21/01/2012
Les Péchés de nos pères, de Lewis Shiner
Une chronique de Bruno
Voilà un roman qui m’aura permis de terminer l’année 2011 sur une lecture particulièrement passionnante. L’auteur ne vous dira sans doute pas grand-chose, sauf à être un lecteur de Science Fiction, car Lewis Shiner est d’abord un écrivain de ce genre littéraire. Mais son incursion dans le roman noir est plutôt une réussite, et pour une première, c’est une agréable surprise.
Ancien ouvrier du bâtiment, ancien dessinateur de BD, musicien et donc écrivain, on retrouve dans son roman « Les péchés de nos pères » certains des ingrédients qui ont fondé sa propre existence.
Ce livre est donc son premier roman noir. Et noir, il l’est profondément puisqu’il plonge le lecteur dans les affres d’une des pages les plus sombres de l’histoire américaine, celle de la ségrégation raciale et de la soumission des noirs américains à la suprématie blanche.
Le père de Michaël se meurt, rongé par un cancer qui chaque jour l’éteint un peu plus. Cela fait des années qu’il n’est pas revenu dans cette ville de Durham qui l’a vu grandir et où sa famille a toujours vécu. Travaillant dans la bande dessinée, il est parti construire sa réussite et bâtir sa vie bien loin de cette ville où plongent ses racines familiales.
Michaël revient donc près de son père avec qui il a tant de mal à communiquer. Mais les derniers souffles de la vie d’un homme peuvent parfois soulever des poussières sombres, accumulées sur les souvenirs d’une existence et mettre à jours des choses qu’on aurait souhaitées qu’elles ne remontent jamais à la surface.
Dès son arrivé l’atmosphère est pesante. Michaël devine que son père à des choses à lui dire, qu’un secret l’empêche de partir en paix. Mais celui-ci reste malgré tout fermé ou évasif. Alors Michael va chercher, près des siens, de ses parents qu’il n’a pas revus depuis des siècles, des anciens collègues de son père, à attraper ce fil de l’histoire qui lui échappe.
Comme quelqu’un qui buterait sur une racine qui effleurerait le sol, Michaël va finalement trébucher sur les siennes en apprenant qu’il n’est pas né l’année où il est censé l’avoir été. En les mettant progressivement à jour, il découvrira des secrets vieux de plusieurs décennies, qui l’emprisonneront dans la toile d’une histoire qui le dépassera, et dont pourtant il portera la trace dans sa chair et dans son âme.
Mais à remonter le cours de ses origines familiales, Michaël devra emprunter bien des méandres. Car ce jeu de piste tortueux va le conduire à un cadavre, enseveli dans les replis de l’histoire de cette cité noire à la pointe de la lutte pour les droits civiques dans l’Amérique de l’après guerre. Ce cadavre c’est celui de Barret Howard, un activiste noir de l’époque, dont on avait fini par croire qu’il était soudainement parti pour le Mexique. Et Michaël de déchirer ce voile de silence qui enserrait la mémoire de son père dans un carcan de culpabilité venimeuse.
La mise à nue de la vérité va alors porter un éclairage cru sur l’histoire familiale qui s’inscrit au burin dans celle de ce quartier de Durham, Hayti, et qui embrasse celle de cette époque marquée de soumission et de luttes émancipatrices.
Lewis Shiner nous livre une fresque qui court sur près d’une quarantaine d’années. Le lecteur suit des tranches de vie des différents personnages.
De Michaël bien sûr, qui à partir de la recherche d’un secret va finalement se lancer dans la quête de sa propre identité. De son père Robert de 1960 à 1970, jeune architecte prometteur, qui côté blanc, face émergée, se consacre à la conception de cette autoroute qui va dévaster le cœur de Durham, et côté noir, face cachée, qui se passionne pour la musique afro-américaine, découvre le vaudou, et se délivre dans un abandon de soi et une ivresse des sens. De sa mère Ruth enfin, issue d’une famille aisée, dont le père, un des plus gros notables de la région, dirige d’une main de fer ses affaires et orchestre la vie des siens.
Shiner arrive chaque fois à plonger son lecteur dans l’ambiance de l’époque. Truffée d’anecdotes, de petites scènes qui s’agrègent à la trame générale de l’histoire, il finit par dépeindre la réalité de cette société d’après guerre, violente, raciste et discriminatoire, shooté au développement économique. Une société où une seule goutte de sang africain dans les veines fait de vous un noir, alors qu’une goutte de sang européen ne fait pas de vous un blanc.
Mais sa véritable force, c’est de montrer que la haine se transmet comme un bien de famille, que ce que la société dominante lâche d’une main, elle le reprend d’une autre. Quand elle reflux comme une marée en laissant enfin accessible des droits civiques aux noirs, elle revient plus forte sur la vague du développement économique en emportant tout sur son passage, à l’image de cette autoroute qui dévaste et met à mort le quartier d’Hayti, où de ces multinationales qui vampirisent des terrains où s’entassent les plus pauvres, pour assurer leur propre expansion.
Ce roman est aussi une ode à la culture noire, de ces hommes soumis, enfin debouts et rebelles, qui ont su faire naitre dans leurs chants et de leurs danses la petite flamme de l’espoir et de la liberté. Un roman d’où émane une certaine forme de mélancolie, non pas de cette époque révolue dans ce qu’elle avait de plus honteux, mais de cette contre culture comme un rempart au désespoir.
Enfin, c’est aussi une magnifique histoire d’amour, une pièce du puzzle dont Michaël ressentait l’absence, la clé dont il avait besoin pour ouvrir la porte de son passé. Un passé, qui oblige les enfants à assumer les péchés de leurs pères.
Bel exercice que ce premier roman noir qui mêle, ségrégationnisme, lutte pour les droits civiques, meurtre, groupes d’activistes, amour, musique et violence sociale.
Gageons que l’auteur renouvelle l’expérience, car il a visiblement toute sa place dans le roman noir !
Le blog de Bruno : http://passion-polar.over-blog.com/
Les Péchés de nos pères
Lewis Shiner
Sonatine, novembre 2011
598 pages, 22 €
11:21 Publié dans 02. polars anglo-saxons | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | |
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