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20/05/2011

Moonlight Mile, de Dennis Lehane (chronique de Jacques)

moonlightmile.jpgUne chronique de Jacques

Moonlight Mile est un petit bijou, qui parvient à mêler au suspense et à un scénario bien ficelé, des personnages ayant une épaisseur humaine indéniable. Dennis Lehane, devenu célèbre depuis que certains de ses livres, adaptés au cinéma, ont fait un tabac dans les salles, (Mystic River de Clint Eastwood, Shutter Island de Scorsese, Gone Baby Gone de Affleck ont été en effet de gros succès publics)  reprend ici les personnages des deux détectives Patrick Kenzie et Angela Gennaro, embarqués dans une histoire qui les plonge vers leur passé, douze ans en arrière, à l’époque de Gone baby gone où ils recherchaient alors Amanda, une petite fille de quatre ans qui avait disparu.

Moonlight Mile est un thriller, et Lehane maîtrise parfaitement les codes du genre. Il connaît suffisamment bien les côtés troubles de la société américaine pour insérer dans son récit ce qu’il faut d’individus violents, sans scrupule, prêts à tout pour le pouvoir et l’argent. S’il faut des personnages très méchants, impitoyables et même carrément allumés, ils y seront ! Le lecteur aura sa dose de frissons garantie.

Ici, c’est la mafia russe qui joue ce rôle, et Dennis Lehane nous fait une description gratinée et hallucinante de personnages qui tentent à tout prix de contrecarrer les recherches de nos deux héros. Bien sûr, on peut considérer que dans la description de la personnalité et des actes des « méchants », Lehane en fait trop et qu’il aurait pu éviter de tomber dans une certaine caricature : le roman n’avait pas besoin de ça pour conserver sa force, l’écriture de l’auteur était suffisante. Mais c’était le choix de l’auteur d’inscrire son histoire dans un ensemble de codes attendus par les lecteurs de thrillers. Des codes qu’il prend comme un défi, un ensemble de contraintes fortes devant être surmontées pour exprimer sa vision de la société américaine, de ses institutions, de ses mœurs, ou des problèmes éthiques que les citoyens ordinaires peuvent se poser.

La force de Lehane, c’est d’ancrer son récit dans la réalité de l’Amérique contemporaine et d’en faire une description sans concession, acide, percutante, souvent iconoclaste et contestataire. Il nous montre, au fil des pages, les effets de la crise économique et de la mondialisation sur le tissu social de l’Amérique, qui se délite peu à peu avec des conséquences terribles sur l’éducation, la culture et les services sociaux. Une réalité que nous connaissons aussi, même si elle prend chez nous d’autres formes.

Vous savez, raconte un des personnages rencontré par Patrick dans sa quête d’Amanda, quand on regarde de plus près la façade qu’offre cette ville, on découvre pas mal de fissures. Le taux de chômage est à deux chiffres, et les rares entreprises qui embauchent encore n’offrent qu’un salaire de misère. La couverture sociale ? (Il a éclaté de rire.) Faut pas y compter. Les avantages ? (Il a secoué la tête.) Tout ce que nos pères considéraient comme acquis du moment qu’on travaillait dur – le fameux filet de sécurité, une paie décente, la montre en or en fin de carrière… Eh bien, il n’en est plus question par ici, mon ami. […] La société qui l’avait engagé a licencié tout le monde. Un mois plus tard, ses dirigeants proposaient aux employés de reprendre leur poste. […] Mais cette proposition n’a été faite qu’aux ouvriers non qualifiés : les autres ont été mis à la porte sans autre forme de procès. Elle était assorti d’une condition, évidemment : ils toucheraient seulement la moitié de leur salaire horaire. Pas de protection sociale, pas d’assurance, rien. Juste la possibilité de faire des heures supplémentaires tant qu’ils en voulaient, du moment qu’ils ne parlaient pas de majoration de salaire ni de ces conneries de revendications défendues par la gauche.

Patrick et Angela expriment le désarroi des Américains de la génération de l’auteur – même s’ils sont un peu plus jeunes que celui-ci — devant les changements de leur société, et ils incarnent aussi les difficultés qu’ont certains citoyens à s’adapter à ce changement :

Aujourd’hui, il suffit parfois de poser une question toute simple ou de faire une remarque innocente pour se retrouver noyé sous un déluge de fureur et de désespoir. Personne ne comprend comment on en est arrivés là, personne ne peut expliquer ce qui s’est passé. C’est comme si on s’était réveillés un beau matin pour découvrir que toutes les plaques de rues avaient disparu, que tous les systèmes de navigation étaient hors circuit. Il n’y a plus d’essence dans la voiture, plus de meubles dans le salon, et l’empreinte dans le lit à côté de nous a été effacée.

Les amateurs de thrillers purs et durs seront évidemment enchantés par ce roman. Le talent de Dennis Lehane lui permet de mettre en œuvre toutes les techniques narratives permettant de faire monter la tension lorsqu’on approche de la fin du roman. Le scénario est ajusté au millimètre, les personnages, même secondaires, ne sont pas  que de simples silhouettes évanescentes, l’humour est souvent au rendez-vous dans les dialogues ou les monologues intérieurs.  Lehane a tout mis en œuvre pour apporter aux lecteurs friands de suspense un grand moment de bonheur.

La question que Patrick et Angela se posaient au début du roman : fallait-il accepter l’enlèvement d’une enfant sachant qu’elle pourrait être plus heureuse et plus épanouie que dans sa famille naturelle ? ne trouve pas de réponse clairement affirmée. L’ambiguïté reste jusqu’à la fin, même si Lehane a choisi de donner à son histoire une fin heureuse et nous met sur la piste de sa propre réponse à la question posée.

 

 Vous pouvez lire ici un article d'Eric sur le même roman.

Présentation de l'éditeur

Moonlight Mile Patrick Kenzie et Angela Gennaro ne sont plus détectives privés. Patrick travaille pour une grosse société de surveillance qui refuse de l'embaucher définitivement car il n'est pas assez « lisse » pour son patron. Il est toujours consumé par la colère face aux injustices et c'est peut-être cela - ainsi que la culpabilité - qui le pousse à accéder à la demande de Beatrice, la tante d'Amanda McCready. Douze ans plus tôt, Angie et lui avaient enquêté sur la disparition de la petite Amanda, mais le fait d'avoir retrouvé l'enfant s'était soldé par un fiasco humain. Selon Beatrice, Amanda, aujourd'hui âgée de 16 ans, a de nouveau disparu et elle est peut-être en danger... Comme Gone, Baby, Gone, Moonlight Mile est un roman totalement contemporain qui dépeint une Amérique en proie à une grave crise morale et sociale. L'auteur de Mystic River et de Shutter Island n'a rien perdu de son art de la métaphore, des dialogues incisifs et des scènes choc. L'art de faire palpiter la vie à chaque page.


Moonlight Mile
Dennis Lehane 
384pages
Rivages thriller

  • 20 €