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07/07/2015

Les lieux infidèles, de Tana French

tana_french.jpgUne chronique de Bruno (BMR).

Pour celles et ceux qui aiment les pintes de bière.

Le retour du flic prodigue.

Jusqu'ici on connaissait les histoires de parents toxiques mais avec Les lieux infidèles, un polar de Tana French (une américaine qui vit en Irlande) on a carrément affaire à une famille radioactive, façon tchernobyl.
Le père boit et bat sa femme, jusque là rien que de très banal à Faithful Place, un quartier déshérité de Dublin (ou d'ailleurs), mais c'est qu'il y a les frères et les sœurs et même les voisins.

« [...] Si j’étais en train de cramer, tu me pisserais même pas dessus.
– C’est vrai. »

Pfffiouu ....
On comprend donc sans peine que le jeune Francis McKey a voulu quitter et sa famille et son quartier.

« [...] On était dans les années 80 et l’émigration constituait l’une de nos trois possibilités de carrière, avec les trafics de mon père et les indemnités de chômage. »

C'était il y a vingt ans, sa petite amie venait de partir sans lui.
Depuis, Francis est devenu flic et désormais divorcé d'une femme chic.

« [...] Pendant que les rupins de ton milieu dégustent du chianti dans leur véranda, les miens se demandent, dans leur cage à poules, sur quel lévrier ils vont miser leur allocation chômage. »

Mais le passé finit toujours par nous rattraper, air connu : vingt ans plus tard, on vient de retrouver une valise dans une maison délabrée de Faithful Place, le quartier où vit toujours sa chère famille. La valise serait celle de la jeune Josie, son amour de jeunesse que tout le monde croyait partie au loin.
Après la valise, on découvrira un cadavre pas très frais : la jeune fille n'était donc pas partie bien loin ...

« [...] Décomposé, Kevin bredouilla : – Ils ont trouvé quelque chose, hein?
Le légiste et le camion de la morgue seraient là dans une minute.
– Oui, répondis-je.
– C’est… C’est quoi? Je sortis mes cigarettes. Peut-être pour me témoigner sa compassion, Shay me prêta son briquet.
– Tu vas bien? bafouilla Kevin.
– Je pète le feu. Long silence. Kevin prit l’une de mes clopes. »

Cette scène de crime est le point de départ d'un contexte original, un prétexte dont Tana French se sert habilement pour nous dépeindre le Dublin d'hier et d'aujourd'hui, où jeunes et chômage grandissent ensemble à l'ombre des usines Guinness.
On retrouve ici un peu du déterminisme social et familial qui nous avait marqué en Suède il y a quelques jours avec le Syndrome du pire.
Le flic prodigue de retour dans ses quartiers va donc mener l'enquête pour découvrir ce qui était arrivé à son amour d'enfance : dans une construction en spirale, les souvenirs vont remonter à la surface un à un, les secrets enfouis vont être révélés chacun leur tour, et comme lorsqu'on pèle un oignon, les différentes pelures de vérités vont apparaître peu à peu.
Car dans ces lieux infidèles le passé pèse très lourd et Francis lui-même semble cacher quelques parts d'ombre.

« [...] – Il y a eu quelque chose entre eux, dis-je. Silence embarrassé. Même si l’obscurité m’empêchait de le vérifier, j’étais prêt à parier que Nora avait rougi.
– Je crois, oui. Personne ne m’en a rien dit, mais j’en suis presque certaine.
– Quand?
– Oh, il y a des années, bien avant leur mariage. Ce n’était pas une liaison. Juste un amour de gosses… Ce qui, j’étais bien placé pour le savoir, peut vous marquer à vie.
– Et ensuite? Que s’est-il passé? Je m’attendais à ce qu’elle me raconte des scènes d’une violence inouïe, un étranglement, une tentative de meurtre. Elle soupira.
– Je ne sais pas, Francis. Je te l’ai dit : personne ne m’en a jamais parlé. Je l’ai deviné à partir de sous-entendus, de vagues allusions. C’est tout. Je me baissai, écrasai ma cigarette sur le gravier, la remit dans le paquet.
– Il ne manquait plus que ça, grommelai-je.
[...] Je ne me suis jamais douté de rien. »

Au-delà de ce contexte social et familial, rien de bien original : la prose de Tana French se lit facilement et visiblement elle a le sens du dialogue bien écrit,  les personnages manquent peut-être un peu d'épaisseur, l'auteure s'appesantit un peu longuement (le bouquin fait 500 pages tout de même) sur les souvenirs d'adolescence et l'on n'accroche que moyennement au personnage principal dont on sait à la fois tout et pas grand-chose (peut-être la forme du récit à la première personne du 'je'). Reste un honnête bouquin qui a le mérite de nous faire découvrir un peu de l'histoire urbaine de Dublin.

 Bruno ( BRM) : les coups de Coeur de MAM et BMR