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12/10/2011

Entretien avec Franck Thilliez

  "J’ai eu beaucoup de peurs d’enfants (le noir, l’enfermement, la mort), et je saisqu’elles sont encore là, enfouis au fond de moi-même, comme en chacun de nous. Je pense que l’écriture les fait ressortir." Franck Thilliez

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Quelques jours avant la sortie de son nouveau roman "Vertige", Franck Thilliez a accepté de m'accorder un entretien, que je qualifie d'enrichissant, instructif et fascinant. Franck, au nom des lectrices et des lecteurs, je vous remercie chaleureusement. Je vous souhaite un succès... vertigineux. 

  Paco : Franck Thilliez, comment allez-vous ? « Vertige » sort dans quelques jours…

 Franck Thilliez : toujours un peu stressé, comme à chaque sortie ! Le seul truc à faire, c’est essayer de s’occuper à autre chose, en attendant que le roman sorte. Après, il faut patienter quelques jours, pour voir les premiers retours, et savoir si le livre est bien accueilli par les lecteurs. Disons que la période d’octobre à décembre est toujours intense, chargée en émotions et rencontres.

 Paco : avant que nous parlions de vos œuvres récentes, dites-moi quel est votre parcours qui vous a finalement amené jusqu’à «La Chambre des morts » ? Nous ne naissons pas avec une plume dans la main me semble-t-il ? Quoique.. Une vocation ?

 Franck Thilliez : pas vraiment une vocation. Disons plutôt, un besoin de sortir une histoire que j’avais en tête, et qui me harcelait, même la nuit ! Je crois que je suis venu à l’écriture grâce à toutes ces images que j’avais accumulées dans ma tête depuis l’adolescence : j’étais un grand consommateur de thriller et de films d’horreurs. Je me souviens d’horribles nuits d’angoisse, on est sensibles quand on a 15 ans, ces films me traumatisaient et pourtant, je ne pouvais pas m’empêcher de les visionner, parce qu’en même temps, ils me procuraient du plaisir !


L’esprit humain doit être, finalement, comme une cocotte minute : on accumule, accumule, mais à un moment, il faut faire ressortir le trop plein, et me concernant, c’est passé par l’écriture. Ainsi, mon premier livre était surtout un gros patchwork de mes influences passées et  de mon imaginaire…


Paco : dans vos romans « Le syndrome [E] » et « GATACA », le thème de la violence est largement mis en évidence. Ses origines, sa manipulation, ses déclenchements. Comment vous est venu ce sujet ? En vous réveillant un matin… ?


thilliez2.jpgFranck Thilliez : ça pourrait, oui, pourquoi pas, car il n’y a pas de règles à l’inspiration, elle peut venir n’importe quand. Mais disons que pour ces 2 romans, c’était un peu plus compliqué. Dans mon parcours d’auteur, j’essaie de me pencher sur des thèmes qui me tiennent à cœur, et qui ont souvent un rapport avec la science, parce qu’elle me passionne. Il faut aussi qu’elles aient une relation forte avec l’humain (la manière dont il fonctionne), ce qui est le moteur de toute histoire policière.

La violence est l’un des grands thèmes utilisés dans le polar (violence de la société, d’un assassin, les guerres, les conflits…) Moi, je voulais aborder ce thème à ma façon, de manière plus scientifique, analytique. Le chantier était extrêmement vaste, il fallait choisir un ou deux angles d’attaques et creuser dans ces directions-là. Très vite, je me suis aperçu qu’un seul livre ne suffirait pas, d’où l’idée du diptyque…


Paco : pour continuer avec ces deux œuvres, j’ai pu constater qu’elles étaient brillement développées au niveau scientifique. Les détails techniques me semblent précis, justes et cohérents. Je dois admettre que c’est angoissant parfois ! Comment arrivez-vous à un tel rendu ? Expérience ? Curiosité ? Un travail de titan, le nez plongé dans les bouquins?


Franck Thilliez : beaucoup de travail et de passion. J’aborde des domaines que je ne connais pas forcément (c’est quasiment toujours le cas), et je me mets à les creuser à fond. Évidemment, ce sont des branches, des thèmes que j’ai envie d’approfondir, parce qu’ils m’ont toujours interpellé (la mémoire, la psychiatrie, la génétique). L’un des luxes du romancier, est de pouvoir justement se faire plaisir tout en travaillant. Ça commence par énormément de lectures spécialisées, puis des rencontres avec les spécialistes pour les questions plus précises… Des moments intenses de partage, car en contrepartie, les spécialistes me demandent comment on écrit un livre ! Côté lecteurs, il arrive souvent qu’ils croient que je suis médecin, ou biologiste, ou policier, cela prouve que le travail est bien fait ! 


Paco : une histoire terrifiante, effroyable, dure, qui fait ressortir les phobies des lectrices et des lecteurs, avec des faits scientifiquement avérés, justes et prouvés, accompagnée de personnages finalement souvent communs. C’est bien ça votre secret ? Je me trompe ?

 thilliez3.jpgFranck Thilliez : oui, c’est cela, mais en partie seulement ! Car tous mes ouvrages ne font pas appel à la science, comme c’est le cas pour Vertige justement. Par contre, pour la partie dureté, terreurs, faits avérés, c’est juste. Les personnages sont communs, en effet, et c’est typique de la mécanique du thriller : la bascule qui se produit à un moment de l’histoire (souvent vers le début) et entraîne le personnage (qui pourrait être nous-mêmes, nos voisins) dans une spirale infernale. Chaque lecteur se sent ainsi concerné, il n’y a aucune distance entre le lecteur et le « héros », cela facile le processus d’identification. Lorsque le lecteur s’identifie au personnage, c’est gagné !


Paco : vos romans, en général, génèrent beaucoup d’angoisses, d’anxiétés, d’effrois et de peurs. Lors de certaines lectures, je me suis rendu compte, malgré moi, que vous aviez réussi à faire renaître mes propres phobies. Je ne sais pas si je vais me faire comprendre, mais est-ce que vous allez rechercher les vôtres, de peurs ? Vos terreurs les plus enfouis pour les partager ensuite ?

Franck Thilliez : peut-être, oui, je ne sais pas vraiment moi-même, il faudrait une psychanalyse ! L’écriture est un procédé qui fait grandement appel à l’inconscient, c’est une connexion directe entre notre imaginaire, des sentiments refoulés, des zones obscures et inaccessibles de la pensée, avec une feuille blanche. Il y a forcément des peurs là-dedans, de la colère, de l’anxiété, de la joie, etc… J’ai eu beaucoup de peurs d’enfants (le noir, l’enfermement, la mort), et je sais qu’elles sont encore là, enfouis au fond de moi-même, comme en chacun de nous. Je pense que l’écriture les fait ressortir.


Paco : les intrigues de vos romans sont terriblement bien ficelées et, surtout, d’une originalité hors norme. Le lecteur est inquiet et tendu en permanence ! Franchement, où allez-vous chercher des idées pareilles ? Vos sources d’inspiration ? Vous ne me paraissez pas si dérangé que ça… 

Franck Thilliez : les sources d’inspiration ? Tout et n’importe quoi ! Cela peut-être quelqu’un qui traverse la rue, un nuage à la forme bizarre, un reportage, un article de journal, … Un exemple : dernièrement, on a beaucoup parlé de « la mémoire des cellules », avec l’histoire de Charlotte Valandrey : elle a reçu un cœur greffé, et à commencé à avoir des « connaissances » qui n’étaient pas les siennes. J’ai trouvé qu’il y avait là, par exemple, matière à une histoire. Bon, je ne l’écrirai probablement pas, mais cela m’a interpellé, parce que c’est un sujet qui me parle. Disons que lorsque je suis en recherche d’idées, je suis un peu comme une éponge, qui va absorber tout ce qui l’entoure et réagir par rapport à des sujets qui lui parlent.


Effectivement, j’écris des histoires très noires, et les lecteurs sont toujours surpris quand ils discutent avec moi, car je ne suis pas méchant ! En fait, je crois que mon métier de romancier peut-être comparé à celui d’un médecin légiste : il découpe des morts du matin au soir, mais une fois sa journée terminée, il rentre chez lui et vit sa vie, comme n’importe qui. Idem pour moi.  


Paco : pour en finir avec les qualificatifs sur la peur ; elle vous fascine ? Vous paraissez aimer creuser, tordre, manipuler et construire autour de ce sujet… Vous aimez appuyer là où ça fait mal… Avec maîtrise, je suis bien obligé de le reconnaître.

thilliez-4.jpgFranck Thilliez : si nous n’avions pas peur, nous serions morts depuis longtemps ! La peur est nécessaire, elle est le moteur de notre survie. Je ne dirais pas qu’elle me fascine, car la peur me fait peur ( !!), mais elle m’interpelle. Je me souviens de la lecture de Misery, de Stephen King, quand j’avais 15 ans. J’étais mort de peur, et j’essayais aussi de comprendre pourquoi. Cette capacité qu’avait King de toucher son lecteur sans même le connaître m’a toujours fasciné. Aujourd’hui, j’ai envie de faire pareil, et quand un lecteur me dit « à cause de vous, j’ai fait des cauchemars », je réponds simplement « J’en suis très heureux, c’est que j’ai réussi mon pari ! »

Paco : j’attache énormément d’importance aux personnages. Dans vos romans, ils ont une profondeur, une épaisseur remarquable, et on les « vit » ! A l’image de notre ami Franck Sharko… Comment arrivez-vous à mettre autant de dimension dans vos personnages ?

 Franck Thilliez : moi aussi, j’y attache énormément d’importance ! A force d’écrire, je me suis rendu compte de l’extrême importance d’avoir de bons personnages, ce sont eux qui continuent à nous accompagner une fois le livre refermé, ce sont à eux que l’on pense, quand on se rappelle du titre d’un livre que l’on a aimé. Il faut donc les soigner et ne pas oublier que des personnages de roman sont avant tout des êtres humains, qui aiment, souffrent, se révoltent.

 Il y a aussi un « exercice » auquel l’auteur s’habitue, à force d’écrire : c’est à passer d’un personnage à l’autre de façon instantanée. En quelques minutes, on est un flic, puis on devient une victime, et la seconde d’après, un tueur… C’est une gymnastique intéressante, qui n’est pas sans rappeler une certaine forme de pathologie qui ressemble aux… personnalités multiples ! (voire à la schizophrénie)


Paco : Franck Sharko, Franck Thilliez.. Il n’y a pas comme un point commun ? Vous vous identifiez ? N’auriez-vous pas manqué l’ascenseur qui aurait pu vous emmener sur une scène de crime ? Nous pouvons nous poser la question… Avec des enquêtes de police si bien menées, crédibles, logiques, et encore une fois scientifiquement justes. Je sais de quoi je parle. 

Franck Thilliez : le métier de policier est un métier que j’admire énormément, je côtoie quelques policiers et ce sont tous des hommes d’exception, mais aussi terriblement humains. Si j’aime m’imprégner de ce qu’ils font quelques heures, quelques journées, il ne m’est jamais venu à l’idée d’être flic ! Aujourd’hui, je suis dans une situation idéale, car je ne suis pas flic, mais je peux l’être grâce à mes personnages et le temps de mes courtes rencontres.

 Concernant Franck Sharko, il est très différent de moi, mais nous avons néanmoins quelques points en commun, bien cachés ! Et pour le « Pourquoi Franck Sharko » ? Quand j’ai créé ce personnage, je voulais une identité aux consonances dures, presque germaniques. Une identité qui accroche le palais quand on la prononce !


Paco : comme je l’ai mentionné au début, votre roman « Vertige » sors d’ici peu. Je me réjouis déjà d’y consacrer une chronique pertinente ! Pouvez-vous donner quelques éléments aux lectrices et lecteurs de mon blog sur le sujet ? Juste histoire de faire envie…

Franck Thilliez : quelques éléments… Hmm, hmm… à la lecture, faites attention aux détails, ça vous évitera de vous dire, à la fin « Mince, comment j’ai fait pour passer à côté de ça ? » et d’avoir à relire le roman !!

Paco : merci Franck, je vous souhaite énormément de succès pour « Vertige ». Mais si je me réfère aux commentaires de vos fans, je ne me fais pas trop de souci !


Franck Thilliez : merci à vous pour votre passion, c’est grâce à des lecteurs comme vous que j’ai envie de continuer à écrire !


C’est grâce à des auteurs comme lui que nous avons envie de continuer à lire…