05/07/2011
Une enquête philosophique, de Philip Kerr [chronique de Cassiopée]
Une chronique de Cassiopée
Ce livre porte son nom à merveille.
La philosophie est omniprésente, de façon originale : par l’intermédiaire des criminels potentiels affublés de noms de philosophes mais aussi par la présence de références nombreuses. En effet, les courants de pensées philosophiques sont évoqués de façon précise et les idées du philosophe autrichien Wittgenstein particulièrement détaillées.
Cela a entraîné chez moi, le réflexe habituel : je suis allée consulter, ingurgiter, lire, décortiquer des pages et des pages d’informations sur lui et les autres cités pour comprendre, savoir ce qui était vrai ou pas, d’où la nécessité de plusieurs jours de lecture pour arriver au bout des trois cent quatre vingt onze pages qui composent ce roman.
Une histoire complexe, complète, mais pas compliquée.
Complexe de par son contenu : les références littéraires et philosophiques instillent un rythme lent qui peut donner l’impression d’être frustrant. On pourrait souhaiter « sauter » ces allusions mais le livre perdrait de sa richesse. Complexe aussi parce qu’on va alterner l’intrigue écrite à la troisième personne du singulier avec les réflexions du tueur principal livrées dans deux carnets : un brun, un bleu (cela n’a pas été sans me rappeler « Le carnet d’or » de Doris Lessing).
Complète parce que l’histoire est « fouillée », le vocabulaire choisi, les situations analysées, les ressentis (peut-on parler de « sentiments » pour un tueur ?) des uns et des autres bien décrits. Complète aussi parce que rien n’est laissé au hasard.
Pas compliquée car tout se déroule à Londres et il n’y a pas foultitude de personnages.
Le tueur dissèque la philosophie, et pas seulement ça, il se fond dans l’esprit de Wittgenstein. C’est tellement bien fait que cela semble tout naturel qu’il pense ainsi.
« L’attribution d’un nom à une chose est-elle toujours réellement arbitraire, ou bien peut-on trouver un sens à la manière dont sont nommées les choses ? »
L’analyse (page 195) sur notre attitude de lecteur est un régal.
Son esprit est enfiévré, ses écrits tortueux, de temps à autre torturés, ses méthodes de piratage informatique pas si futuristes que ça … Mais on accompagne Jake dans la découverte du tueur et on a le souhait de comprendre.
L’inspecteur Jacowicz, « Jake » qui déteste les hommes (est ce pour cela qu’on dit « Jake ?», refuse-t-elle son « état féminin » ?) mène l’enquête. D’habitude, elle s’occupe plutôt de tueurs en série s’en prenant aux femmes. Or, là c’est le contraire.
Têtue, opiniâtre, tenace, elle traque le tueur, essayant de comprendre son mode de fonctionnement, se faisant aider par un génie de l’informatique et un philosophe très doué. Les raisonnements logiques de Jake m’ont interpelés, aurais-je cheminé ainsi à sa place ?
Jake ne manque pas d’humour. Se faisant draguer par un homme demandant si le siège voisin est libre, elle répond qu’il est occupé par le Seigneur et interpelle le prétendant en le questionnant pour savoir s’il se préoccupe du salut de son âme. La réaction escomptée sera la bonne, il va s’enfuir précipitamment ….
C’est une femme très intelligente, licenciée en psychologie, qui suit une psychothérapie et porte en elle une part d’ombre qui la rend très humaine. Son attitude, l’énergie qu’elle met à déchiffrer les événements, la rendent attachante.
La réalité virtuelle et le coma punitif sont les deux visions très futuristes de l’auteur. Mais il y a aussi le « dialogue » entre le tueur et Jake, qui apporte « un plus » au roman. Arrivera-t-il à contenir sa violence, à discuter avec elle ? Sera-t-elle capable de rentrer en contact avec lui alors qu’elle déteste les hommes ?
A éviter sur la plage ou si on a peu de temps, ce livre demande de la concentration pour en apprécier la qualité et l’originalité qui lui donnent toute sa valeur.
Cassiopée
A lire : la chronique de Bruno sur le même roman
Titre : Une enquête philosophique
Auteur : Philip Kerr
Nombre de pages : 391.
Editions du Masque : Juin 2011
Traduit de l’anglais par Claude Demanuelli
Quatrième de couverture :
« Je tue, donc je suis. »
L’action d’ »Une enquête philosophique », écrite en 1992, est située en 2013.
Demain, en quelque sorte. Le lecteur d’aujourd’hui va se délecter de l’intelligence, de l’humour carnassier et du sens du suspense de Philip Kerr. Il constatera aussi que le texte n’a pas pris une ride : l’auteur avait anticipé les dérives policières et sécuritaires, le racisme banalisé, les risques informatiques, et jusqu’à la grande sécheresse !
L’inspecteur principal « Jake » Jacowicz mène l’enquête. Une dure à cuire drôlement futée, dont la particularité est de détester les hommes. Son adversaire est à la hauteur : un serial killer qui figure sur une liste ultra secrète de criminels sexuels potentiels, tous affublés-sécurité oblige !- d’un nom de philosophe Le méchant, baptisé Wittgenstein, ayant infiltré l’ordinateur central du ministère de l’intérieur, entreprend d’éliminer ses compères un à un. Le duel hautement philosophique et pervers qui se livre ici oscille entre le cynisme et une extrême drôlerie. Un régal.
Quelques mots sur l’auteur :
Né en 1956 à Édimbourg, Philip Kerr a fait ses études de droit à l’université de Birmingham. Il a travaillé dans la publicité et comme journaliste free-lance avant de se lancer dans l’écriture de fictions. Auteur d’une dizaine de romans traduits en vint-cinq langues et de nombreux scénarios, il vit actuellement à Londres.
11:14 Publié dans 02. polars anglo-saxons | Lien permanent | Commentaires (2) | Facebook | |
Commentaires
Je suis en train de lire ce roman (une cinquantaine de pages de lues) et j,ai pris la chance de lire ta chronique ...
Ce que tu en en dis m'inspire une lecture plus lente, plus réflexive ...
Merci du conseil !!
Amicalement !
Écrit par : Richard | 07/07/2011
mdr moi je viens de le finir et de le chroniquer !! comme quoi, les grands lecteurs se rencontrent!
Écrit par : Bruno | 07/07/2011
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