08/01/2012
Pitié pour Constance, d'André Fortin (chronique 2)
Une chronique d'Albertine
L’histoire de Constance est à la fois simplissime et d’une grande complexité, si grande que le lecteur finit par revenir en arrière pour savoir quelle marche il a manqué pour comprendre le «mobile ». Qu’il ne s’inquiète pas, il n’en a manqué aucune : Fortin manie avec maestria l’art de nous faire considérer comme normale une violence d’Etat manigancée par on ne sait qui selon des détours absurdes.
Absurde. Finalement ce sera la dominante de ce roman : l’absurde érigé en règle ; le sens déréglé, la roue devenue libre et qui pourtant va entraîner des conséquences majeures.
Nous sommes dans la France contemporaine : 2008- 2010 ; dans la république sarkoziste dont nous allons fréquenter les ors et les sous-bassements, avec des militants de gauche qui paieront, qui sait pourquoi, le simple fait d’être ce qu’ils sont.
L’histoire de Constance est celle d’un enlèvement, fomenté par une officine dont la légitimité branlante n’en est pas moins soutenue par le Président lui-même.
Fortin ne craint pas de rendre sympathiques les « ennemis du peuple », tels Albert Sicardi, député UMP et père de Constance, dont le désespoir nous touche, ou François Séverac, vieil électeur de droite de Condamine auquel il sera fait appel lorsque la brutale intervention des forces de l’ordre le nécessitera ; de rendre pathétiques le clown du pouvoir tel le conseiller Vernier, qui s’enfonce dans une lâche allégeance à ce qui le domine. Fortin sait magnifier l’extrême perfection de certains actes des protagonistes : celle avec laquelle le Président « ne veut rien savoir » de toute affaire susceptible de le salir, ou celle avec laquelle le chef de commando met un terme à l’histoire de Constance. Nous sommes alors dans deux figures archétypales : celle du « salaud sartrien » et celle toute militaire, de l’homme d’honneur.
Le récit se construit à partir des évènements et des personnages qui vont converger vers l’enlèvement et le dénouement, entre 2008 où le Président exprimera son désir d’aider son ami le Président Américain dans l’exécution de ses basses œuvres (Guantanamo se suffisant pas), et 2010 où le même Président refusera d’entendre le conseiller Vernier lui donner des nouvelles de la fille Sicardi.
L’officine instrument de ce projet de coopération franco-américaine sera la « Cellule Grise », car l’humour est toujours présent dans le récit et nous fait maintes fois sourire.
Enfin, des protagonistes et des épisodes secondaires et pourtant essentiels au récit nous sont offerts pour la dégustation de cet inter-monde entre complexité et caricature : le « petit juge » Galtier qui apparaît au tout début du récit sans autre nécessité que de nous le faire connaître et aimer et de nous amuser : il instruira ensuite l’affaire sans parvenir à arrêter le cours des choses ; la rencontre dans son bureau, de trois personnages qui sont proches de Constance : François Séverac, le paysan de droite au grand cœur, son voisin, Olivier Monge, son ami gauchiste et Albert Sicardi, son père. Cette rencontre « pour rien » est le luxe que nous offre l’auteur, et qu’il s’autorise sans souci du « littérairement correct » qui commande l’écriture de récits haletants et efficacement tournés vers l’avancée de l’action. Merci aussi pour cet étrange personnage aux préoccupations triviales qui côtoie le drame, la comptable Mme Casajus, dont nous attendons vainement une intervention qui change le cours du récit ; elle nous surprend par son absence totale de raison d’être, comme tant de méandres inutiles de la vie, qui en sont le sel.
Nous laissons de côté le cœur de l’histoire, la relation entre le chef du commando Villejuste, et la rebelle Constance. Relation facile certes et pourtant…! Ils seront deux figures emportées par leur destin, écrit dans leur nom.
Albertine, 8 janvier 2012
Pitié pour Constance
André Fortin
Editions Jigal Polar, 2011
15:07 Publié dans 01. polars francophones | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | |
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