19/03/2012
Seul le silence, de R.J. Ellory (chronique 2)
Une chronique d’Astrid.
Vendredi 9 mars 2012, mon cœur bat la chamade. Mains moites et fébriles. Pas de canicule à l’horizon, mais certains romans sont comme des étés trop chauds ; ils laissent sur votre peau le souvenir d’une brulure aussi enchanteresse que douloureuse. SEUL LE SILENCE de R. J. ELLORY est un roman moite et déchirant, à l’image d’un été irrespirable du sud des Etats-Unis. Pas la peine de chercher un extincteur dans l’histoire que nous raconte ELLORY, vous n’en trouverez pas.
1939, Joseph VAUGHN à douze ans et sans être un mouton noir il est un enfant différent des autres. Mais peut-on être un gamin comme les autres lorsque l’on est déjà orphelin de père et que l’on vit à Augusta Falls ? Augusta Falls, paisible bourgade de Georgie, ne respire que son air saturé et c’est donc naturellement qu’elle étouffe et rejette le monde extérieur. Ce village farouche, qui n’aime pas que l’on parle de lui, va sous les yeux encore vierges de Joseph devenir le théâtre d’assassinats sans foi ni loi, ceux de fillettes retrouvées atrocement mutilées. Une déflagration en écho à celle de la seconde guerre mondiale retentit dans le cœur trop sensible du jeune garçon. Ebranlé par tous ces morts qui jalonnent sa courte existence, Joseph va trouver là un terrain fertile pour faire vivre ses voies de sublimation que sont l’écriture et l’investigation. Epris de justice, il fonde alors avec ses copains le groupe justicier des «Anges gardiens», chargé de veiller sur les petites filles du village. Joseph VAUGHN ne sait pas encore qu’il fait là ses premiers pas dans une enquête dont l’insondable noirceur le poursuivra tout au long de sa vie d’adulte. Vie d’adulte qu’il décide de mener à New-York, pensant y trouver le matériau de sa rédemption littéraire mais aussi l’oubli de ces meurtres supposés résolus. Courte trêve de félicité pour l’écrivain en herbe, qui ne tarde pas à apprendre que les massacres de fillettes ont repris de plus belle, le laissant exsangue et sans autre solution que de mener l’enquête. Joseph VAUGHN n’aura alors plus qu’une obsession : retrouver l’auteur de ces tueries qui le suivent pas à pas et réclament sa présence. Mais pourchasser le mal qui vient de l’extérieur n’est-ce pas aussi une façon d’exorciser la douleur que l’on a en soi et que l’écriture ne suffit pas toujours à apaiser ?
Construit sur d’habiles flash-back qui nous permettent de voyager dans l’existence tourmentée du narrateur-héros, SEUL LE SILENCE n’est pas un roman noir qui s’impose à ses lecteurs. Bien plus subtil, ce roman distille ses doses de venin noir avec parcimonie et ce pour nous rendre accro à son rythme, tantôt lancinant comme une complainte du vieux Sud, tantôt électrique comme une métropole briseuse de rêves. Remarquablement écrit, SEUL LE SILENCE est avant tout une œuvre littéraire magistrale, déchirante d’émotion, qui a laissé votre chroniqueuse shootée sur sa chaise. Certains passages, notamment dans la première partie du livre, ne sont pas sans rappeler la plume du grand Faulkner. Electrochoc littéraire Made in Sonatine de l’année 2008, ce livre continue quatre ans plus tard à mettre sous haute tension les méninges de ses lecteurs. ELLORY s’aide de la trame classique du serial killer pour amener son lecteur à une réflexion sur la malédiction qui peut s’abattre sur l’écrivain. Vécue comme l’unique planche de salut de l’enfance brisée, puis de l’homme juste et révolté, l’écriture n’est-elle pas le seul moyen que nous ayons encore à disposition pour faire parler celles et ceux que la vie a réduits au silence ? Si « seul le silence est d’or », sachez que R.J. ELLORY ringardise l’adage populaire en démontrant avec brio que l’homme qui se tait ne pourra jamais guérir de ses blessures d’enfance, si tant est qu’on puisse en guérir... Voilà qui devrait donner du courage à toutes celles et ceux qui hésitent encore à prendre la plume pour raconter…
Titre : Seul le silence
Auteur : R.J. ELLORY
Nombre de pages : 600
Traduit de l’anglais par : Fabrice POINTEAU
Editeur : Sonatine Editions, 2008, pour la traduction française
présentation de l’éditeur
Joseph a douze ans lorsqu’il découvre dans son village de Georgie le corps d’une fillette assassinée. Une des premières victimes d’une longue série de crimes. Des années plus tard, alors que l’affaire semble enfin élucidée, Joseph s’installe à New-York. Mais, de nouveau, les meurtres d’enfants se multiplient… Pour exorciser ses démons, Joseph part à la recherche de ce tueur qui le hante. Avec ce récit crépusculaire à la noirceur absolue, R.J. ELLORY évoque autant William Styron que Truman Capote par la puissance de son écriture et la complexité des émotions qu’il met en jeu.
Prix du roman noir
Le Nouvel Observateur / BibliObs
10:45 Publié dans 02. polars anglo-saxons | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | |
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