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13/04/2012

Les soldats de papier, de Marc Charuel.

soldats_de_papier.jpgUne chronique de Jacques.

Je dois l'avouer : j’ai été bluffé par la puissance de cet extraordinaire roman, d’une densité et d’une force étonnantes, qui allie qualité d’écriture et sens aigüe du suspense à une grande subtilité dans l’analyse psychologique des personnages.

Les soldats de papier s’inspire très librement d’une affaire célèbre, qui a trouvé sa conclusion en 2003 avec le suicide l’adjudant-chef Pierre Chanal : celle des disparus de Mourmelon. Rappelons que huit personnes avaient disparu entre 1980 et 1990, dans une zone proche du camp militaire de Mourmelon où Pierre Chanal était affecté. Plusieurs militaires, des appelés du contingent, s’étaient  volatilisés alors qu'ils faisaient du stop dans cette zone, et l’armée, pour éviter toute enquête, avait à l’époque estimé que les « disparus » étaient en réalité des déserteurs. La suite devait montrer que ce n’était pas le cas, et qu’il s’agissait en réalité d’assassinats monstrueux perpétrés par un homme considéré par sa hiérarchie comme un grand soldat, irréprochable.

Des « désertions » hypothétiques sont également le point de départ du roman, dont l’histoire  ne se déroule pas à Mourmelon mais à Coëtquidan, en Bretagne, dans l’un des plus prestigieux régiments de France. Nous sommes au début des années 1990. Geoffroy de la Roche, jeune psychologue dans le civil et lieutenant de réserve y est affecté par l’armée qui lui demande de comprendre, peut-être pour l’enrayer, une vague de désertions qui se sont produites dans le régiment depuis quelques mois.

Il se trouve que dix ans plus tôt, le frère de Geoffroy, lui aussi jeune militaire, avait disparu de son régiment à Pau, et avait été considéré comme déserteur. A l’époque, d’autres jeunes soldats du contingent (« de la main d’œuvre saisonnière, des soldats de papier », selon le mot d’un des personnages) avaient également disparus, et l’Etat Major, pour étouffer l’affaire avait parlé d’une vague de désertions.

Très vite Geoffroy comprend que le « poireau » (le général responsable du régiment en argot militaire), qui était en fonction à Pau au moment des premières disparitions, n’a qu’un souci :  étouffer à nouveau l’affaire en lui demandant de confirmer la thèse officielle : les soldats disparus ont déserté à nouveau, comme dix ans plus tôt à Pau.

Convaincu que son frère, dont l’esprit militaire était indiscutable,  n’avait pas déserté, le jeune psychologue tente de comprendre ce qui s’est réellement passé et va se heurter au général, mais aussi à Dumoulin et Raskovic, deux adjudants qui sont censés l’aider dans sa tâche mais qui, pour d’obscures raisons, lui mettent des bâtons dans les roues.

Dès le prologue, nous savons qu’un tueur fou commet des crimes sexuels puis assassine ses victimes d’une façon sadique. Ce tueur apparaît de façon régulière dans le cours de l’histoire et nous comprenons rapidement qu’il est lui-même un militaire. Par la description précise que nous en fait l’auteur, nous savons aussi qu’il est même un des militaires que côtoie Geoffroy, et nous devinons sans peine lequel. Le lecteur possède ainsi un avantage sur le narrateur-enquêteur et héros de l’histoire, puisque nous avons toujours un temps d’avance sur lui.

Ce procédé, loin d’être un obstacle au suspense, permet au contraire, d’une façon très habile, de l’exacerber. Le héros, au fur et à mesure qu’il va s’approcher de la solution, va se trouver en danger, menacé à tout moment d’être exécuté par le tueur qui est au courant des avancées de l’enquête et se sent en danger. A chaque instant, le lecteur a ainsi envie de lui dire : « mais tu ne vois pas qu’il faut te méfier de celui-ci ? ».

Geoffroy de la Roche, admirateur des valeurs militaires par tradition familiale, n’est pas un super-héros fort en gueule et rouleur de mécanique, mais un intellectuel qui a ses fragilités, ses failles, dont la moindre n’est pas la disparition de son frère qu’il admirait et aimait et dont le souvenir lui laisse une blessure qui semble inguérissable. Il est capable de se laisser humilier sans rien dire par les deux militaires censés l’aider dans son enquête,  comme de montrer à d’autres moments courage et ténacité. Le personnage du tueur, admiré par certains, détesté et craint pas d’autres, est particulièrement fort, et Marc Charuel s’est de toute évidence servi des rapports que les psychiatres  ont établis sur Pierre Chanal pour le montrer dans toute sa complexité, sa brutalité, ses aspects les plus effrayants. Même travail subtil pour les personnages secondaires de Dumoulin, du général de Lesgrée, du curé du régiment avec qui Geoffroy sympathise ou de Selma, la mère de l’un des jeunes disparus qui va jouer un rôle central dans l’histoire : tous ces personnages sont aussi forts dans leurs caractérisation que crédibles, et ils ne versent jamais dans la caricature.

Le souvenir de Selma, d’origine yougoslave et qui est repartie dans son pays natal après une histoire d’amour avec Geoffroy, va entraîner ce dernier, à la fin du roman, dans la Bosnie  en guerre des années 1990 où l’histoire va trouver là son dénouement brutal et tragique.

Ce roman laisse au lecteur l’empreinte forte, sans doute indélébile, des grands romans dont les personnages sombres et complexes  marquent à jamais notre mémoire. Marc Charuel est vraiment un auteur à découvrir, et si ce n’est pas déjà fait, tentez l’aventure : je prends le pari que vous ne le regretterez pas !

Jacques, (lectures et chroniques)

Une autre chronique sur ce roman, celle de Paul

Les soldats de papier
Marc Charuel
Albin-Michel
464 p
21,90 €

Présentation de l'éditeur

Ecole Saint-Cyr, Coëtquidan.
Depuis plusieurs semaines, les désertions se multiplient. Geoffroy, psychologue dans le civil et lieutenant de réserve dans l’armée de Terre, se voit confier la mission d’y mettre un terme en sondant discrètement les soldats. Il prend d’autant plus l’affaire à coeur que cette vague de disparitions ressemble à celle survenue à Pau, dix ans plus tôt, au cours de laquelle son propre frère a disparu. Il doit faire équipe avec deux adjudants de la sécurité militaire, collaboration qui se révèle très vite difficile. Menée par un réserviste, l’enquête ne l’est pas moins, les militaires craignant que Geoffroy salisse l’image de l’armée. L’investigation bascule dans l’horreur lorsque chacun des trois hommes reçoit un morceau de photo d’un corps supplicié : celui du frère de Geoffroy…
Huit hommes manquent désormais à l’appel, et Geoffroy est convaincu que le tueur fait partie de l’école de Coëtquidan… 
Inspiré par l’affaire du camp de Mourmelon, un thriller redoutablement efficace où l’on retrouve la patte de Charuel.

Commentaires

Oui, un thème original tiré d’un triste et incroyable fait divers ; oui, un récit bien écrit et bien ficelé avec des personnages qui ont une existence…
Mais … le côté "plaisir de la lecture" n’est pas vraiment satisfait pour moi.
En premier lieu, il est difficile de s’identifier au narrateur dont la personnalité est tiraillée entre une forte et courageuse détermination et une incroyable pleutrerie face aux quolibets qu’il subit de la part de ses adjoints. Comment peut on rester dans l’armée en se faisant traiter de la sorte non seulement par les supérieurs hiérarchiques (là, c’est un grand classique) mais également par ses subordonnés ? Comment le narrateur peut-il décider de continuer à solliciter leur aide alors que l’un deux ne cesse de le traiter de moins-que-rien et de lui donner des ordres ? la vraisemblance du personnage principal est difficile à intégrer, au regard de sa quête obstinée de la vérité.
En second lieu, l’histoire n’en finit pas de rebondir, comme si l’auteur reculait le moment du face à face narrateur/tueur. Nous savons que ce face à face aura lieu mais nous devons passer par la guerre serbo croate pour qu’il se réalise. Sans parler des meurtres qui précèdent ce voyage. Bref, un récit interminable, et dont l’auteur aurait pu supprimer les péripéties finales pour le centrer sur cette histoire fort intéressante de Mourmelon. Cela étant, le vrai mystère de Mourmelon inclut une part restée obscure : par quels mécanismes cette armée a-t-elle pu protéger un tueur en série issu de ses rangs ? et comment la recherche de la vétrité a-t-elle pu enfin émerger?
cordialement
Albertine

Écrit par : albertine | 22/04/2012

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