25/01/2016
Le Français de Roseville, de Ahmed Tiab
Une chronique de Cassiopée.
« L’histoire récente de notre pays, celle avec un grand H, c’est comme de la dynamite qu’on doit manier avec précaution. »
1953, les années « soixante », 2013 : trois époques pour une même ville, pour un même pays et une évolution énorme en peu de temps finalement. Quels événements peuvent relier ces trois périodes et est-ce qu’il est nécessaire de remuer le passé ?
Le commissaire Kémal Fadil se retrouve confronté à une situation peu habituelle pour lui : enquêter sur des restes humains découverts lors d’un chantier. On ne lui en demande pas tant, s’il peut enterrer cette histoire assez vite pour que les travaux continuent, ce serait aussi bien. Et puis à quoi bon refaire l’Histoire ?
Est-ce à cause de la présence d’un corps d’enfant, porteur d’un petit crucifix, est-ce parce qu’il est opiniâtre ? Toujours est-il que Kémal commence ses investigations, et à sa suite nous allons revisiter plusieurs « âges » de l’Algérie. C’est sans doute ce qui est le plus intéressant dans cet opus, l’intrigue policière servant de fil conducteur pour nous promener dans le temps.
«Je pense que le type du ministère et ses chefs aimeraient savoir ce qui s’est passé rue des Bougainvillées par simple opportunité historique ; soit les premiers résultats sont intéressants et on continue, soit ça pue et on enterre. »
Le commissaire est parfois bouillant d’impatience, pressé d’obtenir ce qu’il quête. De rendez-vous en coups de fil, en passant par des observations et des tâtonnements, il avance doucement mais sûrement. A côté de cela, on le voit dans son quotidien. Kémal a découvert petit à petit la personnalité de sa mère (une des premières féministes ?) et ce qu’elle a vécu. Nous, c’est par des bonds dans le passé que tout cela nous apparaît et nous permet de mieux comprendre ce qui se déroule « ici et maintenant ». Le pays a eu des relations tourmentées, compliquées avec certains français, comme celui de Roseville, un breton, qui semble avoir trempé dans quelques combines. Le colonialisme, ce n’est jamais simple, il faut que chacun reste à sa place en respectant celle de l’autre et les distances de rigueur, forcément, ça c’est compliqué. Ce sont ces rapports humains, où il peut être nécessaire de marcher sur des œufs qu’évoque l’auteur. Et il le fait avec intelligence et délicatesse. Son écriture est lumineuse, précise, décrivant avec doigté une atmosphère différente selon les époques évoquées. J’ai trouvé très complémentaire à l’intrigue de ressentir l’ambiance des années présentées, les ressentis des hommes face à des événements qu’ils ne maîtrisent pas nécessairement et qui leur semblent obscurs de temps à autre.
On sent que tout serait plus facile si le corps trouvé n’avait pas porté un crucifix. Entre les lignes, sont suggérés les non-dits, les conflits, le mal-être, les contradictions d’une population qui ne sait plus parfois, à qui, à quoi, se rattacher… Lorsque l’auteur écrit (page 53) : « Les deux peuples, algérien et français, enfin unis…par les liens cathodiques. », il exprime toutes les difficultés d’un peuple pour ne devenir qu’un…..
L’auteur a très bien su gérer ses protagonistes, on est loin des clichés et ils sont tous « humains », pas du tout caricaturaux. C’est avec bonheur que je retrouverais Kémal, sa mère et son amoureuse ainsi que la plume de l’auteur qui les fait vivre…..
Le Français de Roseville
Auteur : Ahmed Tiab
Éditions de l'Aube ( janvier 2016)
Collection : L’Aube Noire
256 pages
ISBN : 978-2-8159-1357-7
Quatrième de couverture
Oran, Algérie. Le commissaire Kémal Fadil est appelé sur un chantier de rénovation du quartier de la Marine, où viennent d’être retrouvés des restes humains datant vraisemblablement des années 1960. Il semble qu’il s’agisse d’un enfant qui portait autour du cou un crucifix. L’enquête ne s’annonce pas simple ! En réalité, elle avait été commencée bien plus tôt, menée par des policiers français…
17:31 Publié dans 01. polars francophones | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : le français de reoseville, ahmed tiab | Facebook | |
Commentaires
Bonsoir,
merci pour cette belle chronique et vos encouragements.
Cordialement.
Écrit par : Ahmed Tiab | 25/01/2016
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