17/03/2014
Les disparus de Mapleton, de Tom Perrotta
Une chronique de Teluber
D’aucun prétendent qu’une bonne idée de roman pourrait se résumer en une phrase, commençant par « et si … ? »
Tom Perrotta semble avoir suivi à la lettre cette recommandation dans son dernier roman, les Disparus de Mapleton.
Perrotta brosse le portrait d’une banlieue américaine ordinaire, presqu’au point d’en être caricaturale, à un détail près : à l’instar du reste de la planète, la petite ville de Mapleton a été frappée par ce que ce que l’on a appelé « le Grand Ravissement ». Trois ans auparavant, des millions de personnes de par le monde se sont volatilisées de façon soudaine et inexplicable. Qui au milieu d’un dîner en famille, qui durant une séance d’exercices à la salle de sport. En l’absence d’explications rationnelles, nombreux sont ceux qui sont allé chercher sur le terrain religieux un sens à la catastrophe. Les disparus sont-ils des élus, rappelés par Dieu au royaume des cieux ? Ou sont-ils au contraire des damnés, punis pour leurs péchés ? Les théories mystiques se sont multipliées, presque autant que les sectes et les gourous autoproclamés. L’un d’eux s’est d’ailleurs surnommé « Saint Wayne », ce qui donne une idée du second degré qui imprègne le roman du début à la fin.
Comme un scientifique devant des cobayes en cage, le lecteur est invité à observer une famille, qui n’a pas été directement touchée par la catastrophe, mais ne s’en débat pas moins avec ses conséquences. Les personnages s’agitent dans un contexte social rendu délétère par un immense traumatisme collectif. Kevin, le père, vit seul avec sa fille et la meilleure amie de celle-ci. Tant bien que mal, il trompe sa solitude par des rencontres occasionnelles avec des femmes qui, tout comme lui, ne se sont jamais remises du Grand Ravissement. Laurie, sa femme, a quitté le foyer pour rejoindre les Coupables Survivants, dont les membres s’emploient à faire pénitence avant la fin du monde. Leur fils Tom, lui aussi sur un versant mystique, a rejoint la secte de Saint Wayne, avant de s’enticher de l’une des jeunes épouses du gourou. Jill, leur fille, a troqué ses habits de lycéenne modèle contre ceux d’adolescente perturbée, crâne rasé et échec scolaire à l’appui.
Perrotta utilise un procédé bien connu des amateurs d’uchronie, même si son roman se démarque clairement de ce genre. Il évoque nos sociétés ordinaires par le biais d’un élément extraordinaire. En introduisant un évènement traumatisant dans un contexte a priori paisible, il rend toute la fragilité d’un vernis social qui ne demande qu’à se fissurer, exposant au grand jour les névroses et les faiblesses de chacun.
Par ailleurs, l’auteur décrit avec beaucoup de finesse la dynamique à l’œuvre dans les sociétés occidentales contemporaines. A l’heure où les institutions, religieuses ou politiques, ont perdu de leur superbe, chacun cherche du sens là où il peut, ouvrant un boulevard aux gourous et chantres du développement personnel. Perrotta prend le parti de se moquer de ces derniers sans les incriminer. Ainsi Saint Wayne qui, avant de perdre définitivement les pédales, n’est rien d’autre qu’un père qui pleure sincèrement son enfant disparu.
Les disparus de Mapleton est donc un livre à lire, pour découvrir avec humour et même une certaine légèreté le regard d’un auteur sur la middle-class américaine. Certes, les séries, le cinéma et la littérature se sont déjà largement penchés sur la question. Pour autant, en y ajoutant un élément fantastico-délirant, Perrotta nous livre un roman qui, en plus d’inviter à la réflexion, n’oublie pas d’être drôle et divertissant.
Teluber
Les Disparus de Mapleton,
Tom Perrotta,
Fleuve Noir, 2013,
428 pages, 20,90 €
14:29 Publié dans 06. Il y a une vie hors du polar ! | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : disparus, mapleton, tom perrotta | Facebook | |
Les commentaires sont fermés.