02/10/2012
Sacrifices, de Pierre Lemaitre
Une chronique de Jacques.
J’avais été bluffé il y a quelques mois par le deuxième volet de la « trilogie Verhoeven » : Alex, dans lequel Pierre Lemaitre nous révélait sa maitrise narrative en nous proposant deux basculements de situation qui nous déstabilisaient en bousculant nos certitudes. En effet, Alex, la jeune femme victime dans la première partie d’un inquiétant psychopathe, se révélait dans la deuxième partie aussi psychopathe que son agresseur, avant de redevenir à nouveau, dans la troisième partie qui nous proposait un nouvel éclairage de son passé, une victime expiatoire : du grand art !
Aussi, quand j’ai commencé la lecture de Sacrifices, je me doutais que j’allais être à nouveau bousculé dans des certitudes que le début du livre allait installer pour mieux les faire basculer par la suite : Pierre Lemaitre avait trouvé une technique qui fonctionnait du feu de dieu pour accrocher le lecteur, pourquoi en changerait-il ?
Au centre du roman, on retrouve le tout petit (1m45) commandant de police Camille Verhoven, dont le talent de flic est inversement proportionnel à la taille. Camille qui s’est difficilement remis de la mort brutale de sa femme Irène, a traversé une période de dépression profonde, puis a rencontré Anne, avec qui il tente – mais avec tant de difficultés – de reprendre goût à la vie.
L’histoire débute par le braquage sanglant d’une bijouterie, braquage dans lequel Anne, après avoir aperçu les truands, va être grièvement blessée et défigurée. Camille, qui normalement ne peut être chargé de l’affaire à cause de ses liens avec Anne, cache ceux-ci à sa hiérarchie afin qu’on lui confie l’enquête : c’est le point de départ fatal d’une manipulation alambiquée qui va bouleverser sa vie ! Anne, hospitalisée, est à nouveau menacée par le responsable du braquage, que Camille parvient rapidement à identifier.
Mais comme souvent chez Pierre Lemaitre, les apparences sont trompeuses, et Camille va en faire les frais car il va mettre trop de temps à comprendre qu’il est en présence d’une machination, et il en mettra davantage encore avant de découvrir le responsable de celle-ci ainsi que les raisons qui motivent le meurtrier.
Le roman est écrit au présent, ce qui s’accorde bien avec le souci de l’auteur de susciter un sentiment d’urgence, une sensation de danger permanent qui tient le lecteur en haleine. L’histoire est vue à travers les yeux de trois personnages : Camille, Anne et l’énigmatique tueur qui est le seul à s’exprimer à la première personne, ce qui nous permet de comprendre qu’il s’agit d’un homme intelligent et déterminé, mais ne lui enlève rien de son mystère… bien au contraire.
Pierre Lemaitre a une écriture coup de poing, il utilise des phrases sans fioritures, évite les adverbes et les adjectifs inutiles, ses descriptions de personnages ou de lieux sont aussi corrosives qu’efficaces, souvent non dénuées d’humour :
« Sur ce, voici le juge Pereira. Des yeux bleus, un nez trop long et des oreilles de chien. Soucieux, affairé, il serre la main de Camille tout en marchant, bonjour commandant, et derrière lui, sa greffière, une bombe de trente ans avec des seins partout, ses talons vertigineux résonnent sur les carreaux de ciment, quelqu’un devrait lui dire que c’est trop. Le juge sait qu’elle fait un tintamarre pas possible, mais bien qu’elle marche trois pas derrière, pas de doute, c’est elle qui mène la danse. Si elle voulait, elle pourrait même déambuler dans la galerie en faisant des bulles avec son chewing-gum. Camille trouve que Lolita, à trente ans, a viré franchement pute. »
Nous retrouvons certains des collègues de Camille que nous avions croisés dans les deux premiers romans de la série, mis à part Armand qui vient de mourir quand le roman commence, Armand dont l’avarice était légendaire mais qui avait malgré tout des qualités de cœur et que Camille aimait bien. Louis, l’ami fidèle, le dandy discret, presque timide, à la culture encyclopédique et à la richesse flamboyante est là lui aussi, prêt à aider Camille sans poser de questions, malgré les dérives de procédure que celui-ci va commettre dans son désir de sauver Anne.
Avec Sacrifices, Pierre Lemaitre s’est définitivement imposé comme un des grands du thriller et du polar français. Une intrigue tirée au cordeau qui parvient à surprendre les lecteurs les plus avertis, une écriture efficace, plaisante, sans graisse inutile, un personnage principal surprenant dont nous découvrons peu à peu le passé, les failles, les faiblesses et qui est suffisamment original et fort pour qu’on ne l’oublie pas… l’histoire est conçue comme une machinerie bien huilée qui happe le lecteur dans ses rouages : tout fonctionne parfaitement !
Jacques, (lectures et chroniques)
Une autre chronique sur ce roman, celle de Paul.
Sacrifices
Pierre Lemaitre
Editions Albin-Michel (3 octobre 2012)
362 pages, 20 €
Présentation de l'éditeur
La troisième enquête du commissaire Verhoeven touche au plus secret de sa vie privée : témoin du hold-up d'une joaillerie des Champs Élysées, Anne Forestier, sa maîtresse, échappe par miracle à la fureur meurtrière du braqueur. De ce truand virtuose, assez rapidement identifié, Verhoeven connaît les habitudes et le mode opératoire. De la victime à demi morte, il ignore beaucoup de choses… Le flic se lance à l'aveugle dans une traque acharnée qui va devenir une bouleversante affaire personnelle.
16:12 Publié dans 01. polars francophones | Lien permanent | Commentaires (1) | Facebook | |
Commentaires
Je suis tout à fait d'accord avec votre Chronique. Sacrifices confirme que Pierre Lemaitre est particulièrement habile pour embarquer le lecteur sur des faux-semblants avant que la véritable histoire n'apparaisse sous un angle bien différent. Une intrigue parfaitement construite.
Écrit par : Ray | 24/01/2013
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