29/01/2012
Rien qu'une belle perdue, d'Eric Fouassier
Une chronique d'oncle Paul
L’effet papillon ou comment un banal vol de scooter dégénère et amène des pompiers à découvrir un corps à moitié putréfié dans le coffre d’une voiture. Deux adolescents qui chipent un scooter sont poursuivis par des policiers. L’accident est inévitable et les deux gamins décèdent dans la chute de leur engin. Issus d’un quartier défavorisé de Strasbourg, ils deviennent des icones de la cité du Neuhof, une marche silencieuse est immédiatement organisée, et le soir les dégradations commencent et des voitures sont incendiées. Des immeubles délabrés sont également incendiés dans le quartier de la Croix-Fleurie pourtant situé à trois kilomètres du cœur de l’échauffourée. Les pompiers arrivés rapidement sur place découvrent dans les sous-sols, au milieu de carcasses abandonnées, le corps d’un homme dans le coffre d’une voiture et dont la mort n’est pas la conséquence de l’incendie.
Le commandant Gaspard Cloux, dont le lecteur a pu faire la connaissance dans Morts thématiques, a préféré demander sa mutation de Paris à Strasbourg, sa ville d’origine. Son supérieur, le commissaire Bersateguy, et ses collègues n’ont pas vu d’un bon œil cette arrivée précédée d’une auréole suite à la résolution en fanfare de son enquête parisienne. Pourquoi partir de Paris, et de la prestigieuse police criminelle de la capitale pour venir s’enterrer en province ? Seule la jolie métisse Alizée, qui est aussi un peu la risée de la compagnie, l’a accepté sans arrière-pensée de jalousie. Gaspard Cloux est donc en charge de l’affaire, et Bersateguy lui enjoint de prendre pour équipiers Alizée et Kowalske, un policier chevronné. Plus tard un autre lieutenant lui est adjoint, Stüdinger, un jeunot. Mais avec la consigne stricte de ne pas jouer les redresseurs de tort genre Lucky Luke et surtout ne pas interférer dans la vie politique.
L’homme est identifié car il était fiché à cause d’une affaire de drogue, mais apparemment depuis il s’était racheté une conduite, selon sa femme déboussolée. Elle avait signalée sa disparition à son commissariat de quartier, car tout en étant un habitué des fugues conjugales, il était toujours revenu au foyer au bout de quelques jours. L’homme, Chris Fargette, était un pianiste de bar, et les bonnes fortunes ne manquaient pas. Un second cadavre est découvert, celui d’une jeune femme dont les articulations ont été broyées. Elle avait connu son heure de gloire sous le nom de Kim Darling, en étant la vedette de films pornos, mais depuis un certain temps son aura avait pali, ne tournant plus que dans de petits films réalisés à la va vite. Or, depuis six mois, Chris et Kim Darling vivaient une liaison amoureuse. Et ces deux morts semblaient plus ou moins liés, tant pis pour les conseils et mises en garde de Bersateguy, avec Walberg, un conseiller municipal dont la carrière politique devrait, si l’on en croit les médias, trouver un aboutissement avec un fauteuil de député et peut-être plus.
La cause du retour de Gaspard Cloux à Strasbourg réside en son amour pour sa fille Estelle qui reste son seul lien familial depuis que sa femme Clara est décédée cinq ans auparavant dans un accident de la circulation, accident dont il se sent responsable. Estelle a été en partie élevée par ses beaux-parents, mais Gaspard Cloux a décidé de prendre en charge sa fille, d’être le plus souvent auprès d’elle. Seulement son travail même à Strasbourg lui prend énormément de temps et souvent il requiert les services de la gardienne de son immeuble pour le suppléer. Estelle tombe malade au moment où justement lui échoit cette enquête délicate et grâce à sa concierge il recrute une garde d’enfant. Quelle n’est pas sa surprise de voir se présenter pour ce poste une ancienne condisciple qu’il a fréquentée durant quatre ans jusqu’à la fin de leurs études. Florence, la belle Florence, qui était partie aux Etats-Unis. Entre les deux étudiants une réelle complicité existait, qui aurait pu aller plus loin si lui avait osé, si elle l’avait encouragé.
Rien qu’une belle perdue est une histoire policière intimiste, à double détente. Une enquête, que l’on pourrait qualifier de banale, toutes proportions gardées, dont les prolongements politiques comme souvent sont plus prégnants qu’il y parait de prime abord, quoique l’incendie des immeubles délabrés du quartier de la Croix-Fleurie semble opportune, une enquête donc qui nous ramène aux fondements mêmes du roman noir, tel qu’il a été exploité par des maîtres comme Dashiell Hammett et Raymond Chandler. Mais le côté intime de la vie Gaspard Cloux dont le portrait de sa femme décédée est placé en évidence, un père qui doit apprivoiser sa fille Estelle, les retrouvailles avec un ancien amour non avoué de jeunesse, composent la chair du roman, tandis que l’enquête policière en forme le squelette. Et la chair et les os sont bien évidement indissociables. Un troisième opus d’Eric Fouassier aux éditions Pascal Galodé, le deuxième possédant pour personnage central Gaspard Cloux, mais à chaque fois un univers et une sensibilité différents.
Citations :
Pas vraiment attiré par la lecture, j’ai tenté, dans les premiers temps, de me distraire pas écran interposé, mais j’ai fini par renoncer. J’avais l’impression de m’abrutir à force de regarder des émissions de télé-réalité plus affligeantes les unes que les autres et des séries américaines où l’on cherche à vous persuader qu’une enquête policière se résout uniquement à grands renforts d’expertises, comme un problème scientifique.
Sa blondeur et ses traits juvéniles contribuaient à donner l’illusion qu’on aurait pu lui tirer du lait rien qu’en lui pressant le nez. Seule sa propension à être affligé en permanence d’un méchant rhume empêchait de vérifier le bien-fondé de cette première impression.
Ma chère mère disait qu’une bague au doigt est une baguette de fée qui fonctionne à rebours. Vous vous endormez le soir dans les bras du prince charmant et vous vous réveillez au côté d’un vilain crapaud.
Rien qu’une belle perdue
Eric FOUASSIER
Pascal Galodé éditeurs.
369 pages. 20€.
Présentation de l'éditeur
Pourtant, j'aurais dû voir venir le truc. Il y a des jours comme ça où tout se nuance de mélancolie. Même les nuages revêtent une teinte particulière. Celle que j'appelle le noir clarinette. Cette obscurité mate et veloutée. Quelque chose d'accablant et d'infiniment doux à la fois. Ce printemps-là, il flottait sans interruption sur la ville. Un temps où il aurait mieux valu rester chez soi, à se laisser bercer par le tempo usé de la pluie. Mais il y a eu le cadavre de cet obscur musicien retrouvé dans le coffre d'une voiture. Et je me suis retrouvé englué dans un drôle de bourbier, à patauger sur la piste d'une ancienne actrice de porno sauvagement assassinée, d'un mystérieux réseau de prostitution, d'une valise bourrée de drogue et d'un tandem de tueurs sadiques. Ça faisait beaucoup pour un seul homme ! Et puis, comme si tout ça ne suffisait pas, Flo est revenue faire trois petits tours dans mon existence. A partir de là, j'ai perdu le fil... Mais j'imagine que ce temps sinistre a aussi joué son rôle dans toute cette affaire. Les choses auraient sans doute été différentes si j'avais retrouvé Flo en plein été, avec un soleil étincelant, propre à vous déciller les prunelles. Pour ma part, je sais que l'image que je conserverai d'elle sera celle de son visage sous la pluie, cette fameuse nuit de l'agression, et de son geste furtif de la main au moment où elle disparaissait dans la bruine, comme derrière un rideau de scène...
10:52 Publié dans 01. polars francophones | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | |