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19/02/2014

Tuez qui vous voulez, d'Olivier Barde-Cabuçon

 tuez_qui_vous_voulez.jpgUne chronique d’Albertine.

 

 C’était donc ça la fête des fous 

 

 Lecture fluide, amusée, complice, étonnée...tout ce qu’un lecteur peut souhaiter lui est offert dans ce dernier roman d’Olivier Barde Cabuçon. Nos retrouvons son art de conduire le récit, kaléidoscope de situations qui font avancer l’enquête, du moins le croyons-nous ; l’humour, qui autorise tellement de transgressions ; l’esprit anarchiste voire potache du Moine qui sait montrer son cul à qui de droit ; le sérieux frigide mais passionné de Volnay ...

  Nous pouvons ainsi parler des permanences qui soutiennent les récits de cet auteur et en font la richesse depuis Casanova et la femme sans visage  ou Messe noire :  

  • Une intrigue qui dessine lentement (mais avec force rebondissements !) son cours entre le politique, le religieux et l’affaire de moeurs, qui mêle la royauté et sa cour; ses fonctionnaires (de police), les bourgeois et le petit peuple. Ici, l’art de découvrir la vérité et celui de bien conduire un récit se superposent : entre l’affaire d’Etat qui a un caractère international (puisque le dernier mort est russe) et le fait divers, il nous sera donné de comprendre ce qui a fourvoyé un moment les enquêteurs. Comme dans La femme sans visage, ils découvriront le petit détail fatal au meurtrier. La « fantastique imagination » du Chevalier d’Eon fera tourner la tête de Volnay même s’il a compris assez tôt la complexité de cet étrange personnage (« Duo habet et bene pendentes ») et lui évite la Bastille.

  • Le contexte : ici, l’hiver 1759 où se prépare la Fête des Fous dans les rues de Paris, le peuple y étant comme toujours un personnage à part entière. Le quartier du faubourg Saint Antoine nous livre l’aspect et l’esprit de l’époque : « Une foule considérable grouillait maintenant dans ses rues, laborieuse mais turbulente. Artisans et ouvriers aux moeurs simples travaillaient directement pour une clientèle riche et aristocratique. Ils en mesuraient toute la morgue et l’inutilité, prenant conscience des différences de richesses, jalousant les clients pour lesquels ils travaillaient exclusivement. Aussi, le quartier avait gagné la réputation d’une humeur chatouilleuse, volatile et prompte à la révolte ». La « Fête des Fous » dans ce contexte, est une énorme charge de dynamite pour le pouvoir, qui ne peut en tolérer la programmation. Intrigue dans l’intrigue : qui a relancé cette fête interdite ?

  • Les thématiques dont sont porteurs les personnages reviennent dans ce récit comme une trame  déjà connue. Les sciences occultes où se frôlent savoirs ancestraux et déraisons sont toujours vivantes pour le Moine. Il affrontera des occultistes de bon rang, que ce soit à propos de l’usage des plantes et de leurs distillats, des pratiques convulsionnaires des religieux pour qui l’opium est d’usage courant pour les esprits comme pour les corps. Sans oublier la « métoposcopie ou science des lignes du front »  qui « devine les nuances d’un caractère par leur simple observation » que Volanay va découvrir. La contestation du pouvoir est un pilier pour les deux personnages, manifeste pour le Moine qui montrera son cul au lieutenant général de police, plus discrète pour Volnay, qui peut cependant aller fort loin comme avec le ministre Choiseul : « Choiseul manqua s’étrangler. Les gens venaient déposer à ses pieds, cent fois par jour, leurs hommages comme de fidèles et vieux chiens obséquieux et voilà que ce jeune paltroquet lui répliquait tranquillement qu’il n’avait cure de son opinion ».Enfin la bonne chère est toujours affectionnée par le Moine (encore lui !) qui peut en arriver à conclure, au terme d’une longue discussion avec un cuisinier : « C’est vrai que tout est bon dans le boeuf »(sic), mais affectionnée également par son fils qui sait humer les bonne senteurs : « Il fit quelques pas sous la lumière pâle de la lune, fouettée par un vent froid qui lui rabattait désormais la senteur des épices orientales, ainsi que des parfums d’origan, de basilic, de pignons grillés avec quelques envolées de chèvrefeuille et de menthe. ».

  Mais ici,  père et fils partagent également le plaisir de la chair. Voilà précisément que nous abordons les changements de registre dans ce roman d’Olivier Barde-Cabuçon. Changements qui tiennent essentiellement à l’expérience de vie et au regard porté sur soi.

  Il en est ainsi de Volnay qui semble (enfin !) démarrer dans la vie sexuelle, certes avec prudence et retenue, mais enfin, il ne terminera pas sa vie puceau. Voilà qu’il s’éprend d’un Ecureuil, très jeune prostituée sortie du rang, mais surtout fragile et blessée par la vie. Les femmes ici ne sont plus seulement les êtres mystérieux et tout-puissants qu’elles incarnaient dans les précédents romans, mais des personnes à protéger.

  Hélène de son côté, qui fut un enjeu entre le moine et son fils, commence ici à se dévoiler pour le lecteur (mais pas forcément pour le moine et Volnay): « Enfouie au fond d’elle-même, elle charriait depuis des siècles une tristesse pesante et infinie, l’idée qu’on avait volé son enfance, sa vie et que le monde se résumait en un  immense champ de désolation où prospéraient temporairement quelques uns et où la plupart souffraient indéfiniment».

  Les enfants apparaissent également dans la vie de ces deux solitaires que sont le Moine et Volnay, touchés là encore par leur dénuement et leur fragilité, qu’ils sauront humainement mettre à profit pour avancer dans leur enquête. Nous les savions humanistes mais pas forcément charitables.

  Ainsi nos personnages changent-ils, ou simplement, notre regard sur eux s’aiguise, comme en atteste le cas du Moine qui lui aussi laisse tomber son masque de carnaval pour apparaître tout simplement « triste ». Hélène, son « double féminin » l’avait deviné : « Sous sa façade de gaieté, votre père est empreint d’une profonde tristesse » ; et elle va permettre au Moine lui-même d’en prendre conscience: « C’était donc ça la fête des Fous, murmura-t-il. Un remède à ma mélancolie ». Puisse cette révélation ne rien enlever à la gaîté du Moine et à son amour de la vie.

  Albertine

 Marseille, le 19 février 2014  

 

 Tuez qui vous voulez
Olivier Barde-Cabuçon
Actes Sud ( février 2014)
Collection Actes Noirs
378 pages ; 22,90 €