09/05/2011
Savages, de Don Winslow (chronique 1)
Une chronique de Bruno
Vous savez quoi ? Je viens de me faire un rail ! Un shoot littéraire plus précisément ! Un truc puissant, qui vous fait décoller de vos baskets aussi sûrement qu’une fusée Ariane vous envoie dans l’espace ! Et je plane encore au moment où je rédige ce billet de lecture !
Sauf que là, le dernier roman de Don Winslow, il ne vous expédie pas au nirvana, mais direct dans un univers complètement déjanté. Un monde ultra-violent, où les flingues chantent comme des orgues de Staline, où les dollars coulent à torrent, où « l’herbe » a de telles vertus financières qu’elle vous transforme en écologiste radical, et où le passe-temps des tueurs des cartels consiste à jouer de la tronçonneuse et transformer « les gens en distributeur de bonbons Pez ».
Laguna Beach, sud de la Californie. Sexe, volley-ball, bière et dope. Ainsi se résume la vie d’un trio inséparable, voire fusionnel constitué de Ben, docteur en botanique et marketing, fils de parents psy, de Chon, ancien militaire des forces spéciales, qui lui ne se pose pas trop de questions. Au milieu, nous trouvons, Ophélia, O. , pour les intimes. Une bimbo moins bête qu’il n’y paraît, amoureuse de ses deux hommes. « Ben est sang chaud, Chon est métal froid, Ben a du cœur, Chon est indifférent, Ben fait l’amour, Chon baise. Elle les aime tous les deux. »
Nos trois compères vivent confortablement du commerce d’un cannabis haut de gamme que tout le monde s’arrache, l’Hydro, et qu’ils ont eux-mêmes mis au point. Cette activité ne leur pose aucun problème de conscience « La dope est censée être mauvaise, mais dans un monde mauvais, c’est bien, si vous saisissez le renversement de polarité morale du paradoxe. Chon voit dans les drogues la réponse rationnelle à la folie »…
Bien sûr ce succès commercial ne pouvait pas passer longtemps inaperçu, en particulier d’Elena Sanchez Lauter, patronne du puissant cartel de Baja qu’elle dirige d’une main de fer, et qui est bien décidée à faire main basse sur cette petite start-up à cash, pour étendre son empire et financer sa guerre contre les autres cartels mexicains. Elle dépêche donc sur place des hommes de mains en costard cravate pour négocier l’allégeance du trio.
Ben qui estime s’être assez amusé et avoir amassé suffisamment d’argent serait prêt à passer à autre chose et laisser la place libre au cartel, mais pas question de devenir leurs larbins ! Quant à Chon, « quand on laisse croire aux gens qu’on est faible, tôt ou tard, on se retrouve contraint de les tuer. ». Alors « Fuck You ! ».
Quelques temps plus tard, comme pour accuser réception de la réponse, une cassette vidéo arrive à Ben et Chon. Sur celle-ci apparaît O. assise sur une chaise, avec en arrière plan un homme une tronçonneuse à la main. Leur égérie a été kidnappée. La dolce Vita sous les sunlights californiens vient de prendre fin brutalement.
Dès lors les flingues sont de sortie et vont chanter leur partition sans fausse note.
Ce roman a tout pour plaire. Un rythme effréné, dans un style qui joue avec les règles de la syntaxe et rend l’écriture de l’auteur percutante et redoutablement efficace. Mais la force de Don Winslow n’est pas seulement dans la mise en forme de son texte, dans ces chapitres courts qui donnent cette impression débridée au roman, dans ces répliques qui claquent comme des coups de feu, mais aussi dans les portraits hors du commun qu’il dresse de ses personnages.
Des personnages plus complexes qu’il n’y parait de prime abord, et parfois même paradoxaux.
À l’image de Ben, producteur et vendeur d’hydro, mais surtout non-violent farouche qui réinvestie ses bénéfices dans des actions en faveur du Tiers-monde parce qu’« il a une conscience sociale ». Un Ben qui « s’efforce à tout crin d’être non violent et honnête, dans un business qui est violent et malhonnête ». Mais quand la violence devient nécessaire « c’est Chon qui fait son entrée ».
Des personnages prisonniers de leur histoire personnelle ou de leur quotidien, comme la « madròn » du cartel de Baja, obligé d’en prendre la tête et d’en assumer la violence, plus pour épargner son fils et par sens de l’honneur et de la famille, que par conviction ; ou bien encore comme Lado, son homme de main, qui les basses œuvres exécutées redevient Monsieur tout le monde et rentre à la maison pour le souper, et qui se glisse dans le lit conjugal car il faut bien « donner sa dose à bobonne ».
Rajoutez à cette histoire de feu et de sang une critique qui se lit en filigrane de cette société californienne cloisonnée, dont l’opulence se nourrit de la sueur et du sang des clandestins qui s’entassent dans des baraquements à l’ombre des grandes enseignes du luxe (« RQDM ;. Rien Que Des Mexicains. Bloc après bloc. Quand on entend de l’anglais, c’est le facteur qui parle tout seul ».). une société insouciante, superficielle, plus obnubilée par l’apparence et une pseudo-quête spirituelle qu’à la misère qui l’entoure, et vous comprendrez que vous tenez entre les mains un roman remarquable. Un de ceux que l’on garde précieusement dans sa bibliothèque.
Et dire que je n’ai pas encore lu « La griffe du chien », le chef-d’œuvre de Don Winslow (promis Pierre, je le lirai cet été !!!) , je me dis que j’ai encore de sacrés moments de lecture qui m’attendent !
En attendant, je crois bien qu’entre-temps j’ai développé une addiction à Don Winslow dont je ne veux surtout pas me sevrer !
Que voulez-vous, la lecture est la meilleure drogue qui soit !
Le blog de Bruno : http://passion-polar.over-blog.com/
Vous pouvez lire une autre critique de ce roman de notre chroniqueuse Christine à cette adresse.
Savages
Don Winslow
320 pages
Le Masque (23 mars 2011)
22 €
Présentation de l'éditeur
Ils sont trois : Ben, docteur en botanique et marketing, Chon, mercenaire féru d’armes sophistiquées, et Ophelia (dite O), une bimbo que l’on aurait tort de prendre pour une idiote. Ce trio à la Jules et Jim produit de l’hydro, un cannabis cultivé hors sol, sans matières organiques. Ils vivent fort bien (sexe, volley-ball, bière et dope) de leur petit commerce à Laguna Beach, Californie du Sud, jusqu’au jour où la reine du Cartel de Baja décide d’éliminer cette concurrence qui fait tache dans son empire. Le trio refuse avec panache l’offre de rachat et la belle vie californienne tourne au cauchemar quand O. est kidnappée… Après ça, le roman devient vraiment méchant. On y retrouve l’humour dévastateur qui est la marque de Winslow, l’esprit de la Nouvelle vague dans les dialogues du trio et la violence implacable propre au trafic de la drogue qui a fait le succès de La Griffe du chien.
Traduit de l’américain par Freddy Michalski
15:11 Publié dans 02. polars anglo-saxons | Lien permanent | Commentaires (1) | Facebook | |
Commentaires
J'adore cette chronique !
Tout y est, rien à ajouter, c'est parfait.
Et bienvenue au club des adorateurs de Winslow
(lecture de "la griffe du chien" : effectivement indispensable)
Écrit par : bibliofractale | 09/05/2011
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