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Rechercher : tempête blanche

Le paradoxe du cerf-volant, de Philippe Georget

 paradoxe2.jpgUne chronique de Jacques. 

Le paradoxe du cerf-volant bénéficie d’une publication en livre de poche qui va permettre à ceux qui auraient raté sa sortie en 2011 de découvrir ce roman, aussi prenant que surprenant.

Polar, roman noir, thriller, roman psychologique, il est tout cela à la fois, et il révèle une méticulosité dans le déroulement de l’intrigue – qui mêle l’histoire personnelle du héros à des événements historiques réels – que l’on retrouve rarement dans les polars français.  

La partie « recherche de la vérité », qui n’est pas la  caractéristique des seuls  polars, mais constitue tout de même l’épine dorsale de ce genre littéraire, est d’une grande subtilité, elle  nous prend à contre-pied et  s’achève par une « chute » (dans tous les sens du terme) qui restera accrochée longtemps à la mémoire du lecteur.

 Pierre   est un boxeur professionnel de 27 ans, qui a vécu un drame pendant son enfance : ses parents, ainsi que sa sœur, seraient morts dans un accident de voiture.  Son père  était diplomate et sa dernière mission se passait dans une  Yougoslavie  perdue dans ses conflits nationaux et ethniques des années 1990.  La toile de fond du roman sera cette Yougoslavie-là, ses crimes de guerre entre Serbes et Croates et en particulier les tueries perpétrées par le général  de l’armée croate Ante Gotovina, qui va être jugé par le T.P.I.  pour le  meurtre de 150 civils serbes pendant l’opération « Tempête ».   

Quels rapports  Pierre entretient-il avec cette période trouble et agitée de l’histoire européenne récente ?  Ils sont indirects et concernent son père ainsi que son ami Sergueï.  Le meurtre de Lazlo, un autre ex-yougoslave que connaît  Sergueï et pour qui Pierre  travaille depuis quelques jours, déclenche la machine policière autour de lui.  L’épisode douloureux vécu par le narrateur dans son enfance se trouve  mêlé au conflit yougoslave d’une façon subtile, le récit monte en puissance tandis que les tensions psychologiques tiennent le lecteur en haleine jusqu’au dénouement.

 Pendant qu’il tente de comprendre les mécanismes d’une possible machination,  Pierre essaie de reprendre goût à la boxe, en voulant prouver  à son entraîneur,  comme à lui-même,  que sa carrière n’est pas finie.  Le monde de la boxe est décrit avec précision et les dix pages décrivant le combat de Pierre contre un adversaire irlandais coriace auraient leur place dans une anthologie, tant elles sont convaincantes et fortes dans leur dramaturgie.

 C’est le personnage de Sergueï  qui donne au lecteur, en quelques mots, la clé du livre et le sens du titre étrange de celui-ci. « Les hommes sont des cerfs-volants (…) nous pestons souvent contre les liens d’amour et d’amitié qui nous entravent, et qui croit-on, nous gênent pour réaliser nos  rêves. (…) Mais quand le vent souffle, ce sont ces liens qui nous sauvent. Toujours. Eux seuls nous empêchent de nous écraser. »

 Ainsi, l’ami en qui le narrateur croyait, cet ami  qui  l’a (peut-être ?) trahi, est celui qui  lui révèle son destin au cours de leur ultime rencontre, alors que les liens d’amitié ou d’amour que le narrateur avait tissé s’effilochent  les uns après les autres.  Le lien avec sa mère, celui qui aurait dû être le plus solide,  qui aurait pu l’arrimer à la vie quand les vents devenaient contraires, va lâcher  le premier.  Le drame que Pierre  s’efforçait d’oublier  va resurgir au fil de l’histoire, quand le lecteur ne s’y attend pas,  et donner  au roman une grande densité.

 La fin du roman évite la mièvrerie des fins heureuses et convenues, trop fréquentes dans la majorité des polars traditionnels. Elle laisse au lecteur le goût âcre et puissant des tragédies antiques. Le paradoxe du cerf-volant  est un roman efficace et intelligent, qui pulvérise les frontières entre  la « littérature blanche » et le polar.

 Jacques (blog : lectures et chroniques)

 

Le paradoxe du cerf-volant
Philippe Georget
Editeur : Jigal (15 mai 2014)
Collection : Polar
416 pages ; 9,80 €

 

 

 

 

 

 

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15/06/2014 | Lien permanent

N’ouvre pas les yeux, de John Verdon

n_ouvre_pas_les_yeux.jpgUne chronique de Jacques.

N’ouvre pas les yeux reprend les principaux personnages de 658,  et en premier lieu celui de David Gurney, ex-policier d’élite du NYPD,  qui vit une retraite paisible dans les Katskill avec sa femme Madeleine. Retraite paisible…sans doute un peu trop pour David Gurney, qui sait bien que son épouse – contrairement a lui – a toujours rêvé de cette vie calme, tranquille, perdue dans une nature encore sauvage :

« En ce matin de septembre, il régnait un silence sidéral, comme dans un sous-marin glissant entre deux eaux, moteurs éteints pour échapper au système d’écoute de l’ennemi. Le paysage semblait retenu, immobile, sous l’emprise d’un calme immense, le calme avant la tempête, un calme aussi profond et imprévisible que l’océan ».

Avec ces deux phrases en début du roman, nous savons déjà que Gurney vit ses derniers instants de calme avant l’ouragan policier qui se prépare, un ouragan qui va l’entrainer, au grand dam de Madeleine, dans les eaux troubles des enfants/adolescents tout à la fois victimes et  prédateurs sexuels.

Les relations entre David et Madeleine constituent un des axes forts du roman. Des relations, tendues, car Madeleine aspire au calme, à la communion avec la nature, aux relations amicales simples, aux  rapports humains paisibles et non superficiels, alors que David au contraire a un besoin impérieux de faire travailler ses neurones en résolvant des enquêtes compliquées, d’échafauder des hypothèses, de les vérifier, d’interroger des suspects en tirant d’eux tout ce qu’il est possible… En bref, sa « retraite paisible » l’ennuie, même si une pulsion artistique tardive (des photos de meurtriers travaillées avec Photoshop) lui permet de surnager dans cet océan de tranquillité.

L’analyse que John Verdon fait des relations au sein d’un couple uni mais qui a des aspirations contradictoires est aussi subtile qu’intéressante par sa justesse : recherche de compromis, hésitations, regrets, remords, peur de blesser, oublis fréquents de ce qui est important pour le conjoint…tout est suggéré avec habileté. Pas de cris, pas de violence, tout est en demi-teinte dans le non-dit, l’implicite. Gurney fait partie de ces hommes qui ont du mal à exprimer ce qu’ils ressentent. Madeleine fait partie de ces femmes qui ont un talent fou pour faire comprendre ce qu’elles éprouvent sans avoir à utiliser des mots : une mimique, un regard un peu plus froid, une expression différente du visage ou un geste inhabituel suffisent pour que David comprenne son agacement, sa crainte ou sa colère rentrée :

« Elle s’était mise à gratter machinalement la cuticule de son pouce avec un de ses ongles – une nouvelle manie dont Gurney s’inquiétait et qui constituait pour lui un signal d’alarme. Aussi anodins et éphémères qu’ils soient, ces moments l’ébranlaient, coupaient courts à ses fantasmes sur la résistance infinie de Madeleine, le privaient temporairement de ce point de repère rassurant, de cette veilleuse qui tenait à distance ténèbres et chimères ».

Pendant le déroulement de l’enquête qu’il va finalement accepter, même dans les moments les plus tendus – ceux qui réclament de sa part et de la notre nôtre une réflexion intense – nous allons nous poser en même temps que Gurney une question qui sera lancinante : le couple va-t-il résister à cette  enquête explosive qu’il a imposée à son épouse ?

Car explosive  elle va l’être, et elle constitue le deuxième axe fort du roman. En effet, bien que l’éditeur ait choisi de mettre sur la couverture « thriller », n’ouvre pas les yeux est un polar classique à la Michael Connelly, dans lequel tous les détails de l’enquête sont détaillées de façon méticuleuse, où le suspense consiste à placer le lecteur dans une position d’attente par rapport aux nouvelles pistes. Le roman s’oriente plus nettement vers le triller dans les derniers chapitres, au moment de la résolution du mystère de l’assassinat de Jillian.  

L’histoire s’inscrit dans l’environnement des jeunes prédatrices sexuelles de l’école secondaire de Mapleshade, qui sont des jeunes filles ayant été abusées elles-mêmes dans leur toute petite enfance. Elle va ensuite nous entraîner dans des zones troubles et dangereuses, apparemment éloignées de l’école dirigée avec maestria par le célèbre et médiatique docteur Scott Ashton.

Jillian, la très jeune épouse de Scott, ancienne élève de l’institution que dirige celui-ci, a été décapitée le jour de ses noces. Tout les indices laissent penser que le coupable est un certain Hector Flores, d’origine mexicaine, qui a disparu après le meurtre et qui est vainement recherché par la police depuis plusieurs semaines. Tout est clair, donc, sauf que…comme souvent dans les bons polars, les choses ne sont pas ce qu’elles semblent être.   La police n’arrive pas à savoir qui est réellement Florès, ni même ce qu’il est devenu, et il faut que Val Perry, milliardaire du genre allumée et mère de la victime, sollicite l’aide de Gurney pour que les choses commencent enfin à bouger.

John Verdon prend son temps pour installer les personnages et les situations. Au début de l’histoire, nous voyons Gurney former les flics du NYPD,  nous assistons à ses réticences à accepter l’enquête, à sa crainte des réactions de Madeleine s’il dit oui à Val Perry, nous voyons Madeleine éviter toute discussion franche sur le sujet et nous devinons son amertume de voir son mari refuser de partager sa vie d’une façon pleine et entière, sa crainte de voir ce travail –qu’il va évidemment accepter, elle le sait – l’absorber totalement.

La construction du roman est parfaite, rien n’est laissé au hasard, et toutes les descriptions des personnages et des situations sont utiles au lecteur. On peut dire qu’il y a deux romans dans le roman : les relations entre Gurney et Madeleine, et l’enquête sur le meurtre de Jillian.  Chacune de ces deux parties pourrait faire un excellent roman en lui-même, et John Verdon, en les mêlant avec habileté, a réussi un polar exceptionnel. Il a visiblement beaucoup appris avec  658, son excellent premier roman, car dans celui-ci il va encore plus loin dans la finesse de l’analyse psychologique de ses personnages, encore plus loin dans la maitrise de son écriture, encore plus loin dans la force du  suspense, encore plus loin dans la subtilité et la complexité de son intrigue policière. J’ai découvert un auteur que je place, dans mon panthéon personnel, à côté de Mickael Connelly, R.J. Ellory, Dennis Lehane, Caryl Férey, Johan Thorin…

A  la fin de ma chronique sur 658, son déjà remarquable premier roman,  j’écrivais : « Un très grand roman, qui navigue entre thriller, suspense psychologique et intrigue policière classique. Un auteur, John Verdon, dont il faut retenir le nom. J’attends son prochain roman avec impatience et curiosité : tiendra-t-il ses promesses ? ».

Sans hésitation, la réponse est : oui.

N’ouvre pas les yeux  est, pour moi, le  livre de l’année.

Jacques, (lectures et chroniques)

La chronique d'Albertine sur ce livre.

Chronique sur 658, le premier roman de John Verdon.

___________________________

N’ouvre pas les yeux
John Verdon
Grasset
572 pages
21,50 €
_________________________

Présentation de l'éditeur :

Une jeune femme a été retrouvée décapitée le jour même de son mariage, dans la somptueuse propriété des Ashton. Tout accuse le jardinier mexicain, un certain Hector Flores, qui demeure introuvable depuis. L'inspecteur Gurney, appelé en dernier recours par la mère de la victime pour retrouver le meurtrier, s'aperçoit bientôt que la mariée n'avait rien d'une oie blanche... et que ses rapports avec son fiancé, Scott Ashton,  jeune et brillant psychiatre, fondateur d'un institut pour enfants "difficiles", sont plus complexes qu'il n'y paraît à première vue.

Gurney ne tarde pas à se rendre compte que rien, dans cette histoire, n'est conforme aux apparences. Et quand il retrouve, déposée chez lui en son absence, une poupée décapitée, il comprend très vite aussi qu'il risque lui-même d'être la prochaine victime. Ce qu'il ne sait pas encore, c'est que son enquête va le mener bien au-delà du meurtre – dans la toile inextricable d'un ennemi terrifiant, tentaculaire et, surtout, très patient.

Après son premier roman et coup de maître 658, Verdon persiste, signe et monte encore le niveau d'un cran. De son ouverture saisissante jusqu'à son finale stupéfiant, N'ouvre pas les yeux est un chef-d'œuvre du genre, servi par une intrigue au cordeau et des personnages tourmentés que les lecteurs retrouveront avec bonheur ou découvriront avec frissons. John Verdon s'impose définitivement dans la cour des grands du thriller.

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25/05/2012 | Lien permanent

Etranges rivages, d'Arnaldur Indridason

étranges rivages,arnaldur indridason,métailiéUne chronique d'Éric    

Revenir sur les lieux du passé est toujours un pari risqué et un défi qu’on n’est jamais sûr de relever. C’est ainsi que l’inspecteur Erlendur, meurtri par la disparition de son frère, s’immerge dans cette contrée sans concession à l’est de l’Islande, celle des fjords et des chemins escarpés, là où la glace et les tempêtes étourdissent les êtres et suscitent « des meurtriers sans visages » ; épousant un mode de vie spartiate et se mettant ainsi à l’épreuve d’un climat âpre — il réside dans la demeure familiale abandonnée, ouverte à tous les vents, n’hésitant pas à faire des kilomètres pour obtenir de menues précisions sur tel ou tel fait — son enquête sur lui-même va se heurter à d’autres disparitions, celle de Mathildur sur laquelle il va plus particulièrement se pencher, et sur l’évanouissement de cette armée britannique emportée par une tempête en 1942.

 Nous ne l’avions pas oublié, mais Erlundur avait bel et bien disparu des précédents romans d’Indridason ; nous étions orphelins de cet inspecteur secret et perspicace, névrosé et démuni face aux désespérances humaines ; et s’il revient, c’est pour mieux mettre en scène la disparition de cet autre lui-même, ombre portée de son déséquilibre intérieur, comme le fantôme qui plane sur le désastre de son existence et que rien, pas même l’amour, ne peut consoler de vivre. Indridason — comme il le révèle dans un entretien passionnant — « s’intéresse à ceux qui sont confrontés à la perte » ; tout ici s’entrelace dans une mise en abyme brillante de toutes ses disparitions dont on ne sait au fond si elles se confondent ou si elles s’unissent dans un même désordre de l’Histoire, de la confusion des sentiments et d’un pesant relent de culpabilité qui anéantit tout. Indridason sait créer une intrication d’histoires conjuguées qui nous engloutissent jusqu’au malaise, et que le dévoilement final ne dissipe pas.

 L’auteur d’« Étranges rivages » ne nous épargne rien (pas même le grincement d’un doigt au fond d’un cercueil), et n’offre aucune perspective heureuse à ses personnages, pas plus qu’à ses lecteurs. Les hommes meurent ici irréconciliés avec la nature et avec leur entourage et désépris d’eux-mêmes, car, comme l’indique Erlundur, « le temps ne guérit pas nos blessures ».

 Nous sommes ici sur une terre dévastée où l’homme est nu, en état d’hypothermie. À cet égard le romancier islandais se situe au tout premier rang des grands auteurs nihilistes d’aujourd’hui avec Cormac McCarthy, Michel Houellebecq, Jonathan Coe.

Bonne lecture quand même !

Éric FURTER

Étranges rivages (2013)
Arnaldur Indridason
Editions Métailié
Collection bibliothèque nordique
298 pages ; 19,50 €

 

Présentation de l’éditeur
Erlendur revient !
Parti en vacances sur les terres de son enfance dans les régions sauvages des fjords de l’Est, le commissaire est hanté par le passé. Le sien et celui des affaires restées sans réponses. Dans cette région, bien des années auparavant, se sont déroulés des événements sinistres. Un groupe de soldats anglais s’est perdu dans ces montagnes pendant une tempête. Certains ont réussi à regagner la ville, d’autres pas. Cette même nuit, une jeune femme a disparu dans la même région et n’a jamais été retrouvée. Cette histoire excite la curiosité d’Erlendur, qui va fouiller le passé pour trouver coûte que coûte ce qui est arrivé… C’est un commissaire au mieux de sa forme que nous retrouvons ici !

 

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03/01/2014 | Lien permanent

Vogue la colère, de Guillaume Lefebvre

 vogue_la_colere.jpgUne chronique de Cassiopée.

« Chacun peut gouverner lorsque la mer est belle »

 C'est le quatrième roman policier de l'auteur et si le personnage récurrent d'Armand emplit les pages à chaque fois, l'histoire peut être lue de façon indépendante,

Armand Verrotier …. si l'idée vous vient de savoir pourquoi ce nom de famille, allez faire un tour vers les métiers du bord de mer, la verrotière cherche des verrots dans le sable humide et Guillaume Lefebvre n'a pas choisi ce nom au hasard....

Cette fois-ci, notre héros maritime est au repos, mais devant l'absence d'un collègue, il se doit de reprendre du service au plus vite. C'est comme ça dans la marine, on se soutient et on se serre les coudes … quand on s'apprécie... On le découvrira au fil des pages, ce milieu, essentiellement masculin, n'est pas exempt de certaines frictions, jalousies, trahisons, mensonges et autres « arrangements » peu honnêtes...

L'auteur le décrit à merveille ce microcosme, sans doute parce qu'il le connaît bien. Mais on ne parle pas toujours avec justesse de ce qu'on vit régulièrement et c'est là une des forces de l'écriture de notre capitaine. Et oui, Monsieur Lefebvre écrit en mer, à ses heures perdues, lorsque sa tâche de responsable de navire lui laisse un peu de temps. C'est sans doute pour cela que dans chaque ligne, on sent les embruns, les odeurs, le roulis, le tangage, qu'on entend les mouettes et les cornes de brume. Mais on découvre également les rapports humains sur le bateau et en dehors, dans ce monde de la mer où certains sont un peu bourrus, non pas parce qu'ils ne sont pas sociables, mais parce que la mer ne vous laisse pas la possibilité de vous poser lorsque vous travaillez avec elle. C'est elle la patronne et le lecteur le comprend très vite au fil des pages. Les administrateurs peuvent penser qu'il faut agir d'une certaine façon et la météo en décider autrement en faisant se révolter l'océan ou la mer....

Parfois, je me demande pour ceux qui vivent souvent avec elle, si elle n'est pas comme un être vivant, existant à part entière, comme une compagne capricieuse... Quoiqu'il en soit, elle est dans les livres de Guillaume Lefebvre une « présence » et cela donne un côté magique à ses écrits. Il pourrait d'ailleurs développer le parallèle entre les relations humaines à bord et la mer, car elle influence certainement celles-ci en déteignant sur les hommes (vous pensez qu'un homme ballotté et malade par une nuit de tempête peut être le même qu'un homme ayant dormi dans sa couchette sur une mer d'huile?)....

 Au-delà de cette atmosphère typiquement maritime, l'intrigue, une fois encore, est solidement construite et ficelée. On peut se demander, au début, où vont nous entraîner les différents protagonistes qu'on suit d'un lieu à l'autre, dont on se demande, pour certains (certaine), ce qu'ils cachent mais on ne les lâche pas car on veut savoir...

Armand Verrotier est tenace, il n'aura de cesse de comprendre où vont les hommes, ce qu'ils transportent et pourquoi ... Il n'en est pas moins humain et parfois il se laisse aller ... cela le rend crédible, attachant. Des thèmes d'actualités sont abordés dans cette nouvelle intrigue : le transport de caissons au contenu chimique, leur impact sur l'homme et la nature, les dangers pour la santé, les risques qu'on prend en dénonçant une malhonnêteté si personne ne nous croit ou si les supérieurs minimisent (qui de nous n'a jamais fermé les yeux en se disant qu'il ne serait pas écouté?)....

 J'ai beaucoup apprécié cet opus, au delà du plaisir de retrouver Armand Verrotier et ses aventures, le style de l'auteur est pour moi, une façon de retrouver l'océan si cher à mon cœur.....

 NB: Bravo à l'éditeur pour la magnifique couverture

 Vogue la colère
Auteur : Guillaume Lefebvre
Éditions : Ravet-Anceau (novembre 2014)
Collection : Polar en Nord
ISBN :978-2-35973-451-5
Nombre de pages : 296

Quatrième de couverture

En pleine tempête, le Cornélius manœuvre au large de l’Écosse pour récupérer des conteneurs. Panique à bord : le commandant est introuvable. Armand Verrotier doit le remplacer au pied levé. De retour en baie de Somme, le marin est contacté par Charlotte, une jeune femme aux intentions obscures et hantée par un passé douloureux. Apparemment son histoire serait liée au Cornélius. Intrigué, le matelot mène l’enquête et découvre l’existence d’un trafic de grande envergure. À sa tête, un personnage sans scrupules se moquant bien de la catastrophe écologique annoncée. Ne pas chavirer sera le maître-mot d’Armand.

 

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14/12/2014 | Lien permanent

Une île bien tranquille, de Pascale Dietrich

une île bien tranquille,pascale dietrich,Une chronique de Jacques.

Une île bien tranquille : avec un tel titre, je me doutais bien que l’île en question ne devait pas l’être autant que ça, tranquille ; et franchement, pendant tout le temps de la lecture, je n’ai pas été déçu du voyage ! 

Ce polar de Pascale Dietrich, aussi bref (157 pages) que plaisant, joue avec habileté sur l’opposition entre les apparences et la réalité, ainsi que sur le contraste entre les souvenirs que nous laissent les lieux et les gens qui ont construit notre enfance et la perception nouvelle que nous pouvons en avoir bien des années plus tard. Perception nouvelle, car si nous avons changé, ceux que nous avions croisés à l’époque ont changés eux aussi, et pas seulement physiquement. C’est ce qu’observe avec un certain étonnement Edelweiss, une parisienne trentenaire, qui revient à Trevedic, l’île de son enfance, pour y enterrer son père, un ingénieur agronome passionné de botanique et accessoirement maire de l’île. Il serait tombé d’une falaise un jour de tempête : selon les autorités, le vent violent l’aurait littéralement poussé dans le vide, ce qui laisse la narratrice perplexe, sinon dubitative : que serait allé faire son père dans cette galère, un jour de grande tempête ? Mais personne à Trevedic ne semble étonné. Étonnée, Edelweiss commence pourtant à l’être : un certain nombre d’îliens qui vivaient autrefois plutôt chichement semblent maintenant connaitre une opulence de bon – ou mauvais, selon le point de vue adopté – aloi : bâtiments refaits à neuf, voitures de sport, yachts... En même temps qu’elle retrouve d’anciennes connaissances, parfois proches, elle va tenter de comprendre cette nouvelle réalité de l’île. Mais tout le monde se tait, le secret semble bien lourd et impossible à partager avec une continentale.

L’intrigue, assez simple, est astucieusement agencée. Mais ce qui rend ce livre si agréable à lire, c’est avant tout la tonalité légère et le regard caustique que la narratrice jette sur les îliens, sur ses proches, comme sur elle-même. Ainsi sur son amoureux Walter,  qu’elle juge « un peu connard » :

«La porte pivota lentement et je me retrouvai face à face avec le sac-poubelle que Walter avait omis de descendre. À la vue du plastique noir, les yeux me piquèrent (...) cette petite négligence m’émouvait jusqu’aux larmes. Certes, il était fainéant et avait des manies agaçantes, mais n’était-ce pas au fond qu’il était rêveur tout simplement ? (...) À ce train-là, d’ici quelques mois, je parlerais de lui comme de l’homme rêvé et assurerais que nous vivions la plus parfaite idylle. (...) si on écoutait les veuves, leurs maris étaient tous des saints et on finissait par regretter de n’être pas nées trente ans plus tôt pour pouvoir profiter des mâles si exemplaires de leur génération.»

La chute de l’histoire, savoureuse, donne dans l’humour noir et elle est tout à fait dans la tonalité de l’écriture légère et souvent narquoise de Pascale Dietrich. Cette lecture a été pour moi une jolie découverte, dont je suis sorti épanoui et amusé.

À noter que les éditions Liana Levi semblent vouloir lancer la mode du polar se déroulant sur une île, puisqu’il y a quelques mois elles nous avaient permis de découvrir l’excellent Terminus Belz d’Emmanuel Grand. J’attends donc leur prochain « polar ilien » avec d’autant plus d’impatience que ces deux-là sont très réussis.

Une île bien tranquille
Pascale Dietrich
Éditions Liana Levi (mai 2016)
157 pages

 

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18/05/2016 | Lien permanent

Sois gentil, tue-le, de Pascale Thiriet

téléchargement.jpgUne chronique de Cassiopée

Pascal, c’est un homme de peu de mots. Un taiseux, sans doute plus à l’aise sur l’océan que sur la terre ferme. Il s’exprime avec un phrasé simple, des phrases courtes, des mots qui tombent sans fioritures mais qui suffisent largement à saisir qui il est et à le rendre attachant dès les premières lignes. On sait de lui seulement ce qu’on a besoin de savoir, il ne développe pas, il fait dans le genre elliptique, à nous de comprendre sous les lignes ce qu’il ressent. Il a perdu son père, qui était pêcheur, c’est le risque quand on est marin. Alors il aurait pu rester à terre mais il n’a pas pu, sans doute qu’il lui manquait quelque chose, comme un goût de liberté, mais il ne le dit pas. Son bateau, il l’a baptisé « Le mort » à cause d’un livre …. pourtant il ne lit pas….  Il a eu une copine, Lorraine, puis une fille matelot, Murène, qui connaissait le métier aussi bien que lui…. Ils bossaient bien tous les deux, cohabitaient et plus si affinité puis elle l’a laissé. Il a continué, obligé parfois de faire des choses dont il se serait passé mais le crédit est là et il faut bien rembourser ….

C’est comme si la vie lui imposait des choix, il ne se pose pas de question. Il avance le pas sûr car lorsqu’on est souvent sur un navire, on se doit de tenir debout malgré la houle, la vraie qui souffle fort, décoiffe, secoue l’embarcation et celle, telle une tempête intérieure qui envahit votre corps et votre cœur …. Dans ces cas-là, on y va et on essaie de faire taire le tumulte là-dedans pour faire face. C’est pour ça que lorsque Murène lui demande de venir, il prend la voiture et va la rejoindre. Tout simplement parce qu’elle a besoin de lui. D’aucuns diront que, comme il est un peu primaire, il bondit sans réfléchir, quitte à se faire manipuler… Ceux-ci se tromperont. Pascal n’a peut-être pas fait de grandes études, il n’a sans doute pas une culture générale très étendue et une conversation fluide et aisée mais il a tout compris de la vie. Il est fidèle en amour et en amitié et quand on a besoin de lui, il est répond présent.

Ce livre m’a bouleversée, l’écriture particulière, atypique m’a conquise, elle m’a touchée au plus profond. J’avais l’impression que Pascal, le marin, me parlait, j’entendais ses silences, j’écoutais attentivement chacun de ses mots, je sentais parfois son haleine un peu alcoolisée, je crois même que j’ai touché ses mains rugueuses pour le rassurer, lui dire qu’il ne fallait pas s’occuper de ceux qui se moquaient, le dénigraient …. Je pense qu’il faudrait faire une version audio de ce roman, avec un bruit de vagues, de vent en toile de fond….et une belle voix rauque….

NB : la couverture est superbe, le phare droit comme un i face aux éléments, vent, ciel d’orage….en noir et blanc comme en écho à la phrase : « Si l’on m’avait demandé la couleur de la lumière, j’aurais répondu qu’elle était grise, grise et silencieuse. »

Éditions : Jigal (15 Février 2020)
154 pages

Quatrième de couverture

La mer, elle est partout. Et parfois, au milieu, il y a des îles. Pascal et Murène sont des insulaires mais pas de la même île. Lui, c'est une île de l'océan, et elle, une de Méditerranée. Ensemble, ils pêchent sur un chalutier. Le Mort, il s'appelle. Dessus, ballotés par les vagues et les tempêtes, ils vont bien ensemble. Mais à terre, avec leur passé à traîner, c'est pas facile tous les jours...

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29/02/2020 | Lien permanent

T comme Tombeau (Une mission de Gideon Crew), de Douglas Preston & Lincoln Child

t_comme_tombeau.jpegUne chronique de Cassiopée

Lorsque je découvre un nouveau titre de Douglas Preston et Lincoln Child, je sais que ça se lira vite, qu’il y aura beaucoup de rebondissements, quelques petites choses pas trop crédibles (même une ou deux qui se contredisent dans ce roman), d’autres un peu prévisibles mais que je ne verrai pas le temps passer car ils sauront, une fois encore, m’embarquer dans leur univers.  Et du coup, les imperfections seront pardonnées.

A priori, c’est la dernière aventure de Gideon Crew et c’est peut-être mieux car on sent que les auteurs sont un peu à court d’idée. Non pas qu’il y ait des longueurs mais on se rend bien compte que certains faits sont là pour étoffer l’intrigue. Par exemple, une tempête dans le désert qui les retarde de plusieurs pages ;-) …..

Mais tout cela n’empêche pas d’avoir un récit agréable, endiablé, porté par une écriture vive, fluide (bravo au traducteur !) avec un rythme soutenu qui vous maintient dans l’ambiance.

Après s’être aperçu qu’il n’est plus payé par son employeur et que tout est en train d’être vidé au siège de l’association qui l’embauchait, Gideon Crew ne sait plus où il en est. D’autant plus que son médecin vient de lui annoncer une très mauvaise nouvelle.  Heureusement pour lui, il rencontre un collègue, l’ex bras droit de son chef, Manuel Garza, qui lui fait une proposition : s’allier pour résoudre un mystère ! En effet, ce dernier a récupéré un disque dur permettant de déchiffrer le code de Phaistos, une tablette datant de plusieurs milliers d’années. Pour information, s’il ne s’agit pas d’un faux car certains chercheurs ont des doutes, le disque de Phaistos ou disque de Phaestos est un disque d'argile cuite découvert en 1908 par l'archéologue italien Luigi Pernier sur le site archéologique du palais minoen de Phaistos, en Crète. Il pourrait dater du milieu ou de la fin de l'âge du bronze minoen (II ème millénaire). Il n’a, à ce jour, révélé, aucun de ses secrets et la suite du roman n’est donc que spéculation ;-)

Nos deux hommes vont donc partir en Egypte, dans un désert appelé triangle de Hala'ib. Il est interdit d’accès, sec, immense, et dangereux. Mais les deux amis ne vont pas se décourager et les voilà qui vont tout faire pour atteindre leur but. Ils vont être confrontés à différentes rencontres : parfois des bonnes, mais très peu, et plutôt des très délicates où il va leur falloir ruser, négocier, faire preuve d’ingéniosité (MacGyver n’est pas loin) pour s’en sortir. Au-delà de la résolution de ce que veut transmettre le disque, c’est plus par les péripéties (j’ai regardé des images de haboob qui est une tempête évoquée dans un chapitre et c’est impressionnant !), les rencontres humaines (les réactions, les ressentis, et le regard que chacun peut porter sur les autres),  que ce récit m’a captivée. De plus, il est intéressant de voir combien les deux acolytes sont à l’opposé l’un de l’autre avant de se mettre d’accord sur certains choix et surtout de se révéler étonnants face à l’adversité, allant puiser au plus profond d’eux-mêmes des ressources insoupçonnées !

C’est donc une lecture simple, addictive, idéale pour passer un bon moment !

 

T comme tombeau ( The Pharaoh Key)
Une mission de Gideon Crew
Auteurs : Douglas Preston & Lincoln Child
Traduit de l’américain par Sebastian Danchin
Éditions : L’Archipel (24 octobre 2018)
ISBN : 9782809825183
320 pages

Quatrième de couverture

L'agent secret Gideon Crew apprend, choqué, qu'Eli Glinn met fin aux travaux de l'EEC, une officine au service du gouvernement américain. Manuel Garzas, l'ex-bras droit d'Eli, lui confie un disque dur capable de déchiffrer le disque de Phaistos, une tablette vieille de plusieurs milliers d'années. Cette découverte le mène dans le désert égyptien de Hala'ib, où de nombreuses péripéties l'attendent.

 

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01/11/2018 | Lien permanent

Bluebird, bluebird, d'Attica Locke (Bluebird, bluebird)

bluebird.jpgUne chronique de Cassiopée

Darren Mathews est Texas Ranger, un métier qu’il a choisi bien que sa famille lui ait conseillé le droit, probablement parce que lorsqu’on a la peau noire, il est difficile de travailler dans les forces de police dans certains coins du monde. Sa femme voudrait qu’il change de profession mais il porte le badge avec fierté. Rien n’est simple pour lui. Il vient d’être suspendu de ses fonctions et est en attente d’un procès. En outre, les relations sont tendues dans le comté du Texas où il se trouve. Noirs et blancs peinent à cohabiter et ne partagent pas les mêmes lieux.

Un ami du FBI demande de l’aide à Darren. En quelques jours, deux personnes ont été retrouvées mortes dans le bayou : un avocat noir et une jeune fille blanche. Que s’est-il passé ? Meurtres, suicides, les deux événements sont-ils liés ?

« Curieux, pense Darren. D'habitude, les histoires du Sud se déroulaient de la manière inverse : une femme blanche était tuée ou blessée, d'une façon réelle ou imaginée, puis telle la lune après le soleil, un homme noir était retrouvé mort."

Le Texas Ranger va essayer de comprendre en menant une enquête qui l’emportera bien plus loin qu’il l’avait imaginé. C’est dans un environnement très particulier qu’il doit mener ses investigations. Il y a le Geneva Sweet, un restaurant bar à l’ambiance familiale où les gens de couleur ont leur place. C’est là, juste derrière le bâtiment que la victime a été trouvée. A cinq cent mètres, c’est le Jeff's Juice House (où se retrouvent les membres de la FAT : Fraternité Aryenne du Texas) qui appartient à Wallace Jefferson III, tout comme le reste de la ville. Inutile de dire que les clients des deux lieux sont bien ciblés et ne se risquent pas sur l’autre territoire.

Une bourgade pas très grande mais des tensions en surnombre, des non-dits, des secrets. L’ombre du Ku Klux Klan, de la FAT, une violence dans les mots, dans les gestes, du mépris, un racisme profond, ancré, faisant partie de l’ADN de certaines personnes. Darren va rencontrer des obstacles, il doit composer avec les bâtons qu’on met en travers de son chemin. Mais par-dessus tout, il faut qu’il mette ses émotions à distance, qu’il reste objectif, que la divine bouteille ne lui embrume pas l’esprit ni ne fausse ce qu’il croit voir ou ressentir…. C’est un homme qui s’interroge sur lui, sur sa vie, qui a des faiblesses et qui fait tout pour rester droit dans ses bottes, fidèle à ce qu’il pense être juste.

Cette lecture a été une superbe découverte pour moi. L’auteur a su éviter tous les pièges des clichés de la ségrégation. Elle installe des histoires personnelles dans son récit, permettant au lecteur de s’approprier la vie des personnages et de cerner les caractères, l’influence du vécu. J’ai apprécié que Darren ne se laisse pas abattre, qu’il aille au fond des choses sans se laisser influencer, ce qui n’est pas aisé car la pression est importante. De plus, il ne s’arrête pas à l’apparence, il va toujours plus loin. Les lieux et les relations entre communautés et en interne ont un rôle important dans ce roman, ce sont eux qui insufflent une atmosphère teintée de désespérance. En toile de fond, la musique, le blues qui colle au cœur et à la peau comme les marais du bayou.  

Écrit en 2016, ce recueil interroge encore cette Amérique et tous les progrès qu’il lui reste à faire…
« Darren avait toujours voulu se persuader que leur génération serait la dernière à être obligée de vivre ainsi, que le changement viendrait peut-être de la Maison Blanche. » Il y a encore du chemin….

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Anne Rabinovitch
Éditions : Liana Levi (14 Janvier 2021)
ISBN : 9791034902668
320 pages

Quatrième de couverture

Au bord du bayou Attoyac, le corps d’un homme noir, venu de Chicago, est retrouvé. Et pourquoi deux jours plus tard, au bord du même bayou, et juste derrière le café de Geneva Sweet, le cadavre d’une fille blanche est-il découvert ? Dans ce Texas où Noirs et Blancs ne fréquentent pas les mêmes bars et où les suprémacistes blancs font recette, le Ranger noir Darren Mathews n’est pas particulièrement le bienvenu. Surtout quand il décide d’interférer dans l’enquête du shérif local.

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20/01/2021 | Lien permanent

La nuit de l’accident, d’Elisa Vix

nuit_de_laccident.jpgUne chronique de Jacques.

Dans le polar noir, l’urbain est plus à la mode que le rural. Normal : la densité de population influe sur la densité du crime, la vie trépidante des villes semble exacerber les passions humaines et favoriser les dérapages de tous ordre… de plus, le calme et la tranquillité des coins reculés de nos campagnes, la vie sociale des  petits villages dans lesquels chacun sait tout sur son voisin font qu’il est plus difficile d’être « en dehors des clous » : chacun est au courant des moindres dérapages.

Pourtant, ces dérapages existent aussi, comme nous allons le voir dans ce quatrième roman d’Elisa Vix, une des auteurs vedettes de l’excellente maison d’édition Krakoen, mais qui est éditée pour ce roman par Rouergue noir.

Nous sommes dans un petit village du Cantal, dans lequel l’élevage des vaches laitières est une donnée économique importante. Pierre est éleveur. Beau garçon, du type grand-costaud-tranquille, il a un caractère renfermé, communique peu et mal. Pourtant il a plu à Nat, la jeune et belle vétérinaire stagiaire du coin, qui deux ans plus tôt est venue s’installer chez lui. Nat est à l’opposé de Pierre dans bien des domaines, et inévitablement les rapports du couple se sont effrités au fil des mois. Pendant que Pierre, préoccupé par son travail,  a du mal équilibrer les comptes de la propriété, Nat est soumise à un chantage sexuel de la part de son employeur : si elle ne cède à ses avances, elle s’en va. Elle n’ose pas en parler à Pierre, toujours aussi mutique.

C’est dans ce contexte qu’un accident de voiture se produit, une nuit de tempête, tout près de la propriété. Le conducteur est retrouvé mort sur la berge de la rivière en crue, le Célé, alors que sa voiture a plongé dans les eaux. Mais cet accident cache un secret qui va provoquer une autre tempête, très humaine celle là, qui va balayer la vie plutôt paisible de Pierre et de Nat.

Elisa Vix a réussi à rendre ces deux personnages attachants en alternant les narrateurs personnages, ce qui nous permet de comprendre leurs motivations, les raisons de la lente destruction de leur couple, et  d’approcher avec eux, en douceur, du dévoilement du mystère qui entoure cette fameuse nuit de l’accident. Que s’est-il passé cette nuit là ? Que vient faire le mystérieux et séduisant campeur qui s’est installé dans la propriété ?  Sa présence va-t-elle seulement créer un classique triangle amoureux alors que le couple de Nat et Pierre est en crise, ou bien cette présence est-elle en rapport avec l’accident ? Et si oui, quel est ce rapport ?

Un personnages secondaire apparait, qui donne une certaine légèreté à l’histoire, celui de Momo, le gamin de Sarcelles  devenu le confident et ami de Pierre, Momo qui du haut de ses treize ans prodigue à Pierre ses conseils avisés qui doivent lui permettre de conserver l’amour de Nat.  Au fil des chapitres, tous ces personnages prennent de la chair, l’intrigue se noue inexorablement, les sentiments se précisent, évoluent, les actes de chacun prennent tous leur sens, jusqu’au dénouement brutal, d’une violence maitrisée, non racoleuse. Car même si ce polar est très noir dans sa chute, il ne l’est pas dans l’écriture, toute en retenue, en finesse et en discrétion.

Elisa Vix nous a concocté là un roman différent de ses romans précédents, dans lequel le mystère planant au dessus de certains personnages remplace l’enquête policière classique. Elle a créé une sorte de  « polar noir rural », séduisant, bien construit, aux personnages forts, qui s’avale aussi facilement qu’un bol de lait chaud sorti du pis d’une salers… sauf qu’ici, votre plaisir de lecture sera  plus long.  Un court roman à déguster sans modération : n’hésitez pas à plonger avec lui dans la ruralité profonde et les abîmes de l'âme humaine !

Jacques, (lectures et chroniques)

 

La nuit de l’accident
Elisa Vix
Editions Rouergue noir
144 pages
16 €

Présentation de l'éditeur

Que s'est-il vraiment passé la nuit de l' accident, la nuit où une voiture s'est écrasée dans le Célé et où un homme a été retrouvé mort, sur la berge ? Nat, la jeune vétérinaire qui vit avec Pierre dans la ferme toute proche, ne va pas tarder à se poser des questions. Alors que son couple bat de l'aile et que son employeur se livre à un infect chantage, d'étranges événements surviennent dans ce coin perdu du Cantal. Un motard conduit sa machine avec la détermination d un kamikaze. Un vieux rebouteux à moitié fou prend Pierre pour son oncle, résistant mort pour la France. Un campeur énigmatique, beau comme une publicité pour le club Med, fouine un peu partout.
Tambour battant et avec un humour grinçant, Élisa Vix nous mène dans un excès d émotions peu compatible avec la vie d'un éleveur de laitières.

 

Biographie de l'auteur

Née en 1967, Élisa Vix s'est lancée dans l'écriture de romans policiers après la publication... d'une thèse vétérinaire. Elle a publié trois romans : La Baba-Yaga (Odin, 2005) et Bad dog (Odin, 2006),
tous deux adaptés pour France 2, et Andromicmac (Krakoen, 2010).
Bad dog a reçu le prix du meilleur polar francophone de Montignylès-
Cormeilles.

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Ressacs, de David-James Kennedy

 ressacs.jpgUne chronique de Jacques

Angoisse et mystère au Pays Basque...

 Comme le font de nombreuses maisons d’édition depuis quelques mois, c’est encore un premier roman français (un polar, naturellement) que nous proposent les éditions Fleuve Noir, un premier roman qui est une fois encore d’excellente qualité, ce qui confirme la grande vitalité du polar français contemporain.

Si je devais définir ce livre par un seul mot, ce serait « atmosphère », car David-James Kennedy a réussi à placer ses personnages, associés à une intrigue complexe, dans un lieu magnifique en suscitant un climat lourd, angoissant, pesant.

L’histoire démarre sur un évènement ponctuel, peu spectaculaire : la disparition soudaine dans un hôpital militaire isolé du Pays basque d’un jeune interne qui semblait menacé dès les premiers chapitres... mais par qui, et pourquoi ?  

Comme dans les meilleurs polars, les deux principaux enquêteurs (un flic et un autre interne, collègue du disparu) vont peu à peu et chacun de son côté, tirer sur le bon fil qui les amènera à la solution de l’énigme. Après une série de coups de théâtre et de meurtres inexpliqués, les questions sans réponses vont trouver enfin une explication rationnelle à une histoire qui semblait au départ s’inscrire dans la veine des récits fantastiques, tendance gothique.

Il est vrai que l’auteur a tout fait pour susciter cette ambiance fantastique : l’hôpital est bâti sur une falaise dominant l’océan, un décor sauvage accentué par orages et tempêtes qui sévissent pendant toute la durée de l’histoire, et – cerise sur le gâteau – cet hôpital est situé dans un ancien monastère Augustin bâti mille ans plus tôt, un lieu qui a connu déjà des disparitions semblables et sur lequel planent des légendes sulfureuses. De plus, une aile est réservée à la psychiatrie ce qui, d’un point de vue romanesque, est plus porteur de mystères potentiels qu’un service de pédiatrie ou d’imagerie médicale, l’âme humaine étant réputée insondable et celle des fous plus encore...

Outre l’ambiance, l’auteur a privilégié l’intrigue, basée sur des recherches médicales illicites, et il fait intervenir d’autres personnages secondaires ce qui lui permet de distiller de nombreux rebondissements.

À rebours de ce qui se fait souvent dans le polar contemporain, le personnage principal, Tom Castille, n’est ni alcoolique, ni détruit psychiquement par une histoire personnelle douloureuse. Il est un jeune interne bien équilibré, sportif, qui cherche seulement à comprendre ce qui est arrivé à son copain. En discutant avec des malades ou des soignants, il va découvrir de nouveaux éléments qui vont dans un premier temps épaissir encore le mystère, puisque d’Orgeix apparait sur une photo non truquée sur laquelle il ne pouvait pas être présent ! Il va également dans le cours de ses recherches rencontrer Sophie, une femme mystérieuse et séduisante, qui vit tout près de l’hôpital et semble, de son côté, cacher un secret. Est-elle liée directement à l’affaire ? Castille, amoureux de la belle, ne se pose pas la question, mais le lecteur, oui ! Qui aura raison ?

Comme un vieux routier de l’écriture, l’auteur parvient à maintenir dans l’histoire un suspense permanent. Le récit n’est pas linéaire, il alterne entre plusieurs personnages, et à la fin de chaque chapitre de nouvelles questions surgissent, ce qui maintient la tension de lecture.

Si je devais mettre un seul petit bémol à ces louanges, il porterait sur la trop grande complexité de l’intrigue, qui est si tarabiscotée qu’elle perd un peu en crédibilité. Mais c’est un reproche mineur, car cet élément ne m’a pas empêché de prendre un grand plaisir à la lecture de ce premier roman. Et après tout, n’est-ce pas le but recherché ?

Jacques (lectures et chroniques)

Ressacs
David-James Kennedy
Éditions Fleuve Noir
430 pages ; 18,90 €

 

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03/03/2014 | Lien permanent

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