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14/04/2012

Les soldats de papier, de Marc Charuel (chronique 2)

soldats_de_papier.jpgUne chronique de  Paul.

Octobre 1992. Des soldats « oublient » de rentrer de permission au camp de Saint-Cyr Coëtquidan dans le Morbihan. Le lieutenant de réserve Geoffroy de la Roche, psychologue dans le civil et plus particulièrement en charge de délinquants dits difficiles, se voit confier la délicate mission de procéder à un débriefing afin de comprendre, d’analyser, d’annihiler cette vague de désertion et éventuellement de retrouver les disparus. Pour cela le général Amaury Chastaing de Lesgrée, que nous appellerons désormais Lesgrée tout simplement, lui adjoint deux adjudants de la sécurité militaire, Dumoulin et Raskovic, tout en lui demandant de ne pas ébruiter l’affaire. Cela doit rester entre eux, l’honneur de la Grande Muette étant en jeu.

Bizarrement ces désertions sont similaires à d’autres événements qui se sont déroulés en 1981 à Pau. D’ailleurs Lesgrée remet un dossier à La Roche. Cinq noms, cinq évaporations dans la nature, cinq disparitions qui n’ont jamais été résolues. Or ce dossier est incomplet car n’y figure pas le nom du frère du psychologue qui lui-même a disparu un beau jour, ne donnant plus de ses nouvelles.

Entre Dumoulin et Raskovic, ce n’est pas le grand amour, c’est le moins qu’on puisse dire. Si Dumoulin accepte plus ou moins bien la présence de La Roche, Raskovic l’ignore, le traitant avec mépris, lui l’officier de réserve qui n’a obtenu ses galons que grâce à des examens et non à des faits de guerre. L’ombre de la guerre bosniaque plane sur ses épaules et dans sa tête. Pour eux La Roche n’est qu’un soldat de papier, en référence aux tigres de papiers comme étaient surnommés les combattants américains par les Viêt-Cong. Une inefficacité bruyante.

Durant la nuit de son arrivée, un soldat est à nouveau porté manquant alors qu’il participait à une marche nocturne. Seul son paquetage a été retrouvé non loin des camions qui devaient rapatrier les hommes. La mission de La Roche commence sous de sombres auspices d’autant qu’il a bien du mal à gérer les deux hommes qui n’en font qu’à leur tête, se vouant une haine prononcée l’un envers l’autre.

Malgré l’hostilité et la mise en garde de Lesgrée qui ne veut pas parler de disparition mais bien de désertion, La Roche se renseigne auprès des rares camarades du fuyard. Or le portrait qu’ils en font ne correspond nullement à la note passe-partout du général. Zemourian, le volatilisé, est décrit par ses compagnons comme quelqu’un de timide, sans résistance durant les manœuvres, toujours à la traîne. D’ailleurs c’est un des soldats qui a aidé à porter le sac à dos de Zemourian qui avançait quelques mètres derrière eux jusqu’à ce qu’ils le perdent de vue. Or il est difficilement compréhensible dans ce cas que Zemourian ait pu se carapater dans la nature alors qu’il était à bout de force, de marcher encore durant des kilomètres avant de rejoindre la route pour une éventuelle prise en auto-stop.

Dans le dossier concernant les défections de Pau remis par Lestrée, il relève le nom du frère de Raskovic. Et à chaque fois les disparitions étaient enregistrées un vendredi soir, au début de la permission. Ce qui est pour le moins bizarre car les déserteurs se rendent d’abord dans leurs familles avant de se volatiliser. Les parents et connaissances des trouffions n’en ont plus jamais entendu parler et rares sont ceux qui ont demandé des comptes aux responsables militaires. La Roche rencontre également l’aumônier du camp, un prêtre qui ingurgite le whisky comme s’il s’agissait d’eau, et apprend que celui-ci était en poste à Pau au moment des disparitions. Selma, la mère d’un des déserteurs et d’origine bosniaque, se manifeste au grand dam de Lestrée. D’ailleurs celui-ci ne veut en aucun cas entendre parler de disparitions mais affirme qu’il s’agit de désertions. Faut-il le répéter à satiété ? Point. Grâce à une connaissance, La Roche reçoit par fax des éléments nouveaux, mais cela ne plait pas du tout au général ni à ses adjoints car selon eux il dépasse le cadre de sa mission.

Les cauchemars commencent à perturber La Roche, il revoit son frère dans ses rêves, un frère qui semble avoir besoin de lui, qui lui fait signe à bord d’un camion. Et un fragment de photo est glissé sous son oreiller, fragment représentant une partie de corps humain en lequel il reconnait son frérot. D’autres morceaux de la photo sont distribués à ses adjoints qui sous des dehors bravaches semblent ressentir une peur diffuse que ne peut s’expliquer La Roche qui a bien l’intention de ne pas abandonner son enquête, comme le souhaite et même l’exige le général.

Ce roman trouve son épilogue en ex-Yougoslavie, dans les affrontements entre Bosniaques, Serbes et Croates, mais avant cela La Roche connaitra bien des vicissitudes, mais aussi de petites joies qui seront vite balayées par les événements. Les soldats de papier est l’un des rares romans dans lequel l’armée est personnage à part entière. Il nous est arrivé de lire des romans de guerre ou autres dans lesquels des militaires sont impliqués, et qui étaient un hommage, une apologie presque des combattants, mettant en valeur leur courage. Mais là il s’agit de mettre en exergue une école militaire prestigieuse en vedette, en temps de paix, et de démontrer la grande complicité, la collusion, la coalition des militaires, les engagés, du haut de l’échelle jusqu’en bas. La grande famille des soldats de métier, qui se serrent les coudes lorsqu’un pépin, une avarie, une avanie se greffent sur leur honneur. Tout le monde se serre les coudes, tout le monde réfute qu’un problème majeur puisse exister. Quitte à mentir, à tricher, à truquer des rapports, des déclarations. De nier l’évidence. Il est plus simple de parler de désertions que de disparitions afin d’éviter de jeter l’opprobre sur une institution, et sur ses membres. Et le lecteur se remémorera sans peine l’affaire des disparus de Mourmelon.

Mais le plaisir de la lecture est décuplé lorsque le lecteur connait les lieux qui sont décrits dans l’ouvrage. Ainsi dans les années cinquante, tous les ans je passais mes vacances d’été dans un hameau non loin du camp de Saint-Cyr Coëtquidan et les images me sont revenues en nombre. L’entrée du camp avec sa guitoune pour y accéder, le village de Bellevue qui s’étire tout en longueur, la chapelle où m’emmenait parfois ma grand-mère pour assister à la messe dominicale (nul n’est parfait), le cinéma où j’ai découvert les premiers épisodes de Zorro (films en noirs et blanc avant que la télé les diffuse), le Triomphe des Saint-Cyriens fin juillet avec reconstitutions d’épisodes guerriers et de batailles historiques avant l’éclosion des parcs de loisirs, le photographe de Bellevue et dans la vitrine les nombreux portraits de militaires coiffés du casoar, les cafés… Au fait, le nom de la commune dont dépend Bellevue et ses environs : Guer (prononcez guerre), ça ne s’invente pas !

Paul (Les lectures de l'oncle Paul)

 

Une autre chronique sur ce roman, celle de Jacques.

Les soldats de papier
Marc Charuel
Albin-Michel
464 p
21,90 €

Présentation de l'éditeur

Ecole Saint-Cyr, Coëtquidan.
Depuis plusieurs semaines, les désertions se multiplient. Geoffroy, psychologue dans le civil et lieutenant de réserve dans l’armée de Terre, se voit confier la mission d’y mettre un terme en sondant discrètement les soldats. Il prend d’autant plus l’affaire à coeur que cette vague de disparitions ressemble à celle survenue à Pau, dix ans plus tôt, au cours de laquelle son propre frère a disparu. Il doit faire équipe avec deux adjudants de la sécurité militaire, collaboration qui se révèle très vite difficile. Menée par un réserviste, l’enquête ne l’est pas moins, les militaires craignant que Geoffroy salisse l’image de l’armée. L’investigation bascule dans l’horreur lorsque chacun des trois hommes reçoit un morceau de photo d’un corps supplicié : celui du frère de Geoffroy…
Huit hommes manquent désormais à l’appel, et Geoffroy est convaincu que le tueur fait partie de l’école de Coëtquidan…
Inspiré par l’affaire du camp de Mourmelon, un thriller redoutablement efficace où l’on retrouve la patte de Charuel.

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