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07/03/2013

Entretien avec André Blanc

andre_blanc2.jpgAndré Blanc est l’auteur de Tortuga’s bank,  publié aux éditions Jigal. Un excellent roman, que Cassiopée a chroniqué sur le collectif un-polar.

Comme nous le faisons chaque fois que c’est possible quand nous apprécions un auteur, nous lui avons proposé un entretien. Voici ses réponses aux questions que Cassiopée lui a posées.

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Cassiopée. Comment passe-t-on de la chirurgie dentaire à l’écriture de romans policiers ?

 André Blanc. La chirurgie dentaire est une profession étonnante. On fait souffrir son prochain, qui vous en est reconnaissant, qui vous paie pour cela, dans une relation praticien-patient, en fait dominant-dominé. C’est humoristique me direz-vous, mais objectif.  Et là on observe, par exemple, l’expression sociale de la douleur et ses conséquences. On tente alors de décrypter les scénarii familiaux, culturels ou religieux qui ont conduit à ces démonstrations. Il devient alors tentant de généraliser et d’imaginer les vies qui les ont générées. On est déjà dans le roman.

Quant à l’écriture de romans noirs, j’y suis venu par hasard, sur un défi. De culture classique, père agrégé, j’ai toujours beaucoup lu et j’avais toujours pensé que mon « talent » (terme générique pour : capacité à) devait s’exprimer par la musique, le dessin caricature (Saul Steinberg, mon maître), la peinture à l’huile et la pêche à la mouche. Ce que j’ai fait longtemps, dans une sorte de schéma de vie linéaire, tout en faisant de l’archéologie, de la politique et bien d’autres choses encore... Puis un jour est arrivé, ou lassée de mes critiques sur tel ou tel roman, ma femme m’a mis au défi d’en écrire un. Et moi, en bon mâle prétentieux, j’ai glissé la main dans le piège armé.

 Cassiopée. Avez-vous toujours écrit ?

 André Blanc.  Je n’avais jamais écrit, si ce n’est une thèse ou quelques publications scientifiques, d’où la souffrance réelle.

 Cassiopée. Êtes-vous l’auteur des livres, entre autres, sur Claudel et sur l’histoire de la Comédie Française ? Si oui, comment êtes-vous passé de ce type de contenu « très classique » à celui pour tourmenté des polars ?

 André Blanc. Non, un homonyme. Je suis passionné d’histoire, médiévale surtout, mais je ne suis pas historien.

  Cassiopée. Comment s’est imposée à vous l’idée de ce roman ? Votre expérience en tant qu’adjoint au maire a-t-elle été utile ?

 André Blanc.  On n’écrit jamais par hasard, même sur un pari. Il y a toujours une nécessité impérieuse àtortugas_bank.jpg exprimer un vécu, quitte à le durcir, ou l’enluminer pour qu’il soit racontable, et faire vivre tout cela par des personnages, un peu nous-mêmes, un peu autres aussi, car si nous vivons tous la même chose, nous la vivons tous différemment.

Et, puisque j’étais dans le défi littéraire me suis-je dit : pourquoi pas une trilogie : donc 3 titres : Farel, Tortuga’s Bank, Smørtsen Capo. Un pari fou pour un crane un peu fêlé sans doute.

Tortug’as Bank que vous avez lu, est donc le deuxième tome. Le premier, Farel, n’a pas encore trouvé d’éditeurs. Il m’avait manqué une voix pour le prix de Quai des Orfèvres pour qu’il décolle… J’avais commis l’erreur de faire seul ma recherche d’éditeurs, d’où une galère classique, épuisante, vaine.

Mais depuis que j’ai rencontré Pierre Astier, les choses commencent enfin à bouger. Mais je suis confiant, extrêmement déterminé et la trilogie sortira, car à lire vos critiques, j’ai la certitude que c’est réalisable… Le troisième tome, Smørtsen Capo est à l’écriture, et je sais donc qui est Lupus, puisque le dernier chapitre est écrit. Mais chut !

Mon père, très impliqué politiquement, avait été, entre autre, dans les années 70 et 80 adjoint au maire de Lyon. Scénario parental sans doute, j’ai suivi, élevé dans la notion que nous participons tous à une construction humaine et que nous devons nous impliquer personnellement si nous voulons revendiquer une transmission.. J’ai donc joué le jeu.

L’expérience politique a été enrichissante humainement, mais pas déterminante pour l’écriture, car les travers que je décris sont universels. C’est vrai que dans les cercles du pouvoir, les déviations et le mépris des hommes s’y exercent avec un raffinement redoutable.

 Cassiopée.  Quand écrivez-vous, à quel rythme ? Avez-vous des « tics » d’écrivain ?

 André Blanc.  J’écris selon mon plaisir. J’ai mon livre dans la tête, omniprésent, le tricotant et le détricotant à l’envie, comme Pénélope (oui, je sais elle brodait !), cherchant un équilibre, une réplique, un personnage. Le texte doit être, pour moi, une mélodie, un fleuve qui nous emporte. Je le construis au fil des rencontres, des souvenirs, des images que je croise, des mots que j’entends. La caricature à l’école de Steinberg, m’a appris à dépouiller le dessin à l’extrême, pour n’y laisser que le trait et le point. Dans les Mémoires d’Hadrien, Yourcenar fait dire à l’empereur pour décrire son père : « Mon père était un homme accablé de vertus » Point final. Tout est dit.

            Je cherche donc les mots et les phrases signifiants, ceux qui déclenchent des images perdues, des rêves oubliés, des saveurs de madeleines. Mais pour quelques minces réussites, que d’échecs, que de scories!

Je ne supporte pas, à la lecture d’un roman, me surprendre à tourner et sauter des pages pour avancer plus vite, ou bien découvrir des mots qui ne sont pas à leur place.  Je m’aperçois aujourd’hui que certaines têtes de chapitres de Tortuga’s Bank, quelques mots sur le temps ou la chaleur, ces simples lignes, sont inutiles et n’apportent rien à la narration.

Mes tics ? J’écris seul, dans mon bureau, mon antre, mon cocon, avec une bande son, toujours la même, de Liszt à Miles Davis en passant par Brahms et Albeniz.

 Cassiopée.  Comment avez-vous construit ce roman ? Aviez-vous un canevas, une idée de départ et de fin (j’ai beaucoup apprécié le début et la fin en «échos » ? Ou seulement des personnages et un début ?

 André Blanc.  Dans un roman, on croise des personnages à un instant de leur vie, on les quitte un peu plus loin. L’avant et l’après nous échappent et je comprends bien que le lecteur puisse être frustré de cette ignorance, mais c’est aussi le jeu du mystère et de l’imagination. Et si l’auteur parle de lui, il parle aussi et surtout de nous. D’où une nécessité d’être avare de mots, pour ne pas enfermer l’imagination.

                  Le temps de cette histoire fugace oblige à une cohérence,  la fin doit clore le début, d’ou la nécessité, me semble-t-il, de cette fin préalablement écrite, qui m’attirera jusqu’à la fin. C’est en effet mon seul levier sur le destin de ces personnages qui au fil de l’écriture tentent de vivre leur vie, pour m’emmener ailleurs, ce qui fait que je passe mon temps à les ramener vers le but. Certes ils revivront après, mais sans moi cette fois.

                  Un scénario noir ne peut pas avoir une fin mièvre ou un happy-end sur l’oreiller, car on est dans le drame. D’où le choix des personnages. Certains idéalisés, d’autres non, avec cette constance, je m’efforce toujours de montrer que l’Homme n’est pas manichéen, mais porteur et du noir et du blanc, et j’aime opposer par exemple la foi religieuse au crime sordide ou montrer que le pire assassin peut être, sans aucun doute aussi, un bon père de famille.

 Cassiopée.  Accepteriez-vous de vous présenter en utilisant une chanson, une couleur, un lieu ? Pouvez-vous nous expliquer vos choix ?

 André Blanc.  La chanson Ma fille de Reggiani : l’écouter dispense d’explication.  Le jaune qui symbolise la lumière et le désert qui pousse à l’introspection.

 Cassiopée.  Je vous propose une adaptation filmée de votre livre et je vous laisse choisir les acteurs ? Qui choisissez-vous et pourquoi ?

 André Blanc.  
Farel : Vincent Cassel -  une gueule, un physique, un caractère.
Maud : Diane Kruger – Douceur, féminité, gracile, yeux azur.
Lucchini : Gaspar Ulliel – Parfait second, caractériel.
Aknin (le légiste): Simon Abkarian , méditerranéen, un grand acteur...
Vauclin : Olivier Gourmet – toujours remarquable dans des rôles de Pouvoir.
Juge Fournier : Audrey Fleurot – Un physique maternel, un jeu redoutable.
 …etc

 Cassiopée.  Avez-vous des choses à transmettre à vos lecteurs ?

  André Blanc.  Peut-être une mise en garde. En effet, même si sous couvert de création et de belle littérature, nous écrivons des romans noirs que l’on aime et qui nous transportent, nous en décrivons pas moins notre humanité dans ses côtés les plus sombres, parfois les plus méprisables, et surtout que l’homme est et restera toujours un loup pour l’homme.