21/04/2011
Franco est mort jeudi, de Maurice Gouiran
Une chronique d'Ishtar
Manu Magnani est un pauvre type, au chômage. Il n’a pas un sou et vit de « gâches » plus ou moins minables pour joindre les deux bouts. Il vit seul depuis que sa femme, Agnès, l’a quitté et ne voit que de temps à autre son vieux père, veuf et aigri, et son rejeton, Patrice qui, pour s’en sortir, se livre à des magouilles avec les caïds des cités marseillaises.
Manu reçoit un jour une lettre de Madrid par laquelle une petite cousine, Paola, l’informe du sort échu à son grand-père maternel, Ramon Espola, « commandante » républicain pendant la guerre civile d’Espagne. Manu plonge alors dans la lecture du journal intime de sa mère, Elisa, fille de Ramon.
A partir de là, nous voici plongés dans un voyage à travers l’Espagne post-franquiste où, contraint par la nécessité, Manu envoie son fils Patrice, escorté d’un ancien journaliste, un peu aventurier à ses heures, Clovis Narigou.
Les personnages vont alors être confrontés à des milieux peu amènes : d’une part les caïds des cités marseillaises, d’autre part le milieu de l’extrême-droite espagnole, nostalgique de l’époque franquiste.
Le suspense est garanti : que va-t-il advenir de Manu, de Patrice, d’Agnès et de Clovis ? Qu’est devenu le grand-père de Manu, Ramon Espola, à l’issue de la bataille de l’Ebre ?
L’auteur privilégie les regards de Manu et de Clovis pour nous donner à voir les événements et les autres personnages, d’où le choix d’une écriture qui se veut l’écho du langage des personnages : « Pour Manu, il était plus facile de parler à Agnès de son fils que de lui-même. D’ailleurs, pour ce qu’il aurait eu à dire…
Le minot s’égarait dans des combines foireuses. Il avait répliqué à sa mère qui lui en faisait le reproche : « Je n’ai pas envie d’avoir une vie de merde, comme toi et mon père ! » Sa remarque avait blessé Agnès, elle fit réfléchir Manu. Patrice avait raison, ils avaient vraiment, chacun de leur côté, une vie de merde. »
Les chapitres consacrés à Clovis Narigou sont écrits à la première personne, faisant de lui un narrateur-personnage. Ce procédé doit être à la mode car on le rencontre de plus en plus fréquemment dans les romans de ces dernières années. Quelle idée de vouloir passer d’un narrateur omniscient à celle de narrateur-personnage ! Enfin, dans ce dernier cas, ce n’est pas trop gênant dans la mesure où le narrateur omniscient privilégie tout de même le regard de Manu. C’est un peu comme si ce dernier était, lui aussi, une sorte de narrateur.
Par ailleurs, sans recourir au procédé pesant du portrait, l’auteur a su rendre ses personnages extrêmement réalistes et d’une grande justesse. On découvre leur personnalité à travers leur comportement et leur langage. Ce procédé, cher à Zola, a d’ailleurs fait ses preuves.
Le roman est construit autour de dates clés circonscrites à des lieux, un peu à la manière d’un journal de bord ou, plutôt d’un journal de voyage. La période couverte dure un peu plus d’un mois, ce qui a pour effet de resserrer et de dynamiser l’intrigue. Beaucoup d’événements se déroulent, en effet, en ce court laps de temps. Quelques analepses, correspondant à des flash-back au cinéma, nous ramènent souvent au temps d’Elisa, petite fille fuyant le franquisme avec sa mère. Des récits emboîtés correspondent aux évocations des compagnons d’exil de celle-ci, les derniers survivants que Manu rencontre à Marseille. Les références historiques, nombreuses, sont passionnantes car parfaitement intégrées à la narration sans l’alourdir ni la ralentir pour autant.
Pour toutes ces raisons, ce roman peut être classé dans les bons romans, agréables à lire. Il accroche vraiment, dès les premières pages.
Bonne lecture, donc.
Ishtar
Titre : Franco est mort jeudi
Auteur : Maurice Gouiran
Editeur : Editions Jigal
Prix : 18 €
Présentation de l'éditeur
C’est cette fois du côté de l’Espagne et des Pyrénées que Maurice GOUIRAN va puiser la chair et le sang de son nouveau roman : l’Espagne de la guerre civile, l’Espagne de la dictature, l’Espagne de toutes les horreurs... Mais également les Pyrénées, donc la France, puisque c’est là, du côté d’Argelès, que vont s’échouer et mourir par centaines les réfugiés républicains en déroute. Le décor est posé - terrible, inhumain, cruel -, mais Maurice GOUIRAN trouve l’art et la manière - le talent - de nous rendre ce récit émouvant et très attachant. Émouvant grâce aux hommes et aux femmes, qui habitent son roman, Élisa, Manu, Fabiola, Pedro, Luiza, Ramon et quelques autres... ce peuple d’anonymes, ces militants qui luttent pour leur survie, ces mômes hagards qui suivent le mouvement, ces femmes qui aiment, protégent et espèrent, ces hommes qui souffrent et tombent au combat... Et si sous l’intrigue les mots sont si denses, c’est parce que ce sont ceux de l’Histoire. Maurice GOUIRAN nous offre encore une fois un roman à mettre entre toutes les mains, et surtout dans celles de nos enfants, parce que, comme à son habitude, sous ses atours d’écrivain remarqué de polars, il rend possible et accessible un éclairage salutaire sur cette terrible période.
09:39 Publié dans 01. polars francophones | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | |