant des comptes ? Un dernier conseil : ne sous-estimez jamais la capacité de la police à se fourvoyer ! Dans ce roman magistral, Levison dissèque de manière impitoyable les dérives de la société américaine et de son système judiciaire.
Biographie de l'auteur
245 pages Collection : LITTERATURE Prix : 18 € |
08:37 Publié dans 02. polars anglo-saxons | Lien permanent | Commentaires (1) | Facebook | |
Commentaires
Pour ma part j'ai beaucoup aimé ce roman, qui en partant d'un fait véridique ne tombe pas dans le piège du voyeurisme et du bon sentiment distribué à la louche. Avec un personnage témoin de sa propre descente aux enfers , qui ne se révolte pas et qui vit sa situation comme une fatalité contre laquelle il ne peut rien, si ce n'est souligner avec force ironie l'absurdité d'un système qui le détruit, Levinson nous fait la démonstration qu'il n'est pas besoin d'effet de manche ou d'un scénario à moult rebondissements pour décrier une machine aveugle qui broie autant les coupables que les innocents qui passent entre ses mains. Un des meilleurs livres que j'aurai lu cette année!
Écrit par : Bruno | 24/04/2011
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