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29/10/2013

Entretien avec Raphaëlle Thonont.

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Raphaëlle Thonont a publié un roman noir l’art des liens, aux éditions Ecorce, un roman chroniqué sur ce blog par Cassiopée. 

 

Son entretien avec Cassiopée  nous révèle une écrivaine  exigeante et talentueuse, une belle découverte que nous sommes heureux de partager avec les lecteurs du collectif un-polar ...

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 Cassiopée- Quelle couleur vous définit le mieux et pourquoi ?

Raphaëlle Thonont. Je suis énergique, fébrile, compulsive. Ce qui signifie, que je passe du temps à me « rassembler », pour canaliser mes trop pleins d’énergie. Je crois que le rouge me définit assez bien.

Cassiopée -Cyril Herry des éditions Écorce est connu pour son exigence envers les auteurs, il préfère choisir qu’être choisi. Quelle est, d’après vous la force de votre roman pour que cet éditeur qui publie peu vous ait sélectionné ? Pourquoi vous étiez vous adressée à lui ?

Raphaëlle Thonont. Je vais d’abord répondre à votre deuxième question, pour tenter d’éclairer la première.

Je ne sais plus quel chemin m’a mené sur le site internet des éditions Écorce, mais je me souviens, avec précision, de ce qui m’y a arrêté. À la rubrique manuscrits, il était précisé aux auteurs, que la part d’ombre des personnages primait sur l’intrigue ; que les ressorts de l’histoire, devaient nourrir la chair des personnages. L’art des liens, n’est ni un polar ni un thriller, même si j’en ai utilisé les codes, c’est un roman noir. La construction psychologique de mes personnages a été centrale dans mon écriture. Je me suis reconnue dans la ligne éditoriale d’Écorce, et j’ai posté les trente premières pages de mon manuscrit.

Dans les premiers mails, que nous avons échangés, Cyril Herry m’a dit être touché par mon style, les images et cette noirceur latente qui couve et enfle jusqu’à la fin. Dans le passé, Cyril Herry a travaillé avec des artistes, il aime l’art contemporain et ceux qui le font. C’est aussi un territoire que nous avions en commun.

 Cassiopée -C’est un art très particulier, proche d’une certaine forme de violence qui sert de fil conducteur à votre livre. Pourquoi ce choix ? Comment s’est-il imposé à vous ?

Raphaëlle Thonont. Dans la première version du roman, seul l’art contemporain était présent, et plus précisément le processus de création artistique. De quelle manière, le corps est-il appréhendé par les artistes ? Que doit la création à la souffrance ? La beauté peut être elle violente ? J’avais déjà documenté ces questions, en m’intéressant à ceux qui agissent sur leur propre corps : Orlan (le corps modifié), Marina Abramovic ou Gina Pane (le corps expiatoire) ; ceux qui le représentent : Lucian Freund, Jenny Saville pour les peintres ou les photographes comme Nan Goldin. Mais, ces corps là, sont des œuvres achevés dont je ne suis que la spectatrice. Or, je voulais agir.

C’est en lisant le livre d’Agnès Giard, Dictionnaire de l’amour et du plaisir au Japon (Glénat, 2008), que j’ai découvert les enjeux du shibari. J’avais trouvé ma pièce manquante.

Le shibari est un art érotique, codifié et ritualisé. La fonction de la corde est d’abord religieuse au Japon, encore aujourd’hui, elle fait partie des instruments des rituels shinto. Au XVIIème siècle, les japonais la classe dans la catégorie des armes, elle est utilisée pour ligoter les criminels. Instrument de punition, on légifère sur son utilisation : à chaque classe de délit, correspond un mode de ligotage et une couleur de cordes. Il en résultera une esthétique qui sert de base aux maîtres du shibari actuel.

Le shibari déconstruit le corps (asymétrie, compression, étirement) et fait du ligoté un être sans défense. Mais, le corps lui-même ne doit pas souffrir. Les lignes d’énergie qui sont comprimées, permettent d’ailleurs, une meilleure irrigation de certaines zones. Il faut que le corps soit en apesanteur, et non enfermé dans une douleur. Rien à voir avec les pratiques sadomasochistes occidentales. Le shibari est sûrement un art violent et transgressif, puisqu’il agit sur le mental à la manière d’un puissant révélateur. L’humiliation et le renoncement sont au cœur du processus. Accepter de n’être plus soi, de se révéler : pour un artiste, c’est une magnifique promesse de transcendance. C’est que cherchait Sofia. C’est ce que n’a pas compris Léo. Elle voulait se métamorphoser, sous les mains d’un autre, ne plus s’appartenir et rendre les armes. Elle voulait la dépossession et la pacification.

Lorsque le shibari est entré dans le roman, mon texte est devenu un corps humain, sur lequel, je tendais et nouais mes propres cordes. Quand Léo, l’observateur, assiste à l’utilisation de la « machine-shibari », synesthésique, il a le sentiment qu’acteurs et spectateurs font partie du même organisme. Le roman est une parabole de cet organisme, il génère des sensations, des sentiments, que des lecteurs reçoivent et restituent à leur façon. En tant que narratrice, j’étais l’officiante au ligotage, et mon lecteur…le ligoté. J’ai, volontairement, gardé une distance avec mes personnages, pour laisser plus de place aux ressentis du lecteur. Mes images sont des éclairages ponctuels, les lieux sont conçus comme des décors fantasmatiques. C’est un roman noir et sensuel.

 raphaëlle,thonont,écorce,éditions,entretien,cassiopéeCassiopée -Quels sont vos rituels et vos habitudes d’écriture ?

Raphaëlle Thonont. Je fuis le confort que je trouve émollient. Souvent, je suis mal assise ou debout, rarement à mon bureau. Parfois je mets de la musique, du jazz, ou des bandes originales de film. Je commence toujours par écrire à la main. Tracer les mots pour les ressentir, me permet de leur donner une place. Mon écriture est peu lisible, je mets du temps à me déchiffrer. La relecture est donc une étape pénible, mais stimulante, un mot mal écrit en offre un autre, inattendu et parfois juste. Et je me lis beaucoup, à voix haute, pour entendre ma propre musique. Ensuite, je tape sur mon clavier, et l’ordinateur met une distance entre mon texte et moi. L’écran est un miroir flatteur dont je me méfie. Sans doute, parce que la mise en forme confère un statut d’achevé au texte. D’ailleurs, il m’arrive de recopier à la main des pages ou des passages, pour me les réapproprier.

 Cassiopée- Vos personnages ont tous une part d’ombre assez marquée, comment expliquez-vous cela ? Est-ce que c’est similaire dans la vraie vie ? (vous avez un visage doux et souriant et vous écrivez du noir pur et dur…)

Raphaëlle Thonont. L’ambivalence des êtres humains est une constante, parce-que l’homme cherche à mater son animalité avec des attitudes sociales civilisatrices. En réalité, nous ne sommes que des primates en costume. Nos zones d’ombres sont bruyantes de refoulement et de frustration. Et l’âme humaine ne m’intéresse que dans cette perspective. Les conventions sociales, l’éducation ordonnent ou verrouillent nos comportements, c’est ce qui rend les choses passionnantes : distinguer l’enveloppe de ce qu’elle contient.

Les artistes, sont des personnages fictionnels de premier ordre ; j’ai choisi la facilité. Udo Gantz et Calliste Ortega existent, je n’ai inventé que leur nom. Les autres sont des puzzles qui empruntent à la réalité. Je travaille et vis avec un artiste peintre, j’ai des amis artistes…il me suffit d’ouvrir les yeux.

 Cassiopée- Combien de temps s’est écoulé entre le moment où vous avez pensé à ce roman et le moment où il a été imprimé ?

Raphaëlle Thonont. Je l’ai écrit en huit mois, mais je le cogitais depuis deux mois. Je l’ai envoyé en juin 2012, et nous avons commencé à travailler à l’automne de la même année. La sortie était initialement prévue en juin 2013, finalement le roman est sorti en septembre 2013. J’ai beaucoup relu, corrigé, coupé. Ces mois de relecture ont été intenses pour moi, et souvent difficiles. J’ai cherché, sans la trouver, une position confortable entre émotion et concentration.

 Cassiopée-Avez-vous choisi la photo de couverture ?

Raphaëlle Thonont. Cyril Herry est photographe et c’est lui qui a construit l’identité visuelle des Éditions Écorce. Il m’a fait deux propositions, j’ai juste donné ma préférence. Les liens ne sont pas visibles, mais ils existent, dans ce simple contact de peau entre un poignet et cet avant-bras. Il est question d’absence, de renoncement, d’abandon. La composition m’a tout de suite évoqué le personnage de Sofia.

 Cassiopée -Avez-vous un autre roman sur le feu, voulez-vous nous en dire quelques mots ?

Raphaëlle Thonont. Je travaille le synopsis d’un autre roman, qui cette fois-ci se déroulera en pleine nature. Une traductrice renonce à la ville pour les contreforts du plateau de Millevaches. Elle y rencontrera un type, lumineux et sombre. Ce sera un autre roman noir.