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25/02/2023

Fatum, de Sylvie Callet

fatum.jpgUne chronique de Cassiopée

Habiter une cité, c’est déjà être étiqueté, comme si sur le front un coup de tampon indiquait « banlieue chaude ». Alors forcément, pour ne pas faire mentir les clichés, les jeunes traînent leur « seum », causent argot, dealent éventuellement, font sauter les cours, et se cherchent. Faut dire que leurs parents triment : usine, ménages, pas le temps de dialoguer, de construire une personnalité, de vivre de bons moments en famille, pour peu que le père aime la bouteille et que la mère soit un peu « éteinte », ou soumise.

Cette histoire pourrait se passer à côté de chez nous, ou dans la ville voisine, elle a des accents de vérité, de réalisme qui fait mal, de peur, d’angoisse et parfois d’amour parce qu’il y en a là-bas également même s’il n’est pas toujours exprimé.

Dans ce roman bluffant, Sylvie Callet nous prend aux tripes, son écriture fait mouche que ce soit avec l’argot ou une langue plus soutenue teintée de poésie (pour un texte en italiques rempli d’une émotion exceptionnelle). Elle sait manier les mots, avec brio. Cela donne de la profondeur à son récit car chaque terme bien choisi apporte un éclairage sur une scène, la personnalité ou les ressentis d’un protagoniste ainsi qu’une fine analyse des maux de notre société.

Que fait-on pour accompagner ces jeunes, dont certains sont déjà à la dérive et ne trouvent qu’une façon d’exister : la radicalisation ? Dans « Fatum » (qui signifie fatalité, destin), le quotidien est difficile mais Samia a trouvé une échappatoire, une bouée, une bouffée d’air au milieu de ce qui l’étouffe. Sa voisine, une femme âgée muette, lui prête des livres et elle les dévore. Cela lui permet d’espérer d’autres possibles, de croire en un avenir meilleur, de compléter ses connaissances. Bien sûr, sa meilleure amie Abby se moque d’elle. Son frère, Sohan hurle que la lecture ce n’est pas bon pour elle. Lui, il s’est décidé, il va écouter Kévin, devenu Younès, qui l’entraîne dans ses dérives. C’est ça la vraie vie et il va surveiller sa frangine, même si, de temps à autre, il hésite, se demandant s’il a raison d’agir ainsi.

Les chapitres parlent tour à tour, de chaque adolescent qu’on suit dans ses journées. On assiste impuissant au rejet, aux manques de suivi, aux interrogations qui les rongent, aux essais de faire autre chose autrement, aux erreurs assumées ou non… C’est, malheureusement, souvent noir et très réaliste. Oui, c’est compliqué, parfois impossible, de s’en sortir quand on a déjà été catalogué. À quoi bon lutter, pour qui ? Pour quoi ?  Ces jeunes sont parfaitement présentés dans leurs failles, leur angoisse (même en « jouant aux grands »  ce sont des gamins), leurs envies d’exister par eux-mêmes sans savoir comment s’y prendre.

Cet opus m’a bouleversée, remuée. L’auteur a su me toucher. Elle aborde des sujets graves, mais elle laisse une infime lueur d’espoir. Et le fait que cet espoir soit lié aux livres le rend encore plus merveilleux quand on sait la place qu’ils tiennent dans nos vies, et sans aucun doute dans celle de Sylvie Callet.

Éditions du Caïman (12 Janvier 2023)
ISBN : 978-2493739063
234 pages

Quatrième de couverture

Issue des quartiers, Samia, une lycéenne de 15 ans, rêve en secret de devenir écrivaine. Depuis qu’Amar, son père, est parti au bled, sa mère Sabine peine à joindre les deux bouts, son frère Sohan se radicalise, sa petite sœur Myriam devient ingérable. Abby, sa meilleure amie, submergée par un drame familial, part elle aussi à la dérive.