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19/12/2013

Yeruldelgger, de Ian Manook

9782226251947g[1].jpgUne chronique de Jacques.

Le polar, phénomène quasi mondial, permet mieux que d’autres genres littéraires d’appréhender les cultures, les sensibilités et les problèmes sociaux et politiques des différents pays du monde, tout en nous offrant un dépaysement et un exotisme qui sont une valeur ajoutée incontestable au plaisir que peut procurer un bon roman. Entre Johan Theorin et Janis Otsiemi, entre la Suède et le Gabon, l’amateur de polars vit avec bonheur un grand écart intellectuel et littéraire qui le fait naviguer imaginairement entre le Gabon et la Suède, tout comme il peut voyager entre l’Écosse et la Chine en passant de Ian Rankin à He Jiahong. Et quand la qualité de l’écriture est au rendez-vous, cette incroyable diversité n’est que du bonheur pour le lecteur.

Avec son Yeruldegger, dont la qualité de l’écriture est indiscutable, Ian Manook nous entraine lui aussi dans un univers mal connu de la majorité des lecteurs français : la Mongolie. Entre Oulan-Bator et les steppes sauvages et lointaines, il semble si bien connaître la géographie, la culture, les mœurs, les traditions ancestrales et même les problèmes politiques de ce pays que l’on pourrait croire que le roman a été écrit par un véritable Mongol. C’est le premier tour de force de l’auteur (qui est français)... mais pas le seul, comme nous allons le voir.

Yeruldelgger est le nom du héros, un flic d’Oulan-Bator envoyé loin de la capitale pour démarrer une enquête qui semble, au départ, d’une importance secondaire : une main d’enfant a été découverte dans un coin perdu de la steppe par des nomades. Cette enquête il va la mener en parallèle avec une autre, sanglante : l’assassinat de trois Chinois et de deux prostituées dans la banlieue de la capitale. Les deux enquêtes semblent sans lien apparent, mais est-ce vraiment le cas ?

Yeruldegger est un personnage hors du commun. Pleinement inscrit dans la modernité, il est confronté à travers son métier aux aspects les plus troubles et les plus violents de la vie de son pays qui, après l’éclatement de l’URSS, subit maintenant d’autres influences, en particulier chinoises et coréennes. Il manifeste aussi la volonté de conserver les traditions mongoles millénaires, sans doute liées à l’éducation qu’il a reçue dans un monastère bouddhiste. Il est aussi un homme brisé par la folie dans laquelle sa femme a sombré après l’assassinat de leur fille quelques années plus tôt, et reste hanté par la culpabilité de n’avoir pu la protéger.

Les différents personnages, y compris secondaires, sont aussi forts qu’originaux, aussi riches que complexes. Yeruldegger en tout premier, naturellement. Mais aussi son amie Oyun, la policière qui va mener l’enquête avec lui. Ou encore son beau-père, le richissime et puissant Erdenbat, redoutable manipulateur qui corrompt les flics comme les hommes politiques pour parvenir à ses fins. Ou bien sa fille ainée Saraa, qui le provoque constamment et le déteste, car elle estime qu’il est responsable de la mort de sa sœur, Kushi. Ou enfin Solongo, la jeune femme médecin légiste qui est amoureuse de lui et auprès de qui il va tenter de retrouver une vie affective.

Mais les personnages ne sont pas la seule qualité de ce roman, loin de là ! L’intrigue policière va se révéler être d’une redoutable complexité, en lien avec la géopolitique (relations entre la Mongolie et la Chine ou la Corée), mettant en évidence des intérêts économiques puissants à travers la découverte de certaines terres rares qui permettent d’extraire des Lanthanides (praséodymes, néodymes...) de plus en plus utilisés dans certains composants électroniques. Ceux-ci constituent un atout majeur pour les pays producteurs, peu nombreux dans le monde, et sont source d’une richesse potentielle énorme... et donc de convoitises diverses.

Un autre aspect du roman qui rend sa lecture passionnante, c’est la représentation, à travers certains des personnages du roman, de la culture traditionnelle mongole. Nous voyons comment celle-ci cohabite avec la modernité d’une façon parfois baroque. Ainsi, Yeruldegger arrivant en pleine steppe chez les nomades qui ont découvert le corps enterré de la petite fille s’entend-il expliquer qu’ils ont remis le corps en place en attendant l’arrivée de la police pour ne pas « bouleverser la scène de crime », comme ils l’ont vu faire dans la série télé américaine les experts de Miami qu’ils regardent régulièrement dans leur yourte.

Enfin, l’écriture de Ian Manook a une force et une précision, une intensité, qui lui permet d’être à l’aise dans les scènes d’action comme dans les descriptions de la steppe et des quartiers mal famés d’Oulan-Bator, ou dans les scènes plus intimistes que sont les moments d’introspection de Yeruldegger. Une écriture qui n’est pas non plus dépourvue d’un lyrisme qui sonne juste, dans des passages où celui-ci est le bienvenu :

« Yeruldelgger eut soudain le sentiment étrange que le vieil homme n’était plus avec eux. Il était juste là, comme la steppe, comme les collines à l’horizon, les rochers épars et le vent qui les érodait depuis des millions d’années. Le petit vieux n’était plus un homme, c’était un roc. Plein. Dense. Solide. Chacun s’était arrêté et demeurait immobile dans l’attente de quelque chose, mais lui ne bougeait pas. Le temps semblait suspendu. Puis une brise les frôla, se glissa entre eux, chahuta les herbes bleues, et s’enfuit soudain dans un galop joyeux sur la steppe. Yeruldegger reçut comme un coup au cœur toute cette liberté de la plaine sauvage aux herbes irisées où couraient des chevaux fous. Quand il sentit la main du petit vieux sur sa manche, ce fut comme s’il tombait d’un rêve ».

Avec Yeruldegger, les éditions Albin-Michel nous permettent de découvrir un très grand auteur, qui nous livre là un premier roman d’une exceptionnelle qualité. Le livre se termine sur un point d’interrogation, ce qui nous permet d’attendre (avec impatience !) le deuxième volet de cette série éponyme que nous promet l’éditeur. 

Je ne prends pas trop de risque en vous disant que nous allons entendre parler de Ian Manook dans les mois et les années à venir !

Jacques, lectures et chroniques

 

Yeruldelgger
Ian Manook
Éditions Albin-Michel (octobre 2013)
400  pages ; 22 €

Commentaires

C'est noté !!!!

Écrit par : Liliba | 22/12/2013

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