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06/08/2014

Les origines de l’amour, de Kishwar Desai

les origines de l'amour,kishwar,desaiUne chronique de Jacques.

Kishwar Desai (2) : la gestation pour autrui au cœur de son roman « les origines de l’amour ».

Dans le deuxième roman de Kishwar Desai, nous retrouvons l’attachante travailleuse sociale Simran Singh, qui a adopté les deux jeunes sœurs, Durga et Sharda, qu’elle avait rencontrées au cours de sa première enquête. Elle travaille pour une clinique chic de la banlieue de Delhi dont la spécialité est de chercher des mères porteuses pour de riches étrangers en mal d’enfants. Anita et Subbash Pandey, les deux médecins qui dirigent l’ultramoderne clinique de la Vierge à l’Enfant sont des amis de Simran, et malgré les réticences que celle-ci éprouve parfois vis-à-vis de la GPA, elle va accepter le travail délicat qu’ils lui confient.

Amelia, le bébé né par mère porteuse d’un couple de Britanniques, Susan et Mike Oldham, se révèle être séropositive. Les deux parents meurent dans un mystérieux accident au Rajasthan et la mère porteuse est introuvable. La réputation de la clinique est en jeu : Simran doit déterminer pourquoi Amelia est séropositive et ce qu’elle va devenir administrativement. Quelle sera sa nationalité ? Qui va s’occuper d’elle ?

L’enquête va la conduire à Londres, où elle va rencontrer Edward Walters, un séduisant anglais donneur de sperme qui a des liens avec la famille Oldham, mais... lesquels ? Simran va également découvrir une autre clinique de Delhi qui semble avoir des pratiques médicales étranges, sinon douteuses, et ses recherches menacent de perturber le commerce lucratif de certains. Sa vie pourrait-elle en être menacée ?

Tout comme elle l’avait fait dans Témoin de la nuit, Kishwar Desai continue à nous promener dans les méandres de la société Indienne et elle nous en montre les contradictions, les traditions, les chocs culturels ou religieux. La GPA, au cœur d’une polémique dans de nombreux pays occidentaux, est également discutée et parfois contestée en Inde, où elle fait l’objet d’un véritable marché, très fructueux pour certains.  

La force du roman est de ne pas chercher à imposer aux lecteurs une analyse prête à l’emploi des questions éthiques que pose la gestation pour autrui. Plutôt que de nous dire ce que nous devrions en penser, l’auteur préfère nous proposer un kaléidoscope de situations diverses et de personnages très différents : des couples en mal d’enfant, Indiens ou Occidentaux, hétéros ou homos, des femmes pauvres qui espèrent, en devenant mères porteuses, pouvoir sortir de leurs difficultés, des personnes sans scrupules qui les manipulent et les utilisent pour s’enrichir, des médecins honnêtes et d’autres qui le sont moins...

Nous suivons le parcours parfois difficile de plusieurs futures mères porteuses, Preeti, Sonia, Shabba ou Radhika. [Cette dernière...] « était une travailleuse manuelle du Rajasthan. Elle était employée sur un chantier de construction lorsque son mari avait été blessé à la tête. Sharma l’avait trouvé sur le bord de la route, en larmes et désespérée. Il l’avait rassurée en lui disant qu’il amènerait son mari à l’hôpital. Et que, pendant ce temps là, elle pourrait gagner de l’argent en devenant mère porteuse. Au fil des mois, il lui avait expliqué que son mari avait besoin d’un traitement très coûteux. Une partie de l’argent que Radhika gagnerait comme mère porteuse paierait directement l’hôpital. Radhika n’avait pas le droit de voir son mari, mais elle était au moins sûre de pouvoir payer ses soins. Comme une esclave enchaînée, elle s’était retrouvée piégée par Sharma dans (ce qu’il espérait être) un cycle sans fin de grossesses. Maintenant, entre les mains de Ganguly, elle était devenue un cobaye idéal pour ses expériences. Les données de la grossesse de Radhika étaient collectées et stockées avec celles des autres mères porteuses, plus âgées, que Ganguly avait suivies. Il allait récolter de multiples embryons chez des filles plus jeunes comme celle qu’il s’apprêtait à examiner, et voir s’il y avait aussi une différence de qualité ».

La clinique de la Vierge à l’Enfant subit l’opposition d’une organisation religieuse qui refuse la GPA, et plus encore quand celle-ci bénéficie à des couples homosexuels occidentaux, et cette forte opposition interne renchérit le coût de la mère porteuse, qui passe ainsi de 2 000 000 à 4 000 000 de roupies, alors que chaque mère reçoit en paiement de ses services 500 000 roupies. Pourtant, malgré ces difficultés, « Subbash pressentait qu’une avalanche de demandes allait bientôt leur parvenir, car des gens du monde entier venaient en Inde, depuis que le ventre des Indiennes était à louer ».

L’enquête de Simran Singh nous permet également de suivre le parcours de plusieurs couples qui désirent avoir un enfant et pour qui la GPA représente une dernière chance. C’est le cas pour Kate et Ben, deux Britanniques de la classe moyenne supérieure, pour les Oldham, les parents de la petite Amelia, mais aussi pour madame Renu, une Indienne qui a de hautes responsabilités politiques...

Mais le plus fascinant pour le lecteur occidental est sans doute la différence d’approche par rapport à la loi exprimée par le comportement de Simran Singh. Tout comme dans son précédent roman, la narratrice ne cherche pas à faire appliquer la loi en faisant appel à la police ou à la justice : elle préfère négocier, apprécier les rapports de force et se débrouiller pour que ceux qui ont commis des crimes aillent les faire ailleurs et laissent une situation apaisée. Le personnage tente de comprendre les motivations et de saisir les contradictions de chacun, des contradictions qui sont aussi celles de la société indienne. Outre le fait qu’elle n’est qu’une travailleuse sociale et pas un flic ou un juge, cette attitude est aussi  profondément liée à la corruption qui semble sévir dans tous les rouages de l’administration et de la société, une corruption qui a de quoi rendre sceptique le plus amoureux de la justice.

Kishwar Desai nous propose un livre qui pousse au questionnement, incite à la réflexion, nous permet de vivre « de l’intérieur » un pays si différent du nôtre tout en nous proposant une histoire plaisante et des personnages complexes et originaux : une lecture fortement conseillée !  

  Jacques (blog : lectures et chroniques)

 

 

Les origines de l’amour
Kishwar Desai
Éditions de l’Aube (22 mai 2014)
Collection Aube noire
430 pages ;