Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

23/09/2011

Silence radio, de Robert Rotenberg

silence radio.jpgUne chronique de Christophe.

Un titre en hommage à une série télé mythique et désormais défunte, New York District, pour évoquer un premier roman, signé, encore une fois, par un avocat. Car, la construction et la progression narrative de ce livre m'ont fait penser aux épisodes de cette série. Sauf que, comme vous l'aurez déjà deviné, on a passé la frontière et c'est au Canada que va se dérouler ce "Silence radio", de Robert Rotenberg (en poche, chez Pocket).

Nous sommes en décembre, à quelques jours de Noël. Gurdial Singh, immigré indien devenu livreur de journaux au Canada, fait sa tournée comme chaque matin. En arrivant devant l'appartement de Kevin Brace, il est surpris de ne pas le trouver, comme toujours, sur le pas de sa porte. Mais sa surprise va être plus grande encore quand l'homme sort de son appartement, les mains en sang, murmurant quelques mots terribles : "je l'ai tuée, M. Singh, je l'ai tuée".

Lorsque le livreur de journaux entre dans l'appartement, il découvre en effet le corps de Katherine Torn, la compagne de Kevin Brace, morte dans la baignoire... C'est ce même livreur qui va appeler la police et accueillir les inspecteurs aux côtés d'un Brace complètement muet. Celui-ci ne dira rien au policier, leur tendant juste la carte de visite de celle qu'il souhaite prendre pour avocate. Et d'ailleurs, il ne dira plus rien de toute l'enquête.

Quelque chose d'assez surprenant quand on sait que Kevin Brace, surnommé "la Voix du Canada anglais", est l'animateur radio le plus en vue du pays...

Un silence qui équivaut à un aveu de culpabilité, voilà ce que pensent beaucoup. Mais pourquoi aurait-il tué sa compagne ? L'enquête ne fait que commencer, elle va durer plus de 6 mois.

Mais, au-delà de la recherche des faits et de la vérité, "Silence radio" va s'attacher à nous décrire au plus près le travail de tous ceux que ce crime va mobiliser : policiers, avocats, procureurs et juge... Car Brace est une personnalité très en vue et un tel dossier éveille forcément ambitions et attentes plus politiques que morales, il faut bien le dire...

Et l'on va donc s'attacher à ces personnages : un duo de flics un peu spécial, d'abord. Ari Green est le seul flic juif de la Criminelle de Toronto, aussi efficace que renfermé et secret ; et son équipier, Daniel Kenicott, flic inexpérimenté à la carrière surprenante : devenu très jeune un brillant avocat pénal, il a revêtu l'uniforme après l'assassinat, jamais élucidé, de son frère.

Leur boulot est de rassembler le plus d'éléments possibles à l'accusation, dont sera chargé un jeune et ambitieux procureur, Albert Fernandez. Issu d'une famille chilienne qui a immigré au Canada, il est un exemple d'intégration, ou presque. Mais le garçon sait que ses origines peuvent le pénaliser dans sa carrière, alors, il redouble de ténacité et de minutie dans ses affaires, sans perdre complètement son côté idéaliste.

Enfin, en face de lui, une avocate, Nancy Parish, peu habituée aux procès pénaux mais qui a été désigné par Brace pour le défendre. elle entend bien faire de son mieux pour sortir son client de ce mauvais pas. Mais elle sait que la pression sera forte, car la personnalité de son client en fait une proie de choix. Et surtout, elle va se heurter à son silence, car même à elle, Brace est bien décidé à ne rien dire des circonstances du drame...

A eux quatre de gérer les autres rouages de cet engrenage judiciaire : le juge, les témoins, la presse, les hiérarchies politiques, judiciaires et policières... Car, pour l'accusation comme pour la défense, l'opacité de cette affaire et l'absence d'éléments indiscutables compliquent sérieusement les choses...

A eux de s'y retrouver dans cette ville de Toronto où les seules tensions à apparaître au grand jour semblent concerner l'équipe de hockey sur glace locale, incapable de briller dans son championnat professionnel. Arrêtons-nous sur Toronto, justement, véritable personnage à part entière de ce roman. Une mégapole à taille humaine, sans doute pas épargnée par les maux des cités modernes mais qu'on devine assez calme, où le melting-pot n'est pas un vain mot, où; malgré les différences culturelles, les différentes communautés cohabitent, sans pour autant donner l'impression de se mêler les unes aux autres...

Un curieux cocktail que l'on retrouve aussi en partie chez Brace, personnage à l'image très moderne mais dont les émissions font la part belle au patrimoine, au micro-local, aux racines et aux traditions...

Et, dans ce contexte si spécial, chacun des acteurs va voir sa vie transformée par cette affaire Brace, sur le plan personnel comme professionnel. Une leçon que tous vont retenir, car elle remet leurs missions respectives en perspective et leur rappelle à tous que leur mission n'est pas aussi binaire qu'on le croit et que, dans une affaire criminelle, il existe toute une gamme de gris entre le tout blanc et le tout noir...

Un mot sur "les" titres de ce livre, pour finir. Je fais rarement des remarques à ce sujet depuis que j'ai commencé à alimenter ce blog, et pourtant, en particulier concernant les titres français de livres étrangers, il y aurait beaucoup à dire. Mais là, que ce soit le titre original ou le titre français, ils sont tous les deux à souligner.

Le titre français, "Silence radio", est parfaitement adapté au sujet de l'histoire et à cet animateur brusquement devenu muet lorsqu'on l'accuse de meurtre et qui semble ne vouloir rien faire pour faciliter le travail de ceux qui doivent le faire condamner ou innocenter.

 

Quant au titre original, "Old City Hall", il va nous permettre de boucler la boucle entre la fin de ce billet et son introduction. "Old city Hall", c'est un des plus anciens bâtiments de Toronto, son hôtel de ville, à l'origine, devenu ensuite son tribunal, sa cité judiciaire. C'est ce bâtiment qui sera le centre névralgique de l'histoire, la Rome vers laquelle mènent les chemins qu'empruntent tous les personnages-clés du roman. A l'image, encore une fois, du tribunal de Manhattan dans la série New York District.

Alors ne vous attendez pas en lisant "Silence radio" à un thriller trépidant, violent, plein de bruit, de fureur, de poursuites en voiture et de fusillades. Non, on est dans un polar feutré, à l'ancienne, si on peut s'exprimer ainsi, où intelligence, intuition, roublardise, savoir-faire et tactique sont les armes préférées des protagonistes.

Mais la mayonnaise prend. On a envie de comprendre ce qui s'est passé dans cet appartement, pourquoi et comment une femme a été tuée. Et l'on assemble, pièce après pièce, ce puzzle, comme si nous accompagnions les acteurs du drame dans leurs enquêtes.

Une réussite dans ce genre, si anglo-saxon et si peu français, hélas, du thriller judiciaire...

Christophe

http://appuyezsurlatouchelecture.blogspot.com/