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06/03/2011

La rivière noire, d'Arnaldur Indridason

 larivierenoire.jpg                                                                Sans  y avoir mis les pieds, j’ai toujours eu un faible pour l’Islande. Ça doit remonter aux  temps lointains  de ma lecture de Voyage au centre de la Terre, quand les héros de Jules Verne, arrivant au pied du volcan Sneffels,  se préparent à y pénétrer pour explorer un monde inconnu,  au cœur  de notre planète. Il était donc normal qu’Arnaldur Indridason, son pays de volcans et de glaciers  et ses polars parfaitement fabriqués bénéficient  d’un préjugé favorable de ma part. Et c’est heureux, car au fil  de la lecture de « La rivière noire », l’aperçu  que l’auteur nous donne  de  la cuisine islandaise traditionnelle, avec son cortège de poisson faisandé à la graisse de mouton fondue,  a de quoi faire frémir d’horreur le plus inconditionnel  admirateur de ce pays si contrasté ! 

Mais foin des préjugés culinaires, je reviens au polar qui, lui, est loin d’être faisandé.

Il n’y a jamais de déception avec Indridason. C’est  un auteur solide, qui sait construire une histoire et la raconter sans temps mort.  Il  travaille ses personnages principaux ou secondaires pour les rendre crédibles et intéressants, ses dialogues sont vifs, enlevés, précis.  De plus, la façon dont les enquêteurs  s’approchent  au plus près de la vérité  psychologique des personnages,  jusqu’au dénouement final, est un modèle du genre.  Seuls les plus grands arrivent à une telle maîtrise.  Depuis ses débuts dans le polar en 1997, Arnaldur  Indridason  s’est hissé au niveau de  Connelly  et Mankell. Comme eux il est   capable de parsemer ses intrigues d’indices subtils, puis  de les décortiquer  avec habileté et sagacité  pour le plus grand plaisir du lecteur.  Dans ce nouveau roman, c’est Elinborg,  l’adjointe d’Erlandur, qui est au premier plan. Celui-ci, parti en vacances dans les fjords de l’Est de l’Islande, ne donne aucune nouvelle à son équipe. Elinborg est donc chargée d’élucider un meurtre : un certain Runolfur, retrouvé à son domicile la gorge tranchée, avec dans sa poche des cachets de Rohypnol, la « drogue du violeur ».

Le fait de mettre une femme au cœur  de l’histoire était un défi intéressant à relever pour Indridason.  Ses lecteurs connaissent déjà Elinborg, qui apparaissait dans les enquêtes précédentes. Elle est  une mère de famille ordinaire, qui a des problèmes, des plaisirs et des joies, une femme qui aurait voulu être géologue et s’est finalement  retrouvée flic dans la criminelle sans jamais le regretter.

Comme il le faisait pour le personnage d’Erlandur, l’auteur va, au fil des pages,  nous faire pénétrer dans  sa vie, ses habitudes,  nous la montrer  sous un jour nouveau.  Des observations sur ses relations avec son mari Teddi et ses quatre enfants parcourent le livre et permettent au lecteur de s’évader agréablement des aspects parfois techniques de l’enquête. Beaucoup de lectrices (ou de lecteurs) se reconnaîtront dans les rapports tendus qu’elle entretient avec son adolescent de fils, Valthor,  toujours fourré sur Internet où il  a créé un blog sur lequel il donne ses sentiments sur les  membres de sa famille, au grand dam de sa mère et de sa jeune sœur Theodora.

Sans  porter de jugement, Indridason nous fait découvrir une femme qui ne doute pas d’elle-même, se remet rarement en question, considère que si quelque chose se passe mal avec ses proches, la raison doit être avant tout cherchée chez les autres et non chez elle.  Elinborg est passionnée de cuisine, et en particulier de cuisine orientale et des épices qui accompagnent celle-ci. Elle a publié  sur ce sujet  un livre qui a obtenu un certain succès, et  son enquête va lui permettre d’utiliser ses compétences culinaires : un parfum de Tandoori  qui  imprègne un châle trouvé à proximité du corps,  va être  un des indices qui lui permettra de faire progresser l’enquête.    

Elinborg creuse dans  le passé de  Runolfur, probable violeur et possible victime d’une vengeance.  La personnalité de ce dernier est  difficile à saisir d’emblée. Ses collègues de travail, ses connaissances, le présentent comme un homme avenant, sympathique et  charmeur. Une partie du travail d’Elinborg consistera  à rencontrer sa mère et ses rares  amis d’enfance,  à regarder au-delà des apparences et ce mécanisme  mis  en route par Indridason, avec son cortège de personnages scrutés par l'enquêtrice, fait  penser aux meilleurs Simenon.  Elinborg va se plonger dans tous ces témoignages et rencontrer aussi des jeunes femmes violées et leur famille. Ses observations constituent le cœur du roman puisque les indices qu’elle relève forment une spirale qui  l’amène  méthodiquement  vers le centre, le lieu  qui constitue la solution de l’énigme : le passé trouble de Runolfur.  La mort de celui-ci  pourrait-elle avoir un rapport avec la  disparition d’une jeune lycéenne,   Lilja, quelques années plus tôt ? Comme dans la « vraie vie » où le succès n’est pas toujours au rendez-vous, Elinborg va pressentir la vérité sur la disparition de Lijla sans jamais pouvoir l’atteindre.  Son enquête ne sera donc résolue qu’à moitié, et les détails seront essentiels dans la résolution. C’est l’odeur de tandoori qui la met sur la piste de la jeune femme violée par Ronolfur la nuit de son assassinat. C’est une odeur de cambouis ou d’huile de vidange flottant sur les vêtements de son mécanicien de mari qui va aussi lui permettre de comprendre ce qui s’est passé cette nuit-là. 

Le mécanisme mis en place par l’auteur est implacable, impeccable. Il n’y a pas dans ce roman le grain de folie que l’on peut trouver chez une  Fred Vargas ou l’humour caustique d’un Harlan Coben, mais tout s’articule parfaitement, le mécanisme de résolution de l’enquête est aussi bien huilé  que les personnages sont cohérents et finement observés.

Au final, « La rivière noire » est un excellent polar, écrit par un artisan de  l’écriture talentueux. Le   succès d’Arnaldur Indidason, qui se confirme au fil de ses romans,  n’est pas un phénomène lié à la  mode des  polars nordiques, il est  amplement  mérité.

                                                                                                          J.T.

  •  300 pages
  •  Editions Métailié (3 février 2011)
  •  Bibliothèque nordique
  • 19 €