23/11/2011
Le rabaissement, de Philip Roth
Une chronique de Jacques
Ce dernier roman de Philip Roth a été confortablement médiatisé en France. Aussi n’aurais-je pas pris la peine d’en parler si je n’avais pas été en désaccord avec ce qu’en disent les critiques qui sont, à de rares exceptions près, largement dithyrambiques.
Ainsi Nathalie Crom dans Télérama qui nous parle d’« une admirable composition d'intelligence, d'érotisme et de désolation ». Ou encore le magazine Lire : « un bref roman d'une noirceur éblouissante, qui porte un regard implacable sur nos illusions, avec autant de sobriété que d'éloquence ».
Ou enfin Nelly Kapriélan dans les Inrocks qui, dans une critique beaucoup plus subtile que le roman dont elle parle, le présente comme l’un « de ses plus subtils romans ».
Face au regard ébloui que portent sur le rabaissement tant de grandes signatures de la critique littéraire, ce petit billet d’un anonyme n’aura aucune chance d’influer en quoi que ce soit sur son succès… et c’est bien, ainsi ! Car dans le cas contraire j’aurais eu quelques remords d’avoir la dent dure pour un livre sur lequel l’auteur a dû (en tout cas je l’imagine) passer un peu du précieux temps qui lui reste encore à vivre… et cela d’autant plus que les thèmes de la vieillesse et de la mort sont au cœur de cette histoire et font visiblement partie des préoccupations majeures du Philip Roth d’aujourd’hui.
Simon Axler est un acteur vieillissant mais toujours imposant physiquement, un des acteurs les plus côtés de sa génération, une sorte de Laurent Terzieff ou de Gérard Philippe américain. Sa notoriété est donc immense, autant que son talent. Et brusquement ce talent s’en va, mystérieusement, sans crier gare. Pourquoi ? Nous n’en saurons rien, car ce n’est pas le sujet du roman, qui commence au moment où Axler vient de prendre conscience de son déclin.
« Il avait perdu sa magie. L’élan n’était plus là. Au théâtre, il n’avait jamais connu l’échec, ce qu’il faisait avait toujours été solide, abouti. Et puis il s’était produit une chose terrible : il s’était trouvé incapable de jouer ».
C’est ainsi que commence le livre, qui se centre ensuite sur le combat désespéré, car perdu d’avance, contre la vieillesse, la décrépitude annoncée, puis la mort. Comment Simon Axler va-t-il réagir ? Quelles armes va-t-il utiliser pour tenter de retarder l’échéance, donner encore un sens à sa vie pendant les quelques années qui lui restent ?
Victoria, la femme d’Axler, le quitte et celui-ci se retrouve « seul dans la maison et tremblant à l’idée de se tuer ». Pour éviter le pire, il décide d’aller dans un hôpital psychiatrique où il va rester presque un mois. En sortant de l’hôpital, sa rencontre avec Pegeen, une femme plus jeune que lui de vingt cinq ans, lesbienne abandonnée par son amie lorsque celle-ci a décidé de changer de sexe, va l’entrainer dans une expérience érotique et humaine inédite pour lui : le sexe comme moyen ultime pour un homme vieillissant de faire reculer le spectre de la déchéance et de la mort, avec, comme rêve possible, comme perspective inespérée de contrarier le destin, la possibilité qui se présente à lui d’avoir un enfant avec Pegeen.
Puisque la création artistique est finie pour lui, puisqu’il est maintenant incapable d’interpréter les rôles fameux du répertoire classique qui l’avaient rendu célèbre, il va tenter avec Pegeen de retrouver une autre forme de création, en modelant celle-ci, en la transformant, en la faisant devenir autre que ce qu’elle était, et en premier lieu : hétérosexuelle.
Tentative bien sûr désespérée pour Axler de freiner le cours du temps, de lutter sans y croire contre l’inexorable qu’il sent approcher. Le départ de Pegeen va finalement précipiter sa fin. Puisqu’il n’a plus rien à quoi se raccrocher, puisque le monde s’effrite autour de lui, puisque que ses capacités physiques et mentales s’effritent aussi, à quoi bon continuer à vivre ?
C’est un beau sujet, en tout cas un sujet universel, dans lequel chaque lecteur peut se retrouver, que ce soit par un effort d’imagination anticipatoire ou bien par le regard porté sur sa propre réalité vécue au quotidien.
Le talent (incontestable) de Philip Roth aurait pu lui permettre de faire de ce thème un grand roman, qui aurait emporté le lecteur dans un tourbillon de sensibilité, d’intelligence et d’émotions.
Or que trouvons-nous ici ? Une grande sècheresse de style, aucunement compensée par la profondeur des personnages, qui restent au contraire désespérément superficiels, sans relief, et ne suscitent chez le lecteur aucune empathie. Philip Roth réussit même le triste exploit, sur un sujet qui aurait pu être palpitant, prenant, excitant, de rendre son personnage de Simon Axler souvent ridicule, parfois à la limite du grotesque et, plus grave (car après tout, s’il avait délibérément choisir de le rendre ridicule, cela aurait pu avoir du sens), d’en faire une marionnette à laquelle le lecteur ne croit pas une seule seconde. Pire encore : une marionnette emmerdante !
Emmerdante à un point tel qu’en tournant les pages, je me surprenais à penser : « mais qu’est ce que je m’en fous de son histoire d’acteur ayant perdu son talent, après tout, il y a des choses plus graves que ça dans la vie… ».
C’est vrai, quoi : un bonhomme approche les soixante dix ans, il est riche, célèbre, peut prendre sa retraite peinard et se contenter s’il en a envie d’aller jouer quelques petits rôles dans des pièces de patronages devant douze personnes… Non ! Il faut absolument qu’il reste jusqu’au bout un acteur génial et admiré de tous. Et s’il ne l’est plus, il pleurniche sur lui-même !
Bien sûr, les admirateurs de Roth vont peut-être m’expliquer que le Maître l’a fait exprès : Simon Axler nous démontrerait ainsi l’ironie de la vie humaine, qui est toujours prise au tragique par ceux qui sont sur le point de la perdre, incapables qu’ils sont de prendre du recul en pratiquant l’autodérision.
Le problème c’est qu’il n’y a pas une once d’humour dans ce livre, ni même de dérision et encore moins d’autodérision ! Et que si Philip Roth a voulu mettre ces ingrédients là, il s’est royalement planté : on ne les sent pas.
En réalité, si ce roman avait été le premier roman d’un jeune auteur totalement inconnu, les grands critiques qui l’encensent n’en auraient – au mieux – pas dit un mot. Et s’ils en avaient parlé, ils l’auraient sans doute fait avec une certaine ironie condescendante.
Ainsi va la notoriété : dans ce roman, Philip Roth, tout comme Simon Axler, a perdu sa magie. Mais la critique quasi unanime va continuer à le porter aux nues, ce qui est aussi une preuve par l’absurde que le personnage de Philip Roth est factice, artificiel, déconnecté du réel. Car dans ce réel, quoiqu’il fasse, la notoriété de celui qui est considéré comme un artiste de génie ne peut qu’augmenter avec l’âge !
C’est une des lois fondamentales du système médiatique contemporain…
Présentation de l'éditeur
Avec ce roman, Philip Roth poursuit sa méditation sur la vieillesse, la mort et la sexualité , seule capable de rendre à l’être vieillissant un semblant de vigueur. Simon Axler est l’un des acteurs les plus connus et les plus brillants de sa génération : une gloire célébrée jusque dans les provinces reculées. Il a maintenant 65 ans, il a perdu son talent, son
assurance, la magie qui, tel Prospero, dans La Tempête, le faisait vivre. Axler n’arrive plus à croire en ses rôles, en lui-même, en la vie qui s’en va. Il se regarde être un acteur, un mauvais acteur de surcroît. Ce sentiment d’extériorité le mène à la dépression ; sa femme le quitte, son public aussi, et son agent, un vieillard de 80 ans, ne peut plus rien pour lui, pas même le convaincre de retourner en scène. Obsédé par le suicide, Axler entre à l’hôpital psychiatrique, ce qui accroît son impression d’échec et d’humiliation. Mais Axler va rencontrer, coup de théâtre, une jeune lesbienne, Pegee, qui pourrait être sa fille (il a été très proche de ses parents, acteurs eux aussi, mais acteurs ratés) ; elle va lui inspirer une passion érotique et, ainsi, le ramener à la vie, au sexe, le seul remède. Cependant, loin d’avoir transformé Pegee comme il le croyait, loin d’avoir été son Pygmalion et de l’avoir comblée, Axler s’est nourri d’illusions, creusant ainsi son propre malheur. Car Pegee, l’amoureuse des femmes, reste surtout fidèle à un père possessif. Un roman fort et intense, surprenant, audacieux, comme tout ce qu’écrit Roth.
15:07 Publié dans 06. Il y a une vie hors du polar ! | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | |
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