30/03/2011
L'honorable société, de MANOTTI/DOA
Une chronique de Christine
Nous vivons une époque formidable. Si, je vous assure. Regardez autour de vous, et quoi qu’il se passe dans le monde, vous avez le choix.
Le choix de vous passionner pour telle ou telle cause, d’agir pour telle ou telle autre.
De vous indigner, de faire des pétitions, de voter, même.
Bien sûr, il est également possible de dire que tout se décide tout là-haut, dans les hautes sphères, et que nous, misérables fourmis, nous comptons pour du beurre fondu.
Et même pas salé, le beurre, c’est dire…Et pourtant… Nous vivons une époque formidable dans laquelle des révolutions inimaginables peuvent se produire, parfois. Alors, cette léthargie, on la secoue ?
C’est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser* …
Benoit Soubise vient d’être assassiné. C’est sa récente maîtresse qui a découvert le corps et donné l’alerte. Un crime crapuleux comme beaucoup d’autres ?
Pas si sûr.
Il y a quelques éléments dans ce dossier qui sont perturbants.
La brigade criminelle, sous la férule de Pétrus Pâris, constate que l’ordinateur de Soubise a disparu. Et que, de toute évidence, crime et « nettoyage » sont l’affaire de pros.
Ceux qui ont, hum, emprunté l’ordinateur se rendent vite compte que ce dernier a été piraté.
Benoit Soubise, officiellement ingénieur pour un sous-traitant d’AREVA, était en fait un conseiller proche de Cardona, patron du CEA (Commissariat à l’énergie atomique), et surtout, officier de police pour la DCRG (Direction centrale des renseignements généraux).
Et Barbara Borzeix, sa maîtresse ? Oh, elle, elle dirige le service juridique du numéro 1 français du béton, PRG. Le Picot-Robert Groupe. Dirigé d’une main de fer dans un gant de velours crissant par Elisa Picot-Robert.
Parlons-en, d’Elisa. Saviez-vous qu’elle était proche, très proche, de Pierre Guérin ? Oui, LE Pierre Guérin candidat aux présidentielles ? Un candidat aux multiples relations, à l’appétit féroce, et prêt à toutes les promesses, toutes les alliances, pourvu qu’elles soient juteuses.
Pâris commence à mettre son nez là où il ne le faut surtout pas. Et il est du genre têtu.
Pourtant, les pressions se multiplient sur son dos pour que l’enquête s’oriente vers des suspects appartenant à un groupuscule écologiste. Vers trois jeunes qui ont eu la très mauvaise idée de pirater l’ordinateur de Soubise. Et pour que ce soient eux les seuls et uniques coupables.
Ils vont se retrouver au cœur d’une affaire qui va rapidement les broyer.
Car il faut éviter, que dis-je ? enterrer au plus vite !! tout ce qui pourrait indiquer que le futur gouvernement s’apprête à brader des entreprises d’état (et des plus « sensibles ») à des capitaux privés. Parler de nucléaire en période électorale n’est jamais une bonne chose, n’est-ce pas ?
Oui, il faut à tout prix éviter les sujets qui fâchent.
Et puis c’est tout.
Moi, Adam et Eve, j’y crois plus, tu vois ? Parce que j’suis pas idiot, la pomme, ça peut pas être mauvais, c’est plein de pectine**…
Ah…. Les tentations, croquer la pomme, c’est si facile dès qu’on a un peu de pouvoir. Affluence de courtisans, flatteries, corruption. Oup’s, non ! Pas corruption ! Services mutuels entre gens de bonne compagnie. Oui, c’est mieux.
Avec un style sec, nerveux, incisif, avec des phrases souvent très courtes et percutantes, voilà un roman à l’intrigue haletante et à la construction parfaitement maîtrisée.
Il n’y a rien d’inutile, c’est dégraissé jusqu’à l’os, et on sent le formidable travail de documentation donner vie à un roman noir dans la plus pure des traditions.
Celle qui est le témoin du monde actuel, celle qui décrypte tout ce que vous n’avez fait qu’entr’imaginer sans jamais oser aller jusqu’au bout.
Parce que non ! Tout de même ! Ce n’est pas possible que ce soit aussi… noir ? Vil ? Choquant ?
Mais si, c’est possible. Et l’écriture de ce livre, commencée il y a quelques années, donne un roman rattrapé par l’actualité.
C’est effrayant de réalisme, sans jamais tomber dans le cynisme, oh non. Les auteurs sont bien trop malins pour cela. A vous de juger sur pièce, vous avez tous les éléments en main.
Roman écrit à quatre mains, impossible de dire qui a fait quoi, c’est fluide, limpide, réussi.
Chaque personnage prend vie, âme, personnalité, avec une profondeur étonnante.
On les suit, on les aime, on les déteste, on frissonne pour eux, on s’indigne, on sursaute, une fois la lecture commencée, il est quasi impossible de laisser ce livre pour vaquer à autre chose.
L’intrigue est au cordeau, ne laisse pas une minute de répit, chaque page vous saisit par son lot de révélations ou de rebondissements.
Aucune concession, aucun compromis, un roman qu’on referme en se disant « Bon sang, quelle claque magistrale ».
Mais bien sûr, il n’est pas besoin de préciser que ce n’est qu’une pure fiction, et que toute ressemblance etc. etc.
Très sincèrement, une lecture indispensable, et je pèse mes mots.
Christine
(Blog : Bibliofractale )
* Montesquieu De l’esprit des lois
** JC VanDamme
L’ honorable société
MANOTTI / DOA
Gallimard (Série Noire)
329 pages ; 18 euros
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