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16/01/2012

L’assassin éthique, de David Liss

assassin_ethique.jpgUne chronique de Jacques

J’ai émergé  de la lecture de ce roman dans un état  d’euphorie que  seules quelques lectures exceptionnelles peuvent susciter. Quand je pense que David Liss m’était inconnu alors  qu’il a déjà écrit deux autres romans,  qui plus est traduits en français… quel manque de discernement de ma part !

Ce qui m’a frappé d’emblée  c’est la tonalité du livre. Dans les pires évènements vécus par ses personnages,  il y a toujours cette légèreté et cette  distance qui allège l’atmosphère sans nuire au plaisir du lecteur. C’est du « noir », car les situations, la description de la société américaine, les caractères des personnages n’ont rien à voir avec des bluettes  aseptisées.  Mais du « noir » dans lequel  le regard porté par l’auteur reste toujours  empreint d’une joyeuse  et sympathique ironie.

Lemuel  Atlick est un jeune homme de dix-huit ans qui vit en Floride et doit bientôt intégrer une Université Newyorkaise. Il doit payer son inscription (plutôt chère) et comme ses parents ne peuvent pas l’aider, il décide pendant quelques mois d’exercer un métier lucratif, pour lequel il va se révéler doué : vendeur d’encyclopédie au porte à porte.  Un travail dans lequel les techniques de manipulation des gogos potentiels, et le cynisme qui l’accompagne doit être poussé à l’extrême si on veut réussir.  Lem n’est pas vraiment cynique mais…il n’a pas le choix, pense-t-il, s’il veut payer son inscription.  

Alors qu’il est en train de conclure une vente dans le Mobile home d’un  quartier glauque, ses deux clients reçoivent une balle dans la tête : « l’assassin éthique » (qu’il ne connait pas encore) vient de frapper devant lui. En l’espace d’une seconde son monde vacille.  L’assassin se nomme Melford Kean, et il commence à discuter avec Lem. 

Dans la plupart des polars contemporains, les personnages d’assassins  pouvant susciter la sympathie sont plutôt rares.  Ici, c’est le cas. Il faut dire  que le tueur  est surprenant : deux minutes après avoir exécuté les deux clients de Lem, il demande à celui-ci : Quelle est  ta pièce de Shakespeare préférée ?  Passé le moment où la trouille l’emporte sur toute autre considération, Lem  va  être intrigué, puis  fasciné et enfin séduit par l’individu.

Celui-ci   justifie chacun de ses actes par des considérations éthiques, argumentées de façon si pertinentes que Lem  commence à  être ébranlé dans ses convictions.  Les nombreux passages  du roman dans lesquels les personnages discutent « éthique » sont particulièrement savoureux.  Nous apprenons que Melford est un défenseur fervent de la cause animale et qu’il est aussi  un végétarien convaincu, les deux choses pour lui étant liées. Il tente de convaincre Lem de la justesse de sa cause, et le bougre n’est pas dépourvu d’arguments, même si  notre vendeur d’encyclopédie trouve étrange que l’on puisse tuer des hommes de sang froid et dans le même temps trouver ignoble le sort infligé aux animaux d’élevage.

 Le lecteur comprend  que l’assassinat des deux  acheteurs d’encyclopédie n’a rien de fortuit. Très vite, les personnages troubles se succèdent dans la vie de notre héros : un policier corrompu et meurtrier, un pédophile trafiquant de drogue qui  masque ses pulsions derrière une association censée venir en aide aux enfants de milieux défavorisés, le responsable de la vente des encyclopédies qui trempe dans des affaires pas nettes, des collègues de Lem qui le persécutent et deviennent franchement menaçants… tout cela semble avoir un lien avec les meurtres perpétrés par Kean.

Heureusement, au milieu de cette pestilence  (au sens propre puisqu’au cœur de l’affaire on trouve un élevage industriel de porcs et un lisier à l’odeur abominable), il y a la rencontre avec Chitra,  une belle jeune fille  d’origine indienne dont il est amoureux, qui vient adoucir l’infernal carrousel des coups tordus, menaces de morts, agressions diverses auquel  Lemuel  Atlick est confronté et qu’il affronte bien malgré lui avec le soutien de Melford. ..

 Melford Kean, qui est-il réellement, cet  assassin qui lit Michel Foucault et, dans ses discussions avec Lem,  cite les structuralistes et Althusser,  qui analyse, d’une façon argumentée et pertinente toute la perversité du système carcéral américain… ? 
Tout comme le héros du roman, le lecteur s’interroge. L’auteur glisse quelques indices qui nous mettent (croyons-nous) sur la voie. Mais Kean  ne cache-t-il pas son jeu ?

Jusqu’au bout du roman nous aurons des doutes, des incertitudes. En ce sens, David Liss maitrise parfaitement les codes du roman de suspense. En effet, même si l’assassin éthique n’est pas que cela (un roman de suspense), il l’est aussi, et d’une belle manière  !
Cependant, le jeune âge du narrateur ainsi que  sa rencontre avec un homme plus mûr et expérimenté  en fait également un roman d’initiation à la vie, aux rapports humains, à une réflexion sur le monde qui nous entoure. Le roman fourmille de dialogues de ce type :

« –  Ça te rend heureux, cette croisade en faveur des animaux ?
Melford secoua la tête.
– Est-ce que le fait de venir en aide aux personnes malades, de s’inquiéter du sort de ceux qui souffrent, est à même de rendre quelqu’un heureux ? Est-ce que le fait d’offrir un soutien aux lépreux du Soudan me rendrait heureux ?Je ne crois pas. Le but n’est pas d’accéder au bonheur. Le but est de se positionner par rapport au monde qui nous entoure, de trouver un équilibre, et c’est une chose bien plus essentielle que le bonheur
 ».

Vous l’avez compris, j’ai dévoré ce thriller  décapant, drôle, intelligent, avec la même voracité qu’un  végétarien affamé aurait pu dévorer unes escalope de blé  complet bio par après une semaine de jeûne.  Je vais maintenant m’empresser de lire les deux autres roman de l’auteur : une conspiration de papier et le marchand de café

Je serais très surpris d’être déçu !

Jacques,  lectures et chroniques

L’assassin éthique
David Liss
JC Lattès (janvier 2012)
450 p ; 22 €


 

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