15/03/2014
« N’éteins pas la lumière », de Bernard Minier (chronique 2)
Une chronique de Paco.
C’est dans un froid polaire quelque part en Europe de l’Est, à la frontière entre la Pologne et la Biélorussie, que Bernard Minier nous fait entrer dans son roman. Une ouverture, une petite brèche, que nous profitons d’emprunter afin de suivre les pas de Martin Servaz, ce flic intuitif que nous avons appris à connaître en dévorant les deux premiers romans de l’auteur. Nos pas craquent dans la neige gelée derrière ceux du flic et après quelques mètres parcourus nous nous arrêtons net ; Martin Servaz est entré dans cette cabane perdue au milieu de cette forêt de Bialowieza et découvre l’horreur qu’il s’attendait pourtant à découvrir. Bienvenus dans le monde de Bernard Minier !
Cette introduction n’est pas vraiment anodine lorsque l’on connaît le parcours de ce flic méchamment harcelé dont la provocation devient un danger permanent pour lui et ses proches. Mais si ce prélude glacial et direct va être mis quelque peu entre parenthèses, le harcèlement, la provocation, quant à eux, vont prendre une dimension étouffante dans cette œuvre brisante ! Là je parle des nerfs ; des nôtres, mais surtout ceux des personnages. Bernard Minier nous présente son troisième roman ; ayant lu les deux premiers, je suis en mesure de vous dire que ses œuvres vont crescendo au niveau de la qualité d’écriture, d’une part, mais surtout au niveau de la structure de l’intrigue, d’autre part.
L’auteur reprend l’atmosphère dans laquelle nous avons évolué auparavant, soit dans le froid, la glace, le givre et le blanc comme couleur prédominante. Nous sommes dans la période des fêtes de fin d’année et l’hiver n’a visiblement pas envie de nous quitter si rapidement. Ce qui me fascine déjà après avoir tourné quelques pages — à nouveau !, — c’est le fait d’être si vite aspiré dans le décor, dans l’histoire, dans l’ambiance.
Les romans de Bernard Minier sont une Ambiance avec un grand « A » ! Une écriture descriptive habile et détaillée — pourtant simple —, extrêmement prenante, qui nous pousse toujours un peu plus dans son atmosphère d’abord, puis dans son antre et ses pièges à répétition. L’auteur maîtrise et joue avec les éléments avec une dextérité plus que bluffante. Et encore une fois, nous découvrons ce puissant personnage charismatique, envahissant et fascinant que nous côtoyons que ce soit en montagne, en forêt, dans la ville rose qu’est Toulouse, soit un peu partout, même ici hors des frontières de la terre ; je parle évidemment du décor !
Mais revenons à notre flic. Martin Servaz, au bout du rouleau, a perdu la raison depuis quelques mois, diagnostiqué inapte au service par sa hiérarchie. Dépression, survie, c’est dans une maison de repos qu’il va atterrir afin de pouvoir rester à la surface de l’eau. Une eau froide et glacée qui le paralyse à un point que ses mouvements deviennent difficiles à exécuter pour rester à l’air libre et ainsi respirer une vie qui lui échappe petit à petit. À ce sujet, l’auteur place bien en avant cette difficulté qu’ont les flics à prendre sur eux tous les malheurs du monde, sans toutefois pouvoir tous les évacuer. Un trop-plein, la dérive, l’alcool parfois, la dépression, le suicide pour certains. Un sujet qui me touche, merci Bernard.
Pour Martin Servaz, il faut admettre que recevoir un colis d’Europe de l’est et découvrir à l’intérieur le cœur d’une femme qui lui est chère, cela peut bien le rendre complètement amorphe, dans une douleur constante et une impuissance totale. L’expéditeur n’est rien d’autre que ce psychopathe bien connu de notre flic, que vous connaissez aussi si vous avez lu les précédents romans. Abonné aux courriers, Servaz va également recevoir par la poste un paquet contenant des éléments troublants qui vont raviver son instinct de flic. Il ne faudra pas plus pour le faire démarrer au quart de tour.
Parallèlement, nous rencontrons une femme, Christine Steinmeyer, animatrice radio, qui reçoit une étrange lettre dans sa boîte le soir du réveillon — décidément, la poste est très sollicitée dans ce roman ! — ; une femme semble vouloir mettre fin à ses jours, cette missive ressemble à un ras-le-bol ou un appel à l’aide. La lettre n’est pas signée, Christine est désemparée, cela doit être une erreur ou une blague. Début d’angoisse.
Cette femme, Christine, est un personnage troublant. Nous sommes face à une personne réunissant presque toutes les phobies possibles. Une victime née, peut-être, mais il y a quelque chose de dérangeant qui émane de cette personne, évidemment. Une lourde et puissante machine destructrice va se mettre en branle pour se diriger droit sur Christine et ne va plus pouvoir s’arrêter ; à partir de ce moment-là, une personne ne va plus la lâcher. Un étau invisible mais solide est en mouvement depuis le début. Un mouvement lent mais constant — un bon diesel ! —, qui se referme gentiment sur cette Christine.
Pour ce personnage déjà bien fragile, ces intenses pressions psychologiques vont la détruire à petit feu. Son entourage, même intime, va s’avérer être un élément hostile et dangereux. Bernard Minier nous maintient dans une atmosphère lourde et dérangeante. Au bout d’une centaine de pages, on devine où l’auteur veut en venir, le lien est fait entre l’enquête officieuse de notre flic à la dérive et les pressions psychologiques perpétrées sur Christine. Le dénominateur commun devient clair et regroupera bien des aspects inquiétants ; pressions, manipulations, contrôle de l’autre, emprise, destruction, soumission, dégradation ; tout un programme ! La lecture devient gênante, nous nous mettons à la place du personnage et nous devenons fous à force d’essayer de compatir et de comprendre ! Le personnage nous embarque avec lui, malgré lui, dans un tourbillon infernal qui nous met mal à l’aise et qui nous tient en alerte maximale.
L’auteur ne nous lâchera plus non plus. Comme à son habitude, Bernard Minier, généreux, nous laissera quelques indices pour avancer dans l’intrigue ; mais ce même Bernard Minier, cette fois vicieux et nettement moins généreux, nous en placera ensuite quelques autres entre les mains ce qui impliquera comme conséquence d’éliminer les premiers qui deviennent caduques ; cet état de fait nous contraint à faire quelques pas en arrière, comme si nous étions sur un plateau géant du jeu de l’échelle ! Néanmoins, les pièces de ce puzzle relativement stressant s’assembleront tout de même. Toulouse, ville de l’espace, ville de l’aéronautique ; Bernard Minier place ce secteur d’activité au centre, ou peut-être à l’épicentre de son intrigue. Il semble en connaître un rayon sur le sujet et nous en fait profiter ; généreux. Scandales, cachotteries, surentraînements, cloisonnement, tests physiques et psychiques ardus ; voici quelques paramètres qui qualifient ce monde en apesanteur.
Et alors ? Allez-vous peut-être me dire... Et alors vous verrez bien ! Ce roman nous est servi en trois actes ; Bernard Minier dirige avec brio cet opéra qui réunit tous les codes d’un thriller efficace. Le rythme est soutenu, notre chef d’orchestre ne lâchera pas la baguette jusqu’à la dernière page. La parenthèse fermée au début de cette symphonie ne sera pas définitive et loin d’être un point final ! Des airs de Gustav Mahler tourneront encore autour de vous après avoir fermé le roman. Ce qui, personnellement, me fait bien plaisir... La musique adoucit les mœurs ? Je ne crois pas non. Bonne lecture.
Paco (blog : je chronique pour vous)
Une autre chronique sur ce livre.
N'éteins pas la lumière
Bernard Minier Xo éditions (27 février 2014)
616 pages; 21,90 €
16:00 Publié dans 01. polars francophones | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : bernard, minier, n'éteins pas, la lumière | Facebook | |
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