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29/02/2012

Les auteurs du noir face à la différence.

 auteurs_du_noir.jpgUne chronique d'oncle Paul

Vous vous êtes sûrement tous un jour amusés à relever les petites divergences entre deux dessins, alors que vous attendez votre tour dans une salle d’attente, avec le fameux jeu dit des 7 erreurs. Il faut retrouver sept divergences, parfois minimes, entre deux dessins. Changements de couleur ou de forme, déplacement, ajout ou suppression. Sur Terre, c’est tout le contraire qui est proposé à l’observation d’un être humain. La différence prévaut, d’abord dans le sexe, masculin féminin, puis dans la couleur de peau, de cheveux, des yeux, dans l’aspect physique, mental, moral. Seuls échappent à la différence les sosies et les jumeaux, et encore pas tous. Ce son les premiers différents de la planète. Après il faut regarder autour de soi, et on se rend compte que certaines divergences « choquent » plus que d’autres, attirent plus l’œil que d’autres. Le regard de la majorité qui n’est plus différente sur la minorité qui arbore involontairement des divergences, des handicaps physiques ou mentaux. Un regard souvent teinté de gêne, de mépris, de honte, de curiosité malsaine, de condescendance, d’apitoiement, posé sur des handicapés qui eux-mêmes nous dévisagent avec des points d’interrogation. Nous aussi sommes différents d’eux, et ils ont droit de posséder un avis de défiance.

Dans ce recueil, quinze auteurs, tous différents les uns des autres par la sensibilité, le style narratif, les préoccupations, se sont investis suite à un défi lancé lors des Quais du Polar à Lyon en mars 2011. Une initiative prise au sérieux et organisée par Fabien Hérisson du site Livresque du Noir. Et à l’unanimité, il a été décidé que les droits d’auteurs iraient au bénéfice d’une association ou d’une œuvre humanitaire. Le choix s’est porté sur l’association dunkerquoise Ecoute ton Cœur, créée en 2008, dont le but est de sensibiliser le grand public à la question sur l’autisme, mais aussi et surtout de proposer aux enfants des activités sportives dispensées par des éducateurs spécialisés.

Les quinze auteurs qui ont relevé ce défi se nomment, par ordre alphabétique : Laurence Biberfeld, Valéry Le Bonnec, Thierry Brun, Paul Colize, Patrick de Friberg, Bob García, Sébastien Gendron, Maxime Gillio, Fabien Hérisson, Sophie Loubière, Gaëlle Perrin, Elena Piacentini, Hervé Sard, Nicolas Sker, Michel Vigneron. Certains noms ne vous sont pas inconnus, au contraire, vous avez pu lire et apprécier leurs ouvrages. D’autres, pour moi du moins, sont des inconnus, et le seul reproche que je puisse effectuer, c’est le manque de présentation, en quelques lignes, de ces participants.

Etant donné qu’il serait fastidieux, autant pour vous que pour moi, de vous résumer toutes ces nouvelles, je me contenterai donc de vous en proposer quelques-unes, représentatives des regards portés sur une frange de la société, qui méritent que l’on s’intéresse à elle sans pour autant que l’on ait l’impression de traîner dans une foire aux monstres comme cela se faisait dans le temps dans les fêtes foraines pour l’édification des badauds.

Alors voici, dans un mélange totalement improvisé, quelques histoires significatives des différents ostracismes qui polluent notre société.

Dans On a déconné ,de Sébastien Gendron, trois jeunes Roms enlèvent,  à la faveur d’un hasard facétieux, le ministre de l’Intérieur. Il lit les pages saumon d’un quotidien national, près d’un kiosque à journaux. La place Beauvau est déserte, la tentation est trop grande pour ne pas y succomber. Rien n’avait été prémédité et pourtant voici ce représentant de la République qui porte de petites lunettes sans monture et une impeccable coupe de cheveux entrainé dans la camionnette des trois kidnappeurs. Ils ne lui reprochent rien, sauf qu’il a dans les yeux toute la haine que leur peuple lui inspire. Toute la haine qu’il a toujours inspirée tout au long de l’histoire. « Ce qu’il y a de terrible dans le regard de cet homme, c’est qu’il est ministre et qu’à travers lui, cette haine entre dans l’institution de votre pays ».

La ségrégation ethnique et raciale se trouve partout, comme le souligne Valéry Le Bonnec dans La petite mécanique de l’horreur. L’histoire qui s’inspire de faits réels, se déroule dans la province de Muramvya au Burundi. De jeunes albinos sont traqués puis sacrifiés selon des coutumes plus ou moins ancestrales par des chasseurs qui empocheront une prime leur permettant de manger, de s’acheter des habits, de réparer leur maison. Une histoire dont les phrases partent en lambeaux ou en tronçons.

Dans Asperger, mon amour, l’auteur, Maxime Gillio, se coule dans la peau de la narratrice, Pauline, onze ans, et raconte son histoire à la première personne. Selon sa mère, Pauline a de la chance car elle va entrer au collège, intégrer une classe dite ULIS. Et tout le monde n’a pas la chance de pouvoir en bénéficier. Mais Pauline, lorsqu’elle est contente, aime tirer les cheveux de ses petites camarades, de les serrer fort pour les embrasser, de leur toucher les oreilles, de dire des gros mots. Les copines sont flattées, elles rigolent, sauf lorsque Pauline est un peu trop violente dans ses démonstrations. Et cela dégénère souvent. Pauline va voir une pédopsychiatre, il y a des mots qu’elle ne comprend pas toujours, alors elle recherche leur signification dans le dictionnaire. Mais Pauline parfois en a marre d’être autiste, c’est trop nul.

Dans un autre registre Bob Garcia nous entraine, avec Sonic World, dans l’univers d’un petit garçon rançonné par d’autres enfants. Il en a peur, surtout de Jimmy qui a une voix de crécelle. Avec quelques copains, Jimmy et sa bande attendent Tom à la sortie de l’école et en profitent alors qu’il traverse un terrain vague pour le battre jusqu’à ce qu’il leur donne vingt euros. Tom prélève l’argent dans le porte-monnaie de sa mère, sans qu’elle s’en rende compte, crois-t-il, mais cela ne peut plus durer. Rentrer tous les soirs, griffé, les vêtements en lambeaux, le cartable et les affaires qu’il contient détériorés, cela n’aura qu’un temps. La rédemption passera peut-être par la musique.

La bête noire, d’Elena Piacentini, est un clin d’œil à la Bête et le Belle dans les montagnes corses. Un homme né laid, une jeune femme belle à croquer qui dès son enfance a été habituée à figurer dans les pages modes des magazines féminins, une rencontre, puis la mort. Evidemment les mauvaises langues se déchainent lors de la découverte d’un cadavre et seul un être qui ne ressemble pas à tout le monde, même s’il est essentiel dans le village, devient le premier suspect.

Patrick de Friberg joue sur une corde sensible, celle de la science. Une simple sortie de famille se déroule le 11 mars 2012, un an après le tsunami de Sendai sur les côtes japonaises. Guy Gagnon, un entrepreneur canadien qui ne pense qu’à son travail, a été obligé de se plier aux conseils de son psy qui lui a ordonné, presque, de prendre une journée de repos à la pêche en mer avec son fils et quelques marins. Il enrage mais il faut faire avec. S’il avait su qu’un autre tsunami se préparait sous une autre forme, il aurait sûrement différé sa balade en mer.

 

Le titre Être une femme de Nicolas Sker, résume presque à lui seul la teneur de cette nouvelle. Presque. Et il serait dommage de déflorer l’intrigue et lui en faire perdre toute sa saveur, même si la violence est au rendez-vous.

La voix des autres d’Hervé Sard est à découvrir elle aussi comme on enlève peu à peu les voiles qui sont posés définitivement sur les yeux. Disons que Gabrielle se meurt d’un cancer, elle n’en a plus que pour quelques jours, alors autant franchir rapidement la frontière. Elle organise son suicide elle-même.

De rire et de couleurs de Michel Vigneron se déroule dans un IME, Institut médico éducatif. Les parents de Sam ne pouvaient plus garder ce bébé âgé de douze ans qui ne peut être déplacé que dans un fauteuil roulant. Les soignantes et les éducatrices sont aux petits soins pour Sam. Elles changent régulièrement ses couches, elles le bichonnent, elles lui parlent gentiment, n’attendant aucune réponse de sa part. Mais dans l’IME court le bruit qu’un des patient est décédé bêtement, oubliant de respirer.

Enfin, dans Dignité perdue, Fabien Hérisson met en scène un chirurgien qui tout en écoutant une patiente qui jacasse, piaille, cancane et parle d’elle comme si elle était la plus intéressante personne au monde. Lui il revoit sa jeunesse, son amour du scalpel et la première fois qu’il a pratiqué une opération à plastique ouvert sur une poupée appartenant à sa sœur. Les coups que son père lui assénait à coups de ceinture ou son odorat développé lui permettant de renifler du sang à plusieurs mètres de distance. Fabien Hérisson ne se contente pas de relater ce qui va suivre entre ces deux personnages centraux mais aime à digresser sur de petits faits de société, comme la téléréalité par exemple.

Un recueil qui nous plonge dans l’enfer des victimes de nos regards, de nos pensées, de nos appréhensions, de la discrimination inconsciente parfois de notre part, du rejet de la société par effet de contamination, et qui se traduisent par des moqueries, des violences verbales ou physiques.

Paul (Les lectures de l'oncle Paul)

 

Les auteurs du noir face à la différence.
Editions Jigal.
208 pages.
16,50€.