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20/06/2012

L'île des chasseurs d'oiseaux, de Peter May

ile_des_chasseurs_d_oiseaux.jpgUne chronique de Thierry.

Retenez bien ce proverbe gaélique : «Trois choses qui arrivent sans qu'on demande, la peur, l'amour et la jalousie
Vous aimez la brume, la pluie, le froid, le vent, la mer déchaînée ? Oui ? Alors c’est parti...ça va vous rafraîchir votre été en proie aux longs ennuis.
Bienvenue en enfer...euh non pardon, bienvenue en Ecosse !
Lewis, la plus grande île de l'archipel des Hébrides extérieures, en Écosse est de tradition presbytérienne. Encore aujourd'hui les habitants de cette île du bout du monde observent le sabbat chrétien, parlent la langue gaélique. Ils vivent de l'exploitation de la tourbe, de la pêche, du tourisme, de la fabrication du tweed et d'un peu d'agriculture.
C’est vrai, j’y suis allé...
Depuis la nuit des temps, ils ont une coutume unique au monde, réservée uniquement à quelques initiés mâles, natifs de l'île: la chasse aux fous de Bassan. Pendant deux semaines, ces hommes et quelques jeunes garçons, sont emmenés à bord d'un chalutier sur An Sgeir, qu'il neige, qu'il
vente ou qu'il tempête !
Une sorte d'épreuve...du feu ! An Sgeir est un rocher émergeant de la mer, à cent kilomètres de Lewis, où nichent et se reproduisent des milliers d'oiseaux. Chaque année, deux mille oisillons sont tués, préparés sur place et ramenés sur l'île Lewis.
«De magnifiques oiseaux blancs, avec des ailes aux extrémités bleu-nuit, des têtes jaunes, et une envergure de près de deux mètres. Des fous de Bassan. Des milliers, emplissant le ciel, virant dans la lumière, glissant sur les turbulences des courants d’air. Il s’agissait de l’une des plus importantes colonies de fous de Bassan existant encore dans le monde."

En 1954 le Wild Birds Protection Act accepte une dispense spécifique qui autorise la poursuite de ce massacre annuel.
Amis des animaux et militants de la SPA, vous allez grincer des dents !

Mais non, n’ayez pas peur, ne fuyez pas, vous n’avez pas dans les mains un soporifique traité de sociologie, pas plus qu’un hautain essai d’histoire des civilisations ou un pédagogique récit de notre cher et regretté Théodore Monod...ouf !

Avant d'être une tradition ce fut une ressource vitale pour se nourrir. Tout ce qui est fait, vu ou dit sur ce rocher doit demeurer secret. Un passage obligé pour devenir un homme de l'île. Un homme de Lewis.

"Lorsque j'étais enfant, je parlais comme un enfant, je pensais comme un enfant, je raisonnais comme un enfant; lorsque je suis devenu un homme, j'ai laissé là ce qui était de l'enfant." écrivait Paul aux Corinthiens.

Voilà, nous y sommes, le décor est planté. Il pleut toujours et un vent glacial souffle sans arrêt. Dans ce superbe roman, les descriptions des paysages sont magnifiques ! L'auteur sait imposer (avec notre consentement) une atmosphère : là-bas, j'ai eu faim, j’ai eu froid, j’ai eu peur, j'ai ri et j’ai pleuré. J'ai
senti et j’ai touché...
Un livre sensé pour cinq sens.
Les Boileau-Narcejac, habiles écrivains de romans policiers avaient l'habitude de dire qu'un bon polar doit être «une machine à lire». Celui là on ne le lâche pas...la machine à lire est parfaitement huilée. Le lecteur se fait embarquer, se laisse entraîner dans les intimes engrenages de l’histoire. Impossible d’y échapper !

Mais est-ce vraiment un polar ? N'est-ce pas aussi un livre d'anthropologie ? Un livre d'Histoire ? Un livre de géographie ? Pourtant je vous avais prévenu que...
Tout simplement le livre d'une histoire. Une histoire sur l'enfance. Une histoire sur le passage à l'âge adulte comme un passage à l'acte.
L'inspecteur Fin Macleod, natif de cette maudite île qu'il a quitté il y a maintenant plus de dix-huit ans revient (malgré lui) sur les lieux de son enfance pour élucider un meurtre particulièrement sordide.
«Il reconnaissait maintenant les vieux hangars qui bordaient la piste de l’aéroport et aperçut au loin le terminus du ferry, flambant neuf. Fin fut saisi par l’émotion. Cela faisait si longtemps. Il ne s’était pas préparé aux flots de souvenirs qui soudain le submergèrent

Ce retour tant redouté va provoquer le réveil des fantômes de son enfance. Il va retrouver Artair Macinnes le fils du professeur qui lui donnait des cours particuliers, Donald Murray le fils du pasteur, Calum Macdonald le souffre-douleur d' Ange, Ange le persécuteur des cours de récréation, Marsaili son premier amour de banc d'école, sa tante «adoptive» (malgré elle), celle qui a fait Woodstock et...bien d'autres cauchemars en souffrance.
Retenez bien ces noms, vous n'êtes pas prêt de les oublier !
Sur l’île de Lewis tout le monde se connaît. Ou plutôt tout le monde croit se connaître.
«Soudain, sa conscience était inondée de souvenirs, comme les scènes d'un cauchemar qui reviennent au réveil. Il sentait la bile monter en lui, tandis que les images défilaient sur sa rétine, comme un vieux film de famille
Ce retour va faire remonter à la surface des amours déçues, des jalousies, des secrets de familles, des carcans religieux longtemps, trop longtemps consentis, des vengeances ensommeillées, noyées par le mauvais temps et la culture ancestrale du secret.
Peter May excelle pour pénétrer au plus profond d’un personnage comme l’inspecteur Fin, pour faire dialoguer des enfants, pour nous égarer dans des mots à tiroirs, pour nous plonger dans des paysages violents et inquiétants.
L’histoire d’amour entre Marsaili et Fin est superbe...à pleurer !
J’insiste, j'ai adoré ce livre. Vraiment. J'ai eu beaucoup de mal à quitter cette île sauvage du nord de l'Ecosse.
A lire d'urgence et sans modération ! Pour trouver la vérité, perdu dans le brouillard et les fausses pistes, j'ai dévoré les quatre cent pages en deux nuits !
Le lendemain même j’ai voulu correspondre avec l’auteur.
Nous avons échangé quelques mails. Sympathique ce Peter May.
J'ai déjà envie de le relire, tiens.
"La vérité ne quitterait jamais le rocher. Elle resterait là, parmi les amas de rochers et les oiseaux, chuchotée par le vent. Elle mourrait dans les cœurs et les esprits des hommes qui étaient là ce fameux jour lorsque viendrait leur tour..."

A lire aussi, si vous voulez, la suite «L’homme de Lewis». Je l’ai lu. Toujours avec l’inspecteur Fin. Un ton au-dessous, à mon humble avis mais tout de même efficace aussi.
Un troisième et dernier opus est attendu. Je l’attends...

Thierry Cousteix

L'île des chasseurs d'oiseaux
Peter May
Actes Sud (Babel Noir)
424 pages; 9,70 €

Biographie de l'auteur.

Né le 20 décembre 1951 à Glasgow, Peter May est un écrivain écossais, aujourd’hui installé dans le Lot, dans le sud-ouest de la France.
Journaliste et scénariste pour la télévision écossaise, il décide de se consacrer à l’écriture de romans.
Il est l’auteur d’une série policière de six livres qui se passe en Chine durant la cruelle révolution culturelle avec Li Yan, inspecteur en chef de la police de Pékin et Margaret Campbell, médecin légiste.
PS : alors il disait quoi le proverbe gaélique ?
Allez, pour les inattentifs, je répète : «
Trois choses qui arrivent sans qu'on demande, la peur, l'amour et la jalousie.»