10/07/2013
Donne-moi ton cœur, de James Hayman
Une chronique de Jacques.
Cet excellent roman de suspense s’inscrit dans la grande tradition des thrillers anglo-saxons, de John Verdon à Casey Hill, en passant par Karin Slaughter... et quelques autres : celle des flics enquêtant sur un tueur en série. Encore qu’ici, comme nous le verrons, la question d’un tueur unique ou d’une bande organisée va très vite se poser, puisque l’intrigue va se jouer aussi sur cette question.
Quoi qu’il en soit, cette tradition a également influencé des auteurs français, ou plus généralement européens, depuis Bernard Minier jusqu’à Sebastian Fitzek ou Jussi Adler-Olsen. Or, même si la recette de ce type de thriller semble simple, elle ne doit pas être si facile à mettre en œuvre, car on ne compte pas les tentatives avortées ou donnant des résultats médiocres. Quels en sont les ingrédients de base et comment James Hayman les applique-t-il à son roman ?
En tout premier lieu, il faut un assassin qui soit à la hauteur. Celui-ci doit répondre à une double exigence : être totalement allumé, comme tout bon tueur en série qui se respecte, mais aussi – et surtout – exceptionnellement intelligent. Ce dernier point est vital pour que notre détraqué donne du fil à retordre aux flics qui le pourchassent. Ainsi, nos enquêteurs, reprenant à leur compte le célèbre vers de Corneille « à vaincre sans péril on triomphe sans gloire », pourront démontrer aux lecteurs l’étendue de leurs qualités humaines et de leur compétence professionnelle.
Après le tueur, le flic, où plutôt LES flics. En effet, il est préférable d’avoir un couple d’enquêteurs plutôt qu’un flic solitaire. Mais là encore, il ne faut pas faire n’importe quoi : des limiers de sexe différent sont conseillés, une bonne histoire d’amour, où à la rigueur de sexe, pouvant pimenter agréablement la sauce. Hayman échappe à ce poncif avec ses deux personnages principaux : Michael McCabe et Maggie Savage.
Le premier, inspecteur talentueux heureusement pourvu d’une mémoire eidétique, est passé en dix ans de la fonction de patrouilleur à celle de chef du service des homicides d’un district de New York. Il exerce maintenant dans l’état du Maine, ou il vit une histoire d’amour heureuse avec Kira, une artiste peintre, et il est aussi le papa attentionné d’une petite fille, Casey.
La deuxième, sa compétente coéquipière Maggie Savage, semble plus ou moins amoureuse de lui. Mais nous comprenons vite qu’entre eux rien ne se passera, même s’ils s’apprécient.
Les deux ingrédients de base (flics et tueur) étant donnés, les sauces peuvent être diverses. La plus utilisée dans les thrillers contemporains consiste à introduire dans l’histoire un individu que nos héros doivent tirer des griffes perverses du tueur, de préférence avant qu’il ne soit salement occis. La personne idéale à sauver est tout naturellement un enfant. Quoi de mieux pour susciter chez le lecteur une compassion maximale ?
Si aucun enfant n’est disponible dans le stock de l’auteur, une toute jeune fille fragile et sensible, ou à la rigueur une jeune maman sont à envisager. À éviter absolument : un macho antipathique et rouleur de mécanique, vis-à-vis de qui le lecteur n’éprouverait aucune empathie. Rassurez-vous : James Hayman ne tombe pas dans ce piège grossier !
Comme la qualité du résultat dépend du talent de chaque auteur et des épices qu’il va choisir, nous pouvons nous demander ce que nous propose d’original l’auteur de Donne-moi ton cœur, qui pourrait le différencier (en mieux) de certains de ses collègues.
Tout d’abord, ses personnages ont une épaisseur indéniable et évitent les caricatures. James Hayman se révèle aussi particulièrement doué pour croquer les lieux, les situations ainsi que les personnages n’ayant qu’un rôle secondaire, ce qui lui permet de rendre son histoire plaisante et rend la lecture du roman particulièrement attrayante. De plus, les détails qui permettent la progression de l’enquête sont soigneusement travaillés, un peu à la manière d’un Michael Connelly ou d’un Hennig Mankell. Rien n’est laissé au hasard et l’ensemble donne l’impression d’une mécanique bien huilée, le lecteur progressant dans sa compréhension des différentes pistes au rythme des enquêteurs.
L’intrigue, si elle est solidement construite, est sans surprise notable : d’ailleurs sur ce plan, est-il encore possible pour un auteur de surprendre ses lecteurs ? Sans doute pas, tellement les pires situations semblent déjà avoir été imaginées ! Mais ici le talent de l’auteur pour la mettre en œuvre, décrire les situations et accrocher le lecteur à ses personnages est incontestable.
L’enquête : au départ, le corps d’une jeune fille de seize ans est retrouvé sur un terrain vague, et son cœur a été prélevé chirurgicalement. Une autre jeune femme disparait et la présomption est grande que le même tueur soit à l’origine de l’enlèvement. Premier élément de suspense : cette deuxième jeune femme doit être retrouvée avant que le ou les tueurs ne prélève (nt) son cœur.
Le tueur a visiblement d’excellentes connaissances médicales : prélève-t-il le cœur pour pratiquer des greffes illégales et sauvages (avec la complicité de toute une équipe médicale) ou bien s’agit-il d’un tueur en série ? À moins qu’il ne s’agisse... d’un mélange des deux ? Cette question, qui reste longtemps en suspens, est un des points forts du livre et la solution trouvée par l’auteur évite, là aussi, les clichés de bien des romans du genre.
Au total, James Hayman, qui signe là son premier roman, a réussi un coup de maitre. Ce Donne-moi ton cœur nous révèle un auteur de talent, que nous devrons suivre avec toute l’attention qu’il mérite.
Donne-moi ton cœur James Hayman Editions Archipel Collection Suspense 418 pages ; 22 €
03:50 Publié dans 02. polars anglo-saxons | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : hayman, coeur, donne, archipel, greffe | Facebook | |
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