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16/04/2011

Pitié pour Constance, d'André Fortin (chronique 1)

pitiepourconstance.jpgUne chronique d'Ishtar

 « Avertissement

Ce roman est une fiction. Toute ressemblance avec des personnages existants ou ayant existé, serait donc purement fortuite. »
 
Avertissement liminaire, donc. Année : 2010. Lieu : France. Milieux : la politique, la justice.

 Le milieu de la politique : compte tenu de l’avertissement, on s’abstiendra donc de reconnaître, au premier rang, le Président de la République : « Le président qui n’avait pas la réputation d’avoir lu grand-chose […] » ; « […] l’autre [i.e le président] continuait à gesticuler, proférant quelques jurons, il aimait ça. » ; « Le conseiller songea que le président n’était pas le genre à qui l’on pouvait donner mauvaise conscience comme ça. Pas facile ! C’était un type qui était tout à sa réussite, seule sa réussite personnelle comptait. Il n’avait pas d’idée. Il avait une vague culture libérale, un simple vernis, aimait l’Amérique parce que, précisément, c’était par excellence le pays de la réussite, menait volontiers une politique de droite, à l’américaine si possible, mais pouvait tout aussi bien prendre à l’occasion une mesure de gauche si ça pouvait lui rapporter quelque chose. Pas d’états d’âme ! »  

On s’abstiendra, de la même manière,  de reconnaître qui que ce soit dans cet échange :

« A mon avis, dit le ministre de l’Intérieur, avant même qu’on ait ouvert la séance car c’était un homme qui était conscient de son importance, il faut ouvrir une information, une information judiciaire […]

Je vois où vous voulez en venir, rétorqua la ministre de la Justice, assez d’accord sur le principe mais piquée au vif de voir ainsi fouler ses plates-bandes par le flic en chef. […] »

On s’abstiendra, enfin, en lisant ces lignes, de subodorer la plus infime ressemblance entre ce personnage de fiction et une personne connue :

« Les mines s’assombrirent, les fronts se plissèrent, les mâchoires se contractèrent. Pour les autres, les manières du Premier ministre, un fantoche en vérité, étaient insupportables, des manières de donneur de leçon à la petite semaine ! » ; « Le ministre de l’Intérieur n’en croyait pas ses oreilles. Pour qui se prenait-il, ce Premier ministre, il avait pourtant dû comprendre, depuis un moment déjà, que, dans la nouvelle configuration constitutionnelle, il n’était rien, en tout cas rien de plus qu’un ministre lambda et peut-être moins encore qu’un ministre important, comme celui de l’Intérieur, précisément. […] »

 Dont acte.

 Pour le reste, côté justice, on a d’un côté, un juge d’instruction, passablement placardisé à qui échoit l’enquête sur l’enlèvement de la fille ultragauchiste d’un député de la droite gouvernementale. Ce n’est pas simple, en effet, mais pas très clair non plus. Les motivations du commando de barbouzes délégué au rapt nage jusqu’au bout dans un brouillamini à couper à la machette.

 Ceci dit, les personnages sont, pour la plupart, assez bien rendus. Les rapports entre eux sont cohérents, compte tenu de leur personnalité respective. Le dénouement, d’ailleurs, tient compte de ce paramètre.

 Mais, tout de même, une technique narrative, déjà vue ailleurs, peut laisser perplexe : pratiquement tout le roman est écrit par un narrateur omniscient, c’est-à-dire à la troisième personne. Le narrateur connaît donc tout de ses personnages : leurs sentiments, leurs pensées. Or, certains chapitres sont écrits à la première personne, par un narrateur-personnage, celui du juge d’instruction, celui qui est chargé de l’enquête sur l’enlèvement de la jeune fille. C’est donc par ses yeux que le lecteur découvre le monde de la justice,  les coups bas qu’elle doit endurer, les rapports difficiles qu’elle entretient avec le pouvoir, surtout en ce qui concerne le sort du juge d’instruction, les compromissions de certains magistrats.   C’est, de loin, ce qui est le plus passionnant dans ce roman. L’auteur, juge lui-même, sait de quoi il parle et en parle bien. Du coup, le lecteur s’identifie parfaitement avec ce narrateur-là. Par contrecoup, les autres chapitres paraissent improbables pour ne pas dire factices. Et l’on se demande pourquoi cet autre narrateur,  omniscient,  nous laisse dans le brouillard en ce qui touche aux raisons de l’enlèvement. Si bien que le lecteur, une fois la lecture achevée,  reste un peu sur sa faim, un peu lésé. Rien de tel n’aurait pu se produire si la parole avait été donnée exclusivement au narrateur-personnage. Sa perspective, forcément subjective, réduite, tronquée, soumise aux aléas des informations qu’on voulait bien lui transmettre, aurait alors paru plausible. On ne peut en vouloir à un narrateur-personnage d’ignorer ce qu’on lui cache. De ce fait, le mystère aurait ouvert une porte à la réflexion, à l’interrogation au lieu de laisser cette impression d’inachevé.

 Malgré tout, je ne voudrais pas rester sur une note négative. Ne serait-ce que pour la charge satirique, bien sentie et courageusement assénée, ce roman mérite d’être lu et apprécié. L’écriture en est nerveuse, moderne, agréable même. On peut s’en faire une idée en lisant les quelques extraits en tête de cet article. Beaucoup de romans contemporains n’ont pas ces qualités, loin s’en faut. Bonne lecture, donc.

 Ishtar

A lire également : la chronique d'Albertine sur le même roman.

 Présentation de l'éditeur

 Pour le Président et ses conseillers, les arguments sécuritaires ont toujours été des instruments très favorables aux bons sondages… Pour l’ultra-gauche, l’insurrection tant attendue justifie tous les moyens et plus si affinités… Constance Sicardi, fille d’un député proche du pouvoir, est l’égérie la plus active d’un de ces groupuscules. Elle vit en communauté dans un village reculé du centre de la France, soutient les grèves, les ouvriers, les occupations d’usine et si nécessaire, le fauchage sauvage de maïs transgénique… A la fin d’un meeting agité à Marseille, elle est enlevée par un mystérieux commando. Rapidement saisi du dossier, le juge Galtier va, au cours de son enquête, mettre au jour les agissements probables d’un service proche du pouvoir, la Cellule Grise… Affaire d’Etat ou affaire classée, le chemin du juge sera semé d’embûches.

 Auteur : André Fortin
Titre : Pitié pour Constance
Genre : polar
Editeur : Editions Jigal
Prix : 17 €