Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

12/03/2015

Les Neuf Cercles, de R.J. Ellory (chronique 2)

neufs_cercles.jpgUne chronique de Bruno (BMR).

 Pour celles et ceux qui aiment le Sud.

On dirait le Sud …

Depuis la découverte fracassante en 2010 de Seul le silence, un grand roman et donc un très grand polar, Roger Jon Ellory est devenu, bouquin après bouquin, un auteur policier incontournable, un des grands, à ranger sur l'étagère aux côtés du suédois Mankell, de l'américain James Lee Burke ou de l'islandais Indridason, par exemple.
Sur l'étagère des auteurs qui font que le polar n'est pas que le polar.
Non pas que ces plumes aient plus de lettres de noblesse que des auteurs policiers plus traditionnels qui seraient mineurs, non du tout, mais tout simplement le plaisir de la lecture n'en est que plus grand.
Si vous aimez lire de gros pavés qui tiennent bien au ventre, précipitez-vous donc sur Seul le silence (sorti en poche depuis) et maintenant sur Les neuf cercles qui sort de la même veine.
Notons que les autres bouquins de R.J. Ellory ne sont peut-être pas au même niveau : Vendetta était rangé sur l'étagère des thrillers politico-policier et on n'a pas lu les autres.
Mais ces neuf cercles de l'enfer sont bien à la hauteur de Seul le silence et l'on y retrouve les mêmes thèmes : le sud (ici le Mississipi), les séquelles de la guerre, le racisme envers les noirs (le sud quoi), une fillette assassinée, ...
Le sud ... ah, on s'est encore fait avoir ! Depuis 2010, on avait oublié !
Roger Jon Ellory n'est pas américain ! Il vit à Birmingham !
Comment donc peut-on écrire ainsi sans être de là-bas ?
Comme dans Seul le silence, on croit encore lire du Faulkner ou du Truman Capote mais non, Ellory est so british.

« [...] Il y a une lettre qu'elle n'arrête pas de lire à haute voix. Et j'ai sur les bras un putain de mélodrame à la Tennessee Williams. « 

Comme dans Seul le silence, tout commence par la découverte d'un cadavre de jeune fille.

« [...] - Bon sang ! Qu'est-ce que c'est que ce bordel ?
- Je vous avais prévenu, lança Powell. Quelqu'un l'a étranglée, puis l'a ouverte, lui a découpé le cœur, et l'a remplacé par un serpent dans un panier.
[...] - On va où ? demanda Hagen.
- On retourne où on a trouvé le corps.
- Qu'est-ce qu'on cherche ?
- Son cœur, Richard. On cherche son cœur.
[...] Powell leur donnait un coup de main, et c'est lui qui prononça la phrase que Gaines avait espéré ne pas entendre.
" Il y a quelque chose d'enterré, ici. "
[...] Et donc Gaines [...] se demanda qui avait fabriqué ce monde. Car d'après ce qu'il avait vu et entendu, ça ne pouvait sûrement pas être Dieu. »

On est en 1974, le cadavre a été enfoui au bord de la rivière en 1954, c'est la vase qui, vingt ans durant, l'a conservé intact pour l'autopsie.
Ouais, ça démarre fort. Heureusement car le premier tiers de ce gros pavé pèse un peu : il s'appesantit un peu trop longtemps sur les drames intérieurs du shérif Gaines, revenu pas indemne du Vietnam.
Les protagonistes de 1954 sortaient traumatisés de la Grande Guerre.
Ceux de 1974 reviennent du bourbier vietnamien, brisés eux aussi.
De là à penser que les US en guerre quasi continuelle produisent de quoi alimenter des générations et des générations de lecteurs ...

« [...] Gaines avait fait la guerre. Il avait vu les neuf cercles.
[...] On perdait une partie de son humanité à la guerre, et on ne la récupérait jamais.
[...] D'après ce que Gaynes savait, les hommes qui revenaient de la guerre étaient de trois types. Il y avait tout d'abord ceux qui se réintégraient. Ils n'oubliaient pas mais ne passaient pas non plus leur temps à ressasser leurs souvenirs. [...]
Le deuxième type était ceux qui portaient leur histoire comme une seconde peau : ils continuaient de mettre des treillis et des gilets pare-balles. [...] C'étaient ceux-là qu'il fallait garder à l'œil.
Le troisième type, c'était les morts. »

Le shérif Gaines n'a que 34 ans (à la lecture, il parait souvent un vieux bonhomme usé de 50) et il n'a pas grande expérience des meurtres dans sa petite bourgade de province. Il va commettre quelques bourdes et, après nos lectures de centaines de polars et d'enquêtes sous haute pression, on se demande avec ce cadavre d'il y a vingt ans, comment donc ce shérif qui semble toujours un pas ou deux derrière le lecteur va bien pouvoir s'en sortir ...
John Gaines vit seul avec sa mère qui n'en finit pas de mourir de son cancer, qui n'en finit pas de pester après Nixon qui s'accroche au pouvoir. Lequel des deux partira le premier ?
Notons au passage, les chapitres 40, 41 et 42 lorsque Maman Gaines abandonne et son fils et Nixon : ce sont de très belles pages (et bien sûr pas à cause de Nixon, cessons-là la plaisanterie), tristes mais très belles.
Mais le shérif ne lâche pas son enquête. Bien décider à éclaircir les mystères du passé comme du présent ... car de nouveaux cadavres, bien frais ceux-là, sont venus s'ajouter au compteur.

« [...] Trois morts en autant de jours.
Une enfant, un suspect, une mère.
[...] Bon, espérons que ça va s'arrêter là, déclara Thurston lorsqu'il atteignit la porte.
- Curieusement, je ne crois pas " observa Gaines, mais Thurston ne répondit rien. »

Et c'est une histoire de famille qui va se dessiner peu à peu en toile de fond de tous ces événements, de 1954 à 1974.
Une grande famille du sud, une famille toute puissante. Un clan.
Le Klan.

« [...] - Vos enquêtes pour meurtre sont-elles toujours aussi shakespeariennes, shérif ?
- Je dois avouer que les enquêtes pour meurtre sont très rares, Dieu merci. »

Les romans de cet auteur ne sont pas exempts de défauts, mais leur force emporte tout.
On notait dans Seul le silence et comme dans Vendetta, que Ellory semblait éprouver quelque difficulté à ‘terminer’, à clôturer ses histoires de belle façon, sans recourir à d'artificielles pirouettes rocambolesques.
Comme si finalement cela n'intéressait guère Ellory qui, comme nous, aurait préféré rester en compagnie de ses personnages.
Cette fois, on apprécie que le final (même si les pirouettes inhérentes au genre policier sont toujours là) on apprécie que le final soit à la hauteur de cette sombre histoire de famille et des personnages embarqués.

Justement R. J. Ellory semble être lui-même un drôle de personnage. Un auteur capable de magnifiques romansellory.jpg mais aussi coupable de viles actions : il est connu pour avoir falsifié des commentaires (élogieux à son encontre évidemment) sur des sites comme amazon, et il est désormais repéré comme adepte de la scientologie [clic].
Quel grand écart entre l'œuvre et l'artiste !

Bruno ( BRM) : les coups de Coeur de MAM et BMR

Sur ce livre : la chronique de Richard.

 

Les Neufs Cercles
R. J. Ellory
Sonatine
2014