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16/05/2015

Du sang sur la glace, de Jo Nesbø

 nesbo1.jpgUne chronique de Bruno (BMR).

 Pour celles et ceux qui aiment les tueurs dyslexiques.

Glace parfum surprise pour les plages cet été.

Voilà un moment que l'on commence à décrier les déferlantes continues de polars nordiques auxquels on est devenus accros, même si l'on avait été ravi de succomber aux premières vagues.
Voilà même quelques temps que l'on condamne Jo Nesbø, pris en flagrant délit [1] [2] de remplissage de tête de gondole de relais de gare.
C'est dire avec quels préjugés on a abordé ce Sang sur la glace !
Même si l'on avait lu par avance que cet exercice de style, sans Harry Hole, sortait un peu des sentiers battus et rebattus par Jo Nesbø, la surprise a été grande !
Effectivement, l'auteur abandonne bien son détective fétiche imbibé.
Effectivement, il se livre à une sorte de pastiche des romans noirs à ranger sur l'étagère des polars hard-boiled.
Mais avec quel humour et surtout quel brio !
La plume de Jo Nesbø a toujours été très maîtrisée et particulièrement agréable à lire (jusque dans ses dernières livraisons un peu trop commerciales) et ce bouquin est une preuve supplémentaire que ce gars-là sait vraiment très bien écrire (et pas toujours dans le même registre).
Notre écrivain s'en donne à cœur joie : visiblement il s'est franchement amusé et notre plaisir de lecteur est à la hauteur.
On est toujours en Norvège, mais cette fois dans les années 70, question d'ambiance.
Et nous voici propulsés dans la tête d'un truand, Olav.

« [...] La prostitution. Un peu pareil : ça ne me pose pas de problème que des filles gagnent de l'argent comme elles l'entendent et qu'un gars – moi, par exemple – touche un tiers de leurs revenus pour faire en sorte qu'elles puissent se concentrer sur leur artisanat. Un bon mac vaut chaque couronne qui lui est versée, je l'ai toujours pensé. Le problème, c'est que je tombe très vite amoureux, et j'en perds de vue les affaires. »

Olav n'était finalement doué ni pour les braquages, ni pour le proxénétisme.
Il sera tueurs à gages.

« [...] Ma première mission fut un Bergenois qui avait vendu dans la rue pour Hoffmann, mais qui avait pioché dans le chargement, l'avait nié et s'était mis à travailler pour le Pêcheur à la place. Il fut facile à trouver, les gens de Bergen parlent plus fort que les Norvégiens d'ailleurs, et les r grasseyés bergenois déchiraient les ténèbres nocturnes. »

(Rappelez-vous les pointes d'ironie que Nesbø distillait dans ses romans sur la rivalité entre la provinciale Bergen et l'arrogante Oslo !)
Mais voici que Hoffmann, le patron d'Olav, lui demande d'expédier (sous entendu ad patres) sa propre femme, oui, Corina la femme du patron.

Même si la demande est bien légitime (Corina est infidèle), Olav est bien embêté par cette nouvelle mission, pas facile à gérer, en dépit d'une grosse prime à la clé.

« [...] La nouvelle mission que m'avait confiée Hoffmann me défrisait fortement. Il voulait que j'expédie sa femme.
[...] Tout me plaisait chez Corina Hoffmann. Tout, sauf son nom de famille.
[...] Je me sentais comme un gars qui est assis à une table de poker avec quatre mauvais perdants lourdement armés et naturellement suspicieux. Et on venait de me distribuer une main de quatre as. Parfois, les bonnes nouvelles sont si invraisemblablement bonnes qu'elles sont mauvaises. »

Bien évidemment, Olav va tomber raide amoureux de la donzelle infidèle.
Et toujours bien évidemment, rien ne va se dérouler comme prévu.
On ne vous en raconte pas plus, cela n'aurait d'ailleurs pas grand intérêt ici : vous avez déjà vu ou lu cette histoire au moins une dizaine de fois, c'est le principe même de ce  ‘à la manière de ...’.
On peut ranger par exemple, ce bouquin juste à côté d'un autre coup de cœur : Il faut tuer Lewis Winter, de Malcolm MacKay.
Mais en bon écrivain, notre ami Jo a l'excellente idée d'épicer de quelques saveurs inattendues ce qui aurait pu n'être qu'un bel hommage aux anciens ou qu'un habile exercice de style.
Et en premier lieu on goûte la savoureuse personnalité d'Olav, le tueur à gages : dyslexique, nul en calcul, un gars qui évite de réfléchir.

« [...] Je réfléchissais. D'ordinaire, j'essaie de m'en abstenir, ce n'est pas là une activité dans laquelle je vois un potentiel d'amélioration par la pratique, et, d'expérience, elle mène rarement à quoi que ce soit de bon. »

Mais un gars qui lit Victor Hugo (pas facile quand on est dyslexique), qui s'intéresse à l'histoire de l'art, qui écrit des poèmes (encore moins facile, il faut patiemment remettre toutes les lettres dans le bon ordre) et qui cite les philosophes : Darwin, Hume, ...

« [...] Darwin estimait qu'il n'existait que six expressions universelles du visage pour traduire les sentiments humains. »

Et puis, cerise glacée sur le gâteau, après une tuerie apocalyptique, on découvre la dernière partie du bouquin : c'estnesbo2.jpg elle qui justifie le coup de cœur, et dans tous les sens du mot.
Car l'auteur est un petit malin qui nous a promené par le bout du nez : histoire de tueurs sans pitié, humour au second degré, pastiche de polar hard-boiled, ... ouais, ouais, on avait bien sûr vu tout cela ...
Mais on avait un peu vite oublié que Jo Nesbø est coutumier des longues fausses pistes et tout cela cachait soigneusement une autre histoire, presqu'un autre bouquin et une très belle histoire ... d'amour. Et oui.
Allez, souhaitons que Jo Nesbø sache encore nous surprendre !
Un petit (150 pages) bouquin pour tous : pour les fans de Jo Nesbø qui ne seront pas déçus (même en l'absence d'Harry Hole), pour les fans de polars qui ne seront pas déçus ou tout simplement pour ceux qui veulent un bouquin facile, agréable, amusant et surprenant (et rafraîchissant) pour les plages cet été, et qui ne seront pas déçus non plus.

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