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Opération Napoléon, d’Arnaldur Indridason
Pour celles et ceux qui aiment ré-écrire l'Histoire.
Ne contrariez jamais Carr, déclara la voix au téléphone, avant de raccrocher …
Les éditions Métailié raclent les fonds de tiroir islandais et profitent du succès de leur auteur best-seller : Arnaldur Indridason.
Cela nous vaut parfois quelques séries B pas désagréables (comme Bettý ou Le duel).
Et parfois quelques bonnes surprises comme cette Opération Napoléon, menée de main de maître par notre auteur favori.
Ce n'est pas un polar (il n'y a même pas l'ombre fugace d'un collègue d'Erlendur), à peine un thriller, plutôt un film d'espionnage.
Les romans d'Indridason ont toujours été parsemés d'allusions à cette base américaine implantée près de Reykjavík, comme une épine dans le pied islandais. Parsemés d'évocations du passé historique de ce petit pays.
Avec cette Opération (écrite en 1999 avant le succès de la série Erlendur), l'auteur s'en donne à cœur joie et se permet même de réécrire la grande Histoire avec une petite.
En 1945, un avion allemand piloté par des américains est pris dans la tempête et s'écrase sur le fameux glacier du Vatnajökull. Aucun survivant, aucune épave à une époque où les boîtes noires n'existaient pas encore.
« [...] Une équipe de deux cents hommes a fouillé le glacier peu après le crash, mais ils n’ont trouvé que cette roue. Nous avons lancé une deuxième expédition, beaucoup plus importante, en 1967, mais le mauvais temps nous a contraints à rebrousser chemin. Il s’agit donc ici de la troisième expédition.
– Mais bon Dieu, que transportait cet avion ? demanda le ministre.
Depuis soixante ans, une officine secrète US est chargée de surveiller ce glacier et la ré-apparition redoutée de l'épave du Junkers.
[...] C’est de l’histoire ancienne ; peu de gens en dehors de nous savent ce que contient vraiment l’avion.
[...] – Vous voulez dire que nous surveillons le glacier depuis toutes ces années ? »
En 1999, la guerre froide est finie, le climat se réchauffe, les glaciers fondent et les satellites repèrent les restes de l'avion, recrachés par le Vatnajökull. Une énorme opération secrète (aïe, déjà on sent que ça va pas le faire) est mise sur pied pour aller récupérer l'épave sortie des glaces et surtout ce que contenait ce fameux avion.
« [...] Carr ressentit une pointe de nostalgie pour l’époque où les opérations secrètes étaient vraiment secrètes. »
Mais que pouvait-il donc y avoir en 1945 dans ce petit avion allemand pour que les américains se donnent autant de peine à garder tout cela top secret ? De l'or ? Une bombe ? ... Ou tout autre chose ?
« [...] Qu’est-ce que c’est que cet avion, et pourquoi pose-t-il problème ?
[...] Seuls une poignée de militaires haut placés connaissaient l’existence de l’avion et la procédure à suivre en cas de réapparition. Cette information, classée top-secret depuis cinquante-quatre ans, n’était jamais sortie de ce cercle restreint, où elle était transmise de génération en génération par ceux qui occupaient les postes concernés.
[...] Tout ce branle-bas : images satellites, expéditions sur le glacier… Ces rumeurs de lingots d’or, de virus, de bombe, de scientifiques allemands. Tous ces efforts pour tromper les gens, à cause de ...
[...] Qu’y avait-il donc derrière tout cela ? Deux caisses d’or, il n’y avait vraiment pas de quoi déclencher la Troisième Guerre mondiale. Deux malheureuses caisses. Quels autres secrets cet avion pouvait-il bien cacher ? Que contenait donc cette tombe glacée, pour que ses supérieurs soient au bord de la crise cardiaque chaque fois qu’ils pensaient la voir ressurgir du glacier ? »
Nous avons toujours considéré l'Islande comme une petite île perdue tout là-haut au nord-ouest, sans plus d'attraits que le tourisme géothermique et les polars nordiques.
Mais pour les américains, elle est au nord-est et depuis la guerre, elle présente l'importance géostratégique d'une base avancée à proximité de l'Europe de l'Est.
On a toujours bien aimé ces polars ou ces thrillers qui emportent le lecteur voyager au loin : mais là, il ne s'agit pas d'un énième auteur américain qui nous emmènerait dans des contrées exotiques, non c'est le futur ambassadeur des écrivains islandais lui-même qui nous accueille chez lui. Et son décor fait partie intégrante de son histoire.
On retrouve d'ailleurs quelques motifs récurrents de l’œuvre d'Indridason, comme cette culpabilité liée à l'abandon d'un frère perdu dans les glaces. Il y aura même répétition de ce motif dans cette Opération Napoléon.
Le premier est dessiné autour de l'héroïne, Kristin, qui n'incarne rien de moins que l'esprit islandais, indépendant et rebelle. C'est elle le grain de sable qui va gripper l'imposante machine de guerre américaine débarquée sur l'île 'en grand secret'. C'est elle qui fera trébucher l'éléphant US dans le petit et tranquille magasin de porcelaine qu'est Reykjavík. C'est elle qui va contrarier le terrible Carr et ses hommes de main.
Une jeune femme que rien ne prédestinait à devenir la Lara Croft de ce roman d'espionnage mais voilà ... son frère était en rando sur le glacier et il est tombé aux mains des affreux jojos de l'armée secrète.
Et chez Indridason, on ne laisse pas son frangin abandonné sur le glacier.
Ce même motif sera redessiné plus tard autour d'un autre personnage, mais là ... chuuut.
« [...] Il lui avait dit qu’il cherchait son frère, exactement comme elle – ils avaient donc un point commun. »
On a bien apprécié le léger second degré et le vent de fraîcheur qui soufflent sur le Vatnajökull avec cette impensable Kristin qui incarne avec une franche naïveté l'improbable rebelle capable de tenir tête à l'armada US. On sentirait presque l'esprit de Kadaré souffler depuis sa lointaine Albanie : l'Islande est aussi un autre petit pays, tout aussi fier de sa culture et tout aussi épris de son indépendance.
Indridason prouve ici que la valeur de son talent n'a pas attendu les années Erlendur et termine son thriller comme il l'a commencé, de main de maître.
Dans les dernières pages, il s'autorisera même (outre un étonnant dénouement) une mise en abyme vertigineuse puisque, s'il s'est permis ici de ré-écrire l'Histoire, c'est que d'autres l'ont déjà fait et continueront de le faire ...
« [...] À la radio, les journalistes ont rapporté que les soldats recherchaient une balise satellite perdue il y a plusieurs années par un avion, au-dessus du glacier. Mais les journaux télévisés ont raconté que les soldats étaient venus répéter une opération de sauvetage impliquant un faux crash aérien, en utilisant une vieille épave de DC-8. Et le journal du soir parle de réserves d’or perdues, qu’ils voulaient récupérer. Vous voyez à qui nous avons affaire. Ils ont vraiment tout bien organisé.
[...] La vérité et le mensonge ne sont que des moyens d’arriver à une fin. Je ne fais aucune distinction entre les deux. On pourrait dire que nous sommes des historiens qui essaient de corriger certaines des erreurs commises durant ce siècle finissant. Ça n’a rien à voir avec une quelconque vérité, et puis, de toute manière, ce qui appartient au passé n’a plus d’importance aujourd’hui. Nous réinventons l’histoire en fonction de nos intérêts. »
Rien n'est jamais gratuit ni innocent chez Indridason.
Bruno ( BRM) : les coups de Coeur de MAM et BMR
14/11/2015 | Lien permanent
Le dernier pape, de Luis Miguel Rochas
Une chronique de Cassiopée.
Magistral !!!
Mais comme il s'agit du volet un d'une série de trois, je n'aurais jamais dû commencer car maintenant, je suis là, les bras ballants à me demander s'il faut que j'apprenne le portugais pour lire la suite plus rapidement...
Je disais donc : magistral, pourquoi ?
L'écriture est posée et (se) « déroule » à la manière d'une caméra balayant les différents lieux et les situations présentées . Œil extérieur aux événements, elle donne un « rendu » original « Observons cet homme qui se tourne et se retourne.... » On pourrait penser que celui qui écrit, qui décrit, se contente d'énoncer froidement des faits en les présentant : « Laissons-le et dirigeons-nous.... » mais cette façon de faire crée une ambiance feutrée, propice aux confidences. On a l'impression que « la voix off » (derrière laquelle se cache habilement l'auteur) nous murmure des secrets, des confidences, nous entraînant sur des chemins ardus avec les différents protagonistes, Alors que je pensais, dès les premières lignes, que cette façon de rédiger allait me « laisser sur le bas côté », je me suis vite aperçue que c'était le contraire. Cela permet d'avoir un certain « recul », d'analyser ce qui se vit « sous nos yeux » et de prendre parti en s'appropriant selon les circonstances, les émotions des uns ou des autres.
L'intrigue est adroitement menée, mise en place de main de maître et suffisamment « prenante » pour que le lecteur reste scotché aux pages. De plus, elle mêle avec brio : fiction et réalité, complots en tous genres, ajoutant un brin de mystère par le biais des loges maçonniques, du Vatican et des grands de ce monde (qui tireraient peut-être les ficelles de nos sociétés)... elle nous renvoie à nos questions, à notre peur ancestrale d'être manipulés, dans des manœuvres nous dépassant totalement. Le plus souvent, le fait de ne pas savoir si ce que je lis a réellement existé (lorsque cela est possible) m'énerve prodigieusement. Je n'aime pas que l'écrivain me prenne pour un lapin de trois semaines et je veux savoir. Et bien là, je n'ai pas passé mon temps à aller vérifier pour démêler le vrai du faux, Je me suis laissée porter (avec un vrai bonheur) par l'histoire car après tout, que pourrais-je changer à ce qui s'est déroulé en 1978 ?
Le livre alterne plusieurs époques dont l'année 1978 avec la mort du Pape Jean Paul 1er, celui qui avait dit : « tempestas magna est super me » (« une grande tempête est sur moi »). Sa mort a été controversée à l'époque, puisqu'il n'y a pas eu d'autopsie et cela a donné libre cours à beaucoup d'interprétations. Cet ouvrage nous en offre une, sur fond de secrets d'état plus ou moins bien gardés, de complots pour le pouvoir, de relations troubles, de services secrets pas très nets, d'hommes de droit peu honnêtes, d'erreurs de jeunesse...
Les personnages sont subtils, surprenants, rusés pour certains, fourbes pour d'autres, ni dans le bien, ni dans le mal pour le plupart, tous ayant une part d'ombre. Seule Sarah semble plus « lisse » bien qu'elle ait plus d'un tour dans son sac (forcément elle a l'intelligence et la pugnacité d'une femme;-). Les autres oscillent, faisant apparaître des côtés cachés, une face sombre, discrète, qu'ils ne veulent pas dévoiler tout de suite. On sent que dans les deux autres volets faisant suite à celui-ci, les individus n'ont pas fini de nous surprendre....
J'ai beaucoup apprécié cette lecture, les descriptions fines des actes et des lieux (j'ai retrouvé le Londres que je connais, j'ai eu froid dans les souterrains au Portugal....). L'écriture est riche et permet de s'approprier le contenu avec précision comme si on voyageait dans le temps et l'espace avec les gens qui peuplent les pages....
Le dernier pape
1er volet de la série Complots au Vatican
Auteur : Luís Miguel Rocha
Traduit du portugais par Vincent Gorse
Éditions de l'Aube (Mars 2015)
Collection : L'Aube Noire
Nombre de pages : 496 pages
ISBN : 978-2815908375
Quatrième de couverture
29 septembre 1978 : le monde apprend que le pape Jean-Paul Ier a été retrouvé mort dans son lit, 33 jours après son élection. Pourtant, jamais jusque-là un pape n’est mort sans témoin. Et le Vatican ordonne que le corps soit embaumé dans les 24 heures, excluant toute autopsie… 2006 : Sarah Monteiro, journaliste portugaise installée à Londres, vient à peine de découvrir dans son courrier une liste de noms – dont celui de son propre père – qu’elle subit une première agression. À coup sûr, cette liste la met en danger. Aiguillée à distance par son père, elle se retrouve aussitôt embarquée dans une course-poursuite incroyable entre l’Angleterre, le Portugal, les États-Unis et le Vatican. Protégée par le très mystérieux Rafael, confrontée à des hommes prêts à tout pour mettre la main sur cette liste, Sarah va, bien malgré elle, se retrouver mêlée à un véritable et terrifiant complot, qui ne serait pas sans rapport avec le décès de Jean-Paul Ier…
01/03/2015 | Lien permanent
Connemara Black, de Gérard Coquet
Une chronique de Cassiopée.
Pêche en eau trouble, tâches de rousseur, Guinness et …….
Connemara Black c’est le nom d’une mouche pour la pêche (celle qui est en photo sur la couverture) mais également le nom d’un ancien groupe de l’IRA et aussi (page 112) une façon de parler de Ciara McMurphy. Elle, c’est une irlandaise jusqu’au bout des ongles, belle comme un feu de la Saint Jean , plus têtue qu’une ânesse, rebelle, n’ayant pas la langue dans sa poche. Son mariage a été une catastrophe, alors elle s’est engagée dans La Garda, comme lieutenant, et officie dans la ville de Galway.
Suite à des assassinats pour le moins bizarres, ses supérieurs l’envoient en mission dans sa région natale. Là bas, vit un homme qui a été en contact avec certaines des victimes. Il va falloir jouer serré, surveiller et essayer d’en savoir plus. Présentée comme cela, l’intrigue semble assez simpliste mais il n’en est rien. Mêlant guerre de clans et conflits religieux, magie noire, mythologie celtique, l’auteur nous emmène dans des coins d’Irlande où les hommes sont droits dans leurs bottes, prêts à tout pour ne pas perdre la face. Les policiers du cru ont décidé qu’ils ne feraient rien, ni dans un sens, ni dans un autre, pour Ciara. Elle se retrouve là-bas, où son père avait mauvaise réputation et où personne n’a envie qu’elle pointe son nez, même s’il est parsemé de tâches de rousseur…. Rien ne sera aisé pour elle, et si elle va rencontrer des vivants, elle sera également hantée par les morts et que dire des fantômes ?
L’Irlande est un de mes pays préférés. J’aime ses landes désertiques, ses mélodies, ses lacs, ses moutons, sa tourbe (surtout son odeur lorsqu’elle brûle), ses habitants qui paraissent farouches mais qui, une fois qu’ils vous ont adoptés, sont prêts à tout pour vous rendre service. J’ai retrouvé cette atmosphère sous la plume de Gérard Coquet, je sentais, j’observais, j’entendais (me branchant sur You Tube à chaque titre évoqué) je m’imprégnais du décor et il me semblait voir les protagonistes évoluer sous mes yeux. De plus, l’auteur a un humour qui permet de reprendre son souffle entre deux situations tendues:
« Des histoires d’amour aussi fades que des brocolis bouillis » (ce n’est pas fade, c’est beuurkkk…. ;-)
« L’échalas galonné, avec son pif bouché et son club de golf dans le rectum… »
Ce livre a comblé la lectrice avide de connaissances que je suis. Les explications mythologiques, historiques (même un peu survolées), mathématiques (lorsque le collègue de McMurphy , Bryan Doyle présente « Logiques et Théories des ensembles » pour faire avancer l’enquête), ou les tableaux de Hieronymus Bosch (qui m’ont fait penser à la série de Harry Bosh, grâce à laquelle j’ai découvert cet artiste), autant de sujets parfaitement intégrés au contenu, bien choisis, et qui deviennent indispensables pour comprendre.
Quant aux différents personnages, hauts en couleurs, ils sont souvent coriaces, entêtés, parfois obtus, mais attachants, enfin presque tous. La plupart ont une faille, une blessure secrète (qu’il essaient de cacher ou d’oublier) et cela les rend terriblement humains. Je donnerai une mention très bien à Bryan, il m’a paru très au fait de plein de choses mais comme il a parfois du mal à s’exprimer (il faut dire que Ciara n’est pas la reine de l’écoute ; elle, il faut que ça brasse, que ça avance et elle a une fâcheuse tendance à brailler ), et surtout à aller droit au but, et bien, ça donne des dialogues savoureux (surtout quand sa chef le fait rougir avec quelques allusions salaces). Ciara, elle, est une femme qui a souffert mais qui ne veut pas que ça se sache donc elle se campe sur ses jambes, et avec un langage que ne renierait pas un « mâle, un vrai », elle ne s’en laisse pas compter. Et puis, pour un chat, elle baisse sa garde et montre un peu de sa fragilité bien cachée sous sa carapace.
L’eau n’est pas toujours claire, la pluie et la boue s’invitent souvent, les hommes se rendent coup pour coup, le sang coule presque autant que la bière, mais crévindieu que l’écriture et le style sont addictifs. Râpeux comme une Guinness, ,rythmés comme une tempête en mer d’Erin, et envoûtants comme une ballade irlandaise….. D’ailleurs, ça et là, quelques références musicales de qualité, des artistes ou de belles complaintes irlandaises : Sharon Shannon, The Fields of Athenry …. Et on peut penser que ces choix ne sont pas anodins….. Merci Monsieur Coquet pour le voyage ! Je serai bien restée un peu plus ….
Connemara Black
Auteur : Gérard Coquet
Éditions : Jigal ( Février 2017)
ISBN : 979-1092016925
350 pages
Quatrième de couverture
La Connemara Black est une mouche artificielle permettant au pêcheur de ne jamais rentrer bredouille... C'est également le nom d'un ancien groupe armé de l'IRA, l'Armée Républicaine Irlandaise. Mais c'est aussi le surnom donné aux filles vivant dans cette baie, à l'ouest de l'Irlande. Elles sont souvent très belles mais plus revêches à apprivoiser qu'un poney des tourbières. Ciara McMurphy en est une. Après un mariage raté, elle a fui la région et s'est engagée dans la Garda, la police locale. Mais lorsqu'une série de meurtres balaie la ville de Galway, c'est elle que le commissaire Grady choisit d'envoyer sur ses terres natales afin de surveiller ce qui reste des indépendantistes. Et entre autres le vieux Zack, un chef de clan, un patriarche qui entre terres désolées, légendes d'un autre temps, cimetières abandonnés et ex-combattants de tous bords veille dans l'ombre... Mais sur quoi veille-t-il ?
06/03/2017 | Lien permanent
Une sorte d'ange, de Laurence Démonio
Une chronique de Paul.
Maria Concepción n'est pas sortie de chez elle depuis des lustres. Depuis qu'elle a perdu son mari en Argentine suite à un accident de cheval et qu'elle est arrivée à Paris pour oublier, ou pour mieux alimenter ses souvenirs.
Depuis vingt ans elle vit cloîtrée. Pourtant ce soir, son regard attiré par une forme blanche dans un terrain vague en face de chez elle l'incite à aller voir de plus près. Elle découvre un corps inanimé, celui d'un adolescent de seize ans qu'elle va soigner, retaper. Ange, c'est son nom, vient de vivre une aventure qui l'a marqué dans sa chair, dans son esprit. Jusqu'au jour où Ange s'en va lui laissant un petit mot. Il est reparti chez lui, rechercher Dara-Soledad, sa compagne de jeux, sa compagne de misère. Entre Maria Concepción et Dara-Soledad, va s'interposer Béatrice. Une jeune fille banale, mais qu'il saura aimer, à sa manière, comme il appris, un métier qu'il professe depuis des années sous la houlette de Weiss, le proxénète. Béatrice sera son alliée dans cette recherche d'amour, d'identité, de liberté, de revanche.
Ce sujet aurait pu être scabreux, placé sous les feux de l'actualité depuis quelques mois, la pédophilie. Laurence Démonio - c'est son vrai nom, ça ne s'invente pas - Laurence Démonio écrit une histoire qui prend sa force dans la suggestion. Pas besoin de s'étendre avec complaisance, quelques mots suffisent pour que le lecteur entre dans la vie de ce gamin et souffre avec lui d'une enfance qu'il n'aura pas connu, plus vieux que son âge.
Les trois femmes qu'il va côtoyer, aimer avec le cœur, ces trois femmes vont former la Trinité de la Rédemption. Même si cette rédemption doit passer par le meurtre.
Laurence Démonio nous livre un roman fort, comme Ange qui s'est forgé une volonté d'acier parmi les vicissitudes qui l'ont suivies depuis sa petite enfance. Il n'est qu'à lire les premières pages dans lesquelles un rat tient la vedette pour se rendre compte que Laurence Démonio joue avec une force impressionnante la palette de la subtilité de la noirceur.
Paul (Les lectures de l'oncle Paul)
Une sorte d'ange
Laurence DEMONIO
Collection Chemins Nocturnes
Editions Viviane Hamy.
Parution le 19 mars 1997. 192 pages.
12/03/2014 | Lien permanent
La nuit la plus longue, de Jammes Lee Burke
Une chronique de Catherine/Velda.
Katrina, un ouragan qui a gravement influé sur le style de James Lee Burke
James Lee Burke est un auteur qui a la particularité d'insister dans ses romans sur l'environnement dans lequel évoluent ses personnages. Dans ce texte qui évoque à chaque ligne ou presque le terrible ouragan qui dévasta la Nouvelle-Orléans, il ne déroge pas à cette règle qui fait le charme incontestable de ses histoires haletantes écrites en grande partie à la première personne pour suivre pas à pas les enquêtes mouvementées de son héros récurrent: Dave Robicheaux. Une brute de flic attachant mais pour le moins violent qui se lance dès que l'occasion se présente dans de grandes digressions sur les arcanes de l'âme humaine, faisant preuve d'une culture philosophique qui détonne avec son côté impulsif.
Dans ce roman, James Lee Burke mélange bizarrement beaucoup d'ingrédients criminels et moraux, ce qui pourra surprendre un lecteur habitué à son style plutôt direct. Il y est question de meurtre raciste, de traffic avec des courants islamistes lointains, de tueur obsessionnel, de viols et bien sûr de vengeance sur fond de mafioso repenti. Ce qui fait peut-être un peu trop pour une histoire qui du coup devient par moment instable, avec des rebondissements téléphonés qui n'apportent que peu d'intérêt au récit. Mais le plus surprenant, c'est cette fin sur les chapeaux de roues, et pour cause puisqu'elle se déroule dans une voiture, à peine une vingtaine de pages dans laquelle Robicheaux n'a même pas son "bon mot" à dire.
Le roman noir, encore plus que la littérature dite blanche, nécessite un découpage rigoureux de l'intrigue avec un équilibre entre les différentes parties qui mènent le lecteur jusqu'à l'extase du dénouement. Ici le petit suspens bâclé de la fin est d'autant plus surprenant qu'il sort du traitement de texte d'un vieux briscard comme Burke, pour qui le polar n'a probablement plus aucun secret. Soit il a mal calculé son découpage en accordant trop de pages à certaines scènes redondantes, soit il a accordé trop de place à des personnages annexes, soit son éditeur lui a annoncé à la dernière minute qu'il le privait d'une bonne cinquantaine de pages. Résultat: on a droit à un final à l'emporte-pièce qui n'est pas dans les habitudes de cet auteur que je considérais comme un poète du .45 et qui du coup a perdu un peu de son aura. Mais comme je ne lis ses polars que dans leur version poche, je ne sais pas encore jusqu'où il est allé dans cet égarement avec son roman suivant, que je me ferai tout de même un plaisir de lire dès sa sortie en format économique.
Catherine/Velda (le blog du polar)
James Lee Burke, La nuit la plus longue,
traduit de l'américain par Christophe Mercier,
Rivages/Noir
19/09/2013 | Lien permanent
Bistouri Blues, de Kleinmann et Vinson
Une chronique de Christine.
Nous sommes toujours avides d’informations, de « bons tuyaux » que l’on s’échange presque sous le manteau.
Cela va de l’adresse du salon de coiffure branché à celle du petit primeur qui choisit ses melons exclusivement chez les producteurs de Cavaillon. De l’école maternelle qui transformera votre petit dernier en futur Einstein à la kinésithérapeute aux doigts de fée.
Ou du garagiste très pro et pas cher du tout, pas comme ce concessionnaire qui vous arnaque pour la moindre vidange.
Ou du médecin qui saura rassurer l’hypocondriaque que vous êtes sans vous envoyer illico enfiler une blouse blanche à longues manches.
Parce que la santé, c’est sacré !
En général…
Vous savez, capitaine, la médecine c’est un peu comme une enquête policière, un petit indice peut parfois donner la solution…
Un vol à main armée dans une banque, rien de que très banal.
Mais un braquage au pistolet harpon, dans une salle d’opération, et par un homme grenouille ! … avouez que même dans vos rêves les plus fous vous n’y auriez jamais pensé.
Pourtant c’est ce qui vient de se produire à l’hôpital Lariboisière, et le docteur Benjamin Chopski n’en revient toujours pas d’avoir dû remettre sous la menace la vésicule biliaire en très mauvais état qu’il était en train d’enlever.
Le commissariat du 18e charge le capitaine Cush Dibbeth de mener l’enquête. Cela tombe bien, Cush et Benjamin se connaissent depuis longtemps. Même s’ils évoluent dans des univers très différents, leur peu de goût pour les conventions et leur passion pour leur travail ont cimenté solidement une amitié de longue date.
Se demandant ce qui pourrait bien justifier le vol d’un organe normalement destiné à la destruction, Cush Dibbeth essaie de découvrir s’il y a eu des précédents. Et à sa grande surprise, oui !
Des individus opérés en urgence. Provenant pour la plupart d’Éthiopie ou du Pakistan. Tous tatoués d’un mystérieux BM en bas du dos. Des organes qui disparaissent. Ou qui révèlent, lorsqu’on en retrouve la trace, un contenu n’ayant rien à voir avec les manuels de physiologie.
Des chirurgiens qui se fréquentent via les séminaires et colloques internationaux, étroitement liés à un organisme humanitaire apparemment au-dessus de tout soupçon.
Et une carte géographique sur laquelle on peut cercler de rouge Moscou, Kaboul, Karachi ou encore Djibouti.
Il y a de quoi se poser quelques questions, non ?
L’aide éclairée de Benjamin ne sera pas de trop dans une enquête dont les éléments ressemblent à un inventaire à la Prévert : une vésicule, une poudre blanche, un origami, un transsexuel, des chats, un jus de banane-mangue. Liste non exhaustive, bien sûr.
Et le raton-laveur ? Ma foi, il blanchit l’argent d’un drôle de trafic international plus proche du terrorisme que du serment d’Hippocrate…
« C’est sûrement à toi de couper le gigot…tu es chirurgien, non ? » Benjamin entendait cette rengaine à chaque repas. Ça l’énervait. Il détestait couper le gigot. « Désolé mais moi, je ne charcute que les humaines et vivants, encore ! »…
Voilà un petit livre qui démarre sur les chapeaux de roue et qui ne connaît aucun temps mort. Entre la galerie de personnages tous plus décalés les uns que les autres, l’enquête menée tambour battant par Cush Dibbeth et son lieutenant, ou les découvertes surprenantes, tout va vite, très vite. Entrez et sortez des salles d’opération, participez aux colloques, parcourez différents manuels d’urgences abdominales ou de diagnostics, interrogez médecins ou infirmiers, le tout entre deux pliages d’origami ou deux morceaux de jazz.
L’écriture à quatre mains par Philippe Kleinmann et Sigolène Vinson est fluide, nerveuse, et donne un style jubilatoire et énergique. On sent bien que les deux auteurs ont pris un grand plaisir à la rédaction, donnant libre cours aux clins d’œil ou traits d’humour à l’enthousiasme communicatif, ou à quelques uns de leurs éléments de prédilection. (ahhh, la revue Ciel et Espace… que l’on retrouve d’ailleurs dans Double hélice ! Mais ce n’est qu’un exemple parmi de nombreux autres.)
Entre l’Éthiopie chère à l’une, et la médecine, terrain de jeu préféré de l’autre, le mélange des deux donne un résultat hybride qui fonctionne ma foi très bien.
Personnages savoureux (Cush Dibbeth au prénom de fier guerrier éthiopien qui fera sourire les nostalgiques d’Hugo Pratt, variation sur les Dupont-Dupond, j’en passe et non des moindres, la liste serait d’ailleurs intéressante à faire) intrigue trépidante et atypique, situations cocasses, autant d’éléments pleins de tonus et d’imagination qui ont tout pour séduire les lecteurs.
Quant aux passages en salle d’opération, ils allient le sérieux d’un professionnel passionné par son métier, et l’humour du carabin. Après tout, nous ne sommes qu’alliage de pièces détachées à bricoler avec toute la rigueur (et le flegme pince-sans-rire) qui se doit !
Pourquoi parler maintenant de ce petit livre paru en 2007 ?
Parce qu’il a reçu le prix du roman d’aventure, d’une part.
Parce que la suite paraîtra prochainement d’autre part et qu’il serait vraiment dommage de ne pas avoir fait au préalable connaissance avec cet improbable et merveilleux tandem que forment Cush Dibbeth et Benjamin Chopski.
« Bistouri Blues » … il y a peut-être « blues » dans le titre, mais voilà un roman sympathique qui n’engendre certainement pas la morosité !
Christine, (Blog : Bibliofractale )
Bistouri blues
Kleinmann&Vinson
Le Masque
252 p
6,20 €
02/05/2012 | Lien permanent
Ces lieux sont morts, de Patrick Graham
Une chronique de Paco
Un coup de maître!
Aller gratter au fin fond du cerveau réserve parfois des surprises! Patrick Graham nous le démontre avec ce thriller totalement déstabilisant. Le genre de roman, - je pense que vous connaissez ce genre d'impression -, qui, une fois terminé, vous tracasse encore et encore durant de longues minutes, voir le lendemain (c'est mon cas à présent).
J'ai souvent connu ce genre de sentiments après avoir lu du Thilliez par-exemple. Le genre de roman qui vous pousse à relire quelques pages afin de vérifier certaines informations qui vous ont échappées; c'est mon cas également... Finalement, le genre de roman qui, durant la lecture, vous laisse sceptiques sur quelques détails qui vous semblent erronés, pas vraiment logiques, à la limite de se demander si l'auteur nous prendrait pas parfois pour des idiots, et finalement lorsque vous arrivez au dénouement vous vous dites qu'idiots, vous l'êtes, car vous n'avez rien vu venir!
Je vous parle d'abord un peu de l'histoire qui compose ce roman puis je vous livrerai mes quelques ressentis. Warren, chasseur de primes, ramène un gamin de 20 ans qui s'est fait la malle d'un centre de détention expérimental situé dans le Dakota. Le jeune homme va tout tenter pour s'arracher des griffes de son rabatteur professionnel, afin d'éviter à tout prix de retourner dans ce centre qui traite les tueurs en série.
Quant au Dr Eric Searl, il oeuvre au Good Samaritan Hospital, service des endormis, respectivement dans un secteur Hi-Tech qui accueille des personnes accidentées plongées dans le coma à divers stades. Ce praticien, grand spécialiste en la matière, accompagne ces comateux vers un réveil probable, ou malheureusement vers la mort aussi.
Ce médecin a mis au point une nouvelle technique, - voir même une nouvelle technologie -, se basant sur les sens du patient, à savoir l'odorat et l'ouïe principalement, permettant ainsi d'accompagner les victimes jusqu'au réveil, en essayant de faire émerger également les souvenirs qui nous quittent parfois pour aller errer on ne sait trop où, mais pour toujours. Tout un programme!
A tel point que ce psychiatre, tellement ancré dans son job, oublierait presque le monde des vivants, à savoir ses trois enfants et sa nouvelle amie Rebecca qu'il devait rejoindre pour passer Noël en montagne, dans les Rocheuses, dans sa maison de vacances. Rendez-vous manqué. Rebecca et les enfants du docteur prennent alors possession de leur maison de vacances située en pleine montagne, un habitat relativement isolée. Nous sommes en pleine tempête, franchement ça caille!
Lorsque le Dr Searl prendra contact avec son amie par téléphone pour annoncer qu'il arrivera dans les plus brefs délais, c'est une voix inconnue et bégayante qu'il entendra, émergeant parmi un brouhaha terrible: "Aàààà votre plaace, je deviendrai complètement fffou, doc."
Parallèlement, nous apprenons qu'un tueur en série - grosse série! - rôde dans la région; "un malade" qui se serait échappé d'un établissement de haute sécurité. La famille Searl est sérieusement en danger. Dès son arrivée dans la maison de vacances, le psychiatre devra se contenter des restes, ceci dans tous les sens du terme. De plus, sa petite fille n'est plus présente. Une surprenante et étonnante course contre la montre débute alors dans ce paysage givré et glacial d'abord, mais dans les synapses du cerveau ensuite.
Le Dr Searl va utiliser son art pour tenter de retrouver sa petite fille, soit d'entrer dans le cerveau de celle qui sera susceptible de lui donner des informations lui permettant de localiser la fillette. Cette personne se prénomme Mila, elle se trouvait dans le coma suite à un accident. Elle est à présent en phase de réveil, totalement amnésique et extrêmement fragile. Elle demeurera paradoxalement le seul guide pour le Dr Searl.
Je ne vous donne pas plus de détails, évidemment. Car vous vous demandez certainement ce que cette fille vient faire dans cette histoire! Un immense et pénible voyage dans le monde complexe de la mémoire débute alors pour nous comme pour eux. Pour lui montrer le chemin, le psychiatre devra la stimuler en utilisant toutes les ressources dont il est capable de fournir, tout en sachant qu'aucun droit à l'erreur n'est envisageable.
Ce qui va être totalement déstabilisant à ce stade du roman, c'est que la patiente va découvrir en même temps que le praticien sa vie d'avant le coma, par bribes toutes aussi sombres les unes que les autres. A mon sens, le grand coup de maître se situe là! Je ne vous en dis pas plus.
Une bataille entre le FBI et le Dr Searl va également débuter, conflit d'intérêts; retrouver la fille, ou retrouver le tueur qui sévi depuis quelques temps déjà. L'auteur nous envoie dans la face maints rebondissements à caractère psychologique qui nous repoussent à chaque fois en arrière pour nous faire prendre une direction différente. La tension qui nous traverse le corps et l'esprit est d'une grande régularité et d'une excellente intensité.
La "puissance" des personnages en est le vecteur principal. Patrick Graham, dès les premières pages, nous emmène dans l'âme humaine, dans les recoins les plus difficiles à atteindre de cerveaux bousillés et mal en point. Nous déambulons comme des touristes trop curieux dans le souvenir de personnes dont le cerveau se déchire en mille morceaux de vie, dans leur univers situé entre deux mondes dont la frontière n'est pas trop distincte.
L'auteur crée cette ambiance étouffante d'une manière très visuelle, très claire tout de même et quelque peu perturbante. Dès cet instant, franchement, j'ai accroché immédiatement car je découvrais un style et une trame qui m'étaient jusque-là inconnus. L'exploration du cerveau nous a déjà été servie à maintes reprises, c'est vrai, mais mélangée au style de Graham, cela donne, pour moi, une nouvelle façon de voir les choses.
L'auteur nous capte rapidement en nous emmenant dans ce monde fascinant englobant des dégradations de l'âme tels que le coma, l'amnésie et la recherche de son identité. Mais Graham va encore un peu plus loin que cela. Par ailleurs, j'ai totalement adhéré à l'univers de ce roman en ce qui concerne le décor. Patrick Graham nous peint une toile très forte; la région est aussi fascinante qu'hostile, l’atmosphère est lourde, étouffante, mais en même temps nous prenons un énorme bol d'air pur!
A l'image de ce Chevrolet Avalanche qui grimpe les cols verglacés de la région des Rocheuses, avec à son bord Rebecca et les enfants du Dr Searl, vers une destination dont ils ne sont pas vraiment sûrs de pouvoir atteindre, ceci pour diverses raisons. Les personnages évoluent dans un univers très cinématographique, qui dégage du froid, de la glace et qui nous prends à la gorge. Ce contexte glacial me fait vraiment penser à l'ambiance d'un des romans de Bernard Minier, dans lequel le paysage prend le rôle non négligeable d'un personnage à part entière.
La chaleur sera aussi présente, dans un autre décor tout aussi prenant et, évidemment, tout aussi inquiétant! L'écriture de Graham est découpée au scalpel, froide et d'une redoutable efficacité. En ce qui concerne les personnages, l'auteur nous dessine des personnes aux contours très marqués, dotés d'un caractère fort qui nous accapare et nous absorbe bien comme il faut. Les protagonistes du roman sont d'une belle épaisseur, c'est le moins que je puisse dire.
Nous sommes face à des personnes relativement inquiétantes pour certaines, absolument insupportables pour d'autres, ou encore quelques-unes qui arriveraient presque à nous toucher dans le mille, si ce n'est pas carrément le cas, à l'image du shérif Crawley. Très enrichissant aussi de découvrir le train de vie de personnes vivant dans cette Amérique montagnarde, avec ses rustres au franc-parler qui n'ont peur de rien! Le personnage du Dr Searl est assez paradoxal; d'un cynisme et d'une froideur sans précédent et en même temps doté d'une âme très à l'écoute des autres, à l'image de ses patients, à moitié morts il est vrai.
Le second coup de maître se situe vers le dénouement, pas tout à fait, un petit peu avant, où Patrick Graham nous fait gentiment comprendre qu'il nous a manipulés depuis le début et sans vergogne. On en ramasse plein la gueule, mais avec le sourire, bien entendu. Quoi que... L'auteur nous déstabilise encore davantage, surtout lorsque nous tournons la dernière page... Une affaire à suivre? ;-) Laissez-vous surprendre!
Paco (passion romans)
"Ces lieux sont morts"
Patrick Graham
Editions Fleuve noir, mai 2014
417 pages
26/06/2014 | Lien permanent
Réseau d'état, d'Hugues Leforestier (chronique 2)
Une chronique de Paco.
"Lou leva son verre pour trinquer à ce qu'elle savait être une promesse d'ivrogne pour un politicien: la vérité."
Une phrase très parlante qui en dit long sur les personnages de ce roman: des girouettes et des menteurs.
Imaginez une école maternelle, sa cours de récréation. Des enfants (ici en costume cravate) qui se courent les uns après les autres, se mentent, se jalousent, se détestent, s'amusent quoi. Soudain l'un a un secret, les autres veulent savoir quoi, puis ils se rendent comptent que cela les concerne, que cela va nuire à leur petite réputation dans la cours d'école, dans la cours des grands, ici dans la grande cours du milieu politique! Alors il faut le faire taire, il faut user de ses petites influences, des copains - copinage! - pour remédier au problème. Et bien entendu, sans oublier de bien mentir pour mieux régner, ne pas se faire entuber, et ainsi en finir.
C'est 180 pages que nous écrit Hugues Leforestier pour nous expédier cette intrigue politique, voir d'espionnage ou encore totalement burlesque. C'est rapide, ça dénonce, ça dévoile, c'est du polar et de la fiction; quoi que!
Les personnages sont l'atout de ce roman. Hugues Leforestier nous présente une panoplie de protagonistes pas tout à fait fictifs, même si l'histoire ne les définis pas vraiment. Les noms sont inventés mais les fonctions sont clairement établies, donc au lecteur de faire son propre rapprochement et surtout son opinion.
Hugues Leforestier nous bascule dans l'envers du décor politique, face aux hommes de l'ombre, à l'image d'un conseiller du Président très obéissant et bien docile, un responsable de la sécurité de l'Etat pas vraiment très intègre ou encore le Président lui-même, imbu de sa personne, le Pouvoir dans la tête ou peut-être même ailleurs, personnage limite ridicule tel qu'il est décrit dans cette œuvre. Il se nomme Marcoussy, chef d'Etat sortant, nous sommes en 2012; je ne vois pas bien qui cela peut être...
Il faut apprécier cette œuvre en plaçant la dérision et le sarcasme en 1ère ligne, une satire politique qui laisse tout de même un peu songeur; je ne suis pas un spécialiste de la politique française, mais je pense qu'Hugues Leforestier n'est pas très loin de la vérité en nous présentant ses personnages qui se tournent et se retournent bien plus vite qu'une girouette en pleine tempête, des hommes qui sont totalement aveuglés par le Pouvoir et qui sont prêts à tout pour accomplir leur sport favori; "se tenir par les couilles" et entretenir la dissimulation! De vrais gamins immatures insatisfaits, donc dangereux...
Il y a de la fiction, il y a du vrai c'est certain, au lecteur de faire la part des choses et de penser ce qu'il veut. Mais une chose est sure, vous aller vous marrer à force de suivre ces espèces de pantins qui ne valent pas mieux que quiconque, la plupart totalement frustrés de ne pas être là où il voudrait être. Et bien entendu, tous les coups (bas) sont permis!
C'est le cas de le dire dans ce roman.
L'intrigue en elle-même n'est pas compliquée. Il y a un homme, on va l'appeler "La Cible", qui est recherché par toutes les polices de France et les Services secrets. Cet ancien activiste gauchiste au passé tumultueux, devenu par la suite mercenaire pour une officine spécialiste des coups tordus, détient des dossiers sensibles hautement compromettants sur des hommes d'Etat actuellement au Pouvoir. Ayant entretenu par le passé des relations privilégiées avec plusieurs d'entre eux, "La Cible", prise dès lors très au sérieux, devient un élément gênant à abattre à n'importe quel prix.
Nous sommes à la veille des élections présidentielles, le gratin politique est nerveux, instable et va tout mettre en œuvre pour arrêter cet homme. Le faire passer pour un terroriste sera un moyen discret et bigrement efficace. Dès lors, un autre grand Pouvoir, avec lequel il est très intéressant de "jouer" avec, va également entrer en scène dans cette course dangereuse et rapide, celui de la presse, soit de la communication. Lou, jeune femme diaboliquement bien foutue et futée, représentera ce Pouvoir là qui a l'avantage d'être indépendant.
"Mais s'il y a un truc que ces gens-là (haute sphère de l'Etat) savent faire, c'est communiquer. Je te jure que même Staline était un morveux sur le sujet, et qu'avant ce soir tu vas te retrouver responsable de l'assassinat de Kennedy et du 11 septembre réunis, avec des centaines de pages de rapport à l'appui. M'étonnerait pas qu'ils expliquent que Ben Laden était un acteur de complément dont tu écrivais tous les discours."
"La Cible", bien que débrouillarde, futée et astucieuse tel qu'un Belmondo dans "Le Professionnel", aura tout de même besoin d'aide. Tout de même à bout de souffle, il se tournera vers ses "amis" trotskistes de l'époque, des camarades qui se battaient à ses côtés pour la révolution et contre le capitalisme. Mais voilà, le passé reste le passé, la plupart de ces gens ont viré de bord - le Pouvoir! -, ont suivi la voie de la domination - c'est un terme qui me convient bien - et sont à présent liés à des postes clés de la politique du pays. Dilemme! Pourra-t-il compter sur eux? A qui peut-il désormais faire confiance?
Hugues Leforestier nous dévoile quelques pratiques financières - vraies ou pas? - cautionnées et mises en place par des dirigeants politiques, un réseau d'influence au niveau international complexe et hautement efficace qui rapporte gros!
L'intérêt de ce roman qui se lit très vite est de se demander si tout cela est plausible et peut-être même véridique. Mais je pense que non, hein? ;-)
Bonne lecture.
Paco (passions romans)
Une autre chronique sur ce roman : celle d’Albertine
Réseau d'Etat
Hugues Leforestier
Editions Jigal
Collection Jigalpolar
184 pages
16 €
Présentation de l'éditeur
A la veille des élections présidentielles, un homme à bout de souffle qu’on essaie ? en très haut lieu ? de faire passer pour un terroriste, est traqué par toutes les polices de France. La cible, un ancien gauchiste devenu mercenaire pour une obscure officine spécialiste des coups tordus, a dans sa jeunesse entretenu des relations plus que privilégiées avec plusieurs hommes d’État. Et détient peut-être des dossiers compromettants sur certains d’entre eux… Une excellente raison sans doute de déclencher les manœuvres sans foi ni loi des cercles rapprochés du pouvoir afin de le faire disparaître au plus vite… et définitivement ! De la Françafrique à la présidence de la Commission européenne, en passant par les fameux dîners du Siècle, il faudra toute la perspicacité de Lou, journaliste politique d’un grand quotidien national, talentueuse et opiniâtre, pour dénouer les fils complexes de cet écheveau politique à l’allure très contemporaine…Aux dires de certains, le réseau Berlucci serait une officine de la CIA, ayant pour vocation d’être le bras armé et surtout financier du complexe militaro-industriel américain. Le business plan est exemplaire : réunir dans son staff une flopée de dirigeants politiques ? tous pays confondus ?, prendre dans le monde entier le contrôle d’entreprises stratégiques et capter ainsi de très nombreuses commandes d’État. Simple et redoutablement efficace ! La cible est un ancien anar, spécialiste des coups tordus pour l’officine, mais devenu soudain très gênant… les temps changent ! Ses camarades de jeunesse ? tous survivants de 68 ? sont depuis passés pour la plupart et sans vergogne apparente, du trotskisme à la politique et à la finance débridée. Argent, pouvoir et intrigues… Tout est là… le reste est affaire de fiction… ou presque ! Et dans ce premier polar, Hugues Leforestier la met en scène avec une efficacité redoutable… Bien sûr, toute ressemblance, bla bla bla...
09/10/2012 | Lien permanent
Léviathan, tome 2 : la nuit, de Lionel Davoust
"Son regard s'égara sur les quelques passants emmitouflés dans leurs lainages, sur les enseignes lumineuses des commerces ouverts vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Tant d'êtres humains, de consciences qui espéraient, souffraient, aimaient, bâtissaient - et pour quoi, en définitive? Mourir, en ne laissant que des larmes et des regrets, bientôt oubliés à leur tour. Des existences tels des châteaux de sable balayés par la marée, dont il ne subsistait aucune trace. Et la génération suivante recommençait le cycle, persuadée, dans l'aveuglement de la jeunesse, de sa différence. Illusion et vanité. L'espèce humaine se rengorgeait de ses progrès mais, en vérité, elle n'avait pas accompli un seul pas vers la plus importante question entre toutes: comprendre ce qu'elle faisait là." Léviathan, la Nuit - page 415
Sommes-nous de simples pions sur cette terre, dans ce monde factice, guidés et surtout manipulés par une force supérieure qui nous fait prendre une direction, des décisions choisies et déterminées à l'avance? Sommes-nous vraiment en train de vivre notre propre vie, celle que nous avons vraiment choisie? Les proches qui évoluent autour de nous sont-ils vraiment ceux que l'on pense? Ou alors tout ce qui gravite autour de nous est finalement fabriqué; une puissante supercherie mise en place pour atteindre un but bien précis, ou même protéger des valeurs capitales. C'est le genre de pensées qui hantera le lecteur qui se sera approché de très près de l'univers de Léviathan!
Souvenez-vous, il n'y a pas si longtemps, vous terminiez le premier volet de Léviathan en compagnie de Michaël Petersen. Oui souvenez-vous, notre biologiste marin nous quittait accidentellement en s'enfonçant des les eaux gelées de l'Antarctique, suite à une soudaine tempête, violente et dévastatrice. Lionel Davoust nous laissait là, nous abandonnait au bord de l'océan sans même se préoccuper de savoir si nous allions tenir le coup jusqu'à ce fameux second volet, "Léviathan, la Nuit"!
L'auteur nous démontre déjà après ce second tome qu'il maîtrise parfaitement bien la cadence de sa trilogie. Dans le premier acte, il a su nous diriger dans la direction qu'il souhaitait, en nous exposant au froid polaire, lors d'un voyage chaotique au côté de Michaël Petersen, ce biologiste marin manipulé par des forces occultes et obscures, "les initiés de La Main Gauche", qui cherchent visiblement à lui mettre des œillères en le faisant évoluer dans une vie fictive, mais néanmoins faussement agréable. Mais Pourquoi? Beaucoup d'interrogations, de frustrations, le lecteur était confronté à quelque chose qui le dépasse totalement! Oui car Lionel Davoust dose magnifiquement bien son récit entre ésotérisme et rationnel.
Les lecteurs de ce deuxième roman seront soulagés de savoir que Michaël Petersen a survécu, repêché in extremis par ses coéquipiers. La mer a peut-être tenté de le prendre, mais d'une certaine manière l'a tout de même épargné. L'océan... Présent à chaque instant, à tout moment... Néanmoins, le zoologiste marin sombre dans un profond coma, un état qui dépasse l'entendement pour le corps médical qui s'aperçoit que son cerveau semble tourner à plein régime; Michaël rêve. Et là l'auteur se donne à cœur joie pour nous immerger dans la conscience brumeuse de notre scientifique. Déconcertant, déroutant. Michaël est persécuté dans l'essence même de sa personne.
Lionel Davoust rajoute dans ce deuxième acte un élément supplémentaire et fait entrer en scène l'agent spécial Andrew Leon, du FBI de Phoenix. Ce personnage, spécialiste de la cybercriminalité, va se retrouver sur la route de Michaël Petersen suite à des circonstances passablement troublantes. Ce passionné de mathématique qui passe son temps libre a concevoir de nouveaux programmes et analyses va se retrouver à la tête d'une enquête complexe, semée de cadavres; des personnes qui évoluaient, pour certaines, très près de notre zoologiste marin. Des assassinats mystérieux et incompréhensibles pour les forces de l'ordre. Qu'est-ce qui peut bien relier ce flic fédéral à Michaël Petersen? Question qui conduit tout de même vers une autre; la conscience humaine laisse-t-elle des traces dans son environnement et surtout peut-elle être détectée ou calculée scientifiquement? Je n'en dis pas plus, il me semble que je deviens un peu trop bavard.
Lorsque l'occultisme et la science se côtoient de très près, le résultat devient tout simplement saisissant! Mais lorsque l'ésotérisme semble nettement prendre le dessus sur la raison, cela devient franchement alarmant et redoutable. L'agent Andrew Leon, ayant tout de même un esprit cartésien et rationnel, va néanmoins démontrer que son esprit n'est absolument pas verrouillé aux phénomènes paranormaux. Son aide sera précieuse pour notre biologiste marin; cet homme que nous apprendrons à connaître au fil de l'intrigue servira en quelque sorte de passerelle au niveau de la compréhension.
Dans le premier tome, nous avions un Michaël Petersen un peu naïf, fasciné et en même temps terrifié par le monde marin depuis que ses parents ont disparu dans le naufrage d'un ferry alors qu'il n'avait que 7 ans. Un homme qui a tout de même tenté de dépasser ses limites en quittant sa famille pour se consacrer à la mer. Mais pourquoi cette attirance pour un monde qui l'effraye autant? Dans ce deuxième tome, l'approche du personnage va se modifier; traqué au plus profond de sa conscience, de son âme, par une force que vous découvrirez au cours de cette histoire, Michaël Peterson va acquérir des réflexes surprenants, curieux autant pour lui que pour nous. L’instinct ? Son petit monde s'écroule, des garde-fous disparaissent un à révélant ainsi un autre personnage - le véritable? - qui semble remonter à la surface de l’océan. Le biologiste marin va gentiment s'apercevoir que sa vie n'est en quelque sorte pas vraiment la sienne; constat terrifiant et affolant pour ce père de famille qui ne sait plus vraiment à qui faire confiance ; même en lui.
Qui est-il vraiment? Pourquoi le Comité, ces mages de cette puissante organisation secrète qu'est la Main Gauche tentent-ils à tout prix de faire en sorte que Michaël Petersen ne fouille pas trop dans son passé, dans son esprit? Pourquoi cherchent-ils à ce point à ce qu'il continue à vivre sa petite vie tranquille, auprès de personnages issus du Comité - professionnels de l'accommodat (manipulation) - qui jouent leurs doubles rôles à la perfection? Dans ce deuxième volume, Lionel Davoust nous donne déjà quelques réponses, le voile tombe doucement, ou plutôt juste quelques coins du voile. La conscience de notre biologiste marin paraît s'éveiller petit à petit au détriment de bien des personnes qui, malgré leur force et leur puissance surhumaines, vont commencer à sérieusement s'affoler. Que cherchent-ils à protéger à ce point?
Entre l'image du monde que nous nous faisons et l'image que nous fournie Lionel Davoust dans cette aventure mystique, le lecteur va être confronté à de nombreuses controverses. L'auteur nous pousse à nous remettre en question sur bien des valeurs qui nous semblaient acquises depuis la nuit des temps. Quelques références bibliques apparaissent lors de cette « épopée »; des affrontements entre croyants et non croyants (Main Droite et Main Gauche) vont également nous amener à revoir notre propre théorie sur des aspects fondamentaux. Qu'est-ce que la croyance en fin de compte...? Mais surtout envers qui?
Comme à la fin du premier volet, l'auteur nous laisse dans un flou presque total. Pas mal d'éléments sont à présent connus, mais il nous manque l'essentiel - évidemment - à savoir quels rôles jouent chaque personnes dans ce techno-mystico-aventuro thriller (j'ai inventé) et surtout que veut cet énigmatique entité qu'est Léviathan! Oui car dans ce roman, vous aurez le privilège de le côtoyer enfin, de l'approcher mais sans jamais savoir ce qu'il représente vraiment. Le lecteur aura sa petite idée, bien entendu, mais j'imagine que Lionel Davoust nous réserve une surprise de taille, l'apothéose, dans son troisième roman qui sortira en 2013, "Léviathan, le Pouvoir". Bonne lecture et méfiez-vous des eaux qui dorment, car dans ce roman elles ont plutôt tendance à ne vouloir qu'une seule chose, nous noyer.
Paco (passions romans)
Léviathan, la Nuit
Lionel Davoust
Don Quichotte Editions
408 pages
22 €
16/05/2012 | Lien permanent
Le rabaissement, de Philip Roth
Une chronique de Jacques
Ce dernier roman de Philip Roth a été confortablement médiatisé en France. Aussi n’aurais-je pas pris la peine d’en parler si je n’avais pas été en désaccord avec ce qu’en disent les critiques qui sont, à de rares exceptions près, largement dithyrambiques.
Ainsi Nathalie Crom dans Télérama qui nous parle d’« une admirable composition d'intelligence, d'érotisme et de désolation ». Ou encore le magazine Lire : « un bref roman d'une noirceur éblouissante, qui porte un regard implacable sur nos illusions, avec autant de sobriété que d'éloquence ».
Ou enfin Nelly Kapriélan dans les Inrocks qui, dans une critique beaucoup plus subtile que le roman dont elle parle, le présente comme l’un « de ses plus subtils romans ».
Face au regard ébloui que portent sur le rabaissement tant de grandes signatures de la critique littéraire, ce petit billet d’un anonyme n’aura aucune chance d’influer en quoi que ce soit sur son succès… et c’est bien, ainsi ! Car dans le cas contraire j’aurais eu quelques remords d’avoir la dent dure pour un livre sur lequel l’auteur a dû (en tout cas je l’imagine) passer un peu du précieux temps qui lui reste encore à vivre… et cela d’autant plus que les thèmes de la vieillesse et de la mort sont au cœur de cette histoire et font visiblement partie des préoccupations majeures du Philip Roth d’aujourd’hui.
Simon Axler est un acteur vieillissant mais toujours imposant physiquement, un des acteurs les plus côtés de sa génération, une sorte de Laurent Terzieff ou de Gérard Philippe américain. Sa notoriété est donc immense, autant que son talent. Et brusquement ce talent s’en va, mystérieusement, sans crier gare. Pourquoi ? Nous n’en saurons rien, car ce n’est pas le sujet du roman, qui commence au moment où Axler vient de prendre conscience de son déclin.
« Il avait perdu sa magie. L’élan n’était plus là. Au théâtre, il n’avait jamais connu l’échec, ce qu’il faisait avait toujours été solide, abouti. Et puis il s’était produit une chose terrible : il s’était trouvé incapable de jouer ».
C’est ainsi que commence le livre, qui se centre ensuite sur le combat désespéré, car perdu d’avance, contre la vieillesse, la décrépitude annoncée, puis la mort. Comment Simon Axler va-t-il réagir ? Quelles armes va-t-il utiliser pour tenter de retarder l’échéance, donner encore un sens à sa vie pendant les quelques années qui lui restent ?
Victoria, la femme d’Axler, le quitte et celui-ci se retrouve « seul dans la maison et tremblant à l’idée de se tuer ». Pour éviter le pire, il décide d’aller dans un hôpital psychiatrique où il va rester presque un mois. En sortant de l’hôpital, sa rencontre avec Pegeen, une femme plus jeune que lui de vingt cinq ans, lesbienne abandonnée par son amie lorsque celle-ci a décidé de changer de sexe, va l’entrainer dans une expérience érotique et humaine inédite pour lui : le sexe comme moyen ultime pour un homme vieillissant de faire reculer le spectre de la déchéance et de la mort, avec, comme rêve possible, comme perspective inespérée de contrarier le destin, la possibilité qui se présente à lui d’avoir un enfant avec Pegeen.
Puisque la création artistique est finie pour lui, puisqu’il est maintenant incapable d’interpréter les rôles fameux du répertoire classique qui l’avaient rendu célèbre, il va tenter avec Pegeen de retrouver une autre forme de création, en modelant celle-ci, en la transformant, en la faisant devenir autre que ce qu’elle était, et en premier lieu : hétérosexuelle.
Tentative bien sûr désespérée pour Axler de freiner le cours du temps, de lutter sans y croire contre l’inexorable qu’il sent approcher. Le départ de Pegeen va finalement précipiter sa fin. Puisqu’il n’a plus rien à quoi se raccrocher, puisque le monde s’effrite autour de lui, puisque que ses capacités physiques et mentales s’effritent aussi, à quoi bon continuer à vivre ?
C’est un beau sujet, en tout cas un sujet universel, dans lequel chaque lecteur peut se retrouver, que ce soit par un effort d’imagination anticipatoire ou bien par le regard porté sur sa propre réalité vécue au quotidien.
Le talent (incontestable) de Philip Roth aurait pu lui permettre de faire de ce thème un grand roman, qui aurait emporté le lecteur dans un tourbillon de sensibilité, d’intelligence et d’émotions.
Or que trouvons-nous ici ? Une grande sècheresse de style, aucunement compensée par la profondeur des personnages, qui restent au contraire désespérément superficiels, sans relief, et ne suscitent chez le lecteur aucune empathie. Philip Roth réussit même le triste exploit, sur un sujet qui aurait pu être palpitant, prenant, excitant, de rendre son personnage de Simon Axler souvent ridicule, parfois à la limite du grotesque et, plus grave (car après tout, s’il avait délibérément choisir de le rendre ridicule, cela aurait pu avoir du sens), d’en faire une marionnette à laquelle le lecteur ne croit pas une seule seconde. Pire encore : une marionnette emmerdante !
Emmerdante à un point tel qu’en tournant les pages, je me surprenais à penser : « mais qu’est ce que je m’en fous de son histoire d’acteur ayant perdu son talent, après tout, il y a des choses plus graves que ça dans la vie… ».
C’est vrai, quoi : un bonhomme approche les soixante dix ans, il est riche, célèbre, peut prendre sa retraite peinard et se contenter s’il en a envie d’aller jouer quelques petits rôles dans des pièces de patronages devant douze personnes… Non ! Il faut absolument qu’il reste jusqu’au bout un acteur génial et admiré de tous. Et s’il ne l’est plus, il pleurniche sur lui-même !
Bien sûr, les admirateurs de Roth vont peut-être m’expliquer que le Maître l’a fait exprès : Simon Axler nous démontrerait ainsi l’ironie de la vie humaine, qui est toujours prise au tragique par ceux qui sont sur le point de la perdre, incapables qu’ils sont de prendre du recul en pratiquant l’autodérision.
Le problème c’est qu’il n’y a pas une once d’humour dans ce livre, ni même de dérision et encore moins d’autodérision ! Et que si Philip Roth a voulu mettre ces ingrédients là, il s’est royalement planté : on ne les sent pas.
En réalité, si ce roman avait été le premier roman d’un jeune auteur totalement inconnu, les grands critiques qui l’encensent n’en auraient – au mieux – pas dit un mot. Et s’ils en avaient parlé, ils l’auraient sans doute fait avec une certaine ironie condescendante.
Ainsi va la notoriété : dans ce roman, Philip Roth, tout comme Simon Axler, a perdu sa magie. Mais la critique quasi unanime va continuer à le porter aux nues, ce qui est aussi une preuve par l’absurde que le personnage de Philip Roth est factice, artificiel, déconnecté du réel. Car dans ce réel, quoiqu’il fasse, la notoriété de celui qui est considéré comme un artiste de génie ne peut qu’augmenter avec l’âge !
C’est une des lois fondamentales du système médiatique contemporain…
Présentation de l'éditeur
Avec ce roman, Philip Roth poursuit sa méditation sur la vieillesse, la mort et la sexualité , seule capable de rendre à l’être vieillissant un semblant de vigueur. Simon Axler est l’un des acteurs les plus connus et les plus brillants de sa génération : une gloire célébrée jusque dans les provinces reculées. Il a maintenant 65 ans, il a perdu son talent, son
assurance, la magie qui, tel Prospero, dans La Tempête, le faisait vivre. Axler n’arrive plus à croire en ses rôles, en lui-même, en la vie qui s’en va. Il se regarde être un acteur, un mauvais acteur de surcroît. Ce sentiment d’extériorité le mène à la dépression ; sa femme le quitte, son public aussi, et son agent, un vieillard de 80 ans, ne peut plus rien pour lui, pas même le convaincre de retourner en scène. Obsédé par le suicide, Axler entre à l’hôpital psychiatrique, ce qui accroît son impression d’échec et d’humiliation. Mais Axler va rencontrer, coup de théâtre, une jeune lesbienne, Pegee, qui pourrait être sa fille (il a été très proche de ses parents, acteurs eux aussi, mais acteurs ratés) ; elle va lui inspirer une passion érotique et, ainsi, le ramener à la vie, au sexe, le seul remède. Cependant, loin d’avoir transformé Pegee comme il le croyait, loin d’avoir été son Pygmalion et de l’avoir comblée, Axler s’est nourri d’illusions, creusant ainsi son propre malheur. Car Pegee, l’amoureuse des femmes, reste surtout fidèle à un père possessif. Un roman fort et intense, surprenant, audacieux, comme tout ce qu’écrit Roth.
23/11/2011 | Lien permanent