28/02/2012
La Maison des tocards, de Mick Herron (chronique 2)
Une chronique de Bruno
Que l’on soit amateur ou non de romans et de films d’espionnage, nous avons tous des stéréotypes bien encrés dans nos mémoires de cet univers particulier, fait d’ombres et de silences, de trahisons et de complots.
Le temps de la guerre froide, celui de ce monde multipolaire dans lequel nous vivons aujourd’hui offre une source inépuisable de scénarii pour des auteurs qui savent offrir à leurs lecteurs une vie d’aventures par procuration, où le bien triomphe toujours à la fin.
Dans ce domaine de grands noms ont apporté leur pierre à l’édifice de notre imaginaire. De William Le Queux au début du XX siècle, à Ian Flemming en passant John Bucan , sans oublier John Le Carré ou Gérard de Villiers, tous ont contribué à forger l’image de l’espion ne pouvant compter que sur lui-même, animal au sang froid ayant une parfaite maîtrise de soi et faisant face à toutes les situations. Bien sûr avons-nous retenu les gadgets de James Bond et l’ingéniosité d’un Jason Bourne. Bien sûr avons-nous compris qu’un espion ca bondissait, ca courrait et ca dansait un tango perpétuel avec la mort et qu’il s’en sortait toujours.
Alors sans doute est-il temps pour vous de pénétrer dans l’univers de Mick HERRON. Un univers où ne brille pas le flamboyant, où le temps ne court pas après lui-même, et où l’envers du décor est sombre, sent le désœuvrement et où la mort sociale étouffe peu à peu votre existence.
Vous êtes vous déjà demandé si parfois des opérations pouvaient échouer ? ce qu’il pouvait advenir de l’espion qui aurait pu foirer son coup ou péter un plomb au point de représenter un poids inutile pour l’administration qu’il est censé servir ?
Peut être, en vous baladant dans les rues de Londres, avez-vous pris le temps de vous assoir quelques instants sur un banc, devant une maison anodine. Peut être avez-vous vu alors en sortir un individu venant directement s’assoir à vos côtés dans une posture intimidante au point que vous avez finalement préféré vous lever et décamper au plus vite. Sans doute vous étiez vous, sans le savoir, posté trop longuement devant Slough House, la maison des tocards !
Car c’est là, dans cette banale demeure que résident les loosers du MI5. Ces agents qui a un moment ou à un autre on planté une mission ou se sont rendus inutiles par une coupable addiction. Cantonnés à exécuter un boulot ingrat de gratte papier, à relire des échanges téléphoniques, les tocards de l’espionnage ressassent leur échec personnel comme on mâche une feuille de coca. Sauf que le suc qu’ils en tirent est d’une acidité particulièrement corrosive qui les ronge de l’intérieur à petit feu.
Condamnés, pas tout à fait morts, plus vraiment vivants, parqués là par une administration qui refuse de donner le coup de grâce en les virant, les laissant prendre eux même le soin de se suicider professionnellement en démissionnant, ils traînent leur faute sans échappatoire, sans possibilité d’expiation.
Dans cette maison où on se parle peu tant chacun est un miroir renvoyant l’échec pour l’autre, on vit dans ce temps figé qui n’offre aucune perspective.
Du moins jusqu’à cette vidéo diffusée sur internet qui brutalement va faire la une des médias. Sur celle-ci apparait un jeune homme, attaché et bâillonné et un message qui annonce qu’on lui tranchera la tête dans 48h.
Pour River Cartwright l’occasion de la rédemption s’offre finalement peut être à lui de manière inespirée. Accusé à tord d’être à l’origine d’une bavure lors de la simulation d’une opération anti-terroriste, celui va entrainer à sa suite ses collègues du placard pour essayer de sauver le jeune otage d’une mort annoncée.
Mais il suffit parfois de bouger légèrement une pièce d’un plan savamment construit pour que celui-ci vacille et ne manque de s’écrouler. Et lorsque l’ on est un tocard on est bien sûr le dernier au courant des intérêts et des enjeux d’une affaire en cours. Nos has been l’apprendront très vite à leurs dépends.
Si le thème de ce roman aurait pu prêter à l’écriture d’une histoire riche en situations cocasses et pleine d’humour, il n’en est absolument rien dans le livre de Mick HERRON. Au contraire, il s’agit d’un roman sombre, noir, un vrai roman d’espionnage, avec ses drames et ses rebondissements.
L’intelligence de HERRON est de construire son roman autour de personnages en négatif. Des hommes et des femmes brisés par une faute, des damnés qui se lanceront dans cette aventure comme une fuite en avant pour réparer une erreur qui ne peut plus l’être. Des personnages d’une grande profondeur psychologique qui donne au roman, son ton si particulier et l’emprunt de beaucoup d’émotions.
Tout en gardant les spécificités d’un bon roman d’espionnage, Mick HERRON en revisite le genre. Et le moins que l’on puisse dire c’est qu’il le fait avec une vraie réussite.
Si vous aimez les romans d’espionnage, essayez celui-ci, qui sort des sentiers battus et qui vous offrira une vision plus humaine de cet univers du secret.
Une bonne surprise de ce début d’année 2012.
Bruno,
http://passion-polar.over-blog.com/
A lire : la chronique de Paul sur ce roman.
La Maison des tocards
Mick HERRON
Slow horses – 2010. Trad. de Samuel Sfez.
Collection Sang d’encre.
Editions Presses da la Cité.
382 pages. 21€.
06:34 Publié dans 02. polars anglo-saxons | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | |