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29/02/2012

Le Château du lac Tchou-An, de Frédéric Lenormand

chateau_du_lac_tchou_an.jpgUne chronique de Christophe.

"Ni l'or ni la grandeur ne nous rendent heureux" (Jean de la Fontaine).

Je vous préviens d'emblée, l'auteur dont nous allons parler va devenir un habitué de ce blog. Pas seulement en tant que visiteur (fier, je suis !!), mais en tant qu'auteur de livres modestement et fébrilement décortiqués dans ces pages. L'auteur, c'est Frédéric Lenormand, que j'ai hâte de retrouver bientôt dans des salons qui me tiennent à coeur. Et comme j'espère bien avoir l'opportunité, à cette occasion, de le faire parler de son travail, je me plonge dans son abondante bibliographie. Et puis, grâce à lui nous allons nous immerger quelques instants dans une culture et une époque fort dépaysantes, celles de la Chine Impériale. Et immerger est vraiment le mot, vous allez voir... Voici un humble avis consacré à la premières des nouvelles enquêtes du juge Ti, "le château du lac Tchou-an" (en poche, chez Points Policier).

En l'an 668, le juge Ti, en fin de mandat dans sa précédente fonction, est affecté par ordre impérial dans la ville provinciale de Pou-Yang, dont le dernier magistrat en poste est décédé 5 mois plus tôt. Devant l'urgence de cette mission, et afin de ne pas fâcher l'Empereur, Ti s'est mis en route sans tarder. Mal lui en a pris... Car la pluie qui tombe abondamment depuis plusieurs jours a fait sérieusement monter le niveau des cours d'eau, rendant la navigation, moyen de transport choisi par le juge pour se rendre à Pou-Yang, difficile.

Le danger est tel que son équipage refuse d'aller plus loin et parvient à apponter sans trop de mal dans un port, presque providentiel. Pendant que les marins s'activent à la réparation de l'embarcation, le juge et son fidèle homme à tout faire Hong Liang vont s'installer dans la seule auberge locale, un établissement pouilleux où la qualité de la nourriture ne fait pas oublier la saleté.

 Lors du dîner, le juge entend raconter une histoire concernant la plus noble famille locale et sa mystérieuse demeure. Un château que la vox populi dit placé sous la protection d'une déesse qui semble avoir élu domicile dans le lac entourant la bâtisse. Selon ce qui ressemble fort à une légende, les calamités qui s'abattent sur la région ne touche ni le domaine, ni ses habitants.

 Le juge Ti, bercé, comme les élites intellectuelles de l'Empire, par le confucianisme, ne prête que peu d'intérêt à ces racontars, mais se montre bien plus intéressé par le château et par le havre de paix et de chaleur qu'il représente. L'heure est trop tardive pour essayer de s'y faire inviter, il va falloir ce résoudre à passer une nuit dans l'auberge, alors que l'eau monte toujours.

 Le lendemain, avant que Ti ait pu entreprendre quoi que ce soit, apporté par les eaux qui montent, qui montent, le corps sans vie d'un homme vient échouer dans l'auberge. Pour tous, il s'agit d'une des terribles conséquences des inondations. Sauf pour Ti, qui soupçonne un meurtre... Mais qui pourrait vouloir tuer un représentant en soieries ? Et pourquoi ?

 En attendant de se pencher plus attentivement sur ce mystère, Ti envoie un message aux châtelains du lac Tchou-an, sollicitant leur hospitalité. Devant leurs réticences manifestes à le recevoir, le juge va jouer de sa fonction pour faire changer d'avis à ses futurs hôtes... Ils cèdent, mais leur mauvaise volonté est patente. Qu'à cela ne tienne, la vie de château, même avec des hôtes peu enclins à accueillir des visiteurs dans leur domaine, ne pourra être que plus agréable que la journée passée dans une auberge qui menace d'être engloutie corps et bien...

 Mais, une fois arrivés, Ti et Hong Liang ne vont pas en revenir... Entre une famille aux comportements incompréhensibles et loin de ce que devrait exiger l'étiquette pour des personnages de ce rang, et une domesticité dont la compétence ne saute pas aux yeux, c'est dans une vraie maison de fous que les deux hommes ont  l'impression de loger.

 Et pendant que Ti fulmine un peu plus chaque jour devant le laxisme des châtelains, l'outrecuidance des serviteurs, le non-respect de la hiérarchie des castes et la déliquescence des moeurs dans l'Empire, les cadavres flottants se multiplient.

 Ti veut en avoir le coeur net : il veut comprendre ce qui se passe dans ce château lacustre qui semble coupé du reste du monde et dans ses alentours. Et pas question de donner crédit aux évènements auxquels le juge assiste et qui pourraient venir en renfort des croyances et superstitions locales...

 J'ai retrouvé dans cette première nouvelle enquête du juge Ti (nouvelle, car le personnage du juge Ti a été crée par le romancier Robert Van Gulik puis repris, après la mort de ce dernier, par plusieurs autres auteurs, dont Frédéric Lenormand) le mauvais esprit jubilatoire qui caractérise les personnages de Lenormand.

 Je me suis amusé comme un petit fou à découvrir ce curieux juge, aux méthodes étonnantes et détonantes : son autorité est indéniable, un certain mépris pour les classes inférieures aussi. Il est rationnel à l'extrême, privilégie la philosophie et la science à toute autre forme de croyance, cherchant à expliquer ce qui semblerait inexplicable à tout autre être... Son sens de l'observation est remarquable, mais ses capacités de déduction pataugent parfois (c'est sans doute le contexte très humide des lieux qui veut ça...) et il lui faut faire preuve d'un certain autoritarisme pour faire avancer son affaire, alors que les preuves se font rares...

 Il a un côté retors et roublard qui en fait un enquêteur hors-pair, capable d'embobiner son monde, y compris les coupables qu'il traque. Et s'il applique une éthique sans faille à toute heure du jour et de la nuit et en toute circonstance (même les deux pieds, voire plus, dans l'eau), il n'oublie jamais de conserver la dignité qui sied à son rang (même lorsqu'il adopte la position dite "de l'escargot dans sa coquille").

 Mais, ce qui me plaît chez lui, c'est son dialogue intérieur où il se décharge de toutes les pensées bien peu charitables qu'il lui arrive (si peu, si peu...) de nourrir à l'encontre de ses congénères. Son jugement sur l'être humain est impitoyable, il ne pardonne rien, et surtout pas la médiocrité, la lâcheté, l'irrespect pour l'étiquette, l'incurie... Et encore moins, la mauvaise cuisine...

 Bref, à tout cela, on voit parfaitement qu'il est confucéen. Car Confucius n'a-t-il pas dit que l'on peut connaître la vertu d'un homme en regardant ses défauts ? Et le juge Ti est très, très vertueux... Mais, plus important, il est extrêmement compétent.

 Son enquête, elle, nous permet de découvrir des personnages dépassés ou manipulateurs, ou les deux à la fois, pour certains d'entre eux. Ce que le juge Ti met à jour petit à petit (avec la lenteur d'une décrue, pourrait-on dire...), c'est une magnifique collection de faux-semblants bien dissimulés sous les oripeaux d'une réalité qui, parfois, se pare de fantastique...

 Si la plupart des évènements ont des causes bien réelles et vérifiables, force est de reconnaître que ce château de Tchou-an fait honneur à sa légende... Et ce petit jeu entre rationalisme à tous crins et croyances populaires est l'un des aspects principaux de ce récit.

 La riche culture chinoise offre une belle part au conte et pourtant, pour Ti, seuls comptent les écrits basés sur la raison, les seuls à accéder, à ses yeux, au rang d'oeuvres d'art. Alors, autant que le coupable des meurtres, ce que voudrait bien démontrer Ti, c'est que les légendes qui courent sur le domaine de Tchou-an ne sont fondées que sur la crédulité du bas peuple.

Mais la raison ne fait pas tout...

Christophe
(http://appuyezsurlatouchelecture.blogspot.com/) 

Le Château du lac Tchou-An
Frédéric Lenormand
Points policier
217 p
6,5 €

Présentation de l'éditeur

En l'an 668, surpris par une inondation spectaculaire, le juge Ti se réfugie dans une auberge de province. Le lendemain, un des hôtes est assassiné. D'autres cadavres flottent bientôt sur les eaux d'une crue toujours plus menaçante. Accompagné de son fidèle Hong, Ti suit la piste d'un splendide château aux occupants étranges et inquiétants. Quel secret protègent-ils si farouchement?