Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

18/12/2010

Invisible, de Paul Auster

                                          Un roman du flou, de l'incertitude, du doute 

invisible.jpgComment parler d’un roman dont l’écriture est si dense, si riche, que chaque page mériterait un long développement ? Comment rendre compte avec honnêteté et justesse de cette intelligence des rapports humains et de  cette habileté narrative ? Mission impossible : il faudrait avoir le talent de Paul Auster lui-même pour y parvenir. Tout ce que je peux espérer, c’est  que l’éclairage - forcément partiel - que je vais porter sur ce roman donnera à certains l’envie d’y faire d’autres découvertes. 

Adam Walker,  le personnage principal, où plutôt celui qui semble l’être au début du roman, a vingt ans en 1967.  Etudiant brillant en deuxième année de littérature à l’université de Colombia, très séduisant (il ne le dit pas lui-même mais le lecteur le comprend peu à peu), apprenti poète,  il est passionné de littérature française médiévale et en particulier de Bertran de Born, poète provençal du XIIème siècle, un auteur  dont parle Dante à la fin de son vingt-huitième chant de l’Enfer.

Au tout début de l’histoire, il rencontre  Rudolf Born, le presque homonyme de Bertran, français comme lui, et son amie, la séduisante Margot. R.B. est un homme à la personnalité mystérieuse. Il est ambiguë, séduisant, violent, intelligent, insaisissable : un véritable personnage de roman.

Cette rencontre va bouleverser la vie d’Adam Walker. Les évènements qui vont suivre sont à mettre en relation avec une décision fondatrice de sa vie, que nous découvrirons dans la deuxième partie du roman. Il a douze ans. Après la mort accidentelle de son frère et l’internement de sa mère dans un hôpital psychiatrique, il jure, sur la mémoire de son frère, qu’il sera « un type bien » jusqu’à sa mort.

« Tu étais seul dans la salle de bain, tu t’en souviens, seul dans la salle de bain en train d’essayer de ne pas pleurer, et par bien tu entendais honnête, bon et généreux, tu voulais dire que jamais tu ne te moquerais de personne, que jamais  tu ne te sentirais supérieur à personne, que jamais tu ne chercherais la bagarre. Tu avais douze ans. »

Il s’agit là d’un des  thèmes du roman: comment une décision, prise à l’âge de douze ans, peut-elle  influencer, et même conditionner le reste de l’existence ?  Pourquoi, au nom de quel impératif moral, un individu va-t-il décider de rester fidèle à lui-même, à travers les aléas de la vie, en ne reniant jamais ce choix initial ?  Comment surmonter  le sentiment de  culpabilité, qui va inévitablement surgir  lorsqu’il se découvrira incapable de tenir cet engagement d’enfant ?

Car la rencontre avec R.B. va influencer à jamais la vie de Walker.

Si le roman de Paul Auster a quatre parties, le récit de Walker en a trois : printemps, été, automne. Chacune des trois parties est écrite à un mode et un temps différent : première personne du passé pour la première, deuxième personne du passé pour la deuxième,  troisième personne du présent pour la troisième. L’utilisation de ces différents modes s’éloigne davantage du récit à chacune de ces étapes, à mesure qu’il se rapproche de sa propre mort. en se rapprochant peu à peu de sa fin.

R.B. est un homme à la personnalité mystérieuse. Il est ambiguë, séduisant, violent, intelligent, insaisissable : un véritable personnage de roman.

Cette rencontre va bouleverser la vie d’Adam Walker. Les évènements qui vont suivre sont à mettre en relation avec une décision fondatrice de sa vie, que nous découvrirons dans la deuxième partie du roman. Il a douze ans. Après la mort accidentelle de son frère et l’internement de sa mère dans un hôpital psychiatrique, il jure, sur la mémoire de son frère, qu’il sera « un type bien » jusqu’à sa mort.

« Tu étais seul dans la salle de bain, tu t’en souviens, seul dans la salle de bain en train d’essayer de ne pas pleurer, et par bien tu entendais honnête, bon et généreux, tu voulais dire que jamais tu ne te moquerais de personne, que jamais  tu ne te sentirais supérieur à personne, que jamais tu ne chercherais la bagarre. Tu avais douze ans. »

Il s’agit là d’un des  thèmes du roman: comment une décision, prise à l’âge de douze ans, peut-elle  influencer, et même conditionner le reste de l’existence ?  Pourquoi, au nom de quel impératif moral, un individu va-t-il décider de rester fidèle à lui-même, à travers les aléas de la vie, en ne reniant jamais ce choix initial ?  Comment surmonter  le sentiment de  culpabilité, qui va inévitablement surgir  lorsqu’il se découvrira incapable de tenir cet engagement d’enfant ?

Car la rencontre avec R.B. va influencer à jamais la vie de Walker. Born, pour une raison qui reste mystérieuse aux yeux d’Adam, propose au jeune étudiant de prendre la direction d’un magazine littéraire qu’il va financer, en lui laissant toute latitude dans les choix éditoriaux. Une chance extraordinaire pour un jeune étudiant talentueux mais qui n’a jamais fait ses preuves. Adam accepte, sans comprendre la motivation de Rudolf, et commence à travailler sur le projet. Pendant un séjour de Born à Paris, il a une liaison avec Margot, liaison interrompue par le retour de Born et qui semble laisser celui-ci plutôt indifférent lorsqu’il l’apprend de la bouche de Margot. Le projet de magazine littéraire continue comme si rien ne s’était passé.

Tout bascule un soir de printemps. Alors qu’ils se promènent   tous deux dans les rues de New York,  Rudolf  commet un meurtre. Dans un premier temps, craignant sa réaction, Adam décide de ne  rien dire à la police.  

« Une telle abstention est de loin  l’acte le plus répréhensible de ma vie, le point le plus bas de ma carrière d’être humain. Non seulement elle a permis à un tueur de rester en liberté, mais elle a eu aussi l’effet insidieux de me forcer à regarder en face ma propre faiblesse morale, à reconnaître que je n’avais jamais été l’individu que je croyais être, que j’étais moins bon, moins fort et moins courageux que je ne me l’étais imaginé

Lorsqu’il se décide enfin, il est trop tard : Born s’est enfui à Paris.

« Il m’avait fait voir en moi quelque chose qui me remplissait de dégoût et, pour la première fois de ma vie, je  compris ce que c’était que de haïr quelqu’un. Jamais je ne pourrais lui pardonner – et jamais je ne pourrais me pardonner, à moi. »

 

Au début de la deuxième partie, coup de théâtre. Fervent des constructions romanesques sophistiquées, et des histoires emboîtées, Paul Auster joue une fois de plus avec son  lecteur. Nous ne sommes plus en 1967 mais en 2007. Ce morceau de récit, que nous venons de lire, c’est  James Freeman qui nous le livre. Freeman est un écrivain américain renommé. Il a reçu ce document chez lui, à Brooklin,  d’Adam Walker en personne.

Freeman et Walker étaient amis à l’université de Colombia en 1967 et ne se sont plus revus depuis cette époque. Adam Walker est en train de mourir d’une leucémie et a décidé de lui envoyer le début de ce livre qui, lui écrit-il  « n’est pas une œuvre de fiction ».  Ce doit être un livre en trois parties et, ajoute  Walker,  il se  trouve bloqué  pour l’écriture de la deuxième partie et  a besoin des conseils de Freeman pour le poursuivre. 

 

La situation de blocage, lui répond Freeman, « provient d’un défaut dans la pensée de l’écrivain – à savoir qu’il ne comprend pas pleinement ce qu’il essaie de dire où, plus subtilement, qu’il aborde son sujet sous un mauvais angle ».

Ce simple conseil permet à Walker de poursuivre son récit,  en l’écrivant  à la deuxième personne, afin de conserver une distance suffisante avec le personnage d’Adam Walker.  Peu après, Fremman reçoit la suite, cette deuxième partie dont nous prenons connaissance avec lui.

 

Après le départ de Born, Adam décide de poursuivre ses études pendant une année à Paris. En attendant, il travaille comme grouillot dans une bibliothèque et habite un deux-pièces où il va inviter sa sœur à venir passer quelques jours avec lui. Gwin est une jeune femme magnifique, qui selon Jim Freeman ressemble beaucoup à son frère, et dont  Adam nous dit, en parlant de lui à la deuxième personne « déjà tu l’aimais plus que quiconque en ce monde, et jusqu’à tes six-sept ans, tu tenais pour acquis que tu vivrais toujours avec elle, que vous finiriez mari et femme ».

Ils vont vivre alors, pendant une partie de l’été, des amours incestueuses dont il va parler  à Freeman en utilisant les mots « brutal », « horrible », dégueulasse. Pourtant, le récit qu’il en fait, très cru, d’une précision clinique, suggère au lecteur une histoire d’amour partagé, violente et désespérée, mais sans culpabilité de sa part.

L’été fini, Adam part pour Paris, désespéré de quitter Gwin.

 

La deuxième partie du livre d’Adam Walker s’achève à ce moment précis du départ de Walker pour Paris.

Freeman se rend alors à Oakland pour y retrouver Adam et parler avec lui de la troisième et dernière partie  de son livre : Automne.

Il est trop tard : Adam est mort de sa leucémie trois jours auparavant.  En guise de troisième chapitre, Freeman ne trouve que des notes brèves, en style télégraphique,  que Rebecca,  la fille d’Adam, lui a confiées.

Par fidélité à son ami, il décide d’utiliser ces notes pour rédiger la fin du récit, et il va le faire à la troisième personne, entièrement au présent, estimant que c’est de cette façon qu’il sera le plus fidèle à Walker. 

Et c’est ainsi que nous, lecteur, découvrons la suite de l’histoire d’Adam au cours de cette année 1967. Elle est écrite par le célèbre écrivain de Brooklin, Freeman, qui avertit ainsi le lecteur : « En dépit de mon intervention éditoriale dans le texte, au sens le plus profond et le plus vrai de ce que raconter une histoire signifie, Automne est du premier au dernier mot l’œuvre de Walker en personne ».

 

Rudolf Born, que Walker retrouve très vite à Paris, exerce toujours sur lui une étrange fascination/répulsion.  Pour rester fidèle à lui même et à sa promesse d’enfant, il va entrer en conflit avec lui, et à la suite d’une machination montée par R.B., finira par être expulsé de France.

Lorsque Walker arrive à Paris, il considère Born comme un personnage violent, dur : après tout, il en a eu la preuve directe avec le meurtre. Or il apprend que Born va se marier avec Hélène, dont le mari est dans le coma à la suite d’un accident automobile. Et Born, se montre, depuis des années, d’un grand dévouement et d’une gentillesse extrême pour Hélène et sa fille Cécile. Il apparaît sous un jour très différent de ce qu’Adam croit connaître de lui.

Malgré cela, il  décide de les prévenir toutes les deux de l’acte criminel que celui-ci a commis à New York : des catastrophes s’ensuivent.

Nous retrouvons là un thème récurrent chez Paul Auster : la relation entre l’auteur et son personnage. Pour être crédible et intéressant, nous fait comprendre Auster, un personnage doit être suffisamment ambiguë pour avoir sa part d’ombre, et cela pour l’auteur lui-même.

Born est sans aucun doute le personnage central du récit de Walker comme du roman de Paul Auster. Au début du roman il se présente comme un homme de la droite dure, qui a combattu en Algérie et y a sans doute pratiqué la torture. Walker pense qu’il peut être  un agent secret français responsable de nombreuses missions spéciales. Dans les dernières pages se produit un retournement de situation, que  Walker n’apprendra jamais : R.B. confie à Cécile qu’il aurait pu être un agent double, travaillant pour les soviétiques, et cela dès avant 1967, quand il a connu Walker. Mais il présente cela comme une simple éventualité, non comme une certitude. Plus encore,  il laisse entendre qu’il aurait pu organiser l’accident ayant provoqué le coma du père de Cécile. Jusqu’au bout du roman, le personnage de Born reste flou. Selon l’interprétation que le lecteur choisira de faire de sa personnalité, Walker aura eu raison ou non –selon ses critères moraux- d’avoir mis Hélène et Cécile en garde contre lui. Mais il ne le saura jamais et nous ne le saurons pas plus que lui, puisque  l’ambiguïté de R.B. est celle du personnage de roman, créature de l’auteur, que celui-ci manipule et tord selon son désir. Elle est aussi, dans le même temps,  l’ambiguïté du réel dans lequel chacun garde  une part d’ombre, pour les autres et  parfois pour lui-même.  A la fin du livre, Born se propose de faire de sa propre vie un roman et de lui-même un personnage de roman : le serpent se mord la queue.

                                                                                        

Où est la vérité d’un être ? nous dit Paul Auster. L’inceste entre Adam et Gwyn s’est-il réellement déroulé ou bien, comme Gwyn le prétend, n’est-il qu’un fantasme de Walker ? Quelle part véritable d’Adam Walker a été dévoilée à travers le récit adressé à Freeman ? Et de lui, qu’est-ce qui va rester à jamais invisible aux yeux des lecteurs ?

La scène finale du roman est magnifique. Cécile quitte l’île dans laquelle Born s’est réfugié. Elle entend, dans le lointain, des sonorités étranges qu’elle ne peut interpréter : l’essentiel est invisible à ses yeux. Et puis, il y a un dévoilement, une trouée, la vérité des sonorités lui apparaît brusquement : des hommes cassent des cailloux avec leur marteau et produisent ainsi cette étrange musique, qu’elle ne pourra jamais oublier. La métaphore est transparente : le roman, nous dit Paul Auster,  permet lui aussi un dévoilement du réel, il peut créer une déchirure dans la réalité opaque du monde et   rendre ainsi apparent ce qui était jusqu’alors « Invisible ». 

J.T.

 

Les commentaires sont fermés.