12/10/2011
A deux pas de chez elle, de François Gravel
Une chronique de Richard
François Gravel est un auteur prolifique qui a commencé sa carrière en écrivant pour les adultes . Puis, un jour, son fils lui a dit que ce n’était pas juste, que lui aussi voulait lire ce que son père écrivait. Alors, ce professeur d’économie, maintenant à la retraite, a commencé une très belle carrière d’auteur pour la jeunesse sans négliger pour autant ses lecteurs adultes.
«À deux pas de chez elle» est, selon la 4e de couverture, « ... sa première incursion dans l’univers du roman policier ...».
Pour être précis, il faudrait ajouter que certains de ses romans pour la jeunesse frôlent de très près ce monde qui nous passionne, le monde du polar, de l’enquête et de la recherche d’une solution à une énigme. Je peux vous dire que, comme directeur d’école (à la retraite !), les romans de François Gravel étaient fort populaires, même qu’ils plaisaient beaucoup aux garçons. De plus, en mai dernier, lors de la remise des Prix de reconnaissance du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, j’ai pu me rendre compte du charisme de François Gravel, du magnétisme du père de «Klonk» et de ses talents de conteur comme dans sa série «Sauvage». Lecteurs, lectrices, faites plaisir à vos enfants et faites-leur connaître François Gravel, s’ils ne le connaissent pas encore!
Mais revenons à ce dernier polar, sujet de cette chronique. Dès la page couverture, on nous annonce qu’il y aura une suite, que «À deux pas de chez elle» est la première enquête de Chloé Perreault. Première réaction: scepticisme et ensuite, curiosité ! Qu’est-ce qu’un nouveau personnage viendra ajouter à ce monde du polar déjà bien rempli de personnages récurrents, de policiers troublés et d’enquêtrices qui veulent faire leur place dans ce monde d’hommes ?
Chloé Perreault est une jeune (très jeune) enquêtrice qui a décidé de quitter la grande ville pour s’installer dans un village où les possibilités d’avancement sont plus grandes. Ambitieuse, et aussi talentueuse, une confiance en soi fragile mais une intelligence fertile, en font une bonne candidate pour un poste d’enquêtrice.
La découverte de deux cadavres, enterrés depuis fort longtemps, sera l’élément déclencheur qui permettra à Chloé de faire ses premières preuves. Mais comment réussira-t-elle à découvrir ce qui s’est passé dans ce petit village de Milton ? Il y a maintenant 33 ans que Marie-Thérèse Laganière a disparu, abandonnant sa voiture à Rivière-du-Loup. Les policiers les plus chevronnés ont essayé de comprendre ce qui était arrivé. Sans succès ! Et voilà, qu’aujourd’hui, on découvre le corps de Marie-Thérèse; et elle n’est pas seule. Un autre squelette la recouvre, comme pour la protéger.
Et notre jeune policière, au milieu d’un village où tout le monde se connaît, où on appelle le député par son prénom et où chacun connait la vie de l’autre, commence une enquête sous un jour nouveau. Une enquête sur une disparition se transforme, 33 ans plus tard, en enquête sur un double meurtre. Comment la jeune montréalaise sera-t-elle reçue par les habitants qui ont vécu ce drame ? Comment réussira-t-elle à résoudre une énigme vieille de plus de trente ans ?
Le personnage de Chloé est intéressant ! Énigmatique, belle (comme il se doit !!!), célibataire, on sent que l’auteur nous en révèle juste assez, en nous disant qu’au fur et à mesure de ses enquêtes, nous en saurons plus sur son histoire, sur sa vie, sur ses pensées. On s’attache à cette jeune femme, autant que le lieutenant aux affaires criminelles, Nelson Robichaud, supérieur immédiat et mentor. Respectueux et empathique, il accompagne et soutient Chloé dans les méandres de son enquête. Découvrir ce qui s’est passé il y a trente ans, déterrer des souvenirs pas toujours agréables, faire émerger des émotions et des sentiments longtemps enfouis, voilà un travail qui demande beaucoup de doigté.
Et en prime, on peut découvrir la vie dans un petit village québécois, les relations et les liens qui rapprochent et éloignent les gens, les histoires qui génèrent l’amitié, l’amour ou la haine. L’auteur nous présente ce village et on y vit presque quand Chloé marche sur «l’exécrable boulevard Paquin» ... «un concentré de tout ce que l’Amérique produit d’horreurs urbanistiques.»
J’ai beaucoup aimé ce roman. François Gravel a du métier et son expérience d’auteur pour les adolescents, où chaque page est un combat pour garder l’intérêt du lecteur, transparait dans son écriture. Le roman a du souffle (malgré une ou deux longueurs) sans être un «tourne-pages» frénétique; le récit se développe graduellement, inexorablement vers la solution de l’enquête, à petits pas, une question à la fois, comme une longue marche en forêt. Le lecteur se sent pris dans cette toile, fine, subtile mais quand même efficace. Et on se prend au jeu. Tout en subtilité, en réflexions et en remise en question, Chloé avance, dans le noir de la nuit, en espérant que la lumière, là, au bout de cette longue montée, lui permettra de répondre à toutes ses interrogations. Que chacune de ses interventions lui permettra de se rapprocher, un peu, du moment où tout s’éclairera !
Petite note, en passant, pour une première fois (pour peu que je m’en souvienne ...) une des personnages ( suspects !!) est une directrice d’école !!! Quel plaisir !!!
Chloé Perreault sera surement un personnage intéressant à suivre. Cependant, ce qui m’a beaucoup plus dans ce roman, c’est le style de François Gravel, son écriture simple et efficace, sa sensibilité et sa fantaisie et surtout, les touches d’humour qui parsèment son récit. C’est vrai que je suis un bon public mais je peux vous affirmer que l’auteur a su me surprendre par des phrases joliment tournées, par des moments intenses d’émotion et aussi, par des pointes fantaisistes qui provoquent sourires et rires ... Comment oublier la belle, très belle image de «l’homme qui sculptait des livres.» ?
Souvent, on a le goût de s’arrêter pour relire une phrase, sourire de nouveau sur une idée lumineuse, s’étonner d’une comparaison, réfléchir à une idée ou tout simplement, s’arrêter pour rêvasser avec un personnage. Vous pourrez vous en rendre compte, en lisant les quelques extraits que je vous ai sélectionnés, mais surtout en découvrant ce roman et ses nombreuses qualités.
«Chaque lac a ses monstres, et ceux du lac Abénakis sont riverains plutôt que marins.»
«Chantal, la secrétaire, aime dire que les patrouilleurs sont des enfants pressés d’aller jouer dehors, tandis que les enquêteurs ressemblent à des adolescents: ils sortent tard le soir sans dire où ils vont et ne rentrent à la maison que pour s’installer devant leur ordinateur.»
Un clin d’oeil à mes anciens collègues : «Dans son esprit, un juge était un élément de l’ensemble appelé «adultes», dans lequel on retrouvait les psychologues, les professeurs et les directeurs d’école, bref tous ceux qui prennent leur pied en sermonnant les jeunes. La meilleure tactique à adopter avec eux était d’endurer le discours en silence tout en s’efforçant de penser à autre chose pour ne pas mourir d’ennui.»
«Ils se sont mis à vieillir très vite, comme si on leur avait inséminé une bactérie mangeuse d’espoir.»
Un cours de techniques policières et d’écriture de romans : «Un interrogatoire, c’est comme un thriller: il faut en donner le moins possible, juste ce qu’il faut pour agacer les nerfs, pour titiller l’imagination. Ils finissent toujours par craquer. La patience, c’est bien plus payant que la peur.»
« ... la voix onctueuse d’une réceptionniste de salon de massage.»
« ... des commères ... prenaient un malin plaisir à inventer ce qu’elles ne savaient pas.»
Et bien d’autres que vous découvrirez ...
Ce premier roman est un très bon début ! J’ai très hâte de lire la prochaine enquête de Chloé Perreault !
Bonne lecture !
Richard,
Polar Noir et blanc : http://lecturederichard.over-blog.com/
À deux pas de chez elle
François Gravel
Québec Amérique
2011
327 pages
16:23 Publié dans 01. polars francophones | Lien permanent | Commentaires (1) | Facebook | |