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14/11/2015

Opération Napoléon, d’Arnaldur Indridason

operation_napoleon.jpgUne chronique de Bruno (BMR).

 Pour celles et ceux qui aiment ré-écrire l'Histoire.


Ne contrariez jamais Carr, déclara la voix au téléphone, avant de raccrocher …

Les éditions Métailié raclent les fonds de tiroir islandais et profitent du succès de leur auteur best-seller : Arnaldur Indridason.
Cela nous vaut parfois quelques séries B pas désagréables (comme
Bettý ou Le duel).
Et parfois quelques bonnes surprises comme cette
Opération Napoléon, menée de main de maître par notre auteur favori.
Ce n'est pas un polar (il n'y a même pas l'ombre fugace d'un collègue d'Erlendur), à peine un thriller, plutôt un film d'espionnage.
Les romans d'Indridason ont toujours été parsemés d'allusions à cette base américaine implantée près de Reykjavík, comme une épine dans le pied islandais. Parsemés d'évocations du passé historique de ce petit pays.
Avec cette Opération (écrite en 1999 avant le succès de la série Erlendur), l'auteur s'en donne à cœur joie et se permet même de réécrire la grande Histoire avec une petite.
En 1945, un avion allemand piloté par des américains est pris dans la tempête et s'écrase sur le fameux glacier du Vatnajökull. Aucun survivant, aucune épave à une époque où les boîtes noires n'existaient pas encore.

« [...] Une équipe de deux cents hommes a fouillé le glacier peu après le crash, mais ils n’ont trouvé que cette roue. Nous avons lancé une deuxième expédition, beaucoup plus importante, en 1967, mais le mauvais temps nous a contraints à rebrousser chemin. Il s’agit donc ici de la troisième expédition.
– Mais bon Dieu, que transportait cet avion ? demanda le ministre.

Depuis soixante ans, une officine secrète US est chargée de surveiller ce glacier et la ré-apparition redoutée de l'épave du Junkers.

[...] C’est de l’histoire ancienne ; peu de gens en dehors de nous savent ce que contient vraiment l’avion.
[...] – Vous voulez dire que nous surveillons le glacier depuis toutes ces années ? »

 

 

En 1999, la guerre froide est finie, le climat se réchauffe, les glaciers fondent et les satellites repèrent les restes de l'avion, recrachés par le Vatnajökull. Une énorme opération secrète (aïe, déjà on sent que ça va pas le faire) est mise sur pied pour aller récupérer l'épave sortie des glaces et surtout ce que contenait ce fameux avion.

« [...] Carr ressentit une pointe de nostalgie pour l’époque où les opérations secrètes étaient vraiment secrètes. »

Mais que pouvait-il donc y avoir en 1945 dans ce petit avion allemand pour que les américains se donnent autant de peine à garder tout cela top secret ? De l'or ? Une bombe ? ... Ou tout autre chose ?

« [...] Qu’est-ce que c’est que cet avion, et pourquoi pose-t-il problème ?
[...] Seuls une poignée de militaires haut placés connaissaient l’existence de l’avion et la procédure à suivre en cas de réapparition. Cette information, classée top-secret depuis cinquante-quatre ans, n’était jamais sortie de ce cercle restreint, où elle était transmise de génération en génération par ceux qui occupaient les postes concernés.
[...] Tout ce branle-bas : images satellites, expéditions sur le glacier… Ces rumeurs de lingots d’or, de virus, de bombe, de scientifiques allemands. Tous ces efforts pour tromper les gens, à cause de ...
[...] Qu’y avait-il donc derrière tout cela ? Deux caisses d’or, il n’y avait vraiment pas de quoi déclencher la Troisième Guerre mondiale. Deux malheureuses caisses. Quels autres secrets cet avion pouvait-il bien cacher ? Que contenait donc cette tombe glacée, pour que ses supérieurs soient au bord de la crise cardiaque chaque fois qu’ils pensaient la voir ressurgir du glacier ? »

Nous avons toujours considéré l'Islande comme une petite île perdue tout là-haut au nord-ouest, sans plus d'attraits que le tourisme géothermique et les polars nordiques.
Mais pour les américains, elle est au nord-est et depuis la guerre, elle présente l'importance géostratégique d'une base avancée à proximité de l'Europe de l'Est.
On a toujours bien aimé ces polars ou ces thrillers qui emportent le lecteur voyager au loin : mais là, il ne s'agit pas d'un énième auteur américain qui nous emmènerait dans des contrées exotiques, non c'est le futur ambassadeur des écrivains islandais lui-même qui nous accueille chez lui. Et son décor fait partie intégrante de son histoire.
On retrouve d'ailleurs quelques motifs récurrents de l’œuvre d'Indridason, comme cette culpabilité liée à l'abandon d'un frère perdu dans les glaces. Il y aura même répétition de ce motif dans cette Opération Napoléon.
Le premier est dessiné autour de l'héroïne, Kristin, qui n'incarne rien de moins que l'esprit islandais, indépendant et rebelle. C'est elle le grain de sable qui va gripper l'imposante machine de guerre américaine débarquée sur l'île 'en grand secret'. C'est elle qui fera trébucher l'éléphant US dans le petit et tranquille magasin de porcelaine qu'est Reykjavík. C'est elle qui va contrarier le terrible Carr et ses hommes de main.
Une jeune femme que rien ne prédestinait à devenir la Lara Croft de ce roman d'espionnage mais voilà ... son frère était en rando sur le glacier et il est tombé aux mains des affreux jojos de l'armée secrète.
Et chez Indridason, on ne laisse pas son frangin abandonné sur le glacier.
Ce même motif sera redessiné plus tard autour d'un autre personnage, mais là ... chuuut.

« [...] Il lui avait dit qu’il cherchait son frère, exactement comme elle – ils avaient donc un point commun. »

On a bien apprécié le léger second degré et le vent de fraîcheur qui soufflent sur le Vatnajökull avec cette impensable Kristin qui incarne avec une franche naïveté l'improbable rebelle capable de tenir tête à l'armada US. On sentirait presque l'esprit de Kadaré souffler depuis sa lointaine Albanie : l'Islande est aussi un autre petit pays, tout aussi fier de sa culture et tout aussi épris de son indépendance.
Indridason prouve ici que la valeur de son talent n'a pas attendu les années Erlendur et termine son thriller comme il l'a commencé, de main de maître.
Dans les dernières pages, il s'autorisera même (outre un étonnant dénouement) une mise en abyme vertigineuse puisque, s'il s'est permis ici de ré-écrire l'Histoire, c'est que d'autres l'ont déjà fait et continueront de le faire ...

« [...] À la radio, les journalistes ont rapporté que les soldats recherchaient une balise satellite perdue il y a plusieurs années par un avion, au-dessus du glacier. Mais les journaux télévisés ont raconté que les soldats étaient venus répéter une opération de sauvetage impliquant un faux crash aérien, en utilisant une vieille épave de DC-8. Et le journal du soir parle de réserves d’or perdues, qu’ils voulaient récupérer. Vous voyez à qui nous avons affaire. Ils ont vraiment tout bien organisé.
[...] La vérité et le mensonge ne sont que des moyens d’arriver à une fin. Je ne fais aucune distinction entre les deux. On pourrait dire que nous sommes des historiens qui essaient de corriger certaines des erreurs commises durant ce siècle finissant. Ça n’a rien à voir avec une quelconque vérité, et puis, de toute manière, ce qui appartient au passé n’a plus d’importance aujourd’hui. Nous réinventons l’histoire en fonction de nos intérêts. » 

Rien n'est jamais gratuit ni innocent chez Indridason. 
  

Bruno ( BRM) : les coups de Coeur de MAM et BMR