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07/03/2013

Entretien avec Aden V. Alastair

Aden_Alastair_Portrait.jpgUn nouvel auteur talentueux dans le monde du polar, c’est un évènement à ne pas manquer ! C’est pourquoi, après la chronique de Cassiopée sur son premier roman la théorie des ombres, Cassiopée   a proposé un entretien à Aden V. Alastair pour le collectif un-polar,  entretien que nous sommes heureux de publier.

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Cassiopée.  Votre roman « La théorie des ombres » foisonne de références scientifiques, littéraires, historiques. Est-ce un choix délibéré ? Si oui, comment et pourquoi ont été choisies ces références ?

 Aden V. Alastair. Oui, c’est un choix délibéré, car, même si l'intrigue de La théorie des ombres est fictive, elle repose sur une véritable enquête historique. Cependant, gardons à l’esprit que les références culturelles sont avant tout au service de l’intrigue. Dans une œuvre de fiction, c'est l’aspect humain et émotionnel qui m’intéresse, bien plus que l’aspect purement intellectuel. Le but de la démarche artistique est donc de replacer l’humain au cœur de l’histoire.

On l'a compris : il ne s’agit pas de faire étalage de son érudition ou d’écrire un essai sous la forme d’un roman, mais d’ouvrir des portes sur des mondes souvent insoupçonnés afin que le lecteur puisse les emprunter, s’il le désire. Le roman devient ainsi un espace de liberté que chacun peut explorer à sa guise. Certains liront La théorie des ombres comme un récit d’aventures, d’autres comme un thriller, d’autres encore y verront une véritable réflexion philosophique. Quelles sont les forces qui agissent sur les protagonistes ? Y a-t-il un maître manipulateur qui tire les ficelles, ou bien les personnages sont-ils libres dans leurs décisions ? Y a-t-il intervention de puissances surnaturelles ? Aucune conclusion n’est imposée, et c’est à chacun de juger suivant ses affinités. L’auteur n’est là que pour servir de guide.

Sur le plan littéraire, plutôt que de parler de références, je dirais qu’il s’agit souvent de clins d’œil aux œuvres dont j’ai particulièrement apprécié la lecture, ceux de Dante, Shakespeare, Goethe, Edgar Poe, Baudelaire, Tolkien, Umberto Eco… Rendons hommage à nos maîtres ! Parfois, les références n'ont pas été « choisies », mais se sont imposées d’elles-mêmes. Par exemple, la visite de la cité médiévale de Carcassonne m'a tout naturellement fait penser au Seigneur des anneaux de Tolkien. L’histoire des docteurs nazis qui se sont livrés à des expériences sur les détenus des camps de concentration n’est pas sans évoquer la légende de Faust, un autre docteur qui a vendu son âme au Prince des ténèbres pour acquérir la connaissance. La scène de l’affrontement final de La théorie des ombres rappelle un passage d’Inferno de Dante... Et on pourrait multiplier les exemples.

 Cassiopée.  Dans votre livre, de nombreux lieux sont évoqués, dont certains avec précision, les connaissez-vous ?

Aden V. Alastair. Oui, j’ai tenu à visiter et « explorer » tous les lieux du récit en personne, et je me suis également entretenu avec les historiens qui travaillent sur ces sites. Ces lieux n’ont pas été choisis uniquement pour leur intérêt historique, mais aussi parce qu’ils sont autant de décors renforçant l’effet dramatique. D’où, probablement, cet aspect cinématographique du roman que vous mentionnez dans votre chronique. On pourrait considérer La théorie des ombres comme un voyage initiatique, les lieux du récit étant des étapes de cette initiation. Chaque étape de ce voyage a, d’ailleurs, une valeur aussi bien esthétique que symbolique. Les endroits rêvés sont importants également, car l’espace onirique prolonge et complète l’espace du réel.

Cassiopée.  Terre, eau, feu, air… quel élément vous représente le plus et pourquoi ?

 Aden V. Alastair.  J’hésiterais entre l’air et le feu, mais je pencherais plutôt en faveur du second. Le feu est à la fois symbole de passion et de connaissance ; il est à la fois destructeur et créateur. De plus, mon prénom est une variante d’Aodh, nom du dieu de la lumière et du feu de la mythologie celte.

 Cassiopée. Avez-vous des rituels d’écriture, lesquels ? De quelle façon travaillez-vous (étalez vous vos nombreux documents sur la table ;-) Stylo, feutre ou ordinateur ? Quel métier exercez vous à côté de celui d'écrivain?

Aden V. Alastair.  J’écris depuis que je sais tenir un stylo ; c’est simplement ma manière d’être, mon élément. Je ne pourrais imaginer mon existence sans écriture. J’emporte toujours un bloc-notes où que j’aille et j’y gribouille toute pensée, tout bout de texte qui vaut la peine d’être mis par écrit. Certains de ces bouts de texte se retrouvent dans mes romans, mais pas tous.

Lors des séances d’écriture, je travaille sur ordinateur et je consulte souvent les livres de ma bibliothèque. Lorsque je suis en panne d’inspiration, je lis les auteurs que j’apprécie ou j’écoute de la musique pour accorder mon humeur à l’ambiance que je veux créer dans mes écrits. Classique ou New Age pour les passages lyriques, rock ou métal pour les passages plus sombres ou les scènes d’action.

En dehors de mon travail de romancier, j’écris également de la poésie et, pour gagner ma vie, je rédige des documents scientifiques.

Cassiopée. Pourquoi avoir choisi un éditeur « militant » ?

Aden V. Alastair. Ah, la question épineuse du choix de l'éditeur ! Les mauvaises langues  diront qu'on ne choisit pas l'éditeur pour son premier roman, c'est  l'éditeur qui choisit ses auteurs. Les candidats à l'édition passent par  une sélection draconienne : en moyenne, seul 1 roman sur mille est retenu  par un éditeur, et il arrive que les auteurs envoient leur manuscrit à des  dizaines de maisons avant de recevoir une réponse positive (ou, n'ayant  reçu que des refus, laissent tomber...) Seuls 5 à 10% des premiers romans  trouvent preneur.
  Ceci étant dit, à ma grande surprise, j'ai reçu deux réponses positives,  et assez rapidement, d'ailleurs. Comme j'apprécie beaucoup les deux  éditeurs, le choix a été très difficile. J'ai choisi Ex Aequo, car c'est  un éditeur qui n'hésite pas à sortir des sentiers battus et prendre des  risques, et aussi parce qu'il publie certains auteurs que j'admire. Et  puis, ils m'ont contacté en premier, donc, vous connaissez le dicton...
  Pourquoi un éditeur militant ? Parce que La théorie des ombres a un côté  engagé. Le thème de la liberté de pensée y joue un rôle important, de même  que celui du combat contre la xénophobie et le racisme. L'histoire de  Thorndahl illustre bien ce propos : il s'est engagé dans la police  justement parce qu'il a été témoin - et même victime - de violence motivée  par la haine raciale. Ayant beaucoup voyagé d'un pays à un autre, je suis  très sensible au problème de la discrimination, et cette sensibilité se  reflète donc dans mes écrits.

Cassiopée.  Si vous aviez l’occasion de rencontrer un auteur contemporain, qui choisiriez vous,  et pourquoi ?

 Aden V. Alastair.  Umberto Eco ! Parce que c’est un auteur dont j’admire l’érudition et l’intégrité (ce que je ne dirais pas dans le cas de certains auteurs de best-sellers américains) et parce que ses œuvres ont été parmi mes sources d’inspiration.

 Cassiopée. Dans votre livre, il y a quelques zones d’ombre, laissant présager d’une suite. Quels seront les personnages que nous retrouverons ?

Aden V. Alastair.  J’ai déjà les synopsis de deux autres romans mettant en scène les enquêtes de l’agent Thorndahl. Si La théorie des ombres s'adresse avant tout aux amateurs de thriller historique, les opus suivants seront des thrillers purs et durs, mais ils auront tous comme fil rouge la réflexion sur la liberté. Je voudrais aussi dévoiler progressivement l'histoire personnelle de Thorndahl au fur et à mesure qu'avancera son enquête. Bref, beaucoup de surprises en perspective !

Cassiopée.  Vous vivez en Angleterre, écrivez vous aussi en anglais?

Aden V. Alastair. Je suis bilingue et j’écris également en anglais. Si je privilégie l’écriture en français, c’est avant tout par choix artistique. J’aime particulièrement la musicalité et l’élégance de la langue de Molière, et les influences des grands auteurs romantiques tels que Chateaubriand, Victor Hugo et Baudelaire ne sont pas étrangères à ce choix.

 Cassiopée.  Avez-vous autre chose à transmettre à vos lecteurs ?

Aden V. Alastair.  Je dirais : faisons de la résistance ! Il règne en ce moment un conformisme étouffant qui rend tout progrès artistique très difficile. C'est particulièrement vrai dans la littérature. Difficile de résister à cette avalanche de médiocrité que les médias déversent continuellement sur nous, difficile de former ses propres opinions lorsque nos cerveaux sont constamment soumis au bombardement publicitaire. Les librairies mettent en avant des titres dont la plupart sont d'un conformisme affligeant. Le polar s'en sort raisonnablement bien comparé aux autres genres, mais là aussi on commence à tourner en rond.
Pourtant, on ne manque pas de gens créatifs dans le monde francophone. Le problème, c'est qu'ils n'ont pas les moyens de s'exprimer, toucher un public suffisamment large, gagner en visibilité. Ayant fait partie d'une association dont la vocation était de promouvoir la littérature de l'imaginaire, je peux vous dire qu'il suffit parfois de peu de choses pour lancer un nouvel auteur ou illustrateur de talent. Un coup de pouce au bon moment peut faire toute la différence.
Posons-nous la question : l’art peut-il prospérer sans l’innovation ? La réponse me semble claire. Alors, osons soutenir l’innovation artistique !