28/04/2013
Retour à la nuit, d’Éric Maneval
Une chronique de Cassiopée.
« La nuit je ferme les yeux et je laisse commencer la vraie vie. » (Etienne Guillory)
Pas besoin d’être une maison d’éditions renommée pour avoir des auteurs qui valent le détour…
Déjà, une couverture discrète mais parlante, un beau marque-page assorti et un livre qui tient bien en main … ce ne sont pas des détails, cela donne envie de lire…
Ensuite le contenu: cent vingt pages, c’est peu pour un roman mais je peux affirmer que celui-ci est sobre et terriblement efficace.
L’auteur, veilleur de nuit comme son personnage principal, connaît bien le milieu des enfants en foyer, cabossés de la vie dans leur corps ou dans leur tête. Gardien de ces jeunes aux âmes tourmentées, Antoine, le fil conducteur de ce récit, écrit : J’ai besoin de la nuit…
Beaucoup de choses se déroulent la nuit dans cet opus, Antoine l’habite, elle l’habille… Sa relation à la nuit est différente, il y vit puisqu’il doit rester éveillé. De plus, à ce moment de la journée, les « codes » ne sont plus les mêmes, les rapports avec les autres également. La « teneur » de la nuit est variable, il y en a qui sont lourdes, d’autres plus légères… Tout cela tient beaucoup de place dans le livre et c’est comme si la nuit devenait un personnage à part entière, mouvante, fuyante, ensorcelante…
Eric Maneval sait décrire en mots choisis une atmosphère, des doutes, des hypothèses, il sait disséminer dans l’esprit du lecteur le trouble, des éléments que chacun peut interpréter à sa manière, comme cette fin ouverte qui dérangera certains… S’il n’y avait que la fin qui pose question… Une des richesses de ce roman a été pour moi de ne pas toujours être certaine que ce que me dévoilait le texte était la vérité de l’intrigue… Après tout, certaines situations pourraient avoir été suggérées par hypnose, rêvées par les protagonistes et transmises comme réalité car ils y croient…
Peu importe, ce qui fait la force de ce livre, c’est qu’il vous prend aux tripes, qu’en peu de pages, vous « sentez » la nuit et les individus qui s’y meuvent. Tous différents mais tous avec une part d’ombre … Que ce soit le veilleur ou les adolescents de l’institut, tous ont vécu un événement grave qui change leur perception du quotidien. Ils sont à fleur de peau, à fleur de mots … Les interactions entre les uns et les autres sont parfois confuses, à la limite de la normalité…comme toujours sur le fil, au bord du précipice, chacun avançant comme il le peut cahin caha, un pied après l’autre…. Il y aussi le regard que portent les « gens du jour » sur ceux qu’ils côtoient entre chiens et loups, au moment des échanges de service le soir, au petit matin lorsqu’Antoine rentre chez lui… C’est ambigu juste ce qu’il faut …
Antoine, la sentinelle, dit de sa tâche qu’elle le structure, comme si en dehors de son boulot, il avait dû mal à se fixer. Il est seul lorsqu’il est de garde, ne se confie pas, vit sa vie et doit rester vigilant car tout pourrait basculer très vite. La nuit, les sens sont exacerbés, les sentiments aussi, Antoine trouve-t-il dans ses échanges avec les jeunes une forme d’équilibre, même s’il est souvent sur le tranchant du rasoir ? A-t-il besoin de ce fonctionnement pour se sentir exister ?
C’est avec une écriture incisive, fine et concise qu’Éric Maneval nous emmène à sa suite. Son style est très puissant et procure les effets recherchés: installer l’angoisse, semer le doute, et nous faire ressentir malgré tout une certaine empathie pour les personnages. Les phrases sont courtes, les dialogues percutants. On peut dire que ce livre sort des sentiers battus et ne s’apparente pas aux polars habituels. C’est une nouvelle rencontre et si cet éditeur choisit toujours avec soin ses écrivains, nous avons de belles heures de lecture devant nous.
Cassiopée
Titre: Retour à la nuit
Auteur: Eric Maneval
Éditions: Écorce (26 novembre 2009)
Collection: Ecorce/ Noir
Nombre de pages: 120
ISBN: 978-2953541700
Quatrième de couverture
– Écoute-moi bien, Antoine. Tu as eu de la chance que je sois là. Tu comprends ? Ne parle pas, fais-moi oui ou non de la tête.
Oui.
– Je t’ai sauvé la vie. Regarde-moi dans les yeux : je t’ai sauvé la vie, Antoine. Mais si tu veux te faire du mal, je peux te faire du mal. Je peux le faire à ta place. Tu comprends ?
Non.
– Tu as peur ?
Oui.
– Tu as peur de moi, mais tu n’as pas peur de plonger dans une rivière en crue ? T’es un drôle de numéro toi. Tu vois la bouteille que j’ai dans la main ? C’est de l’alcool à 90°. Je vais en mettre sur tes blessures. Ça va faire très mal. Ça va te brûler et tu vas hurler. C’est moi qui vais te faire mal. N’oublie pas ça : moi je peux te faire du mal. Tu t'en souviendras la prochaine fois que tu voudras mourir.
Vingt-cinq ans plus tard, Antoine est veilleur de nuit dans un foyer à caractère social, près de Limoges. Il revient sur son histoire. Depuis cette cascade située près de Treignac, jusqu’à l’affaire du Découpeur. Une nuit, dans le foyer, il montrera ses cicatrices à Ouria, fascinée, qui voudra les revoir ensuite. Et les toucher .La nuit, tournée vers la forêt, l’adolescente parle toute seule à sa fenêtre.
14:40 Publié dans 01. polars francophones | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | |