04/10/2012
Un avion sans elle, de Michel Bussi (chronique 3).
La miraculée du Mont Terrible.
Une chronique de Christophe.
Un peu mélodramatique, comme titre, peut-être… Mais qui colle parfaitement au roman dont nous allons parler maintenant. Encore un roman où un manuscrit joue un grand rôle dans l’intrigue. Pas un roman, comme dans « Opération Fleming », mais un journal, cette fois-ci, un cahier à couverture verte retraçant une enquête longue et pénible mais qui apportera les indices au protagoniste principal, pour découvrir la vérité sur des évènements qui ont bien abîmé, détruit même, les membres de deux familles… Attachez vos ceintures, éteignez vos cigarettes, nous embarquons dans « Un avion sans elle », le nouveau thriller de Michel Bussi (en grand format aux Presses de la Cité).
Le 22 décembre 1980, l’avion de ligne reliant Istanbul à Paris est pris dans une tempête de neige au-dessus des monts du Jura. Un incident qui tourne bientôt à la catastrophe quand l’Airbus s’écrase sur les pentes du tristement bien nommé Mont Terrible. Le bilan est épouvantable : 168 des 169 passagers et membres d’équipage sont tués dans le crash. Seule survivante, une fillette, un nourrisson, même, miraculeusement éjectée de la carlingue et sortie indemne de cet enfer…
Dès le lendemain, « L’Est Républicain » met la catastrophe à sa une, insistant sur ce véritable miracle de la survie du bébé. Aussitôt, une famille, celle de l’industriel Léonce de Carville, se manifeste. Dans l’avion se trouvait le fils de Léonce et Mathilde de Carville, accompagné de sa femme et de leur bébé, Lyse-Marie, née à peine 3 mois plus tôt. Installés en Turquie, ils venaient à Paris pour fêter Noël en famille. L’autre fille du couple, Malvina, 6 ans, était partie quelques jours avant, par un autre avion, et se retrouve orpheline, chez ses grands-parents…
Les autorités sont prêtes à remettre le bébé à ses grands-parents quand une deuxième famille prend contact avec elles. Pierre et Nicole Vitral, un couple vivant à Dieppe, où ils tiennent une baraque à frites ambulante, demandent des nouvelles de leur petite-fille, Emilie, âgée de 3 mois à peine, qui se trouvait elle aussi dans l’avion avec ses parents, qui rentraient d’un voyage en Turquie gagné lors d’un concours.
Vérification faite, il y avait bien deux familles ayant une fillette de 3 mois dans le vol Istanbul/Paris… Quel imbroglio ! Comment savoir à quelle famille appartient « la miraculée du Mont Terrible », comme a titré « L’Est Républicain », ou celle que la presse nationale surnommera bientôt Libellule (une allusion au texte de la chanson de CharlElie Couture, « comme un avion sans aile ») ?
C’est la justice qui est alors saisie pour trancher cet épineux cas de droit. Face à elle, deux familles aussi différentes qu’on peut l’imaginer, une vraie lutte des classes en plus de la lutte pour la garde de l’enfant : les Carville sont une famille richissime, Mathilde est une héritière fortunée qui a mis l’argent familial à la disposition de son époux pour monter une grosse entreprise du secteur pétrolier ; les Vitral, eux, sont des militants communistes vivant chichement des revenus incertains que la vente de frites, gaufres et autres beignets leur procure…
Les premiers ont des moyens illimités, grâce auxquels ils ont engagés les meilleurs juristes et vont même chercher à influencer les décisions des magistrats ; les seconds sont assistés par un jeune avocat aux dents longues qui va réussir l’impensable : piéger la partie adverse avec un détail a priori sans importance, l’absence d’une luxueuse gourmette offerte au nourrisson par ses grands-parents Carville…
Officiellement, « la miraculée du Mont Terrible » s’appelle donc Emilie Vitral ; Lyse-Marie de Carville, elle, est décédée dans le crash de l’Airbus avec 167 autres personnes. Une décision ferme de la justice qui aurait dû mettre un terme à cette délicate affaire. Mais, les Carville ne sont pas du genre à renoncer aussi facilement.
Mathilde de Carville engage un détective privé, Crédule Grand-Duc (si, si, c’est son vrai nom !) avec pour mission de suivre toutes les pistes possibles afin d’identifier le bébé. Quelle que soit son identité, Carville ou Vitral, mais des preuves suffisantes afin d’être certain à 100% du nom à donner à l’enfant.
Pour mener à bien cette mission complexe, Mathilde de Carville donne… 18 ans maximum ! Quoi qu’il arrive, l’enquête sera bouclée fin septembre 1998, à l’anniversaire marquant la majorité de sa petite-fille Lyse-Marie (née à quelques jours d’écart par rapport à Emilie Vitral). Et la riche héritière s’engage, en échange de ses services, à verser à Crédule Grand-Duc la somme annuelle de 100 000 francs (sans les frais !)… Difficile de refuser un tel marché.
Ce que Grand-Duc ignore encore à cet instant, c’est que cette enquête va phagocyter son existence pendant 18 années, au point de le pousser à la dépression, au désespoir le plus sombre. D’ailleurs, quand s’ouvre le roman, fin septembre 1998, à quelques minutes de boucler définitivement l’affaire de sa vie, Crédule Grand-Duc s’apprête à mettre fin à ses jours, détruit par son échec.
Mais, alors qu’il tient son arme en main, à son bureau, posée dessus la fameuse une de « L’Est Réublicain » du 23 décembre 1980, lendemain du crash, alors que son doigt se pose sur la détente, Grand-Duc a comme une illumination : ce qu’il cherchait depuis 18 ans vient de lui sauter aux yeux, l’élément-clef jusque-là resté introuvable lui est apparu…
Mais, quelques jours à peine, alors qu’il a remis le journal de son enquête, forcément incomplet, à Emilie Vitral, afin qu’elle en sache le plus possible sur son identité, à défaut de connaître la vraie avec certitude, Grand-Duc est assassiné…
De son côté, Emilie, que tout le monde appelle Lylie, un diminutif rassemblant à la fois le prénom Emilie et le prénom Lyse-Marie, a lu le journal de Grand-Duc et reste dans le flou. Flou qu’elle communique un matin à son frère aîné, Marc Vitral, de qui elle est inséparable depuis leurs « retrouvailles », 18 ans plus tôt. Mais, à peine a-t-elle remis à Marc ce texte si important pour les membres des familles Vitral comme Carville, que Lylie disparaît, laissant un message à Marc qui ne peut qu’inquiéter le jeune homme.
Celui-ci veut retrouver sa sœur au plus vite, avant qu’elle ne commette l’acte irréparable qu’elle sous-entendait dans son message. Pour cela, il doit comprendre ce qui pousse Lylie à agir ainsi et la solution ne peut se trouver que dans le journal de Grand-Duc. Une lecture hachée par les évènements commence, une lecture qui va entraîner Marc dans une enquête encore plus trouble qu’il n’y paraît, car ces 18 dernières années, si elles n’ont pas débouché sur une solution fiable, ont connu leur comptant de rebondissements…
Une situation aggravée par la découverte par Marc du corps de Grand-Duc, un assassinat qui vient compliquer encore un peu plus le dénouement de l’enquête sur la miraculée du Mont Terrible… Qui a tué Grand-Duc et pour quelles raisons ? Son enquête a-t-elle débouché sur des conclusions qui pouvaient nuire à quelqu’un au point de l’empêcher de parler ? Une troisième partie aurait-elle intérêt à ce que Lylie reste une jeune femme à jamais coincée entre deux identités, deux familles ?
Voilà l’enjeu de l’enquête que va reprendre Marc point par point pour essayer de rattraper 18 ans de retard sur Grand-Duc et comprendre en quelques jours à peine, avant que Lylie ne fasse une terrible bêtise qu’elle regretterait le restant de ses jours, ce qui a pu provoquer une telle accélération dramatique des évènements.
Michel Bussi distille les rebondissements avec une grande habileté. Au point de faire pester son personnage, puisque, clin d’œil amusant, Marc en vient, en cours de lecture, à reprocher à Grand-Duc le style de son journal, trop alambiqué, ce qui donne l’impression qu’il a voulu « structurer le récit de son enquête comme on structure un roman policier. »
Entre les évènements que découvre Marc au fil de sa lecture et les actes qui le poussent à aller à la rencontre des familles Carville et Vitral pour éclaircir certains points, le puzzle semble aussi bien s’assembler que se complexifier. D’autres morts suspectes apparaissent, passées et présentes, et contribuent à rendre la tension du roman plus palpable.
Mais l’on découvre aussi que tous les personnages impliqués ont des côtés obscurs… Que ce soit Mathilde de Carville, maîtresse femme, déterminée à connaître la vérité coûte que coûte, son époux, moins à cheval sur la morale que sa très catholique conjointe, leur fille, Malvina, qui a beaucoup souffert des évènements et en est sorti dans un état mental plus que fragile, aux limites de la folie (« une tueuse en série imaginée par la Comtesse de Ségur », écrit même Bussi à son sujet…).
Même du côté Vitral, il y a quelques secrets qui traînent, peut-être moins inavouables mais restés enfouis. La relation ambiguë entre Lylie et Marc, plus vraiment en phase avec la fraternité, une vie qui n’a pas épargné Nicole Vitral au long de ses années, au point qu’elle a omis de signaler quelques éléments à ses petits-enfants, sans doute pour ne pas perdre plus que ce qu’elle a déjà perdu… Lylie elle-même, qui joue les cachotières, en ne disant rien clairement de ses intentions…
Bref, comme Marc, comme Grand-Duc, comme tout le monde, le lecteur navigue dans un brouillard épais qui va finir par se dissiper dans un dénouement plein de rebondissements et de révélations. Certaines pourront sembler prévisibles aux plus perspicaces, sans pour autant nuire à la trame du livre, je pense, car l’ultime secret, lui, est bien gardé jusqu’aux dernières pages.
Bussi construit une symétrie imparable dont l’axe est Lylie : ses « deux » familles sont aussi différentes que leur structure se ressemble. Alors que les Carville et les Vitral sont diamétralement opposées sur le plan social, les deux familles sont menées par des fortes femmes, privées de leur conjoint depuis que cette histoire a débuté, privé de leur fils unique, se retrouvant avec une petite fille pour les Carville et un petit-fils pour les Vitral à charge, en plus du cas Lylie… Des petits-enfants, jeunes au moment du drame, et qui ont eu bien du mal à vivre avec sur les épaules le poids de l’incertitude.
La manière dont les évènements ont poussé les membres de ces deux familles à évoluer, à grandir, en ce qui concerne les plus jeunes, à mettre parfois entre parenthèses leurs valeurs, vendant quelque part leur âme au diable afin de savoir, quoi qu’il en coûte, est très intéressant. Les bras de fer entre Léonce de Carville et Pierre Vitral, entre Mathilde de Carville et Nicole Vitral, enfin, entre Malvina de Carville, véritable énigme, espèce de bombe à retardement quasiment incontrôlable, sont rudes, à la hauteur de l’enjeu et des différences sociales entre ces familles, qui mettent encore un peu plus d’huile sur le feu.
Paradoxalement, et, là encore, de façon très habile, le personnage sur lequel on en sait le moins, c’est Lylie elle-même, pourtant au centre de toute cette affaire. Pire (ou encore mieux, selon où l’on se place), les rares éléments dont on dispose au sujet de la miraculée devenue grande entretiennent les doutes, les questions…
Ah oui, vous allez me dire : mais, en 1998, on savait analyser l’ADN ? Quelques gouttes de sang, et hop !, plus de doute ! C’est vrai, l’ADN tient aussi un rôle dans cette étrange histoire, mais avouez que cela aurait été trop simple ! Comme si la vérité, pourtant indispensable pour apaiser les deux familles, permettre aussi de faire les deuils nécessaires, était devenue après 18 ans, insupportable. Comme si, malgré elle, Lylie avait trouvé une place au sein des deux familles qui se disputent pour elle, comme si leur envie s’était érodée avec le temps passé…
« Un avion sans elle » est un roman qui tient en haleine sur 530 pages, un suspense à plusieurs niveaux : celui du journal, celui des évènements se déroulant en 1998 et la question fondamentale : qui est vraiment Lylie ?
Des questions qui vont trouver leurs réponses, non sans laisser de traces indélébiles chez tous les protagonistes. Difficile de savoir si la vérité saura apaiser les blessures de 18 ans de vies non dénuées de violence, d’espoirs et de désespoirs, de doutes et de joies, de certitudes et de remises en cause… Mais il est certain que Lylie, elle, saura enfin qui elle est vraiment et pourra enfin commencer à vivre sous une identité propre et indéniable.
Malgré tout, ce qu’elle aura vécu, presque par procuration, puisque les faits décisifs ont tous eu lieu dans sa jeune enfance, laissera forcément des traces et, en cela, elle est un personnage extrêmement touchant.
« Un avion sans elle », c’est un peu le versant dramatique de « La vie est un long fleuve tranquille ». Là où Chatilliez utilisait les différences sociales pour nous proposer une satire aussi drôle que féroce, Bussi, lui, utilise un argument voisin pour tisser un thriller efficace et haletant.
Je n’avais encore lu aucun livre de cet auteur, par ailleurs professeur à l’université de Rouen, mais « Un avion sans elle » risque bien de me donner envie, d’ici peu, d’aller jeter un œil sur certains de ses précédents romans, comme « Omaha Crimes » ou « Nymphéas noirs », deux thrillers bardés de récompenses et de prix (ce qui est aussi le cas du présent ouvrage, « Prix des Maisons de la presse 2012 », comme indiqué en couverture).
Ne soyez donc pas étonnés de retrouver bientôt sur ce blog des billets consacrés à cet auteur. A bon entendeur, salut !
Christophe
(http://appuyezsurlatouchelecture.blogspot.com/)
A lire :
– la chronique de Christine sur ce roman.
– La chronique de Paul sur ce roman
Un avion sans elle
Michel BUSSI
Collection Terres de France
éditions Presses de la Cité.
544 pages. 22€.
11:21 Publié dans 01. polars francophones | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | |
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